Le partenariat de Deauville et l’arrivée de la BERD dans le monde arabe 

2012 – 2015 : Une analyse des politiques et des stratégies de la Banque en matière environnementale et sociale dans le Sud et l’Est de la Méditerranée

Ce n’est donc qu’à partir de 2012, alors que le fonds pour les nouvelles démocraties arabes, l’EBRD Southern and Eastern Mediterranean Special Fund vient d’être créé et crédité, et que l’article 18 de ses statuts a été fraîchement révisé et ratifié que la BERD peut enfin entrer de plein pied dans la région SEMED. Cependant, dès le 12 décembre 2011 et loin d’être encore assurés de disposer d’un fonds à la hauteur de leurs prétentions, les dirigeants de la BERD annoncent à l’occasion de la conférence “T2T” (Transition to Transition) à Tunis , devant un parterre de chefs d’Etats et d’industriels que leur objectif est, à terme, de consacrer près de 2,5 milliards de dollars par an à l’ensemble de la région , et qu’ils souhaitent débuter les opérations le plus tôt possible. En effet, comme le souligne l’OTE : “Les premiers investissements de la BERD ont été réalisés alors qu’elle n’avait toujours pas ouvert de bureau en Tunisie (…). La précipitation dans la création de ce fonds – sans d’abord l’alimenter, sans être assuré de l’extension de son mandat et sans avoir ouvert de bureau sur place – démontre l’urgence et l’importance que la BERD et ses donateurs ont accordés à cette région alors en ébullition”
D’autres y virent plutôt la démonstration de la “réactivité” de cette institution financière, de la nécessité de ” tirer profit sans tarder de son expérience dans le soutien au secteur privé et dans le développement d’activités destinées à la création d’emplois” , particulièrement consciente des enjeux de la région et donc prête, d’une certaine manière, à braver la procédure légale établie (création du fonds de transition de la Banque, ratification de l’extension de son mandat, ouverture d’un bureau national, etc.) pour s’établir au plus vite. L’arrivée en catastrophe de la Banque-pompier dans les pays du SEMED, interroge sur la manière dont cette dernière va financer ses projets, à l’aune de quelles politiques et avec quels objectifs.
Affaiblie dans sa crédibilité par les affaires qui ont pollué son fonctionnement depuis ses débuts (voir supra, partie I du présent mémoire), nous avons la chance dans notre démarche de recherche, de pouvoir nous appuyer sur les travaux d’organisations de la société civile des pays-bénéficiaires/cibles, forts conscients des risques sociaux et environnementaux liés à l’arrivée de la BERD dans la région. Ces dernières organisations rappellent sans cesse les principes à partir desquels la BERD doit réguler son action, sortes de “garde-fous” censés diriger les choix de la Banque en matière de partenariats et de financements de projets (chapitre I). Cependant, cette partie visera à évaluer l’écart existant entre ces textes, les projets et les critiques qu’en font les organisations de la société civile : cet objectif nous poussera à focaliser notre attention sur les stratégies et priorités définies par la BERD pour chacun des “pays-bénéficiaires” (chapitre II) et trouvera son expression au sein du chapitre III, où l’on évaluera de manières sectorielles les impacts environnementaux et sociaux de la Banque. Une dernière partie, annonçant la conclusion, et intitulé “la BERD contre les Etats”, décrira les biais idéologiques sur lesquels se fonde l’action de la Banque et l’impact fortement négatif que cela apporte sur le fonctionnement économique et politique des pays (chapitre IV).

Les “garde-fous” sociaux et environnementaux

Cette seconde partie de notre mémoire entrant dans le cœur du sujet, et ce chapitre précédent l’étude en matière de financement de projets dans la région SEMED par la BERD, il est alors intéressant de s’interroger sur les limites imposées à la Banque (I) et par la Banque (II) en matière environnementale et sociale. Une dernière partie nous amènera à nous intéresser à un dispositif commun à la BERD et à la plupart des institutions internationales, l’Etude d’Impact Environnemental, et la manière dont elle est maniée par la BERD, démontrant ainsi ce décalage systématique entretenu entre textes et réalité (III).

