Le podcast natif, nouveau partenaire médiatique du récit

Le podcast natif, nouveau partenaire médiatique du récit ? 

Le podcast natif est un objet médiatique hybride qui recouvre plusieurs définitions, complémentaires ou concurrentes, et fait l’objet d’une grande variété de projets éditoriaux et de discours. Les représentations et imaginaires qu’ils véhiculent définissent généralement le podcast natif en réaction et opposition à «l’omniprésence de la culture de l’image »  et la rigidité du média radiophonique traditionnel : la liberté de ton, de format, et propos, permise par le podcast, démultiplie les possibilités créatives et narratives de la médiation sonore. Nombreux sont ceux qui déclarent avoir inventé la « série sans image », « comédie audio » « l’enquête sonore », fait remarquer Juliette Volcler dans une série d’articles consacrés au podcast. Le récit viendrait naturellement se nicher dans cette nouvelle forme médiatique, sous une variété d’apparences.

Le podcast narratif, un phénomène médiagénique ?

Le succès actuel que connait le podcast, en particulier aux États-Unis, se traduit notamment par la création d’une multiplicité de productions sonores narratives. Le format du podcast se prêterait particulièrement à la mise en forme du récit et à l’exploration de nouveaux modes de narration. L’analyse de l’article de Slate France, publié à l’occasion du lancement de son offre de podcasts, a permis de montrer comment les discours peuvent véhiculer et mettre en scène le phénomène médiatique du podcast, en l’associant à son potentiel narratif.

La mise en avant d’une « révolution » médiatique
Slate France a lancé, en juin 2016, son offre éditoriale audio, avec les podcasts Transfert et Titiou, Nadia et les sales gosses. L’article qui accompagne le lancement présente le podcast comme un véritable phénomène médiatique, une « révolution », dont le média prendrait les devants en France. Les podcasts vont bientôt « envahir le monde », écrit Charlotte Pudlowski, ancienne rédactrice en chef de Slate France. La journaliste retrace tout au long de l’article l’histoire de ce « média », à travers sa rencontre personnelle avec le format. L’article s’ouvre en effet sur le récit d’une découverte à New York d’un club de podcasteurs indépendants. C. Pudlowski a rencontré, à cette occasion, les producteurs de programmes qui lui donnaient des «orgasmes oculaires », notamment Brendan Baker dont le documentaire Living Room « [l]’obsédait depuis des semaines ». Les modélisateurs et verbes d’appréciation ponctuent le texte, affichant le point de vue subjectif de la journaliste. Le podcast est présenté, dans ce récit personnel, comme un média ayant d’abord émergé dans des niches informelles et « clubs de geeks » regroupant des amateurs du format : « Là-bas, au bout de quelques jours, j’ai entendu parler du « NYC Radio Club » : un club de geeks des podcasts qui se réunit une fois par semaine, pour en parler, se faire écouter des choses, progresser ». L’article insiste sur le caractère confidentiel du club ; les membres se donnent rendez-vous dans l’espace exigu d’«un appartement à Brooklyn », entre Bed-Stuy, quartier à l’histoire meurtrière et Bushwick, « nouveau quartier d’artistes ». Les multiples référents restituent le décor, le rituel d’échange et participent à la mise en récit. « Tassés les uns autres » entre les « vinyles » et « canettes de bières vides, « tout le monde s’était mis en cercle » pour présenter les extraits de leur dernier reportage. Le podcast se prête à des créations multiples et sujets niches : « baskets » « toilettes écolo », « reportage » ou « récit personnel ». L’activité de ce groupe d’initiés s’apparente à un trafic clandestin où l’on se « [deale] de nouvelles émissions comme du crack à Crackopolis ». Rejoindre le réseau exige un effort d’intégration. C. Pudlowski s’est « [faite] invitée » pour assister à la réunion et tente d’en saisir les codes et le jargon : « c’était plein de termes techniques, je ne comprenais rien, ça avait l’air génial ». La journaliste met en scène l’enthousiasme suscité par le podcast et le bouillonnement créatif dont il fait l’objet. Les paroles rapportées, le lexique de l’engouement traduisent cette ambiance « effervescente » « fiévreuse ». Le récit introductif tire cette émulation à l’extrême en filant la métaphore révolutionnaire, assimilant la soirée « à une assemblée secrète de révolutionnaires qui [s’apprêtent] à changer le monde par le son ». Cette analogie met en évidence l’innovation que représente le podcast natif, le renouveau médiatique qu’il est sur le point de créer. Tous s’agitent et partagent la «certitude […] d’être là à un moment charnière, où tout va se passer ». Ce sont les coulisses d’un avènement médiatique dont la journaliste aurait été témoin. Cette mise en scène et en récit du microcosme où émerge le podcast natif donne lieu à un florilège de titres, de noms, citations et hyperliens qui témoignent d’une connaissance profonde du milieu. Ce petit récit initiatique raconte, à partir d’un voyage à New York, la genèse et maturation des premiers podcasts de Slate France. La journaliste présente les étapes clés de l’émergence du podcast puis clôt l’article en invitant le lecteur à « [découvrir] le premier podcast de Transfert ». Un encadré cliquable s’affiche avec la vignette du podcast et le titre du premier épisode. Le récit de l’émergence et de l’« explosion » du podcast aboutit naturellement au lancement et à la promotion de l’offre audio de Slate France, qui s’inscrit dans ce grand basculement médiatique.

