Le morphème d= en araméen-syriaque

Aperçu historique sur le syriaque 

Il existe une aire géographique où des langues, qui ont été nommées pour la première fois « sémitiques » par le savant allemand August Ludwig Von Schlözer (1781 : 161 cité dans Garbini 1994 : 13), sont attestées sans interruption à partir du 3ème millénaire avant notre ère. Il s’agit d’un territoire compris approximativement entre le Tigre et la Méditerranée. A partir du 1er millénaire av. JC toute la péninsule arabique, pour laquelle nous ne disposons pas de données linguistiques antérieures à cette date, s’unit à ce domaine sémitique. À partir de 800 av. JC commence la colonisation phénicienne dans des comptoirs et pays du pourtour de la Méditerranée, et surtout en Afrique du Nord. Cette colonisation s’est accompagnée d’une sémitisation qui a été portée à son terme avec l’expansion arabe et musulmane.

Les populations de langues sémitiques sont ainsi présentes parmi la population sédentaire de la Mésopotamie depuis le commencement de la documentation historique. Dans cette région, la grande civilisation urbaine commence dès la première moitié du 4ème millénaire av. JC. La fondation du premier empire mésopotamien fut l’œuvre du roi sémite Sargon qui, autour de 2350 av. JC, établit comme capitale la ville d’Akkad dont l’emplacement n’est toujours pas connu. La langue sémitique attestée à cette période est utilisée jusqu’aux environs de 1950 av. JC ; on la connaît sous le nom d’akkadien ancien. À partir de cette période, l’akkadien se divise en deux variétés écrites, le babylonien, variété méridionale, qui a subi des influences de la part de l’amorrite, et l’assyrien, variété septentrionale. Le babylonien a été écrit jusqu’au 2ème s. av. JC, tandis que l’assyrien a disparu, au moins comme langue écrite, vers 600 av. JC. Depuis les temps les plus anciens, on parlait deux autres langues sémitiques : l’éblaïte et l’amorrite. L’éblaïte est connu par la découverte en 1974 dans le palais royal de Tell Mardikh (au sud d’Alep) de tablettes écrites qui remontent à l’âge du bronze ancien (2400-2225 av. JC). Comme l’akkadien, l’éblaïte utilise l’écriture cunéiforme sumérienne ; elle est considérée comme la plus ancienne langue documentée en Syrie. L’amorrite, quant à elle, n’a jamais été écrite, mais on en a connaissance grâce aux anthroponymes retrouvés dans des textes mésopotamiens. Elle a été la langue parlée par la population semi nomade sémitique présente en Syrie dans la seconde moitié du 3ème millénaire av. JC et jusqu’aux premiers siècles du deuxième millénaire. À Ougarit, une ville sur la côte syrienne, une autre langue sémitique, l’ougaritique, a été écrite dans un alphabet cunéiforme aux 14ème et 13ème s. av. JC.

Un autre groupe de langues représente la première attestation, au 2ème millénaire av. JC, de la famille des langues cananéennes, qui se développera au cours du premier millénaire av. JC. Cette famille comprend, entre autres, le phénicien, avec sa variante punique, le moabite et l’hébreu.

Dans le territoire correspondant à l’actuelle Turquie du Sud-Est, le ya’udi – langue écrite en alphabet phénicien par une population sédentaire – est attestée entre la fin du second et le premier millénaire av. JC, dans une région déjà linguistiquement anatolienne. Par ailleurs, en Syrie et en Mésopotamie, l’araméen est attesté comme langue écrite vers 900 av. JC. C’est l’expression linguistique des tribus semi nomades qui, dans les derniers siècles du 2ème millénaire av. JC, se sont sédentarisées en Syrie et en Mésopotamie. Les Araméens ont constitué des entités politiques dans le premier quart du premier millénaire av. JC (Cohen 1988 : 84), jusqu’au VIIIème s. av. JC. Chaque royaume araméen a créé sa propre langue écrite avec un alphabet inspiré de l’écriture phénicienne. L’araméen devient la langue véhiculaire de tout le Proche et Moyen Orient (Sibille & Alichoran 2013 : 869). Lorsque la Syrie a fait partie de l’empire assyrien (743 av. JC), l’araméen est devenu la seconde langue officielle de l’administration de cet empire. La langue a aussi été utilisée comme langue diplomatique dès la fin du VIIe siècle av. JC par la dynastie babylonienne, en Mésopotamie, bien après la chute du dernier royaume araméen. Puis, l’empire perse des Achéménides (VI ème siècle av JC), quant à lui, a utilisé cet araméen dit « impérial » (cf. infra) comme seule langue officielle de l’administration. On trouve même de l’araméen dans quelques textes bibliques (Daniel 2:4-7:28; Esdras 4:8-6:18 et 7:12-26).

