Le modèle hiérarchique comme référence organisationnelle

Avec l’arrivée d’Internet et des réseaux d’échanges peer-to-peer se sont développés des groupes de personnes travaillant ensemble sur des projets, la plupart du temps tournant autour des connaissances et de leur partage. Ces groupes se sont exportés hors ligne, particulièrement dans les domaines des arts et de la culture. Des auteurs comme Michel Bauwens (2015) et Bernard Stiegler se sont penchés sur ce nouveau phénomène d’organisation sociale. Ils voient ces groupes comme à la fois une cause et un symptôme des changements économiques, politiques et sociaux qui émergent dans la société capitaliste et individualiste actuelle.

Ces groupes de réflexion et de production commencent d’ailleurs à prendre une part de plus en plus importante dans le secteur quaternaire, ou économie de l’information. On peut nommer entre autres Wikipedia (Lejeune, 2011), dont la communauté de contributeurs est bien connue du grand public et dont l’utilisation a supplanté celle de l’Encyclopedia Universalis, aujourd’hui en dépôt de bilan. De ce fait, la recherche à tout intérêt à se pencher sur cette nouvelle forme d’organisation, qui pourrait bien gagner en importance durant les prochaines années, et peut-être même remplacer les modèles organisationnels dominants aujourd’hui.

Plusieurs travaux de recherche s’intéressent à ces nouvelles formes organisationnelles. En premier lieu, les travaux de Michel Gensollen (2004) sur les communautés numériques et de Christophe Lejeune (2011) sur les collectifs médiatisés font ressortir la forme particulière de ces groupes qui émergent sur Internet. Également, les travaux de Laurent Simon (2009) sur les collectifs créatifs, qui portent sur l’exportation des groupes numériques dans le domaine de la création artistique. Plus généralement, on pourra citer les travaux de Patrick Cohendet (2003, 2010) sur les communautés de pratique, l’innovation et la créativité, qui ont contribués à s’intéresser aux relations entre les groupements artistiques, techniques ou culturels et les entreprises.

Organisations traditionnelles : entre hiérarchie et communautés

Dans cette section, nous allons présenter les deux principales formes d’organisation de l’activité productive à l’heure actuelle. La première, la hiérarchie, est présente dans une majorité des entreprises et ce depuis de nombreuses années. La seconde, les communautés, a été mise à jour il y a une vingtaine d’années par la recherche et diffère en de nombreux points de la hiérarchie. Nous verrons les différences entre ces deux formes d’organisation et les synergies qu’elles entretiennent. Cette première phase dans la revue de la littérature est importante pour situer les dynamiques actuelles en termes d’organisation, afin de poser les bases de notre réflexion sur le collectif en tant que nouvelle organisation.

Le modèle hiérarchique comme référence organisationnelle

Qu’est-ce que la hiérarchie ?

S’appuyant sur les travaux d’Oliver E. Williamson, Adler (2001) présente la hiérarchie comme une forme idéale-typique d’organisation, à l’instar du marché et de la communauté. La hiérarchie se définit comme une forme d’organisation qui utilise l’autorité en tant que pouvoir légitime pour créer et coordonner une division du travail horizontale et verticale (Adler, 2001). Dans une organisation hiérarchique, le pouvoir décisionnaire est tenu par les personnes aux postes les plus élevés. Généralement, la position des acteurs en fonction de leur responsabilité et de leur pouvoir sur les autres acteurs est représentée graphiquement par un organigramme. A l’origine utilisée comme alternative au marché pour réduire les coûts de transaction, la hiérarchie s’est établie comme principale forme d’organisation dans les entreprises traditionnelles. La hiérarchie fait partie des cinq types structurels de coordination des hommes, identifiés par Mintzberg dans son ouvrage de 1979, The Structuring of Organizations. Chaque type structurel va de pair avec un mécanisme de coordination des tâches : structure simple et supervision directe des tâches (hiérarchie) ; bureaucratie mécaniste et standardisation des procédés (procédures) ; structure divisionalisée et standardisation des résultats (budgets) ; bureaucratie professionnelle et standardisation des qualifications (compétences) ; adhocratie et ajustement mutuel (collaboration). Mintzberg (1979) positionne la hiérarchie comme la coordination du travail par l’intermédiaire d’une seule personne, qui donne les ordres et instructions à plusieurs autres personnes travaillant en relation.

La hiérarchie vue par les coûts d’agence

Casson (1994) élabore deux raisons qui expliquent pourquoi les entreprises utilisent une forme d’organisation hiérarchique : la surveillance et le contrôle. Dans un premier temps, la hiérarchie facilite la surveillance, relativement aux coûts d’agence que subit l’organisation. Il est plus aisé pour un supérieur hiérarchique possédant un pouvoir légitime de surveiller le travail d’un subordonné que si la relation hiérarchique n’existait pas. Dans un second temps, les relations de contrôle entre un supérieur et son subordonné émergent naturellement dès lors que le supérieur possède des informations déterminantes que ne possède pas le subordonné. Dans une organisation hiérarchique, les connaissances sont donc difficiles d’accès, et concentrées aux niveaux les plus hauts de la hiérarchie.

Afin d’éclairer l’apport de Casson (1994), il convient d’expliciter la notion « coûts d’agence » auquel il fait référence. Les coûts d’agence viennent de la théorie de l’agence, qui a été développée par Michael Jensen et William Meckling dans un article fondateur paru en 1976. La théorie de l’agence étudie les conséquences économiques de la séparation entre les actionnaires et les gestionnaires d’une organisation. Les premiers sont propriétaires du capital, tandis que les seconds sont les managers et salariés qui gèrent l’organisation. La théorie de l’agence propose d’expliciter la relation entre les actionnaires et les gestionnaires par le biais de la relation d’agence. Jensen et Meckling (1976) définissent la relation d’agence comme « un contrat selon lequel une personne (l’agent) s’engage auprès d’une autre personne (le principal) à effectuer un service en son nom, ce qui implique la délégation d’une partie du pouvoir décisionnel à l’agent » (p. 308). Cependant, il se peut que le principal et l’agent n’aient pas les mêmes intérêts, et que l’agent n’agisse pas au bénéfice du principal. Dans ce cas, le principal pourra limiter ces divergences par le biais d’incitations et en surveillant l’activité de l’agent. Ces méthodes peuvent prendre plusieurs formes, qu’elles soient monétaires ou non, et entraînent invariablement des coûts, que l’on appelle coûts d’agence.

Casson (1994) nous montre que la hiérarchie est un outil peu coûteux qui sert efficacement le principal dans sa relation avec l’agent. En effet, la surveillance du supérieur envers le subordonné est intégrée dans les relations hiérarchiques, ce qui réduit les coûts d’agence supplémentaires liés à la surveillance de l’activité de l’agent.

La théorie de l’agence nous permet de mieux comprendre la mise en place d’une organisation hiérarchique dans une organisation. Cependant, d’autres modèles de gestion sont apparus efficaces dans la réduction des coûts d’agence sans pour autant avoir recours à la hiérarchie. C’est le cas de la coordination horizontale par les entreprises japonaises, très étudiées par Masahiko Aoki. Ce dernier propose dans un article de 1986 une comparaison entre les firmes étatsuniennes et japonaises. Il rapporte que les entreprises japonaises fonctionnent non pas par contrôle hiérarchique comme aux États-Unis, mais selon une coordination horizontale des unités de production. Le pouvoir en termes de décisions opérationnelles est diffusé auprès des salariés. Cette décentralisation du pouvoir décisionnaire permet d’utiliser les connaissances des salariés sur des problématiques opérationnelles locales pour débloquer plus rapidement et efficacement les situations problématiques. Or, Aoki (1986) rappelle qu’il faut éviter que ce partage de pouvoir ne soulève des problèmes de gestion stratégique entre les unités. La coordination horizontale ne peut donc fonctionner que si les salariés des différentes unités partagent efficacement leurs connaissances. Une accumulation de connaissances locales se fait au fil du temps parmi les salariés, grâce à une vision à long terme de la gestion générale de l’entreprise japonaise. Aoki (1986) oppose ainsi l’apprentissage continu des entreprises japonaises à la spécialisation qui caractérise les entreprises étatsuniennes.

La hiérarchie vue par les coûts de transaction

Les intérêts et les limites de la hiérarchie peuvent aussi être étudiés sous l’angle de la relation entre l’organisation et le marché par le biais de la théorie des coûts de transaction. Développés en grande partie par les travaux d’Oliver E. Williamson, les coûts de transaction se définissent comme des coûts directs ou indirects liés à un échange économique sur le marché. C’est Ronald H. Coase qui, dans son article « The Nature of the Firm » paru en 1937, a évoqué pour la première fois, sans les nommer, les coûts de transaction. En effet, il explique que pour réaliser une transaction sur un marché, on doit nécessairement rechercher ses contractants, leur apporter les informations nécessaires, poser les conditions du contrat, conduire les négociations, conclure le contrat et mettre en place un contrôle des prestations respectives des obligations des parties. Toutes ces actions afin de permettre l’échange économique induisent un coût, monétaire ou non ; ce sont les coûts de transaction.

Dans son article de 1979, Dahlman se propose d’aller plus loin et de grouper les coûts de transaction en trois catégories : les coûts de recherche et d’information, les coûts de négociation et de décision et les coûts de surveillance et d’exécution (p. 148). Il note que ces catégories ont un point commun central, et qu’on ne pourrait parler que d’un seul type de coût de transaction, celui des pertes de ressources encourues en raison d’une information imparfaite (p. 148). Williamson (1996) explique que la hiérarchie palie ce problème d’information. En effet, pour réduire les incertitudes, l’organisation peut intégrer ses partenaires externes et ne plus passer par le marché. Grâce à la hiérarchie qui crée et coordonne une division du travail horizontale et verticale (Adler, 2001), la production se déroule dans le cadre de l’organisation sans coûts de transaction liés au marché. Car, les coûts de recherche et d’information sont gérés en interne par une communication entre les salariés ; les coûts de négociation et de décision n’ont plus lieu d’être car ils ont été réalisés une fois pour toutes ; les coûts de surveillance et d’exécution sont garantis par l’ordre hiérarchique en place dans l’organisation.

Bien que les avantages de la hiérarchie soient conséquents en matière de réduction des coûts de transaction et de coordination de l’activité, elle peut amener de nouveaux inconvénients pour l’organisation. Entre autres, Williamson (1996) énonce que les coûts de bureaucratie sont plus élevés dans le cadre d’une organisation hiérarchique que par le marché, à cause de la gestion supplémentaire de salariés ; l’incitation pour les salariés à réaliser les activités est difficile à gérer, comme nous l’avons analysé avec les coûts d’agence ; l’organisation subit une perte importante en termes d’adaptation autonome à l’environnement, à cause de la rigidité de la structure hiérarchique par rapport au marché.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE
1.1. ORGANISATIONS TRADITIONNELLES : ENTRE HIÉRARCHIE ET COMMUNAUTÉS
1.1.1. Le modèle hiérarchique comme référence organisationnelle
1.1.2. Les communautés de pratique
1.1.3. Les communautés épistémiques
1.1.4. Quels liens entre hiérarchie et communautés ?
1.2. PEER-TO-PEER ET COLLECTIF : UNE NOUVELLE DONNE
1.2.1. Sauver le monde avec le peer-to-peer ?
1.2.2. Le modèle organisationnel du collectif
1.2.3. Une mise en pratique du collectif par le Fab Lab
1.3. QUESTION DE RECHERCHE
1.3.1. Mise en forme de la question de recherche
1.3.2. Cadre théorique mobilisé
2. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE
2.1.1. Pourquoi il est important de s’inscrire dans une épistémologie
2.1.2. Le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique
2.1.3. Justification du positionnement épistémologique
2.2. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.2.1. Grounded Theory : une méthodologie ancrée dans le terrain de recherche
2.2.2. Étude qualitative d’un cas unique
2.2.3. Présentation du cas : le Lieu de Fabrication Ouvert
2.2.4. Méthode de collecte des données
3. ANALYSE DES RÉSULTATS
3.1. POURQUOI S’ORGANISER : LES OBJECTIFS DE L’ORGANISATION
3.1.1. Autonomie et émancipation par la maitrise des technologies
3.1.2. Développement de l’esprit collectif par l’entraide et le partage
3.1.3. Partage des connaissances dans l’esprit de la culture libre
3.2. COMMENT S’ORGANISER : LE FONCTIONNEMENT DE L’ORGANISATION
3.2.1. Incitation : valeurs communes et liberté d’action
3.2.2. Coordination : non-hiérarchique et volontaire
3.2.3. Cognition : collective, libre, publique et en constante construction
3.3. DISCUSSION : QUELLE PLACE POUR LES COLLECTIFS ?
3.3.1. Mise en perspective du collectif
3.3.2. Le collectif, une nouvelle forme d’organisation de l’activité productive
CONCLUSION

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