LE PROBLEME DE LA VERITE CHEZ NIETZSCHE

La vérité, un idéal métaphysique et un principe de valeurs morales.

    « L’homme philosophique a même le pressentiment que sous la réalité dans laquelle nous vivons et nous sommes, il s’en cache une seconde, toute différente, de telle sorte que la réalité elle aussi est une apparence.»15 C’est tout le sens et le point de départ même de la métaphysique à partir de laquelle l’expérience de ma volonté commence. La volonté étant ici la « chose en soi » selon le mot de Kant. En d’autres termes, nous pouvons dire qu’il y a eu certaines volontés de vouloir chercher la vérité au-delà des apparences. Chez Platon, la vérité est distinguée de la pensée et du discours vrai. Selon lui, la vérité n’est pas assimilée à l’apparence des choses, elle ne se révèle donc pas d’après ce qu’on voit. La vérité s’élève et se révèle par elle-même comme une réalité inchangeable, absolue et éternelle. Pour cela, elle se veut être une vérité intelligible qui n’a d’autre fin qu’elle-même. C’est pourquoi Platon établit une différence nette entre le monde sensible, monde des erreurs et le monde intelligible, monde divin, celui de la vérité. Le monde sensible est un monde à partir duquel la réalité de notre esprit se découvre dans l’illusion des sens. Cette réalité n’est qu’une fausse image du monde intelligible, lequel monde est, selon Platon, le vrai monde ; c’est-à-dire celui de la vérité. Celle-ci devient métaphysique. Et parlant de la métaphysique, nous commençons par parler d’une absence. La métaphysique c’est donc la présence d’une absence, quelque chose que nous n’avons pas devant nous mais pourtant qui nous interpelle avec insistance. La philosophie à l’époque tragique des grecs considère la vérité comme quelque chose qui relève du divin, donc comme une réalité qui existe indépendamment des phénomènes apparents du monde sensible. La vérité n’est donc pas une chose ordinaire que chacun peut obtenir ou posséder. Elle est une chose en soi qui ne dépend de personne mais de Dieu. C’est donc tout le sens de l’histoire de la métaphysique antique et classique qui est un interminable commentaire de l’éléatisme. C’est pourquoi, historiquement, en occident, l’étude de l’être en tant qu’être (l’ontologie) débute avec Parménide pour qui la réalité se réduit à l’existence d’un Être éternel, immobile, parfait, sphérique et unique : l’Un. Tout le reste n’est qu’erreur, nonêtre, multiplicité16. On voit par là qu’on ne peut aborder aucune « science de l’Être » c’est-à-dire aucun problème ontologique actuel sans connaître l’histoire de la métaphysique occidentale. À cela, il faut ajouter la façon dont Schopenhauer pose les conditions de possibilité d’existence du monde apparent. Dès le début de sa « pensée unique », Schopenhauer fait une distinction nette entre la vie en tant que volonté et la vie en tant que représentation. Par volonté, il faut entendre la « chose en soi » de Kant, dont Schopenhauer se réclame explicitement et se veut le continuateur audacieux. La représentation désigne, par contre, la réalité telle qu’elle est perçue par un sujet donné, elle renvoie au « phénomène » d’après le mot kantien. Dans Le monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer souligne ceci : « le plus grand mérite de Kant, c’est d’avoir distingué le phénomène de la chose en soi.»17 On voit nettement que, selon lui, le monde existe doublement. Toutefois, le projet de Nietzsche est d’exclure toute idée métaphysique posant l’existence d’une vérité absolue qui serait l’affaire d’un quelconque Dieu ou d’un être supérieur absolu. Pour Nietzsche, il n’y a aucune vérité qui existerait indépendamment des différentes interprétations du monde. Ainsi, il nie toute vérité qui ne soit pas « seulement des interprétations différentes du monde, c’est-à-dire des jugements qui tiennent des choses pour