La journaliste convoque, dans cet article de lancement, les représentations culturelles du podcast comme format « ouvert », et média naissant ayant d’abord émergé sous des formes artisanales dans des cercles amateurs. L’article affiche, à travers la mise en scène des prémices d’une révolution médiatique, le statut pionnier de Slate France dans le paysage médiatique français où « les podcasts émergent à peine ». L’article ne fait aucune mention de la ligne éditoriale du magazine Slate France, inscrivant davantage la nouvelle offre de podcasts dans la continuité des créations libres et innovantes des amateurs de podcasts et dans la filiation des podcasts natifs américains. Les productions américaines, dont le succès est plus important qu’en France, se distinguent notamment par leur mise en forme narrative et la présence très subjective du médiateur. Le podcast constituerait une nouveauté médiatique justement parce qu’il propose un mode de narration singulier.

Le potentiel narratif du podcast 

Si l’expression « podcast narratif » est de plus en plus courante, elle ne désigne pas un modèle type de production. Le podcast narratif signifie d’abord simplement la «rencontre » d’un récit et d’une forme médiatique. Une rencontre heureuse. Le format du podcast, avec ses possibilités techniques, « les configurations sémiotiques internes qu’il sollicite, et « les dispositifs communicationnels […] qu’il est capable de mettre en place » offrirait au récit un cadre idéal dans lequel il peut pleinement se réaliser. Il permet d’opérer des jeux de dévoilement, de mise en tension, de points de vue. Les formes narratives que peut prendre le podcast sont donc multiples. On en voit de toutes sortes, la plus répandue étant la formule du “true crime podcast” rendue célèbre par l’émission américaine Serial .

Dans l’article de Slate France, mentionné plus haut, C. Pudlowski articule l’avènement du format autour du lancement de Serial aux États-Unis : « l’explosion » puis « l’après Serial ». Podcast natif d’investigation en quatre saisons, Serial est une série de contre-enquêtes, réalisée et coproduite par Sarah Koenig depuis 2014. À travers une mise en récit très structurée, la journaliste revient dans la première saison sur l’affaire classée Adnan Syed, un jeune homme condamné à perpétuité pour le meurtre supposé de sa petite amie, en 1999 à Baltimore. Elle en explore tous les scénarios et pistes possibles, interrogeant les témoins, passant en revue les lieux, et archives qui ont aiguillé l’enquête. C’est un récit à la première personne, dans lequel la narratrice partage ses doutes, les cheminements de sa réflexion. La tension ne relève pas tant du mystère à résoudre mais du processus psychologique, des questionnements par lesquels doit passer la journaliste. La voix de Sarah Koenig est un fil rouge ; elle livre ses réflexions sur un ton vif, informel, hésitant par moment. Ces confidences donnent à l’auditeur un accès privilégié aux troubles et introspections de la narratrice. Le montage est conçu de manière à faire ressurgir les événements comme s’ils venaient d’avoir lieu ; la superposition des voix, l’habillage musical entretiennent l’urgence et la confusion. Les observations et analyses donnent lieu à une prolifération de détails visuels et contextuels. Sarah Koenig retrace notamment le parcours du suspect qui a découvert le corps de la victime à Leakin Park :

“127 feet back into the woods there was a fallen tree, essentially a 40-feet log lying more or less parallel to the road. On the other side of the log, if you’d kept going, you’d have gotten to a stream with the unfortunate name of Dead run.”