Les normes imposées à la BERD en matière environnementale et sociale

La BERD, en tant qu’IFI détenue par ses actionnaires, qui sont donc les Etats bailleurs, est soumise aux directives européennes et standards internationaux en matière environnementale et sociale (a.) mais aussi par ses propres statuts, décidés par le Conseil d’administration de la Banque (b.)

La BERD, une IFI soumise aux conventions internationales : l’exemple des principes européens pour l’environnement

La BERD est soumise à un ensemble de principes, standards et conventions internationales dont sont signataires ses pays actionnaires, comme par exemple les conventions onusiennes, ou encore les conventions de l’OIT ou de l’OMC. En tant qu’institution dont est actionnaire l’UE, elle obéit aux directives européennes édictées par la Commission.
Par exemple, les principes européens pour l’environnement, intégrés dans le traité sur le fonctionnement de l’UE (articles 11, 191, 193), délimitent les champs de compétences de l’UE en matière environnementale (pollution de l’air et de l’eau, gestion des déchets et changement climatique), et surtout les modalités d’action et de prévention des dommages environnementaux. Il s’agit de deux principes clés : le principe de précaution – qui, dans le cas de la BERD, va trouver son expression dans les évaluations d’incidence environnemental (voir infra) : il s’agit de prévoir le risque “présumé pour la santé humaine ou pour l’environnement que ferait peser une action ou une politique donnée”.
Autre principe fondamental de l’UE en matière environnemental : le principe du “pollueur-payeur”, mis en place par la directive 2004/35/CE, qui va chercher à responsabiliser les acteurs susceptibles d’avoir, par leurs activités, un impact sur l’environnement, en les poussant à adapter leurs projets afin de ” corriger les dommages environnementaux causés aux espèces protégées ainsi qu’au habitats naturel, à l’eau et aux terres (…). Si des dommages sont déjà survenus, ils sont tenus de prendre les mesures appropriées pour y remédier et payer les coûts y afférents” . Deux problèmes, dans ce cadre, surviennent : d’abord, la question de l’application de ces principes en dehors de l’UE. Com ment appliquer le principe de “pollueur-payeur” dans un pays non-européen ? Même si la BERD est liée, d’une certaine manière, aux accords internationaux signés par l’UE, aucun acteur n’a moyen de contraindre sur la question de la pollution. Autre problème, par exemple concernant la directive sus-évoquée : “[elle] ne s’applique pas aux dommages corporels, aux dommages aux biens privés, ni aux pertes économiques, et n’affecte pas le droit résultant de ces catégories de dommages” : cela révèle du problème récurrent dans le domaine environnemental, à savoir la sectorialisation du problème.
Un problème environnemental devient, dans la majorité des cas, un problème social, car en détruisant ou en affectant un environnement, souvent est pénalisée la communauté vivant au sein de l’environnement donné.

Une Banque limitée par… elle-même ?

Concernant cette partie, nous nous baserons sur l’ensemble des Documents de base de la BERD , sorte de “bloc de constitutionnalité” de la Banque, qui comprennent l’Accord portant création de la BERD (et donc les statuts de la BERD), le rapport du Président sur l’accord (et sa notice explicative), ainsi que les règlements intérieurs, qui comprennent notamment les codes de conduite mise en place en 2012 (voir supra), supposés permettre d’endiguer la corruption interne et externe – il s’agit à cet égard d’une disposition-clé pour éviter que les décideurs au sein de la Banque ne financent des projets contraires aux statuts de la Banque, qui prévoient, en théorie, de financer des projets uniquement dans des pays où les principes de la démocratie pluraliste sont strictement appliqués, ainsi qu’y aspire l’article 1 de l’Accord, définissant l’objet même de la Banque : militant politiquement, prépondérant en matière d’éligibilité des pays-bénéficiaires, cet article, du même coup, balaie d’un revers de la main, par sa formulation, les problématiques sociales et politiques : la Banque n’intervient que dans les “pays (…) qui s’engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste [et] du pluralisme”. Le principe de démocratie pluraliste est à la fois ici trop large et trop restreint : la BERD entend -elle ici la tenue d’élections avec plusieurs candidats, l’alternance, ou bien le terme démocratie recouvre-t-il aussi les autres champs du domaine politique, tels que la liberté d’expression, le domaine judiciaire, etc. ? Si le domaine politique et social fait l’objet de cette seule mention au sein de l’article 1 (ainsi que de l’attachement aux “principes fondamentaux de la démocratie pluraliste, de l’état de droit, du respect des droits de l’homme et de l’économie de marché” – qui ne sont pas fondamentalement complémentaires, soit dit en passant – mentionné en préambule de l’Accord de 1991), la question environnementale fait néanmoins l’objet de nombreux articles – ce qui nous pousserait à souligner que cet enjeu fait presque partie intégrante de l’ADN de la Banque. En effet, les articles 2.1.vii, 11.1.v, 13 et 35.2, font référence, selon la notice explicative signée par Jacques Atalli, aux “graves problèmes liés à l’environnement” , soulignant les que “principes d’un développement sain du point de vue de l’environnement devraient être pris en compte dans l’ensemble des opérations de la Banque “. Le conditionnel est ici important, car peu engageant, mais est néanmoins prévu un rapport annuel sur “l’incidence de ses activités sur l’environnement”. Ce document traduit donc la conscience des dirigeants des dangers que représentent le saccage environnemental, prévoit des évaluations régulières, mais exprime aussi l’approche instrumentaliste qui est faite de l’environnement : les atteintes qui y sont faites risque en effet d’être dommageable avant tout “au développement du secteur privé et à la transition vers une économie de marché ” (article 11.1.v).
Enfin, le rapport annuel 2014 confirme la politique environnementale de la BERD, focalisée sur le souci de minimiser plutôt que de protéger : les projets ne sont en soit pas neutres environnementalement.

Les standards en matière environnementale et sociale promus par la BERD

La BERD déploie un nombre de politiques internes censées contrôler et limiter l’impact environnemental et social, au rang desquels la plus connus et le document concernant la “Politique environnementale et sociale” ( ESP) , introduite en 1992 et révisée en 1996, 2003, 2008, 2010 et 2014 (a.) des projets dans lesquels elle est impliquée. Les organisations de la société civile sont très attentives à ces documents et aux mécanismes qu’ils permettent de mettre en place, qui permettent d’effectuer un semblant de contrôle et de surveillance par le public sur la Banque et ses activités (b.)

La politique sociale et environnementale : de “mauvais à pire” ?

Il s’agit d’une des politiques phares de la BERD, étant donné que ” tous les projets financés par la BERD sont structurés pour répondre aux exigences de la présente Politique”, exigences inspirées par des textes aussi variés et importants que ” la Charte internationale des droits de l’homme, la déclaration universelle des droits de l’homme des Nations-Unis, ainsi que des huit conventions fondamentales de l’OIT” . Ces références reflètent la mission relativement unique de la Banque, à savoir effectuer une synthèse entre développement de l’économie de marché, démocratisation et développement durable.
Cependant, malgré ces nobles inspirations, il s’avère que la Banque, dans chaque édition de son ESP s’attache à énoncer des principes et non des mécanismes suffisamment claires pour que les projets dans lesquels elle s’implique puisse ê tre conçus de manière raisonnée et soutenable environnementalement autant que socialement. Par exemple, les clients (à savoir, les acteurs publics ou privés bénéficiant des prêts de la BERD) doivent réaliser des “Plans d’actions environnementaux et sociaux” (ESAP) censés rendre le projet compatible à l’ESP : cependant, ce “garde-fou” n’en est pas un car il n’a pas de valeur contraignante. Un ESAP étant d’ailleurs préparé par la société-cliente, il n’aura pas tellement d’apport critique au projet, et dusse-t-il en avoir, il n’entre pas forcément en compte dans la prise de décision, puisque, comme nous le verrons plus tard, et comme nous l’avons vu plus haut, des projets portant atteinte de manière flagrante à l’environnement ou aux sociétés ont passé l’approbation du conseil sans que ce dernier n’ait rien à y redire.
Pire encore, la version 2014 de l’ESP accentue cette tendance à déléguer les responsabilités qui sont habituellement celles de la Banque aux sociétés -clientes quant aux évaluations d’incidence : l’information produite perd ainsi toute valeur et ne permet plus le discernement nécessaire pour décider du financement de ce type de projet.

La surveillance opérée par les organisations de la société civile

Durant la phase de coopération technique, la BERD effectue un diagnostic en ce qui concerne l’état du marché au niveau national ainsi que les barrières légales empêchant son bon développement. Cependant, ce type d’évaluations – qui peut devenir un document de référence, entraînant des réformes importa ntes – identifie souvent les défauts inhérents au marché local comme ” des pathologies liés à un problème relatif à l’application ou bien au sujet même des réformes, à leur incomplétude, plutôt qu’aux limites inhérentes au système d’économie de marché “.
Cette approche, idéologique, empêche la BERD de faire le lien entre réformes entraînant une libéralisation du système et le niveau de développement des pays bénéficiaires… de fait, le diagnostic de la Banque est souvent incomplet. C’est pourquoi, grâce à l’article 1 des statuts de la Banque, et grâce à un ensemble de dispositions prévues à cet effet, les organisations de la société civile disposent d’une marge de manœuvre pour orienter les décisions de la Banque ainsi que son diagnostic, mais surtout pour surveiller ses activités en privilégiant une approche favorisant un développement humain et social . Elles disposent alors de certains canaux institutionnels :
– Le contrôle des financements de projets : chaque projet dans lequel la Banque est susceptible d’être engagé suppose que des consultations publiques. A cet effet, des documents sont disponibles : il s’agit des documents récapitulatifs de projets et des ESAP (voir supra), auxquels il est possible d’apporter des commentaires – qui seront, selon les cas, pris en compte ou non.

Maroc : la BERD au secours des infrastructures de “bien public” ?

Le Maroc est le second et pour le moment dernier pays à s’être vu doté d’une stratégie-pays définie par la BERD . Quelles sont les activités de la BERD jusque là (a.) ? En quoi la stratégie -pays s’articule-t-elle avec les actions déjà réalisées (b.) ?

Descriptif des projets et masse financière allouée

Au Maroc, la BERD dispose à ce jour d’un portefeuille de 450 millions d’euros d’investissement consacrés à 18 projets. Le Maroc représente donc presque un tiers des investissements de la Banque. Entre septembre 2012 et février 2014, l’action de la BERD a consisté à distribuer des liquidités aux banques marocaines sous formes de prêts prioritaires (senior loan accordés à la Banque centrale populaire, à la banque marocaine du commerce extérieur, à la société générale maroca ine des banques) et le soutien à la construction d’infrastructures d’utilités publiques avec les autorités publiques compétentes, comme en ce qui concerne l’amélioration des réseaux électrique et hydraulique (office national de l’électricité et de l’eau po table).

Analyse de la stratégie-pays définie par la BERD pour le Maroc

Après ce qu’elle appelle cette “première période d’opérations” menée au Maroc, la BERD a donc dévoilé, le 23 février 2013, une nouvelle “stratégie pays”. Cette stratégie offrira donc un cadre aux politiques de la BERD envers le Maroc et ce pour les trois prochaines années. Cette stratégie s’articule autour de quatre axes, qui ont déjà été développé lors de la première période d’opération.

Egypte : la BERD sur tous les fronts ?

L’Egypte est le plus gros bénéficiaire de la BERD, car aussi le plus gros pays, mais cette dernière ne dispose pas d’une stratégie aussi claire que po ur les deux pays précédents. La phase de coopération technique est encore en cours, ce qui suppose une action de la BERD sur plusieurs fronts.

Descriptif des projets/masse financière allouée

Avec 21 projets à cette date, représentant près de 762 millions d’euros d’investissement de la part de la BERD à ce jour, l’Egypte est donc le plus gros partenaire de la Banque dans la région SEMED. La Banque est en effet particulièrement active, étendant son action à de nombreuses thématiques, que ce soit l’agrobusiness, les infrastructures municipales, les télécommunications et les transports (son plus gros investissement étant dans le métro du Caire, avec un crédit de 175 millions d’euros délivrés au gouvernement égyptien pour une commande publique visant à moderniser et à étendre le réseau ).

Analyse de l’évaluation technique et des orientations stratégiques définies

L’évaluation technique délivrée par la BERD en 2012 pointe 4 secteurs prioritaires faisant l’objet des politiques de transition de la Banque : le tis su industriel et entrepreneurial, le secteur de l’agrobusiness, le secteur financier, le secteur énergétique, souffrant tout à la fois d’un trop grand éparpillement, d’un manque d’accès aux ressources bancaires – empêchant l’accès à l’innovation – et du poids trop important de l’Etat et des entreprises publiques, symbolisé par une sclérose en matière d’infrastructures urbaines. La présence “trop large du secteur public au sein de l’économie représente un challenge de taille, tant à la fois pour le développ ement du secteur privé et à la réduction des pathologies du marché “, et un mouvement de “privatisations, mené par le pays” devrait être mis en marche.

De l’agriculture à l’agrobusiness, quel changement de sens, quel impact ?

L’agriculture est un enjeu-clé du développement humain et environnemental dans la région SEMED : les pays, menacés par la pression démographique et le stress hydrique, sont aux premières lignes en ce qui concerne les enjeux de sécurité alimentaire. Comment faire pour nourrir une population qui risque d’être privée d’agriculture à l’horizon 2080, comme c’est le cas en Jordanie (voir supra) (a.) ? La BERD parle systématiquement d’agrobusiness dans ses communications, désignant la complémentarité entre agriculture, industrie agroalimentaire et distribution. En quoi le fait d’investir ce terrain peut -il représenter une solution ? Cela représente -t-il le risque de multiplier les problèmes ? (b.)

“Transitions gaps” et défis évalués par la BERD

Nous l’avons vu plus haute (partie I), la question de la sécurité alimentaire a été fortement posée lors des soulèvements dans les pays arabes en 2010 -2011 : il s’agissait donc d’un défi à relever pour les acteurs du partenariat de Deauville, et notamment pour la BERD, qui dispose d’une expertise et d’une politique en matière d’agrobusiness. En nous basant sur les évaluations techniques ( technical assessments – TA) les plus récentes effectuées en la matière dans la région, nous allons chercher à déterminer quels sont les “transition gaps” (c’est -à-dire les enjeux sur lesquels travailler pour cette phase de transition) et les défis techniques envisagés par la Banque pour chacun des pays (voir tableau 3 ci-dessous), nous pouvons constater que la BERD insiste sur une refonte globale de la chaîne de l’agrobusiness, depuis l’agriculture au conditionnement et jusqu’à la distribution, en passant par le financement, l’élargissement des propriétés agri coles et la fin de l’intervention de l’Etat dans un secteur trop subventionné ; en définitive trop peu rentable car éloigné de la modernité – mot répété dans les TA et entendu comme la mécanisation agricole, la privatisation du secteur et la marchandisation des biens produits. L’évolution prônée par la BERD dans le domaine de l’agrobusiness, plus qu’une évolution naturelle du secteur, fait en effet appel à un changement de sens profond et forcément problématique. Si en effet le secteur agricole ne permettait pas de satisfaire les besoins de sociétés en forte mutation, l’industrialisation de la chaîne alimentaire en est-elle pour autant capable ?

De la sécurité alimentaire à la marchandisation du secteur agricole : l’exemple de Nestlé Egypte et le paradoxe d e la crème glacée

En Janvier 2014, la BERD débloque l’un de ses plus gros crédits en matière d’agrobusiness : il s’agit d’un emprunt contracté par Nestlé Egypt S.A.E., filiale du groupe Nestlé S.A., basé en Suisse, d’un montant de 20 millions de dollars. L ‘argent débloqué a pour objectif de financer un projet visant à ” accroître les échanges entre les fournisseurs et la base de distributions […], atteindre les standards en matière sanitaire, sécuritaire, environnementale, sociale tels que définis par Nestlé […]. Par ailleurs, le projet supportera la politique en matière de parité au sein de l’entreprise menée par Nestlé, faisant de cette compagnie un exemple pour l’intégration des femmes dans le marché du travail Egyptien.” Le projet total s’élève par ailleurs à 100 millions d’euros (les 80 millions restant étant apportés par d’autres financeurs), et l’évaluation environnementale place le projet en catégorie B : il n’y aura pas d’EIE. La première question est la suivante : Nestlé Egypt S.A.E. est-elle une entreprise qui a besoin d’un tel financement, la compagnie est-elle éligible à ce type d’emprunt ? Comme nous l’avons vu plus tôt, la Banque est censée financer le secteur privé et ses PME (selon les catégories de l’INSEE, cela comprend les entreprises de 10 à 250 employés, dont le chiffre d’affaire annuel ne dépasse pas les 50 millions d’euros ) et qui sont à la recherche de financements pour innover. L’innovationreprésentant un risque pour n’importe quelle banque classique, c’est donc ici qu’estla valeur ajoutée de la BERD : Nestlé S.A., la maison mère de Nestlé Egypt S.A.E., aréalisé un chiffre d’affaire de 85,15 milliards d’euros, pour un bénéfice nette de 13 milliards d’euros .
Toute considération gardée sur l’éligibilité de Nestlé Egypt S.A.E. dans le cadre d’un financement issu d’une banque de développement multilatérale, il faut surtout questionner l’apport de Nestlé dans le domaine de la sécurité alimentaire, avec ce projet. La BERD souligne en effet que “l’opération va permettre à la compagnied’apporter les capitaux nécessaires à l’expansion de ses capacités de production de nourriture (crème glacée, confection), afin de répondre à une demande grandissante” . Comme le remarque l’ONG CEE Bankwatch, la majorité des Egyptiens ne peuvent acheter ce type de produit, réservé aux classes moyennes, et de toute façon considéré comme un produit de luxe, soulignant que ” la plupart des Egyptiens se battent pour pouvoir acheter du pain, des œufs, ou de l’eau potable.”

 

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
PARTIE I : 1991 – 2011. De la chute du bloc soviétique au partenariat de Deauville, l’élargissement du domaine de compétences d’une Banque de développement continentale vers la région méditerranéenne
Chapitre I : La BERD avant la Méditerranée 
I. La BERD, de sa création au partenariat de Deauville, retour sur 20 ans d’existence
II. L’action controversée de la BERD dans les ex-pays soviétique, révélatrice de pratiques contestables
Chapitre II : La Méditerranée avant la BERD : Défis environnementaux, enjeux économiques et sociaux
I. La Méditerranée, première victime du changement climatique
II. Quels sont les problèmes politiques, économiques et sociaux structurant en Egypte, Jordanie, Tunisie et Maroc au moment de la transition
Chapitre III : Le partenariat de Deauville et l’arrivée de la BERD dans le monde arabe 
I. Le partenariat de Deauville, un plan Marshall pour le monde arabe ?
II. Quelles critiques au partenariat de Deauville ?
III. La BERD, nouvelle actrice majeure dans les relations euro-arabes
PARTIE II : 2012 – 2015 : La BERD dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Une analyse des politiques et des stratégies de la Banque en matière environnementale et sociale
Chapitre I : Les “gardes-fous” sociaux et environnementaux
I. Les normes imposées à la BERD en matière environnementale et sociale
II. Les standards en matière environnementale et sociale promus par la BERD
III. L’Etude d’incidence environnementale : mode d’emplois et limites
Chapitre II : Stratégies et projets 
I. Jordanie : la dimension énergétique privilégiée
II. Maroc : la BERD au secours des infrastructures de “bien public” ?
III. Egypte : la BERD sur tous les fronts ?
IV. Tunisie : du leasing financier à tous les étages
Chapitre III : L’impact environnemental et social de la BERD, analyse des politiques sectorielles dans la SEMED
I. De l’agriculture à l’agrobusiness, quel changement de sens, quel impact ?
II. La question hautement problématique de l’énergie
III. L’action pour le climat contre la logique de marché ?
Chapitre IV : La BERD contre les Etats 
I. Les partenariats publics-privés : heurs et malheurs d’une méthode idéologique
II. La conditionnalité de l’aide au développement
III. La trahison de l’Etat

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *