LE PRINCIPE DU MOUVEMENT EN ISLAM SELON MOHAMMED IQBAL

Les controverses politiques et religieuses

   Mutazilisme versus l’orthodoxie traditionnaliste et/ou la « réaction sunnite » contre l’excès de rationalisme du mutazilisme. Parmi les causes qui ont nécessité la régression de la pensée libre et l’ijtihad dans la pensée religieuse de l’islam, Mohammed Iqbal évoque le rationalisme excessif des mutazilites, et les réactions qu’il a suscitées provenant des traditionalistes (traditionnistes et des acharites). Sur le plan théologique, c’est Al- Asharî qui semble amorcer la révolte contre le rationalisme, jugé trop excessif, des mutazilites. Sur le plan juridique, les tendances littéralistes tentent, de plus en plus, d’imposer la doctrine sunnite orthodoxe, même s’ils doivent rencontrer les répressions du pouvoir politique en place (les premiers califes abbassides, al-Ma’mûn notamment), qui accorda tout son soutien à la secte rationaliste. Néanmoins, cette répression ne sera que temporaire, puisque la doctrine orthodoxe sera rétablie dès l’arrivée au pouvoir des derniers califes abbassides qui, sur le plan théologique, réhabiliterons la thèse de la création du Coran. De là procède le caractère immobile de la pensée islamique qui est demeurée stagnante depuis que l’effort d’interprétation est devenu interdite, sinon restreinte. Dès lors, pour mieux cerner l’importance que constituent les controverses qui naquirent entre les mutazilites, qui incarnaient le mouvement rationaliste en islam, et la réaction que ce rationalisme suscita du côté des conservateurs, posons-nous ces questions suivantes : qu’est-ce que le mutazilisme ? En quoi est-il un rationalisme excessif ? Comment la réaction des traditionnalistes conservateurs s’est-elle manifestée ? Cette réaction ne trouve-t-elle pas son pendant dans celle qui s’est manifestée en théologie et qui est incarnée par Al- Asharî ? Comment ces deux réactions ont-ils participé à la suspension progressive de la doctrine de l’ijtihad ? L’école théologique mutazilite s’inscrit dans le vaste champ du kalâm sunnite. Encore qu’il faut ajouter qu’elle est l’école ou la secte religieuse la plus rationaliste de toutes. C’est d’ailleurs, suivant Iqbal, ce rationalisme excessif qui lui aurait valu le discrédit qu’il allait encourir venant de la part des derniers califes abbasides qui finiront par appuyer les traditionnalistes dans le but d’éviter la désintégration de l’islam en tant que régime social. En effet, l’usage de la raison à outrance dans la compréhension de la révélation divine est caractérisant de l’école théologique mutazilite. Notant l’attitude rationaliste de la doctrine mutazilite, Mohammed Iqbal souligne : Les Mu’tazila, ne concevant la religion que comme un corps doctrinal et l’ignorant en tant que fait vital, ne s’occupèrent pas des modes non conceptuels d’approche de la réalité et réduisirent la religion à un simple système de concepts logiques menant à une attitude purement négative. La doctrine mutazilite, par ailleurs, est centrée autour de deux principes majeurs: « [l’un], à l’égard de Dieu, principe de la transcendance et de l’unité absolue ; [l’autre], à l’égard de l’homme, principe de la liberté individuelle entrainant la responsabilité immédiate de nos actes ». Mais il y a cinq thèses qui caractérisent généralement la doctrine théologique mutazilite. Ces thèses se présentent souvent dans l’ordre qui suit : la première concerne l’unicité divine, la deuxième renvoie à sa justice, la troisième à l’eschatologie, c’est-à-dire aux promesses et châtiments liés à la vie future, la quatrième à la situation intermédiaire, et la cinquième et dernière thèse à l’impératif moral. Exposons brièvement ces thèses qui caractérisent la doctrine mutazilite : La première thèse concerne la question du Tawhid ou de l’Unicité divine. Considéré comme le dogme fondamental de l’islam, le Tawhid consiste à un témoignage de l’unicité de Dieu. C’est la croyance que Dieu est unique, et qu’Il n’a pas d’associer dans Ses attributs. En effet, après avoir proclamé que Mohammad est le serviteur et envoyé de Dieu, le musulman se doit de reconnaître, intérieurement comme extérieurement, qu’il n’y a qu’un seul Dieu dont toute la création doit existence et subsistance. Théologiquement, rappelons la définition que le célèbre