vraies ou pour fausses. »18 Autrement dit, selon Nietzsche, il n’y a de vérité que pour un sujet qui interprète les différents événements du monde des apparences. Laissant de côté la face intelligible des choses pour ne regarder et ne retenir que leur partie apparente, Nietzsche critique profondément les notions d’« essence » et d’« être » et il pense que l’homme n’existe que dans le devenir, l’individu ce n’est donc pas « l’étant » mais le « devenant ». « L’« essence », « l’être », est une réalité perspectiviste et suppose une pluralité. […], l’essence d’une chose n’est somme toute qu’une opinion sur cette chose », s’empresse-t-il. Ce qu’on appelle « vérité en soi » se réduit enfin de compte, selon Nietzsche, à une illusion excentrique : « Illusion de croire qu’une chose est connue, parce que nous en tenons la formule mathématique. La chose est désignée, décrite, rien de plus. »20 Il n’y a donc pas de phénomène extérieur à la vie qui serait l’état ou la manière d’être d’un être en soi. La « chose en soi » n’est alors rien d’autre qu’une fiction de l’esprit humain, car « Une « chose en soi » – absurdité égale au « sens en soi », à la « signification en soi ». Il n’y a pas « d’état de fait en soi », il faut au contraire y introduire d’abord un sens avant même qu’il puisse y avoir un état de fait. »  Cela d’autant plus qu’une chose n’est vrai que par rapport à l’individu qui la conçoit comme telle. Autrement dit, une chose ne serait caractérisée qu’une fois que chaque homme lui aurait donné un sens. Que l’on ne puisse observer que des perspectives lorsque l’on fait retour sur la vérité et jamais une « chose en soi », ne signifie-t-il pas que celle-ci est une fiction ? La question se pose d’autant plus que l’objectif de Nietzsche est de faire exploser l’unité de la « chose en soi » qui devient une scène de théâtre où : « Le perspectivisme est donc le caractère de l’apparence » en tant que réalité vivante. Dès lors, Nietzsche pose la notion de perspectivisme, en tant que phénomène d’opposition des individus dans leurs points de vue différents, comme principe de la vérité et des valeurs. Ainsi dira-t-il : « Le point de vue de la « valeur » consiste à envisager des conditions de conservation et d’accroissement pour des êtres complexes, de durée relative, à l’intérieur du devenir. » Ce qui revient à dire que la vérité est fragmentée en une pluralité infinie de réalités qui font que chaque individu, à chaque fois et partout où il se trouve, engendre des croyances et des vérités qui le conditionnent non seulement de se conserver mais aussi et surtout d’accroître. Toute vérité est ainsi une croyance approximative qui se rapporte à un individu. Il n’y a point de vérité absolue et éternelle en dehors des interprétations différentes de divers individus. Toute vérité est volonté de puissance ; c’est dire donc que la vérité dépend du type d’individu qui la conçoit. Elle est donc une lutte opposant des individus exprimant impérativement leurs points de vue respectifs et divergents. Pour chaque type de vérité correspond un type d’individu. Le concept de perspectivisme mène Nietzsche vers sa critique la plus rigoureuse, celle qui se manifeste par l’idée selon laquelle la vérité est une erreur utile. La notion de perspectivisme consiste donc à montrer que la fausseté d’une chose doive toujours être considérée comme une illusion, sans laquelle l’homme ne pourrait se conserver en vie. Dès lors, l’illusion la plus considérable devient une erreur vraie et utile à la vie. Nietzsche explique cela dans La volonté de puissance par les propos suivants: « La vérité est une sorte d’erreur, faute de laquelle une certaine espèce d’êtres vivants ne pourraient vivre. Ce qui décide en dernier ressort, c’est sa valeur pour la vie. »24 C’est pourquoi, il est nécessaire, selon Nietzsche, que l’erreur se substitue en