La description est entrecoupée d’enregistrements d’archives du suspect. Le craquement des feuilles à mesure que la journaliste s’enfonce dans le bois, les dialogues avec ses collègues mais aussi avec l’auditeur à travers des adresses directes créent un champ de profondeur et produisent des effets d’immersion. L’équipe de production explore les ressorts narratifs du son, leur capacité à mettre en relief les tensions de l’intrigue (diégésis) et recréer l’espace visuel de l’action (mimésis). Dès son lancement en octobre 2014, le podcast atteint les cinq millions de téléchargement sur iTunes. Le succès de Serial a opéré un basculement, en faisant de la pratique isolée et encore marginale du podcast un véritable phénomène culturel. Pléthore de podcasts créés sur le modèle de Serial ont vu le jour (S-Town produit par Serial et This American Life, Dirty John du Los Angeles Times, ou le podcast indépendant Criminal), puis d’autres formats narratifs fondés sur le témoignage, le journal intime ou encore la fiction. Ces podcasts sont fabriqués à partir de méthodes de storytelling, de mise en récit, déjà très implantées dans la culture éditoriale américaine. C. Pudlowski s’applique, dans l’article, à démontrer le potentiel narratif du podcast, à mettre en évidence la combinaison parfaite entre podcast et récit. Son expérience initiatique à New York, les figures pionnières qu’elle y a rencontrées, la « révolution » amorcée par Serial, présentent le podcast narratif comme un phénomène culturel que la journaliste importerait des États-Unis. Le podcast narratif pourrait ainsi migrer d’une culture à une autre, devenir un phénomène global, dans la mesure où il investit un désir universel et « insatiable » d’histoires.

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Table des matières

Introduction
I. Le podcast natif, nouveau partenaire médiatique du récit
A. Le podcast narratif, un phénomène médiagénique ?
1. La mise en avant d’une « révolution » médiatique
2. Le potentiel narratif du podcast
B. La mise en récit sonore de témoignages individuels
1. Écrire le scénario du récit
2. Immersion dans un univers sonore et graphique
3. Parfaire le personnage
C. La sérialité, puissant ressort narratif
1. Le podcast forme optimale de la série audio
2. La mise en série du récit sonore
3. Un affichage modulaire de l’offre podcast
II. Le podcast déploie dans son dispositif narratif une grammaire de l’intime
A. Le podcast, une forme propice au récit intime
1. Le lien créé par la médiation sonore
2. La proximité avec le narrateur
2.1. La création d’un espace sonore intime
2.2. Le récit conversationnel
3. Fenêtre ouverte sur l’intériorité du narrateur
4. Narration intimiste ?
B. La construction d’une relation durable avec l’instance médiatrice
1. Une instance personnifiée
2. Une stratégie éditoriale équivoque
3. Le rendez-vous d’une communauté affective
C. Partage des rôles : quand l’auditeur devient à son tour narrateur
1. L’auditeur impliqué dans la diffusion du podcast
3. L’auditeur, partenaire dans la création du podcast
III. Le podcast narratif, forme de réhabilitation du récit oral en société
A. Modèle d’interprétation de la société contemporaine
1. Restituer le lien social par le récit d’expériences
2. Modèle de construction de l’identité subjective
3. Modèle de compréhension de la société
B. Instituer le podcast en forme culturelle à part entière
1. Le podcast, un média du quotidien
2. Le podcast narratif, un média d’information
2 .1. La mise en avant d’un savoir-faire journalistique
2.2. Réinvestir les codes d’écriture du documentaire
3. Le podcast comme forme d’expression artistique
C. Le podcast, une forme circulante
1. Une forme médiatique naissante aux prises avec les plateformes numériques
1.1. Négocier la mise en forme du podcast avec les dispositifs numériques
1.2. Une plateformisation croissante de l’offre de podcasts
2. Une forme circulante, favorisant le partage d’histoires singulières
2.1 Une forme « vicariante », épousant le point de vue singulier du narrateur
2.2. Une forme circulante propice à la « refiguration » narrative
Conclusion
Bibliographie

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