Le problème religieux chez Rousseau

Le choix de faire porter notre réflexion sur les rapports entre la religion et la politique chez Rousseau n’est à nos yeux ni injuste ni injustifié. La religion est certes un sujet délicat, mais c’est ce qui justifie à nos yeux l’impérieuse nécessité d’apporter aux hommes un tant soit peu d’éclaircissements et d’orientations qui permettront à chacun de vivre la sienne dans le respect de celle des autres. Notre choix n’est pas injustifié dans la mesure où, aujourd’hui, comme le suggère Myrielle Pardo, « la montée des intégrismes (…), les diverses manifestations de fanatismes religieuses, un peu partout dans le monde rendent plus urgente que jamais la relecture des textes philosophiques fondateurs de la liberté de penser.» Ceux qui voyaient dans l’avenir de l’humanité un scientisme radical qui aurait en même temps comme pendant la mise au rancart de la religion se sont incontestablement trompés dans leur prospective. Auguste Comte, avec sa loi des trois états en est un exemple patent et récent. Contrairement donc aux prévisions de Marx, Nietzsche, Freud et Sartre, on assiste à un regain d’intérêt à l’égard de la religion. On peut donc dire à l’instar de Roger Bastide que « la religion comme tous les faits sociaux change tout en résistant et résiste tout changeant » . Il en est ainsi parce, que même si elle demeure toujours indéfectible, sa façon de se manifester recouvre des formes de plus en plus variées. Car, et comme l’avait souligné Myrielle Pardo, le « réveil du religieux » s’accompagne de renouveaux, de fondamentalismes, d’intégrismes, de sectes et de nouveaux mouvements religieux. Ce qui ne manque pas de provoquer des heurts et des hostilités. Ceci rend donc plus que jamais urgente la nécessité de trouver « un moyen de paix juste, raisonnable et utile aux hommes» , pour reprendre Rousseau. C’est ainsi que ce dernier se proposera « d’apprendre au peuple à raisonner sur la religion, car c’est le  rapprocher des devoirs de l’homme, c’est ôter le poignard à l’intolérance, c’est rendre à l’humanité tous ses droits.» Notre choix n’est pas non plus injuste dans la mesure où nous nous appuierons sur une philosophie qui loin de prêcher l’irréligion, combat non seulement le dogmatisme et le fanatisme, mais qui établit également à partir des idées communes de la divinité, la nécessité politique de la religion pour servir de fondement à la souveraineté et aux lois.

Pour bien comprendre la conception rousseauiste de la religion, il faut remonter à son contexte d’élaboration c’est-à-dire au XVIII ème siècle. En effet, le XVIII ème siècle est celui de l’apogée de la critique philosophique, de la rupture avec les conceptions antérieures. Ainsi la raison considérée comme la seule instance de légitimation de toute connaissance, se libère de ses entraves métaphysiques et sociales. Toutes les sphères de la connaissance feront l’objet de critique. On assiste dès lors à la remise en cause des dogmatismes. C’est ainsi que Paul Hazard pouvait écrire : « Quel contraste ! Quel brusque passage ! La hiérarchie, la discipline, l’ordre que l’autorité se charge d’assurer, les dogmes qui règlent fermement la vie : voilà ce qu’aimaient les hommes du 17e siècle. Les contraintes, l’autorité, les dogmes : voilà ce que détestent les hommes du 18e siècle, leurs suivants immédiats.»  Cette effervescence de l’esprit rationnel fit que la critique philosophique n’eut point de domaine réservé. Elle porta sur tout ce qui était institué jusque là. En somme, au lieu d’une « sagesse équilibrée », la raison était réduite à une « audace critique »  qui fait que même les notions communes de la divinité comme le consentement universel et les miracles faisaient l’objet de critiques. Mais s’il en est ainsi, c’est parce que l’Europe toute entière était lasse des guères religieuses, des querelles sectaires et des abus du fanatisme. C’est dans ce contexte que l’auteur des Lettres écrites de  la montagne élaborera sa conception de la religion. « Considérez, écrira-t-il, l’état religieux de l’Europe au moment où je publiai mon livre, et vous verrez qu’il était plus que probable qu’il serait partout bien accueilli. La religion discréditée en tout lieu par la philosophie avait perdu son ascendant jusque sur le peuple. Les gens d’Eglise obstinés à l’étayer par son côté faible, avaient laissé miner tout le reste, et l’édifice entier portant à faux était prêt à s’écrouler » . Rousseau avait donc constaté que la religion, attaquée de toute part par la philosophie avait été mal défendue par ses représentants, ceux qu’il appelle les gens d’Eglise.

LE PROBLEME RELIGIEUX CHEZ ROUSSEAU

Les rapports entre la foi et la raison, entre la religion et la philosophie ont toujours été complexes, oscillant entre l’hostilité déclarée et le principe d’une collaboration mutuelle. Rousseau a choisi ce dernier. Mais si la collaboration entre la religion et la philosophie situe souvent cette dernière en un très humble niveau, faisant d’elle la servante de la foi, cela n’est pas le cas chez Rousseau. Du moins, si la philosophie est au service de la religion chez Rousseau, c’est parce qu’ « elle précède la gracieuse dame le flambeau à la main » mais « elle ne la suit pas en portant sa traîne » , pour parler comme Kant. C’est la raison pour laquelle, en élaborant sa conception de la religion, Rousseau a certes défendu celle-ci contre les attaques de la philosophie, mais il n’a pas manqué de mettre en lumière selon sa propre philosophie religieuse la véritable destination de la religion.

La conception rousseauiste de la religion 

Le rationalisme classique, tout en ne récusant pas la foi, avait affirmé l’autonomie de la raison : pour lui, la foi concerne le salut de l’âme, et la recherche de la vérité est du domaine de la raison. C’est certes là une façon de sauver la foi en limitant le domaine où elle s’exerce, mais cela favorisera aussi tout au long du XVIIIème siècle un athéisme philosophique et le foisonnement d’explications matérialistes du monde (Helvétius, D’Holbach …). Il s’affirma également une forte hostilité à l’idée de révélation et aux mystères des dogmes. Ceux-ci étaient considérés comme d’absurdes superstitions. La religion dans son ensemble est suspectée d’être une tromperie obéissant à des fonctions sociales. D’Alembert rendant compte de l’agitation de l’esprit de ce siècle écrivait : «Ainsi, depuis les principes des sciences profanes jusqu’aux fondements de la révélation, depuis la métaphysique jusqu’aux matières du goût, depuis la Musique jusqu’à la morale, depuis les disputes scholastiques des théologiens jusqu’aux objets du commerce, depuis les droits des princes jusqu’à  ceux des peuples, depuis la loi naturelle jusqu’aux lois arbitraires des nations, en un mot, résume D’Alembert, depuis les questions qui nous touchent d’avantage jusqu’à celles qui nous intéressent le plus faiblement, tout a été discuté, analysé, agité du moins. » C’est ainsi que, dans ses deux grands ouvrages, De l’esprit, qui fait scandale par son matérialisme, et De l’homme, Claude Adrien Helvétius (1715- 1771) défend tout d’abord un matérialisme intégral : l’homme entier, esprit compris, s’explique selon les principes qui régissent les corps. Il est plus facile, dit-il, d’admettre la matière qui pense que de concevoir la pensée comme une substance. Ainsi pour lui, l’âme comme principe spécifique n’existe pas. Pierre Henri Dietrich où Baron D’Holbach sera plus virulent. Il développe d’abord un athéisme agressif et antireligieux, d’où la prudence qui fut la sienne de ne jamais signer ses ouvrages ; puis un matérialisme intégral : il s’agit de construire une explication globale du monde, phénomènes moraux et politiques y compris, à partir de la matière en mouvement. Tel est en somme l’attitude des contemporains de Rousseau. Soit dit également en passant que c’est contre eux que sera dirigée la Profession de foi du Vicaire Savoyard. Mais tout n’était pas dans ce siècle que négation de la religion. A ce propos, Ernest Cassirer conseil de « ne pas prendre à la légère le siècle des Lumières, sur la seule foi des déclarations de ses protagonistes et de ses porte-parole, pour une époque foncièrement irréligieuse et hostile à toute croyance » .Il y avait à coté des « rationaux », les « religionnaires ».Ceux-ci défendaient certes la religion, mais épurée des dogmes et des miracles obscures. Paul Hazard décline assez éloquemment l’esprit de ces derniers : « il fallait, dit-il, bâtir une philosophie qui renonçât aux rêves métaphysiques toujours trompeurs pour étudier les apparences que nos faibles sens peuvent atteindre, et  qui doivent suffire à nous contenter, il fallait édifier une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme…» .

Quoi qu’il en soit, l’esprit des Lumières, qui avait vu naître la querelle entre les « rationaux » et les « religionnaires», avait plongé les hommes dans une profonde crise de conscience. Tout était ébranlé et « les consciences agitées, incertaines, presque éteintes » avaient « besoin d’être affermies et réveillées » Pour apaiser le désarroi religieux de la société contemporaine, il fallait donc rétablir les âmes « sur la base de vérités éternelles ». Les hommes ne peuvent pas se passer de religion, ils ont inévitablement un « élan vers l’infini », le sentiment de leur finitude et celui d’un être qui les dépasse. Le peuple croit naturellement et faute d’une « vraie » religion, il faut qu’il s’attache à une « fausse ».Le fait religieux est universel; il n’est pas une seule société où l’ont ne puisse repérer, sous une forme ou une autre, des manifestations de la vie religieuse. Il suit de cela qu’il fallait nécessairement « arracher les piliers flottants auxquels (les âmes) pensent tenir encore » .C’est ainsi que surgira, dans ce dédale des opinions philosophico religieuses, un homme, Jean Jacques Rousseau, dont l’intention se laisse appréhender dans ces propos de Pierre Maurice Masson : « devant cette nouvelle philosophie qui inquiète et scandalise» qui « sous l’appât d’une fausse liberté met en question ce qui fut utilement mis en fait depuis deux milles ans »,qui « détruit tout et n’édifie rien, qui met en fait le poids et la mesure aux mains de chaque individu », tous les « amis des hommes »(…), tous ceux qui ne se laissent pas éblouir par ces petits éclairs d’anti-prophètes » qui désirent garder intactes les forces conservatrices de la nation, qui regrettent la vieille morale et qui persistent à réclamer une religion non pas seulement pour « le peuple»,mais pour « tous ceux qui pensent en vulgaire » ce qui veut dire pour tout le monde, c’est à eux  que la profession du vicaire vient prêter main forte : elle va leur fournir ces arguments de haut style qui renouvellent ou ravivent une opinion et qui sont d’autant plus efficaces qu’ils viennent d’un témoin plus indépendant et d’un transfuge. »  Témoignage fiable à plus d’un titre, dans la mesure où Rousseau avait renoncé à la destination qui était la sienne de devenir prêtre ; mais également dans la mesure où il connaît très bien ces philosophes pour les avoir fréquenté et pour avoir discuté avec eux. « J’ai passé ma vie, écrit-il dans une de ses lettres, parmi les incrédules sans me laisser ébranler; les aimant, les estimant beaucoup, sans pouvoir  souffrir de leur doctrine.» Rousseau n’avait donc jamais cédé aux subtils arguments de ces « petits éclairs d’antiprophètes », à leurs tentatives d’expliquer tout selon les principes qui régissent les corps physiques.

LES RELIGIONS ET LA POLITIQUE 

Il faut souligner d’emblée que toute la pensée de Rousseau s’inscrit dans le cadre d’un projet de réforme émanant d’une dépréciation sans commune mesure de toute la réalité politique, religieuse, sociale et éducative ; mais aussi d’un optimisme sur la possibilité d’une résurrection de la merveilleuse nature humaine qui n’est pas en réalité morte mais seulement étouffée. Et là-dessus l’espoir est permis, car à la question de savoir si la bonté naturelle est à jamais perdu, Jean Starobinski répond : « oui si l’on considère les sociétés. Non si l’on considère l’homme singulier. Le mal ne réside pas dans la nature humaine, mais dans les structures sociales.»  C’est donc cette nostalgie d’un retour à la nature, à la bonté naturelle, et l’optimisme quant à la possibilité d’un tel retour, qui expliquent que Rousseau soit porteur d’un projet de réforme qui à tout prendre doit concerner toutes les sphères de la vie pour être effective. C’est cela qui permet à Jean Lacroix de dire que « la réforme pédagogique de l’Emile et la réforme politique du Contrat Social, qui se recommandent mutuellement sont unies parce qu’elles sont liées à la réforme religieuse de la Profession de foi du Vicaire Savoyard.»  C’est précisément à cette réforme religieuse que nous avons affaire.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Le problème religieux chez Rousseau
A- La conception rousseauiste de la religion
B- La valeur politique de la religion
DEUXIEME PARTIE : Les religions et la politique
A- Le diagnostic des rapports entre la religion et la politique
B- Rousseau réformateur : la religion civile
TROISIEME PARIE : la finalité de la réforme religieuse
A- La préservation du pacte social
B- La tolérance religieuse et la liberté de culte
CONCLUSION
BIBLIOGRPHIE

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