Le premier aspect du paradoxe du mangeur français la recherche de plaisir par l’alimentation

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Du gras, oui, mais travaillé

En 1973 est utilisé pour la première fois le terme de Nouvelle Cuisine. Cuisine des grands chefs comme Paul Bocuse ou les Frères Troisgros, elle est popularisée par les critiques culinaires Gault et Millau dans leur mensuel du même nom. C’est dans cette revue que le terme est employé par les auteurs qui la décrivent en dix préceptes.
Le temps de cuisson est réduit, comme le nombre de choix à la carte. Les produits sont frais et les épices ne sont plus employées pour masquer une fermentation abusive. La diététique est prise en compte : les sauces lourdes sont rejetées et la cuisson vapeur privilégiée. Elle est inventive, créative et esthétique. Elle intègre notamment de nouveaux aliments dans les recettes comme les fruits exotiques. C’est dans ce type de cuisine que les marques trouvent leur place16. Les grands chefs lancent leurs produits dérivés comme la choucroute de Paul Bocuse, commercialisée en grandes surface par William Saurin. Joël Robuchon prépare des plats sous vides pour Fleury Michon. Aujourd’hui il est rare qu’un chef étoilé n’ait jamais collaboré avec une marque de l’industrie agroalimentaire. Gage de bon goût et de qualité, ces partenariats permettent à des marques industrielles qui manquent d’humanité de rassurer leurs consommateurs. Pourtant, pour qu’un plat puisse être mis sous vide il doit être chauffé à 65 degrés ce qui n’est pas dans les coutumes des grands chefs. Les plats ne peuvent donc pas avoir la même qualité gustative. Aujourd’hui la grande majorité des consommateurs français sont nourris par les industries agroalimentaires, qui ont su répondre à leurs besoins en quantité et en variété de produits, s’adapter à l’évolution de leurs usages et faire connaitre leurs produits par la publicité. Cette industrie est tellement omniprésente qu’elle est le premier secteur industriel français, générant un chiffre d’affaires de 184,5 milliards d’euros.
Alain Drouard résume le rapport des Français à la cuisine17 en quelques phrases : « La cuisine n’est plus une activité domestique quotidienne avec le recours aux « aliments services » pendant la semaine mais une pratique loisir réservée aux weekends et aux vacances. Les Français apprennent de plus en plus la cuisine et la font de moins en mois tout en affirmant qu’elle reste une des expression les plus fortes de l’identité nationale »18. Les français, nos consommateurs, sont donc à la fois friands de Nouvelle Cuisine et rassurés par l’intervention d’un chef dans la préparation des aliments qu’ils achètent déjà préparés en magasin et attirés par le fait de cuisiner eux-même lorsqu’ils ont le temps de le faire. La cuisine travaillée, par eux ou pour eux, est quelque chose qu’ils apprécient et qu’ils recherchent.
Les marques étudiées ont donc, pour plusieurs, tenté d’ajouter des ingrédients travaillés ou même «”nobles”» à leurs recettes, certains allant jusqu’à collaborer avec des chefs étoilés ou médiatiques.
Comme nous l’avons vu, Blend travaille ses recettes, ne proposant pas seulement des oignons caramélisés mais des «” compotés d’oignons caramélisés au vinaigre balsamique avec du bacon et du bleu d’Auvergne AOP”», pas de simples tranches de bacon grillées mais du «” bacon caramélisé au sirop d’érable” ». Bien qu’il s’agisse de burgers, on voit ici une volonté de la marque de proposer des recettes plus travaillées. Les Burgers de Papa propose des ingrédients plus fins que les burgers de fast food comme le chèvre frais mais ne se positionnent pas particulièrement sur ce segment-là. Big Fernand par contre propose des ingrédients plus délicats comme notamment des herbes telles que la ciboulette ou persil plat. Au gout fin et délicat ces ingrédients ajoutent une touche de raffinement à ce plat qui n’est pas considéré comme faisant preuve de finesse. Les sauces aussi sont travaillées mais dans le secret. Dénommées Tata Fernande ou Tonton Fernand, on voit dans une vidéo réalisée par la marque qu’elles sont composées de plusieurs ingrédients comme de la sauce tomate, de la crème, du citron ou de la ciboulette, mais le menu ne révèle pas ces détails. Il ne s’agit donc pas ici des incontournables ketchup et mayonnaise, que l’on retrouve comme accompagnement des frites mais jamais dans les burgers. Dans un souci de proposer des recettes travaillées, Big Fernand fait aussi appel à des chefs. Pour les recettes qui sont toujours à la carte, aucune précision n’est donnée sur leur créateur. Par contre, pour les éditions limitées, ces burgers qui ne sont proposés que sur une période de temps donnée, il arrive que la marque travaille avec des chefs connus. Des éditions limitées sont proposées tout au long de l’année. La marque étant présente dans de nombreuses villes de France, chaque édition en met une a l’honneur. Un restaurant de la ville est choisi pour créer une recette aux saveurs de sa région qui est ensuite proposée dans toute la France. En ce moment, en juillet 2018, le Brice, de Nice, est disponible jusqu’à mi-août au chèvre frais, roquette et miel. Mais, pour notre propos, ce n’est pas ce type d’édition limitées qui nous intéresse. Chaque année, pendant l’hiver, la marque s’associe à l’Institut Gustave Roussy pour la lutte contre le cancer. Big Fernand propose alors une recette en édition limitée. Pour chaque burger de cette recette vendu, la totalité des gains est versée à l’association. Cette recette, c’est un chef qui l’élabore.”Nous allons étudier le cas de Décembre 2017, le dernier en date. Pour cette édition limitée, la marque a fait appel à Michalak. Etonnamment, Michalak est un pâtissier, lauréat de nombreuses récompenses comme le titre de Meilleur Pâtissier par le Gault & Millau en 2014. Très médiatisé, il fait des apparitions dans de nombreux reportages culinaires dont un qui lui est dédié” : Galaxie Michalak, diffusé sur France 2 en 2015. Très populaire, il est considéré comme le ré-inventeur de la Grande Pâtisserie Française. Comme on peut donc s’y attendre, sa recette de burger pour Big Fernand est sucrée-salée. Pour en parler nous allons analyser deux vidéos, créées pour le lancement de cette édition limitée, publiées sur le compte Instagram de la marque.
La première est une vidéo, décomposée en deux publications pour des contraintes de format imposée par le réseau social. On la retrouve dans sa totalité sur YouTube. Cette vidéo, dont le scripte détaillé se trouve en annexes19, met en scène le pâtissier Christophe Michalak dans un restaurant vide, qui explique comment il prépare la recette, sur un ton familier. Le chef est en effet très accessible, il utilise un registre de langage familier voir enfantin comme lorsqu’il qualifie une poire de «” poipoire” ». Il utilise le vouvoiement, s’adressant directement à la personne qui regarde la vidéo, avec ces distanciations respectueuses que l’on ne retrouve pas dans le tutoiement. Beaucoup de scènes sont filmées face à lui, comme si le spectateur se tenait lui-même en face, à distance de conversation. Une grande partie de la vidéo est filmée dans les cuisines, un lieu habituellement inaccessible pour les clients.
Source : extrait de la vidéo Big Fernand & Christophe Michalak soutiennent GUSTAVE ROUSSY, YouTube.
Au début, il se présente, affirme être chez Big Fernand pour l’Institut Gustave Roussy puis dit «” Je vais vous montrer comment ça se passe, on va direct en cuisines” ». Il invite donc directement, avec décontraction, le spectateur à découvrir les secrets de sa recette. La vidéo montre comment elle est élaborée. Les gestes précautionneux du cuisinier laissent deviner son expertise et sa passion. Les ingrédients utilisés sont raffinés comme la poire ou les noix. On y trouve aussi du bleu d’auvergne et de la compotée d’oignons. Le mélange sucré-salé est aussi synonyme, en France, de recettes raffinées et festives, comme le canard à l’orange ou le chapon aux pruneaux pour les jours de fête.
Ici, le chef porte l’uniforme de Big Fernand et se trouve dans un de leurs restaurants. Il semble donc s’effacer au profit de la marque Big Fernand, se mêler à elle le temps de cette collaboration. Un autre protagoniste lui donne la réplique. Il s’agit d’un des fondateurs de la marque. Il est intéressant de voir que le temps de parole de Michalak est très largement supérieur à celui de ce dernier. Il parle directement à la personne qui regarde la vidéo alors que l’autre protagoniste ne s’adresse qu’à lui. Il se place donc comme le centre de l’attention, créant une relation courtoise avec le spectateur.
Vient ensuite une autre vidéo. Il s’agit d’une image fixe, celle du burger. Elle reprend certains des codes du food porn que nous avons recensés plus tôt”: le produit est en gros plan, avec peu de décors pour qu’il reste au centre de l’attention et le fromage dégouline, allant jusqu’à recouvrir une partie de la partie basse du pain. Apparaît en noir le logo officiel de Michalak, brandé comme une marque, au milieu de la vidéo, au-dessus du burger. Il diminue de taille et se décale sur le côté, laissant un espace vide pour qu’apparaisse les mots «” créé le Gustave”».
Apparaissent ensuite successivement différents cadres contenant le détail des ingrédients, sur le burger inanimé. Il s’agit ici d’informer de l’existence de la nouvelle recette, de détailler la recette et de le rendre appétissant. Ce qui nous intéresse dans cette vidéo, est que le nom du chef créateur apparaît dés le début, de manière prépondérante. Le logo ou même le nom de la marque et de l’institut ne sont pas présents, seul le créateur est glorifié. Il faut donc prendre le temps de lire la légende pour comprendre que ce burger est engagé” : «” On se mobilise en faveur de la recherche contre le cancer pour Gustave Roussy. Et cette année, c’est”@christophe_michalak”qui a imaginé pour nous la recette du Gustave.
Tous en Atelier, on a jusqu’à vendredi pour faire E-X-P-L-O-S-E-R le compteur des dons ! Big Fernand fait donc ici appel à un chef reconnu et reconnaissable car médiatisé, pour élaborer une recette travaillée, aux ingrédients délicats et sucré-salé. Par cette opération, ils montrent que le burger peut aussi être un produit d’une grande qualité gustative et répond à une volonté des consommateurs de manger des plats gras, mais travaillés.
Pour l’Artisan du burger, les chefs ne sont pas des invités exceptionnels mais le fondement de l’identité de la marque. Elle se définit elle-même comme «” L’Art du Burger des grands chefs”», convoquant à la fois l’univers artistique et celui de la grande cuisine, tous deux très valorisés socialement. Ils élèvent donc la cuisine, et plus particulièrement leurs burgers, au rang d’art. Pour cela, toutes les recettes qu’ils proposent ont été élaborées par de grands chefs, porteurs de la distinction de Meilleur Ouvrier de France, vainqueurs du Prix Fooding ou ayant participé au concours de cuisine très médiatisé, Top Chef.
Sur leur site Internet, un onglet «” nos créations” » permet d’accéder au détail des recettes. L’utilisation du terme «”création”» est importante, une fois de plus, il est emprunté au registre de l’art, glorifiant leurs produits. Passer la souris de l’ordinateur sur cet onglet fait apparaître les photos des différents plats au menu. La première est une photo de quatre chefs dans leur uniforme. Leur présence ici et le fait qu’ils viennent avant les burgers prouve leur importance.
Un onglet dédié, appelé «”chefs et artisans”» permet d’en découvrir plus sur ces chefs. Une photo des quatre chefs côte à côte s’affiche à l’ouverture de la page. Ensuite, chaque chef fait l’objet d’une rubrique, contenant sa photo en uniforme, une brève biographie précisant les différents établissements dans lesquels ils ont travaillé, les distinctions qu’ils ont reçues et la liste des recettes de l’Artisan du Burger qu’ils ont créées. Chacun porte un tablier, son nom gravé sur le cœur, gage de sérieux et de professionnalisme. L’un se démarque par sa tenue” : une haute toque, un col aux couleurs du drapeau français et les initiales MOF ainsi qu’une année, 2000, cousus sur le torse. Il s’agit ici d’un Meilleur Ouvrier de France, titre décerné par le Ministère du Travail, très reconnu et respecté en France.
Absents de la carte du restaurant, on retrouve ces chefs sur Instagram. Prenons par exemple la publication du 1e juin 2018. On y voit une jeune femme en tablier blanc, souriant à l’appareil. Un couteau à la main, elle semble découper un aliment difficile à identifier. En fond, on aperçoit des appareils ressemblant à des fours.
Sur son tablier, les mots «” Top Chef” » sont brodés, en noir et jaune. Les connaisseurs reconnaîtront le logo de l’émission éponyme, concours médiatisé de cuisine que nous avons déjà évoqué. Derrière, les appareils ressemblent à des fours. On imagine qu’il s’agit d’une cuisine de restaurant. La jeune femme est donc prise en photo sur son lieu de travail, pendant qu’elle prépare une recette.
Son action, son uniforme et le décor nous font comprendre qu’il s’agit d’une cuisinière à l’œuvre. Rien de surprenant mais ce qui attire notre attention est la légende”: «”Le burger du Palais Royal, réalisé par @joy_astrid_topchef est de nouveau disponible dans tous nos restaurants”». Dans cette légende, il est donc question d’un burger, pourtant, il n’est pas du tout représenté sur l’image, contrairement à la chef. Il semble alors que la marque considère que pour parler du produit, présenter la personne qui l’a créé est suffisant. On comprend alors que toute la qualité de leur burger se trouve dans le talent de la personne qui en a inventé la recette.
Sur la page d’accueil du site internet officiel de l’Artisan du Burger, on trouve plusieurs vidéos qui s’enchainent. Certaines présentent les restaurants, d’autres les chefs préparant leurs recettes. Nous nous intéresserons ici à ces dernières. Toutes ces vidéos sont développées selon le même schéma, nous allons donc en étudier une”: celle mettant en scène Éric Robert, Meilleur Ouvrier de France.
La vidéo commence par un écran noir avec un message en lettres blanches”: «”DÉCOUVREZ le burger du CHAMPS DE MARS”». Tout est écrit en blanc, sauf les trois derniers mots, en rouge. Chaque burger a un nom de lieu parisien, nous y reviendrons. Par le vouvoiement, la marque s’adresse directement à ses consommateurs, tout en gardant cette formule de distanciation légère et respectueuse. Le terme «” découvrez” » est en majuscules pour lui donner de l’importance. Il ne s’agit pas de «” goûter” » ou de «” manger” » mais bien de «” découvrir” ». La première expérience est donc une découverte, avec toute la connotation mystérieuse que détient ce mot. En rouge et en majuscules, encore plus important donc, le nom du buger, à l’honneur dans cette vidéo.
Vient ensuite le nom du chef, sur ce même écran noir, suivi de son titre de «”Meilleur ouvrier de France” », accolé au mot «” pour” » et au logo de la marque l’Artisan du Burger. Cette formulation ne montre pas cette intervention comme un partenariat mais bien comme une mise à disposition du chef pour la marque. Elle est d’ailleurs étrange car le reste de la communication, comme nous l’avons vu, vise à montrer que les chefs font partie de l’identité même de la marque, pourtant, cette formulation créé une réelle mise à distance entre les deux. Viennent ensuite plusieurs plans des mains du Meilleur Ouvrier de France, qui ferme son tablier aux couleurs du drapeau français et met sa toque. Ses mains sont son outil de travail premier, c’est elles qui permettent à son travail de s’exprimer, il est donc intéressant de les mettre en avant, avant, qu’elles ne commencent à travailler les aliments. L’accent est mis sur son uniforme, principale symbole de son titre de meilleur ouvrier de France. Cet uniforme n’est accessible qu’aux personnes ayant officiellement reçu ce titre qui est une distinction recherchée car très difficile à obtenir et très reconnue. C’est une sorte de trophée, porté fièrement par ceux qui ont pu y accéder, ce qui explique aussi qu’il soit si rapidement reconnaissable visuellement. On voit ensuite le chef entrer dans le restaurant. L’écran devient noir et les mots «”exigeant et passionné”» apparaissent. On imagine qu’il s’agit d’une brève description du chef. Il est ici présent en tant que professionnel, ces adjectifs concernent donc sa personnalité et la façon dont il la met au service de son travail. Il semble donc qu’il soit exigeant par rapport à la qualité de son travail et qu’il n’acceptera pas de servir un plat qu’il ne considère pas comme étant parfait. La passion étant le meilleur vecteur de motivation on imagine qu’elle l’a poussée à ce niveau d’excellence et l’a motivée à acquérir une connaissance de la cuisine lui permettant de devenir un chef de qualité. On le voit ensuite s’asseoir dans le restaurant et prendre en main la carte. Il s’imprègne ici, par sa présence dans le restaurant et la lecture de la carte, de l’univers et l’identité de la marque. On peut imaginer qu’il agit de la sorte pour pouvoir y adapter son travail. Ensuite, un écran noir insiste sur le fait qu’il est «” lauréat du concours MOF” », avec le logo officiel du concours, pour en informer les personnes n’ayant pas reconnu l’uniforme et pour insister sur ce point auprès des connaisseurs.

Entre exode rural et cloisonnement des abattoirs : la rupture du lien aux matières premières

Dans l’économie française, comme le souligne Alain Douard, le secteur agroalimentaire est le plus puissant21, réalisant plus de 12% de la valeur ajoutée de l’industrie française soit 29 milliards d’euros. C’est un secteur dans lequel elle exporte plus qu’elle n’importe. Pour en arriver là, les méthodes de production, transformation et commercialisation ont dû évoluer.
Dès la production des aliments, les techniques se sont développées mais la composition même des produits aussi. Là où il fallait entre quatre et cinq mois pour qu’un poulet soit commercialisable, il ne faut maintenant qu’entre huit et neuf semaines. Certains aliments ont été modifiés dans leur composition naturelle comme le maïs qui a vu sa valeur protéique augmenter de 75%.
Pour ce qui est de la production animale, elle est conçue sur un mode taylorisé. Comme le souligne Jean-Pierre Poulain, l’animal destiné à l’alimentation est chosifié22. Il devient alors une matière première comme une autre. Il s’agit de «”chosification personnification”». Norbert Elias a travaillé sur le sujet. Il identifie le «”refoulement de la corporatif et du spectacle de la chaire morte” »” comme le moteur du «” processus de civilisation” »23. En se civilisant, les hommes éloignent la production de la viande du cercle domestique. Dans les village français, la tradition voulait que les villageois tuent un cochon et préparent saucisses, boudins et autre charcuteries, ensemble, pendant plusieurs jours, dans un cadre festif. Cette tradition subsiste mais est beaucoup moins importante, les mangeurs ne voulant plus supporter ce spectacle et encore moins y participer. Maintenant la simple vue de l’animal mort sur l’étal d’une boucherie peut provoquer le dégout car, avec le temps, les abattoirs se sont éloignés des villes et se sont cloisonnés, pour être aujourd’hui des bâtiments plus hostiles que les prisons, où barbelés et brigades de sécurité empêchent quiconque de pénétrer.
Une fois la phase de production passée, les aliments sont encore transformés. Par exemple, les méthodes de conservations sont très travaillées. On voit l’offre de produits surgelés ou de semi-conserves exploser pour répondre à la demande d’une clientèle pressée. En effet, travail féminin, urbanisation et augmentation du temps passé dans les transports laissent peu de temps aux mangeurs pour se concentrer sur la préparation des repas. De quarante-deux minutes en 1988, le temps alloué à cette tâche est désormais de trente minutes.
Les aliments sont donc de plus en plus transformés avant d’être vendus. Les légumes s’achètent épluchés, en cubes, en frites, pour plus de rapidité à la préparation. Alain Drouard qualifie ces aliments transformés de «” aliments services” »24. Pensés dans une optique de rapidité, ils sont préparés pour que le cuisinier amateur ait le moins de travail de préparation possible. Il ne reste plus de place pour leur valeur symbolique, ils ne sont plus qu’utilitaires. Claude Fisher parle d’OCNI : Objet Comestible Non Identifiés. Selon lui, certains aliments ont été tellement travaillés par les industriels que le consommateur ne sait plus y reconnaitre l’aspect du produit de départ, du produit au naturel25. Parfois, il arrive donc aux mangeurs de déguster des plats ou aliments sans savoir quels sont les produits qui ont été utilisés pour la préparation, ou, même s’ils le savent car ils se sont renseignés, ils ne les reconnaissent plus dans le produit final.
Par la production et la transformation, la quantité de produits alimentaires proposés par l’industrie agroalimentaire a explosé. La commercialisation des produits a dû évoluer en conséquence, et les hyper marchés ont fait leur apparition pour rendre accessible aux consommateurs cette offre pléthorique. Le mangeur commence alors à prendre des habitudes, à consommer les mêmes produits régulièrement, produits qu’il reconnait grâce à la marque. Il se familiarise alors avec les marques alimentaires. Publicités et marketing doivent donc se montrer efficace pour faire connaitre les marques et donner aux consommateurs envie de les préférer à celles des concurrents. On parle donc de la marque plus que de la matière première à l’origine du produit.
Le lien entre l’aliment et le mangeur est alors rompu. L’hyper-transformation, qui concerne de nombreux produits alimentaires, provoque chez le mangeur ce qu’Alain Drouard qualifie de «”frustration et inquiétude”». Cette évolution a, comme il le souligne, «”affecté la valeur et la signification des aliments”». Il prend pour exemple le pain : aliment respecté et rarement jeté par une société chrétienne qui le considère comme sacré, il est désormais un aliment comme un autre, victime lui aussi du gaspillage alimentaire26.
Les aliments sont banalisés, ils deviennent des matières premières comme les autres. Or, ils ne le sont pas. L’homme n’incorpore des nutriments que par l’ingestion d’aliments. Ils ont un effet à long terme sur leur physique et leur santé. Peu de produits peuvent changer une personne comme peut le faire l’alimentation. Pour Jean-Pierre Poulain, «”l’aliment n’est pas un produit de consommation banal, il s’incorpore. Il entre dans le corps du mangeur, devient le mangeur lui même, participant physiquement et symboliquement au maintient de son intégrité et à la construction de son identité”»27. Le mangeur a donc un lien particulier avec ses aliments. Les anthropologues parlent de «”pensée magique”», démontré par le sociologue américain Rozin : «” les qualités symboliques de tout ce qui entre en contact avec des aliments, que ce soit des outils, d’autres produits naturels ou non, des emballages mais aussi des individus qui les produisent, les manipulent, les cuisinent, les vendent… se transmettent par «”contamination symbolique”» aux aliments eux-même”». Il prend l’exemple d’un verre de lait posé sur un cadavre de cafard désinfecté. Le lait sera parfaitement comestible mais les consommateurs préfèreront ne pas le boire28. Cela explique aussi pourquoi il est tant problématique que le mangeur n’ait aucune visibilité sur les étapes de préparation des aliments qu’il achète et ingurgite. Cette théorie nous permet aussi de mieux comprendre pourquoi il est tant problématique pour les mangeurs d’apprendre que les processus de préparations sont tels qu’il les considèrent comme «” dégoutants” ». Même si la qualité technique du produit est bonne, sa qualité symbolique est souillée, le rendant impropre à la consommation, tout comme le lait de l’exemple de Rozin. On comprend alors que cette zone d’ombre mène à une anxiété pour le consommateur. Fischler a théorisé ce phénomène qu’il nomme «”anxiété alimentaire”». Il le résume en une phrase : «”Si nous ne savons pas ce que nous mangeons, nous ne savons pas ce que nous allons devenir mais aussi ce que nous sommes”» 29.
De plus, les aliments proviennent de la nature. A une époque où une grande partie des habitants de la France vit en ville, l’alimentation est parfois le seul élément qui peut les lier à cette nature. La mondialisation le délocalise et l’industrialisation coupe ce lien. Comme l’explique Jean-pierre Poulain dans son ouvrage Sociologie de l’alimentation, il existe deux types d’agriculture 30. La première, que l’on ne retrouve plus en France, est appelée “«”agriculture itinérante sur brûlis”». Ici, agriculture et cueillette font partie de la cuisine comme la cuisine fait partie de l’agriculture. Le lien entre le mangeur et la nature est donc omniprésent. La seconde, par laquelle nous somme désormais concernés est celle de la société industrielle : «”beaucoup de tâches du secteur domestique sont prises en charge par le secteur marchand” ». Le ménage produit moins et a moins besoin de le faire car les industriels vont plus loin dans le processus allant jusqu’à leur apporter une préparation pouvant être directement consommée. Le lien à la nature est fortement diminué. «” En proposant des produits de plus en plus près de l’état de consommation, l’industrie mord sur la fonction socialisatrice de la cuisine sans pour autant parvenir à l’assumer”».
Avec la révolution industrielle, la façon de produire les aliments et la nourriture dans son ensemble s’est industrialisé, souvent au coût de la qualité des produits. Certains industriels sont allés à l’encontre de la nature pour pouvoir produire plus et plus vite. Les techniques de conservation et de commercialisation ont dû évoluer en fonction, provoquant une fois de plus, une baisse de qualité. Loin des lieux de production de son alimentation, le mangeur français achète des aliments de plus en plus transformés, au point de ne plus en reconnaitre les ingrédients. Pourtant, ce qu’un individu ingère agit directement sur sa santé et son apparence, il est donc essentiel pour un humain de maitriser son alimentation. Ces nouveaux produits à la composition inconnue et incompréhensible sont donc source d’anxiété pour le mangeur.

Scandales alimentaires à répétition mènent à une profonde crise de confiance.

Là où «” sécurité alimentaire” » signifiait «” lutte contre la famine” », elle concerne maintenant l’évitement des dangers liés aux nouveaux modes de production et de transformation. L’avancé de la médecine a rapidement corrélé maladies et alimentation. Des symptômes avant inexpliqués se révèlent être les conséquences d’ingestion de nourriture de mauvaise qualité ou putride. Puis, sur un plus long terme, des corrélations entre l’alimentation et certaines pathologies plus profondes telles que le diabète ou les cancers, sont découvertes. La nourriture devient déjà plus anxiogène 31.
Le terme anxiogène est défini par le dictionnaire Larousse de la manière suivante : «” se dit d’un objet susceptible de mobiliser de l’angoisse (de l’anxiété) chez un sujet”»32. Les médias l’utilisent abondamment. Aujourd’hui tout semble source d’anxiété, notamment l’alimentation dont tous les composants sont critiqués, qualifiés de potentiellement dangereux. L’instabilité économique, le réchauffement climatique, le terrorisme, sont autant de facteurs d’anxiété qui font que nous vivons dans une société anxiogène.
Dans les années 1970, le public commence à entendre parler, par les médias, de veaux et de poulets aux hormones, d’engrais chimiques, de pesticides et de «”raccourcisseurs de paille”». Les dérives de l’industrie agroalimentaire, faisant passer le profit avant tout, commencent à être connues. Pourtant, ce n’est qu’en 1996 que la crise alimentaire commence réellement, avec l’un des premiers et des plus marquants scandales alimentaires : la vache folle. Les Français apprennent que les vaches qu’ils mangent ne sont pas nourries à l’herbe fraiche des champs mais à la farine animale fabriquée à partir de produits d’équarrissage. Les herbivores sont donc nourris avec des produits animaux, issus de la même espèce. Le scandale est immense, sur toutes les lèvres et la une de tous les journaux. Les yeux se braquent sur l’agriculture, les découvertes s’enchaînent. Entre huile de vidange et boue de station d’épuration, les mangeurs découvrent comment sont nourris les animaux qu’ils mangent33.
Comme nous l’avons vu, l’alimentation a un fort impact sur l’esthétique et la santé de la personne, il en va de même pour les animaux. La qualité de la viande dépend directement de la façon dont est nourri l’animal. Tout est alors remis en question. Jusque là, le consommateur comptait sur les vétérinaires et les scientifiques pour encadrer le meurtre alimentaire et s’assurer du respect de l’hygiène. Ce scandale et ceux qui ont suivi ont fait perdre leur «” efficacité symbolique” » à ces hommes de science en blouse blanche, auparavant si respectés 34. Les consommateurs pensent alors qu’ils ne peuvent plus avoir confiance en eux pour les protéger. A cela s’ajoute le fait qu’avec l’exode rural, de plus en plus de français se sont installés en ville alors que les lieux de productions alimentaires, qui demandent beaucoup d’espace, sont restés en périphérie. Comme le souligne François Ascher dans Le mangeur hypermoderne, cet éloignement, en plus de rompre le lien entre le mangeur et la nature, le soumet aux aléas du transport et de la conservation, pouvant nuire à la qualité des aliments35. L’alimentation devient anxiogène.
De plus, les médias font entrer pour la première fois dans les foyers français des images d’abattoirs et des carcasses qu’on y trouve. Les Français se retrouvent alors face à une réalité dont certains n’avaient pas conscience : le meurtre alimentaire. Avec l’urbanisation et l’exode rural, de moins en moins de consommateurs ont connu la vision d’un animal tué puis préparé pour être mangé. Les abattoirs se sont exportés en périphérie des villes, loin des regards. Même pour ce qui est des personnes y travaillant, l’importance du meurtre alimentaire était amoindrie par un processus taylorisé : les tâches sont réparties entre plusieurs personnes, aucun n’assumant donc pleinement l’acte de meurtre. En parallèle, les progrès de la recherche permettent de découvrir que les animaux sont aussi” capables de sensation et d’intelligence. L’anthropomorphisme entre dans la culture populaire notamment avec les dessins animés. On assiste alors à la création d’un attachement nouveau entre l’homme et l’animal. Les animaux de compagnie, qui étaient avant utilitaires dans le sens où ils étaient adoptés pour chasser la vermine, gérer le troupeau ou garder la maison, deviennent beaucoup plus proches des humains, étant parfois considérés comme faisant partie de la famille. La distance émotionnelle entre homme et animal est amoindrie, rendant la gestion du meurtre alimentaire plus complexe encore 36.
S’en suit une volonté des industriels et des marqueteurs de rassurer les consommateurs. Les discours et les produits en eux même changent. La publicité se veut explicative et rassurante, les emballages transparents. Mais, un «”formidable malentendu”» s’installe, comme le décrit Jean-Pierre Poulain. Les consommateurs découvrent un «”univers industriel très différent de celui qui jusque là régnait sur les emballages”» 37. Voulant rassurer, les industriels promettent plus de contrôles. Les consommateurs entendent alors que les produits étaient très peu contrôlés et que, s’il faut rajouter des contrôles, c’est qu’il y a des risques. En promettant un contrôle des matières premières, le consommateurs apprend que ces matières premières peuvent être de mauvaise qualité, chose qu’il ne suspectait pas forcément au préalable. Plus le discours des entreprises et des pouvoirs publics se veut rassurant, plus les consommateurs sont anxieux, réfléchissant selon la logique : «” Si l’on prend tant de précaution, c’est donc bien que c’est dangereux”».
Les industries ont alors fait appel à des sociologues pour comprendre comment s’adresser aux consommateurs. Il leur est alors proposé de jouer la carte de la transparence. La volonté de connaître la composition des produits est forte chez les consommateurs, dont les associations de consommateurs se font les porte parole. Les entreprises choisissent d’y répondre en affichant la composition précise des produits sur les packagings. Ici aussi, l’initiative semble peu efficace voir contre-productive. Franck Cochoy analyse ce paradoxe. Selon lui, la diffusion d’informations a participé à une «” expertise des consommateurs” »38. Certes, cela les a rassurés et leur a donné des critères de choix dans cette offre pléthorique, mais, en parallèle, leur a fait découvrir ce que Cochoy appelle «”nouvelles zones inconnues qui deviennent des sources d’inquiétude” ». Des noms d’ingrédients aux consonances chimiques et de nombreuses lettres E suivies de chiffres inquiètent et poussent encore les consommateurs à la méfiance.
Cette inquiétude provient de la prise de conscience de l’existence d’un risque. Intéressons nous à la notion de risque, à l’origine de l’inquiétude des mangeurs.
Le risque est, selon Becker, un phénomène des sociétés modernes. En effet, les évènements ne sont plus majoritairement expliqués par le destin ou par les religions. Le risque est apparu à l’époque des Grandes découvertes, quand l’homme a commencé à contrôler son environnement. «”La responsabilité humaine prend le pas sur la fatalité”»39. Avant, en cas de problème, c’est la victime qui était responsable car elle avait pris elle-même une mauvaise décision. Par exemple, un homme mourant d’une intoxication alimentaire suite à l’ingestion d’un champignon vénéneux était responsable car il aurait dû prendre plus de précaution face à la nature 40. Mais, désormais, étant donné que d’autres humains interviennent sur la nourriture avant qu’elle n’arrive à la bouche du mangeur, ce sont les producteurs qui sont responsables si le produit s’avère nocif. Les industries agro-alimentaires sont donc les premières accusées en cas de problème.
Suite à ces sandales, l’industrie agro-alimentaire est pointée du doigt, accusée d’être prête à tout, même à aller à l’encontre des lois de la nature, pour faire plus de profit. Fischler considère que «”l’anxiété alimentaire”» est au coeur de notre rapport à l’aliment. Selon lui, de tous temps, l’alimentation a provoqué la peur, que ce soir la peur du manque ou la peur de l’empoisonnement, justement parce que l’aliment s’ingère et que la vie du mangeur en dépend 41. L’anxiété alimentaire a donc toujours été présente mais ses formes évoluent selon le contexte social.

Ne sachant plus qui croire, le consommateur s’arme d’exigences pour mieux manger

Les marques et les produits dans lesquels les consommateurs avaient confiance deviennent pour certains un danger potentiel. Les consommateurs ne savent plus qui croire et cherchent des sources d’informations alternatives. On voit alors apparaitre des applications pour smartphones qui permettent, grâce à une simple photo du code barre d’un produit, d’obtenir des informations précises et lisibles sur la qualité du produit, sa composition, ses apports nutritionnels ou la présence en lui d’additifs controversés. Les consommateurs sont donc bien mieux informés et choisissent de boycotter certains produits ou certaines marques qu’ils ne jugent pas dignes de confiance. Face à cette problématique, ces marques tentent de les rassurer, grâce à des campagnes de communication ou sur leurs packagings, en promettant l’absence d’additifs, de colorants, la baisse de la teneur en sel, pour ne citer que quelques exemples.
Les consommateurs ont ici plusieurs exigences que les marques tentent de satisfaire, et que nos marques, pour certaines, revendiquent. Comme nous l’avons vu, ils recherchent de la qualité, et cette qualité passe par plusieurs éléments. Le détails de la composition des produits, leur origine de fabrication et d’éventuelle transformation, sont, par exemple, recherchés. Au delà des produits en eux même, les consommateurs cherchent à réduire leur consommation de produits critiqués tels que la viande.

La transparence, l’inévitable

Comme nous l’avons vu, la transparence est essentielle pour les consommateurs. Par transparence, nous entendons le fait de donner un maximum d’informations aux consommateurs. Les marques qui font preuve de transparence indiquent notamment l’origine des produits. En effet, cette information est importante pour les consommateurs, soucieux de faire progresser l’économie française, d’avoir des produits qui répondent aux strictes normes du pays et de ne pas polluer avec l’importation. Les produits sont aussi plus frais s’ils n’ont pas voyagé. 75% des consommateurs français se disent d’ailleurs près à «” consommer autant que possible des aliments produits à proximité”»42. La transparence passe aussi par le fait de donner le détail de la composition des produits et des techniques de préparation des plats. Les marques qui communiquent avec transparence sont donc les marques qui révèlent le plus d’informations possible sur leurs produits. Toutes les marques étudiées tentent de faire preuve de transparence, affichant fièrement l’origine de leurs produits, sujet auquel nous consacrerons un paragraphe plus loin.
La marque qui prend le plus souvent la parole sur ses produits, de manière transparente est Big Fernand, notamment dans à une vidéo que l’on trouve sur la page d’accueil de leur site internet que l’on retrouve dans sa version longue sur YouTube. Tout le procédé de fabrication y est décrit en images. Dans une premier temps, le pain. Les mains du boulanger forment les boules de pâte, les couvrent de sésame et les placent dans un four à pain.
La vidéo s’accélère pour nous laisser admirer la cuisson des pains, que l’homme retire ensuite pour les placer délicatement dans une caisse de livraison, qu’il apporte ensuite en mains propres à un employé de BigFernand, reconnaissable grâce à son uniforme. On comprend ici, grâce à la tenue de travail de l’homme et à son équipement qu’il s’agit d’un boulanger. Le fait qu’il livre le pain dans le restaurant nous permet de comprendre qu’il n’était pas dans le restaurant mais bien dans sa boulangerie et qu’il s’agit d’un prestataire extérieur. Cette partie de la vidéo nous apprend surtout que les pains sont faits à la main. Il ne s’agit pas d’une production à la chaine dans une de ces usines agroalimentaires si critiquées.
L’employé de BigFernand dans son uniforme sort ensuite des produits d’une caisse. On devine alors qu’ils ont, comme les pains, été livrés. De la ciboulette fraiche, des champignons entiers, trois fromages. Aucun emballage plastique, pas de prédécoupé ni de mise sous vide, pas de conserve ou de surgelé. Ces produits entiers dans des bacs de bois ou cagettes en plastique ne sont pas sans rappeler ceux que l’on voit sur l’étal des marchés. Or, les marchés, dans l’imaginaire collectif, sont preuve de qualité. En effet on y trouve des produits bruts, sans emballage, vendus par des producteurs ou par des personnes qui les connaissent et qui connaissent leurs produits, pouvant rassurer et conseiller le client sur les modes de fabrication et les origines. Ephémères, les marchés s’installent très tôt le matin et cherchent à vendre tous leurs produits car ce sont généralement des denrées périssables, et sans additif. Ils sont donc un gage de fraîcheur. Les marchés existent depuis toujours, on a donc tendance à considérer qu’ils s’opposent aux industries agroalimentaires, plus récentes, et aux problématiques de baisse que qualité pour la quête de profits dont souffre notre époque. Big Fernand prouve donc ici, par les signifiants des aliments bruts sans emballage, le signifié du marché, et tout l’univers de qualité et de fraicheur qui y est associé.
La vidéo se concentre ensuite sur les pommes de terre. Livrées dans de gros filets elles sont encore entières, loin des sachets plastiques de frites surgelées que l’on aperçoit parfois dans les cuisines de restaurants. Sur l’un des plans, on voit une pomme de terre en gros plan, dans la main de l’employé, qui essuie de la terre restée sur le féculent. La présence de terre fait directement référence à la culture de la pomme de terre dans le champ.
À une époque où de nombreux fruits et légumes sont cultivés sans terre, par des moyens peu naturels mais économes par ces mêmes industries agroalimentaires critiquées, il est rassurant pour le consommateur de voir que les produits qu’il s’apprête à déguster chez Big Fernand proviennent bien de pommes de terre qui ont été cultivées dans la terre d’un champ. Le fait que cette terre soit encore présente au moment de l’arrivée au restaurant sous entend qu’il n’y pas eu d’autre intermédiaire que la récolte et la mise en filet. Il est sous entendu que la pomme de terre n’est pas passée par une usine dans laquelle elle aurait été nettoyée voir traitée avec des produits chimiques. Elle arrive au restaurant dans son état le plus brut. Sont ensuite présentées deux machines : la première lave les pommes de terre, la seconde les découpe en frites. On voit, grâce à ce même employé qui les utilise, que chacune de ces machine est à taille humaine et nécessite l’intervention d’une personne. Il ne s’agit pas de machines automatiques et de taille colossale que l’on voit dans les usines qui produisent la nourriture à la chaîne et dont la marque semble essayer de s’éloigner.

L’origine des produits : au-delà du made in France, le «”made in région”»

La transparence se fait aussi beaucoup par la révélation de l’origine des produits. Sans que la marque ne l’affirme, le consommateur n’a aucun moyen de connaître l’origine des produits qu’il consomme dans leurs restaurants. Or, elle est importante car elle peut être un gage de qualité lorsque l’on sait que certaines régions de France sont spécialisées et expertes dans la fabrication d’un produit. Lorsque l’on parle de ces régions spécialisées, on utilise généralement le terme de «”terroir”». Très recherchés par les consommateurs, ils sont gage de qualité car ils se démarquent des produits de multinationales et des baisses de qualité qui y sont associées. Comme le résume François Ascher dans Le mangeur hypermoderne : «”En mangeant des produits du terroir, on ingurgite aussi des images, des paysages, des références communes et on absorbe de la région, de la nation, du passé, de l’identité collective”»43. Au delà de la qualité, manger des produits du terroir est donc symboliquement fort, c’est une façon de se reconnecter à la nature, à la richesse du pays habité.
Une photo postée par Blend sur son compte Instagram officiel le 28 février 2018 nous en apprend sur leur recherche de qualité par l’origine. On y voit de gros sacs blancs et bleus, stockés sous un toit en bois, avec des bidons de fer au fond de la pièce. Au sol, un revêtement en métal. Ces différents éléments rappellent les usines où le fer est présent pour permettre de conserver une bonne hygiène et où de grandes quantités de produits sont stockées et ordonnées dans des sacs de toile soigneusement alignés. Au premier regard, il est difficile pour un novice d’identifier précisément de quoi il s’agit.
Source : compte Instagram officiel de la marque Blend, 28 février 2018.
La légende apporte ici de nombreux éclaircissements et nous en apprend un peu plus sur la marque et ses produits. Elle est la suivante”: «”Nous avons visité le grenier de la maison Fallot en Bourgogne où, depuis 1840 est produite la moutarde qu’on incorpore dans toutes nos sauces. 60% des graines de moutarde stockées à l’abris de la lumière proviennent de Bourgogne”(objectif 100% pour 2020, comme nous l’a confié Marc Désarménien, petit fils du repreneur de la moutarderie en 1938). En broyant les graines de moutarde à la meule de pierre (donc sans provoquer d’échauffement qui dénaturerait les arômes), pas étonnant que cette maison indépendante et familiale se retrouve dans les cuisines des plus grands restaurants du monde”».
Dans cette légende, on remarque que plusieurs éléments sont mis en évidence pour rassurer le consommateur sur l’origine des produits. Tout d’abord, la Bourgogne. Depuis longtemps les français sont sensibilisés au fait qu’il est important de consommer des produits français pour l’économie du pays mais, dans l’alimentation, consommer français est aussi synonyme de qualité. En effet, le France est depuis toujours une grande puissance agricole. Elle a donc, à travers les années, assimilé des techniques de culture, d’élevage et de récolte permettant de proposer des produits de qualité. Pays de la gastronomie elle est considérée comme capable de produire de bons produits, utilisés par la suite par les chefs français qui ont su faire leurs preuves au point de jouir d’une renommée mondiale. Les marchés de produits français comme celui de Rungis sont connus mondialement et prisés par les plus grands restaurants. Tout cela a participé au fait que, dans l’imaginaire collectif, le made in France alimentaire est associé à la qualité des produits. Comme le souligne Cédric Ledoux, planneur stratégique chez DDB° Paris, en charge de la stratégie de communication de McDonald’s, plus l’origine du produit et précise, plus elle est gage de qualité. Cela est notamment dû au fait que révéler un lieu précis est preuve d’une totale transparence. Le France comporte de nombreuses régions voir même des villages qui sont réputés pour une spécialité, pour laquelle ils sont considérés comme plus qualifiés que les autres régions. Cette spécialité, de cette région en particulier est alors considérée comme très qualitative. C’est ce levier qu’active la marque Blend en vantant l’origine de sa moutarde. En plus de dire que leur moutarde vient de France, ils précisent qu’elle vient de Bourgogne, région du centre France connue pour son activité agricole. Ils vont jusqu’à préciser le pourcentage de grains de moutarde qui sont originaires de la région. Dans une volonté de donner l’information la plus précise possible, ils ne rechignent pas à souligner que la totalité des grains ne proviennent pas de France, en se gardant de préciser l’origine des 40% restant. Mais, un engagement affirme que les choses changeront d’ici 2020. Ils font donc preuve d’humilité, assumant de ne pas proposer encore du 100% français mais s’engageant à le faire. On comprend ici que la marque a pour objectif de faire évoluer ses produits vers toujours plus de qualité, avec une grande prise en considération des attentes des consommateurs. Avec 100% de grains français, le goût de la moutarde sera sensiblement le même mais la qualité perçue sera accrue car, comme nous l’avons vu, qui dit made in France dit qualité. Au-delà de ce simple post Instagram, Blend accorde une forte importance à l’origine de ses produits et c’est sur son menu que la marque communique le plus à ce sujet. Au premier regard, le menu de Blend est composé de carrés noirs sur fond gris. Dans chaque carré, le nom du burger est indiqué en haut, suivi, en petites lettres blanches, du détail des ingrédients qu’il contient. Quelques mots sont en gras et se démarquent”: «”AOP”» et «”IGP”».
Source : extrait du menu du restaurant Blend.
AOP est une dénomination définie par la Communauté Européenne visant à protéger les appellations d’origine des produits d’origine agricole. Comme nous l’avons vu, l’origine est gage de qualité et certaines régions sont connues pour leur expertise dans la production de 64! produits en particulier. Des entreprises et producteurs mal intentionnés ont parfois tenté d’apposer une origine fallacieuse à leurs produits pour les vendre plus facilement et à des prix plus élevés. Pour lutter contre cette pratique frauduleuse, la Commission Européenne a mis en place l’appellation AOP pour certifier que les produits proviennent bien de la région qu’ils affichent sur leurs emballages. Cette appellation est donc une preuve de qualité, tout comme l’IGP” : Indication Géographique Protégée, qui répond au même problème mais est délivrée par l’INPI, Institut National de la Propriété Intellectuelle. Ainsi, on apprend que le camembert provient de Normandie et le bleu d’Auvergne. Ces fromages sont considérés comme étant les meilleurs car produits dans ces régions au savoir-faire reconnu, considérées comme expertes dans le domaine. A ce sujet, François Ascher énonce le syllogisme de l’AOC (Appellation d’origine Contrôlée, légèrement différente de l’AOP, elle produit le même effet de réassurance) : «”le syllogisme de base de l’AOC est ainsi le suivant : L’origine garantit la qualité, l’AOC garantit l’origine donc l’AOC garantit la qualité” ». Ici, il est question de tradition : «”l’AOC s’appuie sur un imaginaire dans lequel la tradition était a priori bonne”» 44.
La marque ne se contente pas de communiquer sur l’origine précise de ses produits, elle sélectionne des produits dont l’origine a été officiellement contrôlée et certifiée car ils sont considérés comme étant les meilleurs du pays.
Une autre marque qui insiste sur l’origine de ses produits est Les Burgers de Papa. Sur leur site, on trouve une rubrique «” nos valeurs” ». Le Larousse définit le terme «” valeur” » de la sorte”: «”Ce qui est posé comme vrai, beau, bien, d’un point de vue personnel ou selon les critères d’une société et qui est donné comme un idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre”». En utilisant ce terme lourd de sens, la marque affirme que les éléments qu’elle va énoncer dans cette rubrique sont primordiaux pour elle, qu’ils sont «” quelque chose à défendre” », quelque chose qui lui tient à cœur et qu’elle va se donner les moyens de maintenir. Ses problématiques sont les mêmes que celle des concurrents” : la viande, les frites, le pain. Pour le pain, la marque promet «” un boulanger partenaire dans chaque ville, pour des buns 100% français, cocorico”!”». Là aussi, la marque préfère faire confiance à un prestataire pour assurer la qualité d’un expert à ses clients. Dire «”100%”» permet d’insister sur le fait que le pain est français car composé d’éléments eux aussi français. En effet, dire que le boulanger est français ne signifie pas que le pain le soit aussi. Les ingrédients utilisés pour le fabriquer pourraient provenir d’autres pays. Or, ce n’est pas le cas, et la marque le fait savoir en utilisant «” 100%” ». Il est intéressant de remarquer que bien qu’il soit français, ce pain est qualifié de «” bun” », terme américain définissant le pain à burger et qui n’a pas de traduction française en un mot. Il s’agit donc ici d’un oxymore” : le «” bun” », par nature américain, est ici «” 100% français” ». Sans le dire explicitement, la marque affirme ici, avoir «”francisé”» ce burger qui est pratiquement un symbole de la culture américaine. Il n’est plus un plat représentatif de la malbouffe à l’américaine mais un produit français de qualité. L’onomatopée «”cocorico”» est utilisée pour signifier le chant du coq. Le coq est le symbole de la France, son chant, qui réveille les français dans la campagne depuis toujours, est lui aussi symbolique de la France. Il est donc utilisé pour insister, avec humour, sur l’origine française du produit. Ce texte est écrit sur une image, représentant un champ de blé en arrière-plan, et une main tenant un de ces pains à burger. Il s’agit d’une mise en scène du produit fini ainsi que de sa matière première à l’état de nature, pour souligner l’importance de chaque ingrédient pour la marque. On y aperçoit aussi une trainée de poudre blanche qui semble être de la farine, étape intermédiaire entre l’épis de blé et le pain cuit. L’image retrace à elle seule le procédé de fabrication, reconnectant le produit fini à ses origines.
Source : site internet officiel de Les Burgers de Papa, rubrique « Nos valeurs ».
Ensuite, la viande, décrite de la sorte” : «” Viande Française. Exclusivement charolaise et limousine. Hachée chaque jour en restaurant” ». La charolaise est utilisée par toutes nos marques car elle est réputée pour son bon goût et sa qualité. La limousine, moins connue, bénéficie de cette même connotation. Le terme «” exclusivement” » insiste sur le fait que la marque n’accepte aucun écart. La viande ne peut provenir que de ces deux origines, aucune autre n’est acceptable. Cela prouve que le restaurant est strict et ne fait aucun compromis lorsqu’il s’agit de ses «” valeurs” ». La marque rappelle, comme ses concurrentes, que la viande est hachée sur place, synonyme de fraîcheur. Le fond est noir et une vache de profil est dessinée sommairement, avec un tracé blanc et irrégulier qui semble avoir été tracé à la craie. Ce schéma et ce fond noir rappelle ceux que l’on trouve, dessinés à la craie sur un tableau noir, chez les bouchers, pour montrer l’emplacement de chaque pièce de viande. La marque s’approprie ici l’univers de la boucherie, pour s’en attribuer l’image d’expert qu’en ont les consommateurs.
Viennent ensuite les «”frites maisons”» fournies par «”un primeur local partenaire dans chaque ville”». Le visuel représente des pommes de terre et non pas des frites. On voit bien ici que leur «” valeur” » concerne le produit d’origine plus que le produit fini. La marque parle d’une «” partenaire” » et non pas d’un simple fournisseur, ce qui laisse comprendre que la relation entre les deux acteurs va plus loin que la simple transaction financière. L’idée de partenariat signifie qu’il y a un réel échange entre eux. La marque semble les connaître et leur donne de l’importance, ce qui la rend plus humaine et laisse le consommateur imaginer qu’elle a pris le temps de sélectionner ce partenaire pour ses produits de qualité.
Comme pour le pain, le partenaire est présent «”dans chaque ville”» et cela est résumé dans leur valeur suivantes” : «” Circuit Court, pourquoi chercher ailleurs ce qui est à portée de main”?”». Les circuits courts sont des circuits de distribution comptant peu d’étapes entre le producteur et le consommateur. Ce système se développe de plus en plus, pour prendre le contre-pieds des industries agro-alimentaires. En effet, plusieurs scandales ont révélé que beaucoup d’étapes coûteuses se trouvaient entre le producteur et le consommateur, provoquant une faible rémunération de ce dernier par rapport à l’importance du prix payé par le consommateur. Ce phénomène a mené à des réponses virulentes de la part de certains agriculteurs qui ont couvert des parkings d’hyper marchés de paille, voire de purin. Ces évènements ont fait éclater ce phénomène au grand jour, permettant aux citoyens de prendre conscience du problème. Certains ont alors choisi de s’orienter vers des produits issus de circuits courts, ou rémunérant plus décemment les producteurs. Il s’agit donc ici d’une initiative sociétale de la part des Burgers de Papa mais la qualité est aussi concernée. En effet, les circuits courts permettent un temps limité entre la récolte et la consommation. Les produis sont donc plus frais, or la fraîcheur est un gage de qualité. De plus, il a été révélé que dans les circuits plus longs, les produits et notamment les fruits étaient traités chimiquement pour une meilleure conservation. Le risque que les produits aient connu ce traitement diminue proportionnellement à la taille du circuit de distribution. Dans cette question «” Pourquoi chercher ailleurs ce qui est à portée de main”?”» semble être posée directement à ces industriels, qui importent parfois des produits de l’étranger pour des raisons de rentabilité alors que les mêmes produits sont fabriqués à proximité.

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Table des matières

Partie 1 : Le premier aspect du paradoxe du mangeur français : la recherche de plaisir par l’alimentation
1) Un plat star : le burger
2) L’amour du burger par amour du gras
3) Du gras, oui, mais travaillé
Partie 2 : Le second aspect du paradoxe : la recherche du «”bien manger”» 
A) L’origine de ce désir : rupture du lien à la nature et scandales alimentaires
1) Entre exode rural et cloisonnement des abattoirs : la rupture du lien aux matières premières
2) Scandales alimentaires à répétition mènent à une profonde crise de confiance.
B) Ne sachant plus qui croire, le consommateur s’arme d’exigences pour mieux manger
1) La transparence, l’inévitable.
2) L’origine des produits : au-delà du made in France, le «”made in région”»
3) La qualité et ses preuves
4) La baisse de la consommation de viande, une évolution à prendre en compte

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