vérité. Celle-ci sera désormais le caractère relatif à la réalité des actions humaines. Il s’agit ici d’une connaissance relative aux passions de la vie réelle. Mais, par la dégénérescence de leur volonté de puissance, les hommes faibles se mettent à rechercher la « vérité en soi », que Nietzsche appelle « volonté de vérité ». Celle-ci est généralement ce qui constitue la « métaphysique », en tant qu’illusion d’un « arrière monde », selon le mot de Nietzsche et laquelle métaphysique, Nietzsche constate qu’ « Il est d’une importance cardinale d’abolir ». La croyance en la vérité métaphysique est donc, selon Nietzsche, une grande illusion pour tous les philosophes qui nous ont mis en garde avec beaucoup d’insistance et de sérieux contre l’apparence. Il s’agit d’une opposition profonde entre les métaphysiciens et la réalité telle qu’elle nous apparaisse. Et Nietzsche voit dans cet antagonisme une « extravagance morbide de beaucoup de sentiments qui se sont appelés jusqu’à présent le « vouloir d’arriver au vrai ». »26 Mais que conviendrait-il de dire quand il s’agit de l’inverse, c’est-à dire de « l’inutilité du vrai dans la vie et la nécessité vitale de l’illusion perspectiviste » ? C’est dire donc que le perspectivisme est la condition nécessaire à la connaissance du vrai. De ce fait, toute vérité est interprétative et toute interprétation vient de la volonté de puissance. La notion même de vérité doit nécessairement refléter le principe intime de la volonté de puissance qui est de se surmonter soi-même à l’infini. De ce point de vue, la vérité pourrait se définir comme une explication donnée des différents évènements du monde par différents individus. Dire la vérité, cela signifie, à l’origine, interpréter différemment la réalité du monde. A cet effet Nietzsche dira : « c’est une des exagérations les plus dangereuses que de vouloir la connaissance non au service de la vie mais pour elle-même. »28 La vérité n’est donc pas la contemplation désintéressée d’une présupposée idée absolue placée en dehors du sujet qui interprète. Est vrai ce qui favorise les intérêts de chaque type de volonté de puissance. En outre, à la question métaphysique qu’est-ce que la « vérité en soi » ?, se substitue une autre : « quelle est la valeur de la vérité pour la vie ? ». Aux yeux de Nietzsche, la valeur de la vérité c’est de permettre à l’homme de résister à la vie. La vérité n’est, à ce titre, qu’une fiction ou une « erreur utile ». Ce que Nietzsche confirme en ces termes : « le monde apparent, c’est un monde vu selon les valeurs, ordonné, choisi, d’après des valeurs, donc à un point de vue utilitaire, dans l’intérêt de la conservation et de l’augmentation de puissance d’une certaine espèce animale. »

La vérité comme illusion et comme « erreur utile » à la vie

   Le problème de Socrate et de Platon à l’Antiquité grecque est celui d’un fondement de la vérité, une vérité idéale. La vérité étant désormais la question de Dieu en tant qu’il est posé comme valeur absolue, le centre de l’univers n’est plus la terre (monde) mais plutôt la métaphysique (le ciel, l’intelligible). Celle-ci, peut être considérée comme l’ensemble des idéaux et autres qui renvoient à Dieu. Faut-il toujours reconnaitre que la vérité est une idée métaphysique, une connaissance en soit ? Nietzsche répond négativement à cette question. Il s’insurge contre toute idée ou conception qui placerait la vérité hors de l’homme et au-delà du monde sensible. Nous somme à une époque qui voit s’effondrer l’édifice des vérités métaphysiques, établies, dogmatiques incarnées par la figure du christianisme hérité du platonisme, une rupture où une conception nouvelle, incarnée par Nietzsche, propose une nouvelle image du monde et la place que l’homme y occupe. Nietzsche se propose de rebâtir l’édifice de la vérité sur de nouvelles conditions. Cela suppose de passer en revue toutes les vérités dogmatiques de la métaphysique afin de déterminer à quel titre cette dernière en est-il. Il est donc claire que Nietzsche révolte contre toute contemplation érigé de l’idéalisme platonicien en disant « que l’erreur la plus néfaste, la plus pénible et la plus dangereuse qui ait jamais été commise a été une erreur des dogmatiques, je veux dire l’invention de Platon, celle de l’esprit pur et du bien en soi. » Dans ce sens, Nietzsche s’exerce contre les vérités révélées et absolues ainsi que les témoignages de l’esprit religieux et de l’idéal ascétique du prêtre chrétien. Il envisage même la possibilité de sombrer dans l’illusion totale si jamais il ne trouvait pas au terme de sa philosophie une critique digne de ce nom. Et Nietzsche s’aperçoit que si toutes nos pensées sont des illusions, il faut nécessairement que quelque chose existe qui soit le sujet de ces illusions. De là, la métaphysique apparait comme le sujet de ces illusions. C’est là le point de départ de la critique nietzschéenne. Nietzsche indique ici que la vérité religieuse ou métaphysique, la volonté de vérité de l’idéalisme est une erreur nuisible. Ainsi, prévient-il dans l’ « Avant-propos » de Par-delà le bien et le mal ceci : « Maintenant que cette erreur est surmontée, maintenant que l’Europe, délivrée de ce cauchemar, se reprend à respirer et jouit du moins d’un sommeil plus salutaire, c’est nous, nous dont le devoir est d’être éveillés, qui héritons de toute la force que la lutte contre cette erreur a fait grandir. » Car dit-il encore « Ce serait poser la vérité tête en bas et nier la perspective, nier les conditions fondamentales de toute vie que de parler de l’esprit et du bien à la façon de Platon. » A partir d’un arrière monde, du monde suprasensible des idées platoniciennes ou de « Dieu », c’est le monde sensible qui est dévalorisé, l’immanence, la terre et le corps. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une expérience métaphysique, celle donc d’un monde idéal dépourvu de toute sensibilité et dont Descartes pense qu’elle est la seule chose vraie lorsqu’il s’exprime de la sorte : « Je suppose donc que ce que je vois est faux, je crois que rien n’a jamais existé de ce que représente la mémoire menteuse, je n’ai pas de sens du tout ; corps, figure, étendu, mouvement et lieu sont des chimères. Qu’est-ce donc qui sera vrai ? Une seule chose peut-être : il n’y a rien de certain. »74 Ce qui est remarquable ici c’est que Descartes accorde une valeur intrinsèque à la métaphysique. En d’autres termes, le caractère métaphysique de la démarche cartésienne loin d’invalider la vérité dont il est question ici en est plutôt sa garantie, car il n’y a de vérité, selon lui, que posée par un sujet métaphysique qui l’éprouve comme telle. Mais il convient, selon Nietzsche, de se demander « quelle partie de nous-même tend à la « vérité » ?75, ou, pour parler comme les métaphysiciens, à la métaphysique ? Une telle question suppose que s’il y a une vérité, c’est qu’il y a quelque chose qui la parcourt et qui fait que cette vérité est vérité. C’est ce parcours à la vérité qui vient à l’homme pour une certitude que la vérité repose sur un fondement métaphysique, sur une chose en soi. Ne faut-il pas dès lors se poser la question suivante : « pourquoi ne préférerions-nous pas la non-vérité ? Et l’incertitude ? Et même l’ignorance ? » Nietzsche pose ici le problème de la valeur du vrai et du faux. Ce n’est donc plus la vérité ou la fausseté qui sont recherchées, mais la valeur de chacune d’elles. Cherchons d’abord à savoir en quoi Nietzsche dit que la vérité est une illusion et une « erreur utile » à la vie. Pourquoi la vérité plutôt que l’erreur ? Peut-on dire que l’illusion n’est pas bonne ? Pour cela, prenons cet exemple : admettons que l’homosexualité est bannie au Sénégal et que le président de la république est un homosexuel, tous les membres du gouvernement sont des homosexuels, il y a de grands marabouts homosexuels. Et à supposer que : premièrement c’est quelque chose qui est tenu pour vrai, en deuxième lieu tant que la population ne le chasse pas, on est en paix et en troisième lieu une fois que la population le chasse, on est en guerre civile. La vérité est que tous ces gens-là sont des homosexuels, mais ce que la population croit, ce qu’elle voit ce sont des hommes purs. C’est un mensonge, une illusion, une erreur mais pourtant une « erreur utile » parce qu’elle permet de maintenir l’équilibre sociale. Si la vérité consiste à dire l’illusion ou l’erreur sur laquelle est assise l’humanité tout entière, cela revient à détruire l’équilibre de cette humanité. Lorsque toute l’humanité est assise sur des illusions, ce qui serait vrai c’est de laisser les choses comme elles sont, car dire, révéler la vérité en ce moment-là ce sera détruire l’équilibre et la paix qui maintiennent l’humanité. Nietzsche a donc raison lorsqu’il affirme que l’homme ment par nécessité et par instinct de conservation : « En l’occurrence, les hommes fuient moins le mensonge que le préjudice provoqué par un mensonge. Fondamentalement, ils ne haïssent pas l’illusion mais les conséquences fâcheuses et néfastes de certains types d’illusions. C’est seulement dans ce sens ainsi restreint que l’homme veut la vérité. Il désire les suites favorables de la vérité, celles qui conservent l’existence ; […] et il est même hostile aux vérités qui peuvent être préjudiciables ou destructrices. »77 C’est pourquoi, parfois, on préfère l’illusion ou l’erreur plutôt que la vérité en cela que l’erreur peut être utile de même que la vérité. Mais Nietzsche dit qu’en réalité il n’y a pas de vérité, c’est des confusions créées par la métaphysique et les métaphysiciens. A la question de savoir « qu’est-ce donc que la vérité ? », Nietzsche répond aussitôt dans Vérité et mensonge au sens extra-moral : « Une multitude nouveau de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées, transposées, et ornées par la poésie et par la rhétorique, qui après un long usage paraissent établies, canoniques et contraignantes aux yeux d’un peuple : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu’on ne considère plus désormais comme telles mais seulement comme du métal. Nous ne savons toujours pas d’où provient l’instinct de vérité car jusqu’à présent nous n’avons entendu parler que de la contrainte qu’impose la société comme une condition de l’existence : il faut être véridique, c’est-à-dire employer les métaphores usuelles ; donc en terme de morale, nous n’avons entendu parler que de l’obligation de mentir selon une convention établie, de mentir en troupeau dans un style que tout le monde est contraint d’employer. A vrai dire, l’homme oublie alors que telle est sa situation. Il ment donc inconsciemment de la manière qu’on vient d’indiquer, se conformant à des coutumes centenaires…et c’est même par cette inconscience-là, par cet oubli qu’il en arrive au sentiment de la vérité. »78 Qu’en est-il donc de ce lien déroutant entre la vérité et l’oubli ? La raison fondamentale pour laquelle Nietzsche pourrait souscrire à ce jugement tient au fait que l’oubli n’est pas la disparition de la chose pensée, de la chose que l’on vient de se représenter un instant auparavant. Tout au contraire, à côté de l’oubli […], Nietzsche fait en effet remarquer qu’il existe une autre forme du phénomène : ne plus penser quelque chose que l’on possède constitue aussi bien la marque spécifique de l’intériorisation. En d’autres termes, l’inconscience et l’oubli, en leur dimension fondamentale, se présentent bien plutôt comme les résultats de la présence affective de la chose, en acte, et surtout de la maîtrise parfaite de la chose . C’est pourquoi Nietzsche pense que la vie même est impossible sans l’oubli. Car ce dernier nous permet d’apaiser le poids et la douleur de la vie par le seul fait qu’il nous aide à agir spontanément selon notre instinct ou notre pulsion. Ce qu’on prend pour une vérité peut être une erreur qui profite aux hommes. Car, pour Nietzsche, ce qui est bon c’est ce qui est profitable et ce qui est mauvais c’est ce qui est nuisible. Tant que les gens croient à l’illusion et que la société marche, c’est une erreur qu’on peut appeler vérité. Celle-ci est une erreur mais pourtant utile à la vie de l’homme. Elle est une illusion qui permet de maintenir l’équilibre social. La vérité est une sorte d’erreur, faute de laquelle une certaine espèce d’êtres vivants ne pourraient vivre. Ce qui décide en dernier ressort, c’est sa valeur pour la vie, nous dit Nietzsche. On voit bien le glissement qui s’opère ici puisque nous voyons que Nietzsche ne cherche plus à savoir ce qui est vrai ou faux, mais plutôt la valeur du vrai et du faux. Il s’agit tout simplement, selon lui, d’accorder une valeur au mensonge et à la vérité. Il vaut mieux, pour Nietzsche, un mensonge qui garantit la sécurité humaine, c’est-à-dire qui conserve la vie de l’homme plutôt qu’une vérité qui la détruise. Pourquoi veut-on une vérité qui détruit si ce n’est notre incapacité à conserver l’existence. Supposons qu’un enfant soit élevé par un culte et il sait que tel n’est pas son père, telle n’est pas sa mère décidera de se suicider. Pourtant ne pas lui dire la vérité serait une illusion, mais lui dire la vérité peut détruire sa vie. N’est-il pas préférable de dire l’erreur ou l’illusion qui maintient la paix de l’enfant plutôt que la vérité qui lui déstabilisera. Alors, quelle est la valeur de la vérité qui une fois découverte ruine l’humanité ?, et quelle est celle du mensonge tel qu’il garantit l’équilibre et la paix sociale ? A quoi bon choisir la vérité à la place du mensonge si l’on sait que celui-ci peut nous maintenir en vie ? Tant que l’on ne sait pas que c’est un mensonge, cela a la valeur d’une vérité. On peut te mentir et tu ne sais pas qu’on te ment, ce qu’on te dit est un mensonge tenu pour vrai. De ce point de vue-là, Nietzsche s’oppose complètement à Kant qui exige la vérité à tout prix même si elle nous coutera la vie. Kant, dit Nietzsche, est un idiot. Il le dit clairement sans exagérer ni déformer. Il l’appelle le rebot de Koënikghberg. Pour Kant dans toutes les circonstances le mensonge est immoral et doit être banni. Or, c’est quoi mentir, demande Nietzsche ? Il s’agit ici de la valeur d’une volonté de dire la vérité et d’une volonté de dire le mensonge. Quelle est la valeur de la vérité ? Quelle est celle du mensonge ? De là, dire la vérité est une volonté ; dire le mensonge est une volonté. La volonté de la vérité et du mensonge seront donc posées comme une nécessité supérieure à la vérité elle-même. Ce n’est donc plus la vérité ou le mensonge qui nous importe mais la valeur de chacune d’elles. Peut-on ainsi dire que Nietzsche fait une distinction entre la vérité quotidienne et celle dite révélée, c’est-à-dire celle dogmatique ? La réponse que nous pouvons apporter à cette question consiste à dire que la seule vérité que Nietzsche prélude c’est la vérité qui résulte d’une interprétation. Il n’y a de vérité qu’interprétative, pense Nietzsche. Il n’existe pas de vérité, il n’y a que de perspectivisme. Celui-ci n’est rien d’autre que des voies ouvertes, car la vérité dont parle Nietzsche n’a aucune valeur métaphysique. Dire que ce que nous voyons c’est de l’apparence et que la vérité se cache, c’est une illusion énorme. Il n’y a pas de vérité, selon Nietzsche, qui se réduit comme étant l’adéquation entre ce qui existe et ce qui est et voulant chercher à ce qui est soit non pas ce que nous voyons mais ce qui est serait dans son essence.

De la destruction des valeurs décadentes à la critique du judéo christianisme

   L’entreprise subversive qu’entreprend Nietzsche se veut donc destructrice de toutes les valeurs qui annihilent l’élévation de l’homme. Ce sont des valeurs morales comme la pitié, le nonégoïsme et l’amour du prochain que nous avons jugé nécessaire de soumettre à la critique la plus sévère pour voir à quel point elles sont dévalorisantes. La pitié inspire la faiblesse, car selon Nietzsche, c’est proprement être faible que d’éprouver la pitié. Par ailleurs, prôner la pitié et encourager l’amour du prochain est non seulement produit de faiblesse, mais aussi favorise la faiblesse de l’homme. Aux yeux de Nietzsche, ce serait une négation à la vie que de vouloir lui ôter ses attributs. Si toutes les cruautés, les agressions et les répressions sont inhérentes à la vie, alors l’acte même de « contre-nature » consisterait à vouloir soustraire à la vie de ses composantes. Autrement dit, violenter, brigander, opprimer et exploiter sont moins graves que de vouloir les soustraire à la vie : « Qui sait s’il n’est pas plus grave de priver la vie de vol et d’assassinat que de voler et d’assassiner ? » 129, s’empresse Nietzsche. L’attitude naturelle de la vie se veut ainsi, et toute tentative à vouloir y opposer autre chose est indésirable et condamnable. La pitié n’a aucune valeur morale, car elle n’est qu’un subterfuge pour les faibles pour échapper à la violence, à l’oppression, à l’agression qui sont des vraies valeurs et qui sont même inhérentes à la vie. Eriger la pitié au rang de valeur morale, c’est anéantir la vie et lequel anéantissement se réduirait à la décomposition et à la décadence des valeurs, car la « « la vie ellemême est essentiellement appropriation, agression, assujettissement de ce qui est étranger et plus faible, oppression, dureté, imposition de ses propres formes, incorporation et, au minimum dans le plus doux, exploitation », dira Nietzsche. Ce n’est ni un bien ni un mal- ni bon ni mauvais- que l’affirmation de la vie soit exprimée par l’exploitation, car une telle attitude loin d’être primitive ou négative est à voir dans l’essence même de la vie. Cela dans la mesure où « l’ « exploitation » n’est pas le fait d’une société dégénérée ou incomplète et primitive : elle appartient à l’essence du vivant, comme fonction organique de base, c’est une conséquence de la volonté de puissance qu’est justement la volonté de vie », ajoute-il. Or, à y regarder de plus près nous nous rendons compte que ce que nous appelons jusqu’ici bien et mal ne sont que des préjugés et imaginations de notre esprit. Ce ne sont que de fausses valeurs et des illusions que nous prenons comme vraies. Il y a donc à ce niveau une corruption des valeurs sur lesquelles l’humanité tout entière est assise. Cela dans la mesure où la civilisation a dépravé l’homme en domestiquant ses instincts et en lui faisant préférer ce qui lui est préjudiciable. Autrement dit, comme le pense Jean Granier, « Plusieurs moyens furent employés, dont le plus efficace fut le contrôle de l’éducation ; par cette ruse, la décadence devint proprement l’école de la maladie. Cette pédagogie de la décadence, camouflée sous la bannière d’une « amélioration » morale de l’homme, travaille en fait à le domestiquer ; autrement dit, à transformer les natures énergiques et passionnées en bêtes de troupeau laborieuses, dociles et médiocres. » Ainsi, nous remarquons aisément que partout où la volonté de puissance ne surgit pas ou que la vie ne s’affirme pas par un instinct de croissance, il y a une décadence des valeurs. Car la vie n’est autre chose que la manifestation de la volonté de puissance qui s’accompagne des brutalités et d’autres composantes de la vie de ce genre. Nietzsche dit à cet égard que « la vie même est […] instinct de croissance, de durée, d’accumulation de forces, de puissance : là où fait défaut la volonté de puissance, il y a déclin. » C’est pour cette raison que les faibles mettent en valeur leur faiblesse et, par conséquent la morale des faibles devient dévalorisation de la vie en ce qu’elle se veut fonder sur la pitié. Les esclaves s’illusionnent en faisant recours à des principes abstraits qu’ils érigent en norme universelle, et qui ne relèvent que du pur nominalisme. Ils mènent le combat avec le soutien des prêtres ascétiques. Force est de reconnaitre que cette position est d’inspiration chrétienne. En effet, ce nouveau système d’évaluation valorise la faiblesse des esclaves et l’élève au rang de morale dominante. Les faibles accueillent à bras ouverts le nivellement des âmes tel que prôné par le christianisme, et ils souhaitent vivre donc dans la douceur pour échapper à l’oppression des forts. En outre, la négation de la pitié est à chercher dans sa puissance à faire perdre de la force, de l’énergie et le sentiment de vivre. Dès lors, Nietzsche affirme que « la pitié s’oppose aux affects toniques qui élèvent l’énergie du sentiment vital : elle agit d’une manière dépressive. On perd de la force quand on éprouve de la pitié. La pitié fait que s’accroit et se diversifie davantage encore la perte de force qu’implique déjà pour la vie toute souffrance. La pitié rend la souffrance même contagieuse ; il y a des circonstances où elle fait aboutir à une perte générale de vie et d’énergie vitale qui est sans commune mesure raisonnable avec sa cause.» En vertu de cette perte de force et de puissance pouvant être engendrée par la pitié, il nous est légitime de dire que la pitié est non seulement négative, mais aussi qu’elle est à prendre comme pseudo-valeur ou même tout au plus une anti-valeur. Ainsi donc, pour le philosophe allemand, il faut se garder de compatir à la souffrance d’autrui. Aussi suggère-t-il l’égoïsme et condamne fermement l’altruisme qu’il considère comme une négation du moi, car, selon lui, « Quand, à l’intérieur de l’organisme, le moindre organe s’affaiblit si peu que ce soit et cesse d’assurer […] son « égoïsme », alors l’ensemble dégénère. »135 Le « vieux psychologue » exige ici « l’ablation » et l’ignorance de la pitié. L’homme s’affaiblit dans une action guidée par le sentiment d’altruisme et devient un instrument par lequel l’autre passe pour satisfaire ses propres besoins, car au lieu de se satisfaire et assouvir ses passions il se soucie de l’accomplissement du désir de l’autre qui, en un sens même est sa négation. Dans Le crépuscule des Idoles, Nietzsche souligne le caractère néfaste du non-égoïsme en précisant que « c’est le meilleur qui fait défaut quand l’égoïsme vient à manquer. Choisir d’instinct ce qui vous fait du mal, être alléché par des motifs « désintéressés », voilà presque énoncée la définition de la décadence. »136 Toujours dans la même logique de disqualifier le non-égoïsme, Nietzsche ajoute que « c’en est fait de l’homme quand il devient altruiste. Au lieu de dire naïvement : « je n’ai plus aucune valeur », le mensonge moral dit par la bouche du décadent : « Rien n’a aucune valeur, la Vie n’a aucune valeur. » La morale décadente est une morale dans laquelle l’individu s’étiole. Du coup, pour réhabiliter les vraies valeurs morales, il faut agir sans pitié et avec égoïsme, car l’individu malade est un danger à la société. À l’image du médecin, qui par le souci de guérir le malade lui ampute l’organe infecté si la maladie est incurable, il faut supprimer l’être faible de la vie. Car la vie est santé et ne veut que ce qui se porte bien. D’ailleurs, c’est l’acte même de vivre qui exige la santé. Car, vivre est, selon Nietzsche, repousser tout qui est mourant. À cet effet, tout ce qui est malade, faible, mourant et dégoûtant doit être mis à la quarantaine. Ainsi, nous comprenons pourquoi Nietzsche veut que nous aidons les moribonds, les redoutables à périr de la vie et ; les héros, les hommes forts à se maintenir en vie. Il le dit très exactement en ces termes : « Il y a des prédicateurs de mort, et la terre est pleine de gens à qui l’on devrait prêcher de renoncer à vivre. La terre est pleine de gens superflus, la vie est gâtée par ceux qui sont bien-trop-nombreux. Qu’on tâche donc, au nom de la « vie éternelle », de les persuader de quitter cette vie ! ». Voilà une thérapie très adaptée que Nietzsche nous suggère à proposer et à recommander aux malades incurables.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : l’origine de la notion ou de l’idée de vérité selon Nietzsche
CHAPITRE I: La vérité, un idéal métaphysique et un principe de valeurs morales
CHAPITRE II : la vérité, une vengeance des esclaves par la falsification de la réalité
DEUXIÈME PARTIE : Critique de la vérité métaphysique
CHAPITRE 1 : La vérité comme illusion et comme « erreur utile » à la vie
CHAPITRE II : des différentes interprétations sur la provenance des jugements moraux à la morale comme problème
TROISIEME PARTIE : le bouleversement de toutes les valeurs morales traditionnelles
CHAPITRE I : de la destruction des valeurs décadentes à la critique du judéo-christianisme
CHAPITRE II : de la figure de dieu dans la décadence des valeurs à sa mort et à l’affirmation du surhomme
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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