Origine du morphème d= 

Brockelmann (1910 : 123) fait remonter l’origine du morphème syriaque d= à un démonstratif *ḏV. Il est très vraisemblable que ce pronom démonstratif comportait des marques casuelles, comme pour les noms (*ḏū au nominatif, *ḏā à l’accusatif, *ḏῑ au génitif), car le morphème ša, qui en akkadien correspond au syriaque d= et joue le même rôle (cf. par exemple Langlois 2009 :214), présentait dans la phase ancienne de cette langue des marques casuelles, à savoir au sing. m. šu/ša/ši, sing. f. šat, pl. šūt (Von Soden 1969 : 47-48). La prononciation interdentale [ḏ], que l’on suppose avoir été la plus ancienne qu’on peut reconstruire pour le démonstratif *ḏ= s’est conservée seulement en arabe (par exemple l’arabe littéraire haḏā, ḏālika, allaḏῑ, ḏū, ḏāt), en sud-arabique épigraphique et dans certaines langues sud arabiques modernes. En ougaritique et en araméen, elle s’est confondue avec l’occlusive dentale sonore /d/. Au contraire, dans les langues cananéennes (phénicien, hébreu et moabite), dans la majorité des langues sémitiques d’Éthiopie et d’Érythrée, il y a eu coalescence avec la sifflante sonore /z/ .

Le syriaque a perdu les marques casuelles, mais on retrouve toutefois une trace de l’ancien génitif avec d= dans la forme utilisée pour la construction des possessifs indépendants dῑl=. Il convient de noter que la variante da= du syriaque d= ne remonte pas à un cas accusatif, mais qu’elle est le résultat de l’insertion d’une voyelle devant un groupe consonantique, comme il se produit avec d’autres prépositions (b=/ba=, l=/la=) et la conjonction de coordination (u /wa=). On a ainsi d=etkteb ‘qui s’est écrit’, da=ktabt ‘que tu as écris’.

Par ailleurs, Pennacchietti (1984b : 101) a montré que l’extension de d= en sémitique s’est effectuée parallèlement au déclin d’un autre subordonnant générique *kῑ , dont l’autre fonction comme adverbe interrogatif a disparu des langues sémitiques, sauf en arabe (kayfa ‘comment ?’), au profit de morphèmes à base *’ay-, tandis qu’« émergeait dans toute l’aire occidentale une préposition k- ‘comme’, dérivée de kῑ par analogie avec les prépositions l- et b-, phénomène qui a promu la formation de nouvelles conjonctions (…) composées avec une particule relative (araméen ancien kzy, syriaque kaḏ, hébreu ka-’ăšer, kə-še- ‘comme si, quand, après que’) » . Il précise (p. 104-105) que le « pronom déterminatif des langues sémitiques s’est transformé en une véritable conjonction », et que les fonctions qu’il assume peuvent se résumer à « ) relier la subordonnée (…) avec une préposition ou une locution prépositionnelle (grec (…), araméen ancien…); ) introduire des compléments phrastiques après des verbes de perception et d’énoncé (paléo-assyrien (…), araméen biblique, …) et des verbes de volonté et de commande (araméen biblique dî) ; ) introduire des subordonnées circonstancielles à la principale qui contiennent une information contextuellement nouvelle (causale : ougarit d, araméen biblique dî ; et finale, cf. araméen biblique dî ‘afin que’) ».

Le morphème d= dans les grammaires du syriaque

Dans la plupart des grammaires pédagogiques traditionnelles que nous avons consultées (Uhlemann 1855 ; Phillips 1866 ; Duval 1881 ; Nöldeke 1904 ; Costaz 1992 ; Thackston 1999), le morphème d= est présenté comme un pronom relatif et nous verrons (chap. 5) qu’une telle dénomination est inappropriée. Toutes mentionnent aussi sa fonction génitivale après une tête nominale, un pronom démonstratif, un quantifieur et dans des constructions lexicalisées en adjectifs et grammaticalisées en adverbes, bien sûr avec la terminologie de leurs époques et tous les problèmes qui en découlent. Ces problèmes terminologiques sous-tendent souvent des problèmes d’analyse où l’on voit traiter par exemple au chapitre sur le «pronom relatif » des fonctions qui relèvent du syntagme génitival et qui font de d= un démonstratif dans des syntagmes de ce type (Duval 1881 : 297 ; Costaz 1992 : 71). Toutes ces grammaires citent aussi la fonction complétive et adverbiale de d=, pour cette dernière en combinaison avec d’autres outils grammaticaux.

Dans sa grammaire pédagogique de 1996 réimprimée en 2005, Muraoka, tout en utilisant (p. 21) le terme de « pronom relatif indéclinable » montre un certain embarras visà-vis de cette terminologie en précisant qu’il s’agit plutôt d’un « linking word of vague nature » (‘un ligateur de nature vague’). Seul Robinson (1962 : 16), dans un ouvrage bien antérieur à celui de Muraoka, est catégorique quant à la nature non-pronominale de ce morphème (« it is not in itself a pronoun » ‘il n’est pas en lui-même un pronom’), et le dénomme « particule », terme qui recouvre toutes les fonctions du morphème d=. Robinson semble juste prendre position sur sa nature catégorielle dans le syntagme génitival, puisqu’il mentionne explicitement le terme de « préposition ».

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Table des matières

Remerciements
Table des matières
Liste de schéma, carte et tableaux
Symboles et abréviations
Principes de présentation des exemples
Chapitre 1: Introduction
1. Aperçu historique sur le syriaque
2. Sujet et objectifs de la thèse
3. Choix du corpus
4. Origine du morphème d=
5. Plan de la thèse
Chapitre 2: État de l’art
1. Le morphème d= dans les grammaires du syriaque
2. L’étude de Wertheimer
Chapitre 3 : Syntagme Genitival
1. Introduction
1.1. Morphologie du nom
1.2. Evolution diachronique du nom et du syntagme génitival
2. Morphosyntaxe du syntagme génitival
2.1. Type A : construction directe
2.1.1. Forme N + N
2.1.2. Forme N=pronom
2.1.3. Combinaison de deux syntagmes génitivaux (SG)
2.2. Type B : construction indirecte
2.2.1. Constructions avec d= ou l=
2.2.2. Constructions avec d= ou l= et pronom cataphorique
2.2.3. Constructions avec dil=
2.2.4. Absence de tête nominale N1 lexicale : d=+ N : ‘celui (de) N’
2.2.5. Combinaisons de deux SG
2.3. Coordination dans un SN
3. Sémantique des constructions génitivales, lexicalisation et grammaticalisation
3.1. Inaliénabilité vs aliénabilité
3.2. Possession inaliénable
3.2.1. Constructions génitivales avec termes de parenté
3.2.2. Constructions génitivales avec parties du corps
3.2.3. Grammaticalisation ou double génitif ?
3.3. Possession aliénable
3.3.1. Construction directe
3.3.2. Construction indirecte
3.3.3. Comparaison des constructions directe et indirecte
3.4. Autres valeurs sémantiques des constructions génitivales
3.4.1. Relation partitive
3.4.2. Constructions génitivales dépourvues de lien référentiel : relation non-ancrante.
4. Conclusion
Chapitre 4: Relativisation
1. Introduction
1.1. Processus de nominalisation
1.2. Types sémantiques de relatives
1.3. Types syntaxiques de relativisation
1.4. Relative et nominalisation
2. Relativisation en syriaque
3. Critères sémantiques en syriaque
4. Critères syntaxiques et classification typologique
4.1. Stratégie à trou syntaxique
4.1.1. Relatives sujet
4.1.2. Relatives objet
4.2. Stratégie à pronom résomptif
4.2.1. Relatives sujet
4.2.2. Relatives objet
4.2.3. Relatives datives
4.2.4. Relatives obliques
4.2.5. Relatives génitivales
4.2.6. Relatives adjointes
4.3. Stratégie à équivalence casuelle
4.3.1. Relatives datives
4.3.2. Relatives obliques
4.3.3. Relatives adjointes
4.3.4. Le cas particulier d’une tête locative
4.4. Synthèse des résultats
5. Hiérarchie d’accessibilité
6. Relatives à tête nominale et sans tête nominale
6.1. Relative à tête nominale
6.2. Relatives sans tête nominale : relatives libres
6.2.1. Relatives libres à substitut
6.2.2. Relative à tête zéro, à tête pronominale ou nominalisation ?
7. Enchaînement de relatives sur une même tête
7.1. Relatives à tête nominale
7.1.1. Relatives de même fonction
7.1.2. Relatives de fonctions différentes
7.2. Relatives libres à substitut
8. Formes verbales et nominales dans les relatives
9. Phrases thétiques et relatives
10. Comparatif, superlatif et relatives

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