théologien mutazilite Al-Asharî en donne : Dieu est unique, nul n’est semblable à lui ; il n’est ni corps, ni individu, ni substance, ni accident. Il est au-delà du temps. Il ne peut habiter dans un lieu ou dans un être ; il n’est l’objet d’aucun des attributs ou des qualifications créaturelles. Il n’est ni conditionné ni déterminé, ni engendrant ni engendré. Il est au-delà de la perception des sens. Les yeux ne le voient pas, le regard ne l’atteint pas, les imaginations ne le comprennent pas. Il est une chose, mais non comme les autres choses ; il est omniscient, tout-puissant, mais son omniscience et sa toute-puissance ne sont comparables à rien de créé. Il a créé le monde sans un archétype préétabli et sans auxiliaire. Précisons, par ailleurs, que cette conception du Tawhid n’est pas une originalité mutazilite. Le « Tawhid » étant un pilier fondamental de l’islam, le plus important même fautil l’ajouter, la tradition lui a consacré, de ce fait, toutes les précisions qu’il mérite. Les mutazilites ne l’ont donc pas créé. « Ils ne l’ont pas inventé » comme dit Henry Corbin. Néanmoins, les mutazilites se distinguent par l’application qu’ils ont faite du principe en rapport avec d’autres questions théologiques. Celles par exemple liées aux attributs divins, à l’affirmation de la thèse du Coran créé, et de la négation de toute possibilité de la vision de Dieu dans l’au-delà. En effet, en affirmant que Dieu est un Être Un, transcendant, inaccessible dans son essence, les mutazilites s’inscrivent en faux contre le dogme chrétien de la trinité qui affirme l’existence d’un Dieu en trois personnes. Aussi, ils rejettent tout attribut de l’essence divine dans la mesure où l’attribut révèle une réalité multiple, tandis qu’il s’agit, selon la logique du Tawhid, de concevoir Dieu comme un être unique dont l’indépendance transcende toute existence quelle qu’elle soit. Dans la même logique, les mutazilites affirment la thèse d’un Coran créé, posant par là qu’il est la parole divine créée, dictée par le truchement de l’ange Gabriel au prophète Mohammad dans une langue humaine particulière qu’est l’arabe. En disant cela, les mutazilites s’inscrivent en faux contre les défenseurs de la thèse du Coran incréée, « considérant la parole aussi bien que le texte, les écritures, et même l’idiome qui l’exprime, comme éternel ». Pour les mutazilites, c’est ainsi poser à côté de l’éternité divine, unique dans son essence, l’éternité de la parole coranique. Ils avancent au contraire que le Coran n’est pas éternel ; qu’il est créé, c’est-à dire qu’il a une origine historique dans le temps. Dès lors, en soutenant que le Coran est créé, les mutazilites restent aussi près que possible de l’esprit de leur doctrine, laquelle se fonde principalement sur le principe du « Tawhid », et dont ils furent les plus grands défenseurs.

Émergence et montée du soufisme ascétique

   Dans le présent chapitre, il convient d’analyser le rôle non moins important de la naissance et du développement du soufisme dans le processus de régression de la pensée libre en islam. Les soufis, accordant une importance capitale à la distinction entre l’apparent et le réel (zâhir et bâtin), sont attirés du côté des choses qui s’apparentent à la réalité et non à l’apparence. Or cet esprit, qui favorise un détachement complet des choses de ce monde, contraste avec le souci de son organisation sociale et politique. Le cas de Sufyân Taurî (716- 778) en constitue une illustration parfaite. Comme nous le rappelle Iqbal, il était un esprit brillant, un juriste qui faillit même constituait sa propre école de droit au temps de l’élaboration du système juridique des premiers siècles de l’islam. Mais du fait de sa spiritualité intense, sans doute par le choix de vie ascétique qu’il choisit d’observer, il finit par abandonner son rôle d’éclaireur pour les masses et se focalisa entièrement au soufisme. En raison de cela, souligne Iqbal, « l’État musulman ne fut ainsi laissé qu’aux mains de médiocrités intellectuelles ; les masses sans discernement aussi n’ayant pas pour les guider de personnalités de plus grandes envergure, ne trouvèrent de sécurité qu’en suivant aveuglément les écoles ». Ainsi le soufisme favorisa le conformisme intellectuel (taqlid) au détriment de la liberté de réflexion et de délibération (ijtihad) chez les savants de l’époque. Dès lors pour mieux saisir tout l’enjeu du rôle perpétré par le soufisme dans le recul progressif de la liberté intellectuelle en islam et, sur le plan pratique, de la suspension de l’effort d’interprétation personnel (ijtihad), il convient de dresser un bref tableau du soufisme, de son origine et de son développement, mais surtout des différentes phases qui ont jalonné son existence en liaison avec les quelques personnages qui l’ont incarné. Qu’est-ce que le soufisme ? En quoi son développement et son intégration en milieu orthodoxe influent-ils sur la décision de l’arrêt systématique de l’ijtihad ? Considéré comme une partie intégrante de la religion islamique, le soufisme proviendrait de l’arabe safâ qui signifie littéralement « cristalline », et désigne la « pureté du cœur » pour ainsi exprimer une vision épurée de l’islam. Ou encore de suf pour traduire étymologiquement le terme arabe de « laine » ; mais aussi de kherqa pour désigner le « manteau en laine ». En outre, selon une autre acception, le terme viendrait de l’expression ahl alsaff, « les gens du blanc », ceux des premiers rangs, les plus bénis de la communauté. Ainsi, le terme renvoie au premier temps de la communauté musulmane, en référence aux sûfiyya (les purifiés) qui vivaient dans la mosquée du Prophète, à Médine, et que le Coran présente comme «(…) ceux qui invoquent leur Maître matin et soir, et aspirent à Sa Face ». Si l’on s’en tient à ces tentatives de définition, cela reviendrait à affirmer que le soufisme est une expression de la mystique musulmane. Que Les soufis, étant les gens purifiés, sont les plus proches de l’islam véridique. Sous ce rapport, le soufisme constituerait le cœur lumineux de l’islam. Il ne se situe pas en dehors de l’islam comme certains peuvent le penser. Le soufisme, c’est l’islam, mais un islam vécu en profondeur. Martin Lings écrit que : « le soufisme n’est autre que le mysticisme islamique, ce qui signifie qu’il est le courant central le plus puissant de ce flot de marée qui constitue la Révélation de l’Islam… » Henry Corbin abonde dans le même sens et souligne l’importance inappréciable du soufisme comme témoignant la dimension mystique de la religion islamique. Dans la logique de notre argumentation consistant à montrer l’origine islamique du soufisme, Corbin ajoute que le soufisme constitue « essentiellement la fructification du message spirituel du Prophète, [témoignant ainsi de] l’effort [du soufi, qui désire] en revivre personnellement les modalités, par une introspection du contenu de la Révélation qorânique ». Sous ce rapport, le modèle de l’ascension du Prophète constituerait le prototype par excellence de l’expérience spirituelle que les soufis désirent atteindre. En d’autres mots, ils veulent réaliser cette union intime avec Dieu ; « cet Océan de possibilité infinie vers lequel les soufis désirent refluer à partir de l’une de ses vagues (c’est-à-dire les révélations ; dans le cadre de l’islam, la révélation coranique), et d’être ramenés avec elle [la vague] à la Source éternelle et infinie par le truchement de la Révélation qui se présente comme le flux menant à l’Océan d’infinitude ». Ce que les soufis cherchent, c’est l’extinction (fanâ’) du créé dans l’incréé, du temporel dans l’Éternel, du fini dans l’Infini… N’est-ce pas aussi là, selon l’expérience de l’ascension du Prophète, une manière beaucoup plus précise de démontrer l’origine islamique du soufisme si l’on a à l’esprit la sourate coranique exclusivement réservée au récit de cette ascension. Voilà établie l’origine islamique du soufisme, reste maintenant à étudier son origine historique et les différentes phases de son développement ainsi que les tendances qui l’ont caractérisé. Mais aussi apprécier les différentes orientations qui n’ont pas manqué de favoriser son épanouissement. Il nous faut encore, dans la perspective de notre analyse des différentes causes qui ont participé à la suspension de la libre pensée en islam, apprécier les enseignements de Iqbal en rapport avec le développement du soufisme ascétique qui, d’une part s’est développé sous des influences étrangères, et d’autre part, parce qu’il se fonde sur l’idée d’une polarité entre shar’ia et hâqîqat, le zâhir et le bâtin, (l’apparent) et (le caché) donne ainsi la primauté au caché, et favorise un esprit de détachement total des choses de ce monde. Le soufisme serait, dès le départ, une réaction contre la mondanité constatée dans les régions nouvellement conquises et qui gagnait de plus en plus la majorité des croyants. Éric Geoffroy semble partager cette position lorsqu’il écrit : Le développement des mouvements ascétiques au sein de l’islam sont en grande partie une réaction au caractère mondain de la dynastie omeyyade, qui gouverne la communauté musulmane de 661 à 750, et aux nombreuses injustices que l’histoire lui impute, puisque Muawiya, premier calife omeyyade, a usurpé le pouvoir au détriment de Hasan, fils de l’imam ‘Ali. Ce glissement irrémédiable d’une autorité spirituelle légitime vers la royauté héréditaire suscite chez certains un désir de se retirer des affaires temporelles. Ils estiment que les biens matériels acquis rapidement lors des conquêtes sont de natures à détourner les croyants de la mission qui leur incombe ici-bas. Abû Dharr Ghifàri reproche ouvertement à Muawiya de mener une vie luxueuse et n’hésite pas à critiquer ses méthodes de gouvernement. Ibn Khaldûn, aussi, semble partager la même opinion quand il note : « Lorsque la mondanité se répandit et que les hommes devinrent de plus en plus dépendants des attaches de cette vie, ceux qui se consacraient à l’adoration de Dieu se distinguèrent des autres par l’appellation de soufis. » En effet, le rapide développement de la richesse, dans un empire qui grandissait sans cesse, tendait à produire un relâchement moral et une indifférence certaine à la vie religieuse dans les cercles les plus élevés de l’islam. Dans ces conditions un certain ascétisme, proclamé par des musulmans scrupuleux, ne pouvait qu’émerger et se développer. C’est pourquoi la première phase, qui caractérisa le soufisme, fut un certain ascétisme doublé de quiétisme, témoignant, ainsi, une réaction contre la richesse et le luxe qui menaçaient de submerger l’islam et de détruire sa simplicité. Majid Fakhry voit ainsi en Abû Dharr Ghifàri (mort en 652) et Hudayfa (mort en 657) les tous premiers musulmans qui « choisirent de mener la dure vie ascétique à une époque où la plupart de leurs contemporains avaient choisi la vie plus douce du monde »  Mais un siècle plus tard apparaît le personnage le plus illustre de l’histoire de l’ascétisme musulman : Hasân al-Bâsrî (mort en 728). Comme en témoigne Majid Fakhry, al-Bâsrî vécut dans une période particulièrement troublée de l’histoire de l’islam. Nous vivons en son temps les décennies immédiates qui ont fait suites aux altercations pour le pouvoir entre les partisans de ‘Ali et de Muawiya, suite à l’assassinat du troisième calife ‘Uthmân (mort en 656). Ces périodes, marquantes de controverses politique et religieuse, s’ouvraient soit à débattre sur des questions non sans quelques rapports avec le tableau que brossé ces luttes politico religieuses soit à prendre parti selon l’un ou l’autre camp. L’éclosion d’une tendance mystique, s’éloignant de ces querelles théologico-politiques, n’était alors que naturelle. C’est pourquoi la conception de Hasân al-Bâsrî de la religion était essentiellement ascétique. Dans cette perspective, il ne tarde pas à identifier certains critères comme témoignant les éléments de la véritable vocation mystique. Ces critères furent la piété, la pauvreté et le mépris des biens matériels. Pour résumer, nous pouvons retenir que l’idée centrale qui sert de base à la mystique musulmane constitue l’idée de renoncement au monde, al-Zudh-fi-al Dunyâ. Du moins, est-ce ce qui constitue un des éléments de bases de la tendance mystique manifestée par certains musulmans. Ainsi elle se manifeste par un abandon total du monde, laissant ainsi la place à la recherche de Dieu. La pratique de l’ascétisme qui l’exprime comporte fondamentalement le silence, la retraite spirituelle, le jeûne, et l’invocation continuelle d’un des Noms de Dieu [Dhikr]. Ces tribulations constituent les moyens au travers desquels le soufi parvient à la pleine réalisation de soi. Cette étape de l’évolution du soufisme, nous l’avons vu, est incarnée par le célèbre Hasan al-Basri (692-728). Dans son abstinence excessive et son ascétisme, il allait même jusqu’à mettre la piété au-dessus de la prière et du jeûne rituel de l’islam.

La destruction de Bagdad, centre intellectuel et culturel de l’empire musulman

   La réaction orthodoxe par rapport au rationalisme mutazilite contribue, avec la naissance et la montée du soufisme ascétique, à créer une atmosphère de clôture et d’enfermement intellectuel dans l’univers culturel et religieux de l’islam. Mais, pour Iqbal, ces deux raisons ne suffisent pas à elles seules pour expliquer cette atmosphère morne qui règne dans tout le monde musulman sous l’égide de l’orthodoxie. Il y a en plus, sans doute la cause qui vient couronner le tout d’une civilisation qui glisse tout droit vers la décadence politicoculturelle : « la destruction de la capitale abbasside, centre de la vie intellectuelle et culturelle du monde musulman au XIIIème siècle par les mongols ». En effet, la prise de Bagdad par les armées de Hulagu apparaît comme un coup dur pour l’empire musulman qui, à travers cet assaut, fut défait politiquement.Cependant, il faut aussitôt préciser que cette attaque mongole, dont certes les conséquences ne furent que négatives pour le monde islamique, apparaît moins comme le déterminant majeur de la décadence du monde islamique qu’un tout petit choc qui vient exorciser les spectres d’une institution politico-religieuse à bout de souffle. Disons pour simplifier que des dissidences internes avaient déjà fait perdre au pouvoir central abbasside (à Bagdad) tout contrôle sur l’ensemble de l’empire musulman. Les fatimides avaient réussi à fonder leurs dynasties en Égypte, et avaient ainsi échappé à l’autorité Bagdadienne. Rescapé du massacre de la dynastie omeyyade, Abd ar-Rahmân fondait en 756 l’émirat de Cordoue, et lui aussi se soustrait à l’autorité de Bagdad. Ainsi, plus ou moins loin de Bagdad, s’élaborent à Cordoue, au Caire et même en Samarkand des sociétés, des cultures, des puissances, bref des empires rivaux à celui des abbasides de Bagdad ; ceux-ci ayant même réussit à se tailler une place à part dans la géographie de domination musulmane. L’orientaliste français Bernard Lewis dresse ainsi la situation historique de l’empire musulman avec l’arrivée des mongols au milieu du XIIIème siècle : En 1258, Houlagou s’empare de Bagdad, fit exécuter le calife et abolit le califat abbasside. La destruction de cette grande institution – qui restait le cœur légal de l’islam malgré son état de décadence – marqua la fin d’une ère pour l’histoire de celui-ci. Toutefois, le choc ne fut peut-être pas aussi terrible qu’on l’a suggéré. Lescalifes avaient depuis longtemps perdu tout pouvoir réel et les sultans séculiers, aussi bien dans la capitale que dans les provinces, avaient commencé de s’arroger non seulement les pouvoirs, mais aussi certaines prérogatives des califes. Les Mongols firent à peine plus qu’exorciser le fantôme d’une institution qui était déjà morts depuis longtemps.  Sans doute, l’invasion mongole ne fit qu’aggraver le statu quo d’une instabilité politicosociale, et ainsi précipita dans les profondeurs du gouffre de la décadence l’empire musulman. Mais, sur le plan intellectuel, faut-il rappeler que même durant les périodes de dissensions politiques internes, en particulier depuis celles qui réussirent à diviser l’islam entre chiites et sunnites, l’orthodoxie musulmane, sous l’autorité de la tradition sunnite, a toujours réussi à maintenir saint et sauf l’unité de la communauté. André Miquel, dans son ouvrage l’Islam et sa civilisation99, souligne bien le caractère intransigeant et très soucieux d’unité de l’orthodoxie sunnite. Son souci majeur, remarque-t-il, au bout du compte, se résume à voir « la communauté existée, fonctionnante et soit dirigée ». Il précise dans cette logique que selon elle « seul compte l’accord unanime (ijmâ’) des croyants » d’où l’établissement de celui-ci comme source de jurisprudence derrière le Coran et la sunna (tradition prophétique). Ainsi, avec son réalisme politique, qu’il faut ici opposer à la politique de légitimation du chiisme qui nie la réalité historique du pouvoir califal assurée par les omeyyades et abbassides pour le substituer à un ordre idéal de succession du Prophète, celui de la légitimité dynastique des imâms alides, le sunnisme, pour des impératifs d’unité, se rallie aux souverains abbassides qui prirent les règnes du monde musulman depuis le milieu du VIIIème siècle. Ce qui préoccupe, en effet, les tenants de l’orthodoxie, c’est moins les luttes pour le pouvoir que la préservation de l’unité religieuse de la communauté musulmane bâtie autour du Coran et de la tradition prophétique. Et tant mieux si, conjoncturellement, l’orthodoxie sunnite doit se rallier avec le pouvoir en place pour mieux jouer son rôle de gardien de latradition. C’est également ce même souci d’unité qui l’amène à ne reconnaître, sous le règne des abbassides, que les quatre écoles juridiques fondées respectivement par Malik ibn Anas (mort en 795), Abu Hanifa (mort en 767), Ach-Châfi’î (mort en 820), et Ibn Hanbal (mort en 855). Parallèlement donc aux luttes pour le pouvoir, le sunnisme resta inaffecté et son objectif majeur toujours protégé jusqu’à l’arrivée des mongols. Avec l’arrivée de ceux-ci, l’unité politique très fébrile voit enfin ses derniers jours s’écouler. Or par crainte d’une infection plus grande, sous la bannière d’un souci d’unité pour la communauté même désintégrée, notamment celle de voir l’unité religieuse jusque-là préservée infectée à son tour, les « orthodoxes » se sont mis à la recherche de solution pour éviter « une désintégration plus grande ». Et Mohammed Iqbal de rappeler que cette solution fut placée sous l’égide de la Shari’a dont la place éminente occupée au sein de cette religion lui confère la lourde responsabilité de veiller à l’unité de la communauté musulmane. Ainsi, dans un souci de conserver l’unité religieuse, dans une période de déclin politique, les orthodoxes conservateurs « concentrèrent tous leurs efforts sur un seul point : maintenir une vie sociale uniforme pour le peuple, en excluant jalousement toute innovation dans la loi de Shari’a telle qu’elle était exposée par les premiers docteurs de l’Islam ». Cependant, pour se faire une idée de la gravité du choc qui secoua l’unité politique, culturelle et intellectuelle de l’islam sunnite avec la destruction de Bagdad au milieu du XIIIème siècle par les mongols, et qui l’amena à concevoir comme solution la fermeture de la doctrine de l’ijtihad dans le cadre particulièrement intellectuel, il faut d’abord se faire une idée du symbole que représentait la ville de Bagdad au regard de l’essor de multiples dimensions, économiques, culturelles, scientifiques, etc., qui témoignaient de sa splendeur. Dans ce sillage, des questions se posent à nous : Pourquoi Bagdad avait-il une si grande importance au point que sa mise à sac par les mongols réussit à semer le trouble dans tout le monde islamique ? En quoi, de plus, sa destruction concerne-t-elle la décision de la fermeture de la doctrine de l’ijtihad dans l’univers culturel et intellectuel sunnite ? La ville de Bagdad a été fondée en 762 par le premier calife abbasside al-Mansûr. En 786, Hârûn ar-Rachid devient calife et donne à Bagdad toute sa splendeur : culturelle, économique et intellectuelle, etc. Il faut dire que le rayonnement de Bagdad fut rendu possible par un ensemble de facteurs favorables à son épanouissement. Situé entre le Tigre et l’Euphrate, Bagdad est au carrefour de routes commerciales lui permettant ainsi d’avoir une interaction avec le monde méditerranéen dans son ensemble. Du Moyen-Orient en Asie, d’Europe en Afrique du Nord, l’effervescence qu’il connut, grâce à son importante activité commerciale, fait que tous les peuples du monde y affluer. Au Xème siècle, on a parlé de Bagdad comme étant la ville la plus peuplée au monde avec environ un demi-million d’habitants.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIЀRE PARTIE: LES CAUSES DE L’ARRÊT SYSTEMATIQUE DE L’IJTIHAD
Chapitre I : Les controverses politiques et religieuses : mutazilisme versus l’orthodoxie traditionnaliste et/ou la « réaction sunnite » contre l’excès de rationalisme du mutazilisme
Chapitre II : Émergence et montée du soufisme ascétique
Chapitre III : La destruction de Bagdad, centre intellectuel et culturel de l’empire musulman
DEUXIЀME PARTIE: LE PRINCIPE DU MOUVEMENT SELON L’ESPRIT DE L’ISLAM
Chapitre I : Une cosmologie dynamique
Chapitre II : Une épistémologie ouverte
Chapitre III : Iqbal et la réhabilitation de l’ijtihad
CONCLUSION GÉNÉRALE

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *