Le monde dans la littérature arendtienne

Un monde qui exclut la nature

Le monde est une notion qu’Hannah Arendt oppose à la nature dans ses écrits où elle parle d’un monde fait de main d’homme. Avant d’exposer l’opposition de ce monde artificiel à la nature, montrons d’abord dans quels textes arendtiens le terme « monde» est identifié à des choses fabriquées. Plus que tout autre ouvrage d’Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne présente le monde comme un ensemble d’objets produits par l’homme. Cela s’explique vraisemblablement par le fait que cet essai dans lequel son auteure propose de distinguer les activités de la vita activa (le travail, l’oeuvre et l’action) s’avère le seul de ses livres où elle consacre un chapitre complet à l’activité de fabriquer des chos~s du monde, c’ est-àdire le cinquième chapitre qui porte sur « L’oeuvre» (CHM, 187-230). Mais, dès le premier chapitre de cet essai, on peut lire que « le monde dans lequel s’ écoule la vita activa consiste en objets produits par des activités humaines» (CHM, 43), que « le monde où nous naissons n’ existerait pas sans l’activité humaine qui l’a produit » (CHM, 59). Il est d’ ailleurs très régulièrement répété que c’est un monde d’objets ou de choses7, plus précisément un monde fait de main d’hommeS (man-made world).

Une telle fréquence est, comme nous le verrons dans le présent chapitre, de loin supérieure à ce qu’on trouve dans le reste de la littérature arendtienne. Condition de l ‘homme moderne offre aussi, comme nous l’exposerons dans les chapitres ultérieurs de ce mémoire, beaucoup plus d’exemples d’objets illustrant la composition de ce monde artificiel. Il est néanmoins question du monde dans bien d’autres livres d’Arendt. En effet, elle usait déjà fréquemment de ce mot dans Les Origines du totalitarisme et elle a continué de l’employer dans La crise de la culture. Vérifions si, dans ces deux ouvrages, le terme « monde» renvoie également aux objets faits par l’homme. Dans le recueil Between Past and Future, qui fut rebaptisé La crise de la culture en français, son essai éponyme intitulé « La crise de la culture » nous apparaît une bien meilleure référence que les autres pour comprendre le concept arendtien de monde. Le monde dont il est question dans l’essai « La crise de la culture» correspond à des choses du monde.

Plus précisément, il désigne des « objets et choses du monde, produits par le présent ou par le passé» (CC, 266, je souligne). Autrement dit, il s’agit de choses qui font partie d’un «monde fabriqué par l’homme» (CC, 267), d’objets dont la production contribue à « l’érection, la construction et la décoration du monde des choses dans lequel nous nous mouvons» (CC, 276). Cette identification du monde à des choses faites par l’homme n’est cependant pas exclusive à l’essai « La crise de la culture ». On la retrouve aussi dans d’autres essais du recueil La crise de la culture: premièrement, dans l’essai « Le concept d’histoire », il est question pendant deux pages du « monde édifié par la fabrication» (CC, 81-82) ; en second lieu, dans l’essai « Qu’est-ce que l’autorité? », une phrase évoque «la capacité humaine de construire, préserver et prendre à coeur un monde» (CC, 126) ; et, troisièmement, dans l’essai « La crise de l’éducation », le monde est décrit une fois comme le produit de « l’ oeuvre de nos mains par laquelle chacun de nous contribue à notre monde commun» (CC, 239). Dans ces trois cas, le caractère fabriqué du monde est cependant affIrmé de manière générale, sans désigner des choses du monde bien précises. C’est justement là-dessus que l’essai« La crise de la culture» se distingue: le terme «monde» n’y réfère pas vaguement à toute chose faite par l’oeuvre de nos mains, mais désigne très spécifIquement les oeuvres culturelles. Il y a même plusieurs exemples d’objets culturels dans l’essai « La crise de la culture ».

Si ce texte est bien plus explicite que les autres essais du même recueil sur les choses qui font partie du monde résultant de l’activité fabricatrice, c’est vraisemblablement parce que « la culture concerne les objets et est un phénomène du monde» (CC, 266)10. La plupart des phénomènes examinés par Hannah Arendt dans les autres essais de La crise de la culture (la tradition, l’histoire, l’autorité, la liberté, la vérité en politique et la pensée scientifIque) ne concernent pas tant les relations des hommes avec les choses du monde fabriqué de mains humaines, mais plutôt les rapports qu’ils ont entre eux dans ce monde, c’est-à-dire leurs relations humainesll . Il en va de même pour Les Origines du totalitarisme qui porte bien davantage sur les rapports entre humains que sur leurs rapports aux objets. Plus précisément, cet ouvrage en trois tomes, qu’on appelle parfois simplement Les Origines, expose comment les relations humaines ordonnées par l’antisémitisme et l’impérialisme ont préparé le terrain, au cours du XIXe siècle, à l’apparition du totalitarisme au XXe siècle. Mais il aborde beaucoup moins que « La crise de la culture» et Condition de l ‘homme moderne la manière dont se sont transformées les relations des hommes aux objets du monde à la même époque. Cela peut expliquer pourquoi, dans Les Origines, l’usage du mot « monde» demeure souvent flou. Bien que ce terme y apparaisse à presque toutes les pages, généralement pour qualifier les guerres mondiales (World Wars) et d’autres phénomènes qui concernent tous les coins de Terre habités par l’homme, Hannah Arendt précise rarement d’où provient le monde, qu’est-ce qui le caractérise et en quoi il consiste.

Le cycle naturel du travail

Nous avons vu que la nature, selon Arendt, correspond à un processus par lequel « les objets du monde finiront par se corrompre, par retourner au processus naturel global d’où ils furent tirés» (CHM, 188). La référence à la corruption dans ce contexte fait penser aux divers procédés naturels microscopiques par lesquels les choses que nous produisons se détériorent puis se décomposent. Mais la nature telle que la conçoit Hannah Arendt consiste aussi en des processus biologiques à plus grande échelle auxquels chacun de nous participe quotidiennement. Surtout dans le chapitre de Condition de l ‘homme moderne sur le travail, la nature est présentée comme le mouvement cyclique de la vie qui se manifeste chez les organismes vivants à travers leur travail et leur consommation. Arendt l’énonce en s’appuyant sur les compréhensions de Marx et de Locke : «[Pour Marx,] travail et consommation ne sont que deux stades du cycle perpétuel de la vie biologique. Ce cycle a besoin d’être entretenu par consommation, et l’activité qui fournit les moyens de consommation, c’est l’activité de travail. Tout ce que produit le travail est fait pour être absorbé presque immédiatement dans le processus vital, et cette consommation, régénérant le processus vital, produit 0 ou plutôt reproduit 0 une nouvelle « force de travail » nécessaire à l’ entretien du corps. Du point de vue des exigences du processus vital, de la « nécessité de subsister », comme disait Locke, le travail et la consommation se suivent de si près qu’ils constituent presque un seul et même mouvement qui, à peine terminé, doit se recommencer. » (CHM, 145-146)

Dans ce cycle naturel du travail et de la consommation dont parle Arendt, le mot « consommation» ne réfère pas à l’achat de marchandises, mais plutôt à « ce que le corps fait de façon plus intime encore lorsqu’il consomme de la nourriture» (CHM, 146). Quant au « travail », en tant qu’ « activité qui fournit les moyens de consommation» (CHM, 145), il semble donc consister à pourvoir en denrées comestibles. Le cycle naturel de la vie dont parle Arendt est-il donc strictement alimentaire? Moins fréquemment que le travail de procurer des VIvres, d’autres exemples d’activités soumises au cycle de la vie sont occasionnellement évoqués dans Condition de l ‘homme moderne. Lorsque son auteure rappelle la vie familiale traditionnelle, elle mentionne, en plus du travail d’alimenter la famille, le travail d’enfanter: « La subsistance individuelle était la tâche de l’homme, la perpétuation de l’espèce celle de la femme, voilà qui était évident; et ces deux fonctions naturelles, [le t~avail de l’homme qui pourvoit en nourriture et le travaH de la femme qui donne naissance], étaient soumis aux mêmes contraintes vitales. La communauté naturelle du foyer naissait, par conséquent de la nécessité, et la nécessité en régissait toutes les activités. » (CHM, 68) En effet, l’accouchement est un travail non moins nécessaire à la vie de l’espèce que le travail de procurer des vivres aux membres de l’espèce26

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Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION
Chapitre 1: MONDE ET NATURE
Le monde dans la littérature arendtienne
a) Un monde qui exclut la nature
b) Un monde qui inclut la nature
Le cycle naturel du travail
Chapitre II : LE MONDE DES OBJETS D’USAGE
De durables objets fabriqués
La consommation des objets d’usage
Chapitre III : LE MONDE CULTUREL
Les objets culturels: des choses mondaines
OEuvres culturelles et articles de divertissement
Beauté et inutilité des oeuvres culturelles
Chapitre IV : MONDE COMMUN ET DOMAINE PUBLIC
Le domaine public
Les lois et murailles de la cité
Des bâtiments culturels
Le monde commun
a) Le monde commun: un entre-deux
b) Un monde commun artificiel et durable
c) Un monde commun qui contient un domaine public
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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