Le milieu paysan traditionnel et l’émigration agricole vers l’Argentine : la Vallée de Tolomosa

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Le choix d’une division statistique de l’espace

De par sa taille, le Tarija est le plus petit département bolivien (37 633 km², 3,4 % du territoire national). Cependant, il est situé à la charnière des grands ensembles morphologiques du pays, traversé par les plissements andins dans sa partie occidentale et composé par une vaste étendue plane dans sa partie orientale. C’est cette diversité physique, et ses répercussions historiques, que nous étudierons tout d’abord (A) avant de proposer une division spatiale du territoire départemental en l’intégrant dans l’espace national (B).

La formation de l’espace régional

Le Tarija, situé au cœur de l’Amérique du Sud, à l’extrémité méridionale de la Bolivie, est bordé au nord par le département du Chuquisaca, à l’est par celui du Potosi, au sud par l’Argentine et à l’est par le Paraguay [cf. Carte I-1 en p. 28]. C’est sa position géographique, sur cette zone de transition constituée par la fin du monde andin et le début de la zone de plaine, que nous aborderons ici, en privilégiant deux approches : l’une physique et l’autre historique.

Un milieu naturel extrêmement varié

Le département se caractérise donc tout d’abord par une grande hétérogénéité dans sa structure morphologique qui a des implications sur le climat et la végétation [cf. Carte I-2 en p. 29 et Photos I-1 ci-contre]. L’ouest est composé de deux ensembles principaux : d’une part de hauts plateaux situés entre 3 200 et 3 600 mètres d’altitude, entourés par des montagnes culminant à 4 600 mètres ; d’autre part d’une série de hautes vallées, localisées entre 2 100 et 3 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, aux limites départementales du Tarija avec le Potosi et le Chuquisaca, les frontières coïncidant avec deux cours d’eaux (San Juan del Oro et Camblaya). Ces deux unités constituent la haute montagne de notre département et sont bordés à l’est par la cordillère1 de Sama. En contrebas débutent les vallées andines et subandines, qui composent l’essentiel du centre du département.
L’altitude des larges fonds des vallées andines, situées au centre-ouest du Tarija, s’échelonne entre 1 500 et 2 500 mètres, et les versants les entourant peuvent atteindre les 3 500 mètres. Il convient cependant de distinguer plusieurs sous-systèmes de vallées, puisque celles situées au nord et au sud sont nettement plus étroites que celles du centre. Enfin, l’ensemble est emprunté par les cours d’eau permanents du Pilaya (au nord) et du Guadalquivir (au centre). Plus à l’est, les vallées subandines, localisées dans le centre-est du département, se distinguent des vallées andines par des altitudes moins importantes : jusqu’à moins de 500 mètres pour les fonds de vallées, et plus de 1 500 pour les sommets les entourant. On retiendra l’existence de trois types de vallées subandines : au centre, les reliefs sont composés d’une série de cordons délimitant des vallées étroites ; à l’est, les fonds de vallées sont beaucoup plus larges ; et au sud, les basses vallées, encaissées. La partie tarijénienne des vallées subandines est bordée au nord par le cours d’eau du Pilcomayo et à l’est par la chaîne de l’Aguaragüe, dernier relief andin avant le piémont et la plaine du Chaco. L’ensemble chaquénien correspond aux terres basses du Tarija, dont l’altitude diminue progressivement selon un gradient ouest-est, de 600 à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, et traversé d’est en ouest par la principale rivière de notre département, le Pilcomayo.
L’étagement des reliefs du Tarija explique partiellement la variété des climats de la zone2 [cf. Carte II-4 en p. 71 pour une représentation des isoyètes à l’échelle départementale]. En effet, les températures sont liées aux altitudes, et les précipitations à la remontée de masses d’air humide du sud-est du continent sud-américain, qui, au contact du massif andin (tout d’abord de la chaîne de l’Aguaragüe, [cf. Photos I-1-d], puis des plissements subandins et enfin de la cordillère de Sama), s’élèvent, se refroidissent et provoquent des pluies. Au niveau départemental, on distingue de manière générale une saison froide et sèche durant la période hivernale (avril-septembre) d’une période relativement plus chaude et humide durant la saison estivale (octobre-mars), il convient cependant de distinguer d’importantes nuances. Ainsi le climat est aride et froid dans la haute montagne : les précipitations annuelles, selon les années, varient de 200 à 400 mm, et la température annuelle moyenne est inférieure à 14 °C3, avec des gelées fréquentes durant la moitié de l’année, et quasi quotidiennes entre juin et août. Plus à l’est, dans les vallées andines, les précipitations sont plus importantes, entre 400 et 1 200 mm par an selon la zone (les précipitations les plus importantes étant localisées au pied de la cordillère de Sama) ; les températures moyennes sur l’ensemble de l’année s’échelonnent entre 13 et 18 °C, et les gelées intermittentes entre les mois de mai et d’août. Dans le prolongement oriental, les précipitations enregistrées dans les vallées subandines sont généralement plus importantes (elles atteignent les 2 100 mm dans la pointe sud du département), les températures annuelles plus chaudes (moyennes annuelles de 16 à 27 °C dans les fonds de vallées), et les gelées hivernales peu significatives. Enfin, la partie chaquénienne4 du département peut être divisée en deux zones : au pied de l’Aguaragüe, les précipitations du piémont sont importantes (entre 1 000 et 1 200 par an) alors que celles de la plaine sont faibles (de 400 à 600 mm de pluies annuelles). Dans les deux cas, les températures moyennes annuelles y sont chaudes (entre 17 et 27 °C) et les jours de gels quasi inexistants. Finalement, on signalera la diversité de la couverture végétale de la zone, en relation avec la diversité des altitudes et des climats précédemment signalée. Ainsi dans la haute montagne, le sol est-il recouvert d’une végétation éparse, composée de rares petits arbustes et d’herbes de pampa [cf. Photos II-1, chapitre II]. On retrouve ces caractéristiques dans les vallées andines, avec une densité légèrement plus importante [cf. Photos II-2]. Dans les deux cas, l’érosion hydrographique et éolienne est très importante. Le processus de ravinement qui lamine les sols, même faiblement pentus, donne l’impression d’un champ de termitière sur lequel s’accroche une flore de plus en plus rare [cf. Photos H-5]. Au contraire, les vallées subandines se singularisent par une végétation nettement plus riche et luxuriante [cf. Photos II-3], et une érosion peu importante. Enfin, le Chaco, de par ses faibles précipitations, est composé de steppe d’épineux et de savane arbustive [cf. Photos II-4].
Dans le département du Tarija, on distingue donc principalement quatre grands ensembles, qui se déclinent selon un axe ouest-est : la haute montagne (entre 2 100 et 4 600 mètres d’altitude), froide et aride, composée de hautes vallées et de hauts plateaux ; les vallées andines (entre 1 500 et 3 500 mètres), plus tempérées et semi-arides ; les vallées subandines (entre 500 et 1 500 mètres), chaudes et humides et le Chaco (entre 300 et 600 mètres), aux températures douces, structuré par un piémont humide et une plaine aride. Ces unités s’inscrivent dans la continuité des grands ensembles physiographiques boliviens. Selon Montes de Oca (1995), la Bolivie se divise entre la région andine, montagneuse, et les plaines. Dans le cas du Tarija, la haute montagne et les vallées andines et subandines composent la partie sud de la zone montagneuse, et le Chaco s’intègre dans les plaines boliviennes. A l’intérieur de ces deux divisions majeures et selon la classification en 7 catégories de Montes de Oca5, les hauts plateaux du Tarija peuvent être assimilés à une avancée méridionale de l’altiplano6 ; les hautes vallées et les vallées andines à une continuation de la cordillère orientale ; les vallées subandines à une poursuite du subandin et la plaine du Chaco, associé à la plaine bénienne7, forme les terres basses de la Bolivie [cf. Carte I-3 au dos]. Si Montes de Oca ne délimite pas un piémont dans le sud du pays (sans doute pour sa modeste taille), il en signale un dans la partie septentrionale, entre le Sub Andino Norte et les llanuras del Beni, confirmant ainsi le prolongement de notre sous-région dans l’espace national.

La guerre du Chaco, vers l’intégration des plaines

Cependant, ces premiers succès dans la colonisation de l’orient tarijénien sont relatifs. Les missions perdent de leur importance, notamment suite à la migration des Indiens vers les plantations de canne à sucre du Chaco argentin, et les débouchés commerciaux diminuent rapidement avec la crise du marché argentin et l’essoufflement du front pionnier du caoutchouc (ROUX 2000). De plus, la présence des colons se limite aux vallées subandines et aux terres fertiles du piémont, l’immensité de la plaine du Chaco n’ayant pu être colonisée du fait de la pénurie en eau, en ressources humaines et en voies de communication. Cette situation est donc particulièrement favorable aux revendications argentines et paraguayennes sur un espace dont les frontières sont mal définies. Après l’échec des tentatives diplomatiques de résolution du conflit17, la Bolivie et le Paraguay se lancent dans une course aux fortifications frontalières. La découverte des premiers indices de présence de pétrole dans la zone18 et la nécessité pour les deux pays de mettre fin aux revers internationaux et aux annexions de territoires qui en découlent19 attisent les tensions. Ces politiques sont accompagnées d’incidents isolés entre les deux pays et, soutenues par des intérêts pétroliers internationaux concurrents, la Bolivie et le Paraguay entrent en guerre en 1933.
Si le Paraguay est relativement bien préparé au conflit (développement du réseau ferroviaire vers le Chaco, implantation de colonies, notamment mennonites20), il n’en va pas de même pour la Bolivie. Les voies de communication reliant le Chaco au reste du pays sont quasi inexistantes – à tel point que les fortins boliviens sont approvisionnés via l’Argentine – et la colonisation sporadique n’a pas totalement achevé la pacification des tribus (ROUX 2000). Le conflit se termine par un armistice en 1936 et par la Paix de Buenos Aires en 1938, avec des pertes très lourdes, en hommes (100 000 individus des deux camps), et en territoire pour les boliviens21.

Une révision nécessaire du découpage statistique bolivien

Nous nous proposons d’effectuer le maillage le plus fin possible de l’espace tarijénien tout en maintenant la possibilité de l’intégrer dans un découpage national plus large. Après une critique sommaire de la division statistique existante du Tarija, nous expliquerons les regroupements nécessaires à l’établissement d’un fractionnement précis de l’espace départemental mais pouvant s’insérer dans une division plus grossière, transposable au niveau national.

Pour une régionalisation fine du Tarija

Dès l’indépendance de la Bolivie, le découpage politico-administratif du nouvel Etat se base sur quatre niveaux : départemental (dirigé par un préfet), provincial (sous-préfet), cantonal et vice-cantonal (dont le responsable est le corregidor). Dans le cas du Tarija, la mise en place du niveau provincial s’étale sur l’ensemble du XIXe siècle et débouche sur le découpage de 6 unités, dont les limites évoluent légèrement au cours du XXe siècle. Ces provinces sont aujourd’hui nommées : Cercado, Méndez, Avilés, O’Connor, Arce et Gran Chaco. Le découpage cantonal, influencé par le poids démographique de chaque unité, a fortement évolué depuis deux siècles. Il faudra attendre le milieu des années 90, et la décentralisation opérée par le gouvernement de Sánchez de Lozada, pour que soit créé, au plan national, un niveau politico-administratif supplémentaire : le municipio23, situé entre les échelles provinciale et cantonale24. Dans le cas du Tarija, deux provinces (Cercado et O’Connor) ne sont pas divisées, celle de Méndez est compartimentée entre les municipios d’El Puente et de San Lorenzo, celle d’Avilés entre ceux de Yunchará et d’Uriondo, celle d’Arce entre ceux de Padcaya et de Bermejo, et celle du Gran Chaco entre les municipios de Villamontes, Caraparí et Yacuiba [cf. Carte I-4 ci-contre pour les divisions administratives actuelles du département25].
Ces découpages respectent-ils l’hétérogénéité spatiale relevée plus haut dans ce chapitre ? Ce n’est pas le cas au niveau provincial, les provinces de Méndez et Avilés empiétant sur les hautes montagnes du Tarija et les vallées andines ; la province Arce est, quant à elle, divisée entre les vallées andines et subandines ; et, enfin, une partie non négligeable du Gran Chaco est englobée dans les vallées subandines. Pour ce qui est du maillage des municipios, il permet des regroupements restituant de manière plus fine la diversité du Tarija : El Puente et Yunchará constituent la haute montagne du Tarija, San Lorenzo, Cercado et l’ouest de Padacaya les vallées andines, l’est du Padcaya ainsi que les municipio de Bermejo, O’Connor et Caraparí les vallées subandines, et ceux de Villamontes et Yacuiba la partie chaquénienne. Cependant, ce découpage en municipio comporte des imperfections (tel le cas du Padcaya, localisé entre les vallées andines et subandines) et ne permet pas d’effectuer une division précise des quatre grandes régions naturelles du département. C’est donc l’échelle cantonale que nous privilégierons pour effectuer notre redécoupage du Tarija, cette unité politico-administrative respectant généralement l’hétérogénéité relevée précédemment. Ainsi les limites des hauts plateaux, des hautes vallées, des vallées andines du centre, du Nord et du Sud, et des vallées subandines, du Sud, du centre et de l’Est correspondent à des regroupements de cantons26. En revanche, l’utilisation du maillage cantonal ne permet pas la différenciation du piémont de la plaine du Chaco, deux ensembles empiétant sur l’immense canton de Villamontes (plus de 10 000 km²)27 et sur ceux de Caiza, Aguayrenda et Yacuiba. C’est donc manuellement que nous avons effectué le découpage du piémont, en délimitant une bande de 15 kilomètres de large, entre la ligne de crête de l’Aguaragüe et la plaine, cette dernière étant constituée par le reste du Chaco. Un repérage du positionnement des localités de l’INE28 nous a permis d’effectuer les regroupements nécessaires à la prise en compte de ce nouveau découpage29.
Finalement, notre propre découpage représente la décapartition du Tarija et son regroupement en quadriparition [cf. Carte I-5 ci-contre]. Ainsi la haute montagne est-elle composée des hautes vallées et des hauts plateaux ; les vallées andines de trois sous-ensembles : Nord, centre et Sud ; les vallées subandines de sous-unités : centre, Sud et Est ; et enfin le Chaco, du piémont et de la plaine. Cette division, qui se calque sur la mosaïque du milieu du Tarija, tient compte de la diversité des formes de peuplement associées. Nous l’emploierons lors de la présentation démo-spatiale du département [cf. chap. II]. Notons dès à présent que, si la décapartition du Tarija représente un maillage dont l’échelle nous semble pertinente, nous ne pourrons l’utiliser que pour discrétiser des données provenant du recensement de population de l’INE de 2001 et de nos enquêtes. La quadripartition, quant à elle, nous permet, après certains ajustements30, d’utiliser les recensements antérieurs : 1950, 1976 et 1992.
La carte I-5 fait aussi apparaître une autre division du Tarija : la bipartition. En effet, d’un point de vue physiographique comme historique, on a pu constater des différences importantes entre la haute montagne et les vallées andines d’une part, et les vallées subandines et le piémont et la plaine du Chaco d’autre part. Ce nouveau découpage pourrait s’apparenter à une différenciation entre l’Occidente du Tarija, froid, aride et au peuplement ancien, et l’Oriente, plus chaud et humide, et au repeuplement récent. Après une critique sommaire de la tripartition bolivienne, c’est cette distinction, et son prolongement au niveau national, que nous définirons.

Les évolutions démo-spatiales

La place occupée par le Tarija dans la diversité physique et historique de la Bolivie nous conduit maintenant à nous préoccuper de son incidence sur les comportements démographiques des populations habitant ce département. En effet, il convient de se demander dans quelle mesure ce dernier (391 226 habitants en 200137, 4,7 % de la population nationale) s’inscrit dans les grandes tendances démographiques de la Bolivie, et d’aborder ainsi les principales dynamiques de peuplement observées à l’échelle nationale et départementale. Pour cela, nous qualifierons les croissances démographiques bolivienne et tarijénienne et les principales dynamiques de redistribution de la population (A) ; nous étudierons ensuite cette redistribution selon la bipartition expliquée précédemment (B) ; puis nous terminerons par une étude plus précise de la place occupée par le département du Tarija comme récepteur et redistributeur de population à l’échelle nationale (C).

La croissance intense du peuplement depuis 1950

La croissance de la population est le fait de deux facteurs : l’accroissement naturel et les migrations. Après avoir brièvement abordé la question de la transition démographique, c’est sur la redistribution du peuplement que nous concentrerons notre analyse.

L’impact de la transition démographique

Les données utilisées pour l’analyse du peuplement proviennent essentiellement de l’INE, en charge des productions et analyses statistiques en Bolivie.
L’origine de ce type de travaux dans le pays remonte au XIXe siècle. L’Etat mène alors des études ponctuelles, donnant lieu à des estimations permettant de comprendre les grandes tendances du peuplement de la Bolivie, ce qui a engendré les comptages de la population de 1831, 1835, 1847, 1854, 1882 et 1900, dont les résultats sont difficiles à obtenir et pas toujours. Nous nous en servirons pour quantifier les grandes tendances de la croissance des populations bolivienne et tarijénienne entre 1847 et 1950.
En 1936 un organe étatique, spécialisé dans la production de données, voit le jour, afin de préparer le premier recensement de la population nationale, qui se déroule en 1950. En 1970, l’INE est créé et chargé de la diffusion des résultats de ce premier recensement, ainsi que de la préparation des suivants qui se déroule en 1976, 1992 et 2001. Notre analyse du peuplement portant essentiellement sur la période actuelle, nous nous limiterons essentiellement à l’emploi de ces quatre recensements, qui ont la réputation d’être fiables. Nous serons amenés à utiliser le sigle CNPV (Censo Nacional de Población y Vivienda) pour les nommer.
En 184738, la population bolivienne est estimée à 1 301 500 habitants. Un demi-siècle plus tard, lors du dénombrement de 1900, elle atteint 1 696 400 habitants, ce qui porte le taux moyen de variation annuel39 pour la période 1847-1900 à 0,5 % [cf. Fig. I-1, Tab. A-5 et A-6]. Ce croît annuel, relativement faible, peut être attribué aux crises de la deuxième moitié du XIXe siècle (guerre du Pacifique et Guerre Fédérale), ainsi qu’aux pestes et famines de 1879. La première moitié du XXe siècle est ensuite marquée par une augmentation du rythme de croissance de la population bolivienne qui atteint les 3 019 029 millions d’habitants en 1950, ce qui correspond à un croît annuel de 1,2 % pour la période 1900-1950. Ce n’est cependant que durant la deuxième moitié de ce siècle que la population de la Bolivie augmentera fortement, atteignant 4 613 486 habitants en 1976 (soit un taux moyen de variation annuel de 1,6 % pour la période 1950-1976), puis 6 420 792 en 1992 (croît annuel de 2,1 % pour la période intercensitaire de 1976-1992) et enfin 8 274 325 en 2001 (variation annuelle moyenne de 2,9 % pour l’intervalle 1992-2001).

Occidente/Oriente : une forte différenciation démographique

Notre approche démographique de l’évolution du peuplement du Tarija et de la Bolivie nous a jusqu’à présent amenés à étudier les grandes tendances sans distinction spatiale autre que la dichotomie urbain/rural. Nous tenterons maintenant de comprendre les différences liées à l’hétérogénéité spatiale évoquée plus haut, en privilégiant la division Oriente/Occidente qui permet une comparaison des échelles nationale et départementale. Notre analyse se fera autour de trois axes : l’évolution de la croissance de la population selon le milieu d’habitat entre 1950 et 2001, la structure par âge des habitants de l’Oriente et de l’Occidente selon le milieu d’habitat en 2001 et l’importance des non natifs selon la bipartition, toujours en 2001.

La croissance démographique amplifiée à l’est

Si durant les 50 dernières années on a pu remarquer une forte croissance démographique urbaine et une très faible croissance rurale, on peut s’interroger sur l’importance du phénomène selon l’hétérogénéité spatiale de la Bolivie. Nous tâcherons ici de mesurer les différences relevant de la dichotomie Occidente/Oriente à partir de 1950 (date à compter de laquelle nous disposons de données désagrégées nécessaires aux regroupements selon notre bipartition) au moment où l’augmentation de la population bolivienne s’accentue.
Selon les résultats obtenus à partir de la bipartition d’Andréa (2004) pour la Bolivie, la population urbaine de l’Oriente connaît un croît annuel moyen très soutenu durant la deuxième moitié du XXe siècle : 6,6 % entre 1950 et 2001 [cf. Fig. I-4 ci-dessus, Tab. A-7 et A-8]. Il en résulte que, si seulement 10,0 % de la population urbaine bolivienne vit dans l’Oriente en 1950, cette proportion passe à 37,4 % en 2001. Pour ce qui est de la population rurale orientale, malgré sa faible croissance entre 1950 et 2001 (variation annuelle moyenne de 1,5 %) sa part dans l’effectif rural national passe de 31,9 % en 1950 à 47,1 % en 2001. Cette augmentation s’explique principalement par une très faible croissance démographique dans l’espace rural de l’Occidente (0,2 % de croît annuel moyen entre 1950 et 2001), qui est aussi à l’origine de la diminution de l’effectif occidental dans la population nationale (73,5 % en 1950, 58,6 % en 2001). En parallèle, la population des villes de l’Occidente connaît une croissance soutenue, en produisant un taux moyen de variation annuel de 3,2 % entre 1950 et 2001. Cependant, cette croissance est largement inférieure à celle enregistrée dans les villes de l’Oriente, et ainsi la part de la population urbaine occidentale par rapport à la population urbaine nationale enregistre un important recul en passant de 90,0 % en 1950 à 62,6 % en 2001.
Dans le Tarija comme à l’échelle nationale, la croissance urbaine de l’Oriente est très forte (6,2 % de croît annuel moyen pour la période 1950-2001) et entraîne une augmentation importante de la part de la population urbaine du département vivant dans des villes orientales : de 23,0 % en 1950 à 44,0 % en 2001 [cf. Fig. I-4, Tab. A-9 et A-10]. Durant cette même période, la croissance de la population rurale de l’Oriente est faible (0,8 % de croît annuel moyen entre 1950 et 2001) ce qui se traduit tout de même par une légère augmentation de sa part dans l’effectif total des campagnes du département (42,6 % en 1950 et 45,9 % en 2001). Quant à l’Occidente tarijénien, l’évolution de la croissance démographique y est sensiblement similaire à celle observée à l’échelle bolivienne : la croissance urbaine y est soutenue (4,2 % de croît annuel moyen entre 1950 et 2001), mais inférieure à celle de l’Oriente, ce qui se traduit par une diminution de la part des urbains vivant dans l’espace occidental (77,0 % en 1950, 56,0 % en 2001). Autre aspect de l’analyse, la croissance de la population rurale de l’Occidente du département est très faible (0,6 % de croît annuel moyen entre 1950 et 2001) ce qui a pour conséquence une légère baisse de son importance dans l’effectif rural du Tarija (57,4 % en 1950 ; 54,1 % en 2001).
Qu’il s’agisse du Tarija ou de la Bolivie dans son ensemble, on aura noté la croissance exceptionnelle de la population urbaine de l’Oriente, largement supérieure à celles des villes de l’Occidente, qui est pourtant soutenue. La même tendance est observable en ce qui concerne la population rurale, même si elle est moins marquée dans le cas de notre département de référence.

L’Occidente marqué par l’exode rural

Si l’on constate, depuis 1950, une évolution de la répartition de la population en faveur des villes (particulièrement dans l’Oriente) au détriment des campagnes (particulièrement dans l’Occidente), il convient de se demander dans quelle mesure cela s’accompagne d’une évolution de la structure par âge de la population selon la bipartition et le milieu d’habitat.
Les pyramides des âges permettent une observation des structures démographiques en 2001 de la population rurale et urbaine, dans l’Occidente et l’Oriente [cf. Fig. I-5 ci-dessous]. Nous nous limiterons ici à des commentaires généraux concernant l’évolution de la population selon la bipartition retenue pour les raisons évoquées ci-dessus. Nous n’effectuerons pas de commentaires séparés pour les pyramides du Tarija et de la Bolivie, les légères différences observées entre elles n’étant pas assez importantes dans le cadre d’une présentation générale de la structure par âge des zones étudiées.
En milieu rural, les profils démographiques sont caractéristiques. Dans l’Oriente, on retrouve la forme évasée typique des pays à forte fécondité, la tranche d’âge la plus importante étant celle des 0-4 ans, et la diminution se faisant de manière régulière. On retiendra cependant une surmasculinité, révélant peut-être des prélèvements migratoires féminins ou de l’immigration masculine. Cependant, ceci est sans commune mesure avec ce qui s’observe dans la structure de la population rurale de l’Occidente, qui semble fortement marquée par l’émigration à deux niveaux. D’une part, les prélèvements sont bien apparents dès la tranche des 15-19 ans – ce qui érode la pyramide en forme d’ogive – et on constate d’autre part l’infériorité numérique des 0-4 ans par rapport aux 5-9 ans – conséquence probable de la réduction du nombre de femmes en âge de procréer. Ainsi la population rurale occidentale vieillit et son potentiel de reproduction est nettement diminué, évolution non encore perceptible dans l’Oriente.
Les pyramides urbaines sont moins contrastées si l’on considère la dichotomie Occidente/Oriente : la base se resserre malgré la surreprésentation de femmes jeunes, ce qui sous-entend une baisse de la fécondité en milieu urbain. A noter cependant l’homogénéité des 0-24 ans dans les villes de l’Occidente, suivie d’une rupture à partir de la tranche des 25-29 ans, évolution qu’on ne constate pas dans celles de l’Oriente. Cette différence pourrait s’expliquer par une attraction et/ou rétention des jeunes dans les villes occidentales, suivie d’une émigration des jeunes adultes60.
Ainsi, l’observation de la structure par âge selon la bipartition et le milieu d’habitat fait apparaître en 2001 des prélèvements migratoires très importants dans l’Occidente rural, des ruptures bien moins marquées dans les campagnes de l’Oriente et une surreprésentation des jeunes dans les villes occidentales, autant d’indicateurs supplémentaires de la complexité des mécanismes de la répartition de la population dans le Tarija et en Bolivie, et de la pertinence du discernement des espaces occidentaux et orientaux.

Plus de mouvements migratoires dans l’Oriente

L’étude du lieu de naissance suivant la bipartition, au niveau du Tarija comme de la Bolivie tout entière, peut nous donner une indication complémentaire sur l’attractivité différenciée des ensembles occidental et oriental et de leur exposition aux flux de l’immigration.
La figure I-6 [cf. page suivante] montre l’importance de la présence de non natifs dans les Occidente et Oriente tant tarijéniens que nationaux au moment du recensement de population de 2001.
A noter que les données diffusées par l’INE ne désagrègent pas les lieux de naissance en dessous du niveau départemental, ce qui limite notre analyse aux migrations interdépartementales. Néanmoins, les résultats sont concluants : 13,1 % des individus recensés dans la Bolivie occidentale (631 268 sur 4 846 164) ne sont pas natifs de leur département de résidence actuelle, proportion qui est de 22,1 % pour la partie orientale (757 599 sur 3 428 161). Dans le Tarija, la tendance est la même, mais amplifiée : 23,0 % des habitants de l’Occidente tarijénien sont nés en dehors du Tarija (49 698 sur 166 554), proportion qui atteint les 32,7 % pour ce qui est des habitants de l’Oriente (57 214 sur 174 974).
Ainsi notre analyse démographique selon la bipartition Occidente/Oriente fait-elle ressortir plusieurs tendances : l’étude de la croissance de la population a souligné le développement exceptionnel des villes orientales, l’observation de la structure par âge une importante émigration des jeunes depuis l’Occidente rural et l’examen de la part des non natifs l’attractivité particulière exercée par l’Oriente. Ces constatations indiquent donc une évolution différenciée du peuplement de la Bolivie et du Tarija selon la bipartition physique et historique révélée en début de chapitre, signalant de manière générale des mouvements migratoires en faveur de l’Oriente, et dans une moindre mesure vers les villes occidentales, au détriment des campagnes de l’Occidente. Autre élément de notre analyse, le parallèle effectué entre la Bolivie et le Tarija nous indique une fois de plus que le département s’inscrit dans la dynamique nationale. Cependant, la présence dans le Tarija d’une proportion de non natifs supérieure à la moyenne nationale nous encourage plus spécifiquement à nous interroger sur la place occupée par notre département de référence dans les migrations interdépartementales boliviennes, mais également à l’échelle internationale.

Les transferts de population entre départements

C’est par un aperçu de l’importance des migrations interdépartementales en Bolivie que nous terminerons cette présentation des processus démo-spatiaux du Tarija. Retenir ce maillage pour notre analyse est critiquable (les départements englobent différentes zones écologiques, différents milieux d’habitat, et comptent des effectifs variant considérablement d’une unité à l’autre61), mais il permet l’emploi de données migrations des recensements INE 1976, 1992 et 200162, non disponibles à l’échelle infradépartementale. Notre approche sera double : appréhender l’importance de l’immigration vers le Tarija, et aborder la question de la redistribution de la population entre le département et le reste du pays.

Un solde migratoire positif et en constante augmentation

Entre 1950 et 2001, la croissance démographique du Tarija est l’une des plus fortes de la Bolivie [cf. Fig. I-7 ci-dessus]. En effet, avec un croît annuel moyen de 2,6 %, le département se situe derrière le Santa Cruz (4,2 %) et le Beni (3,2 %), mais loin devant le Potosi (0,7 %), le Pando (1,4 %)63, l’Oruro (1,4 %) et le Chuquisaca (1,4 %), proche du département de La Paz (2,0 %) et du Cochabamba (2,3 %). Cette position peut-elle être attribuée à une croissance naturelle plus importante ? On suppose certes au Tarija un croît naturel supérieur à celui de la moyenne nationale, mais pas au point de générer de telles disparités [cf. supra]. Dès lors, l’influence distributrice des migrations est primordiale. C’est donc sur l’importance des mouvements migratoires boliviens vers le Tarija que nous axerons notre analyse.
Les données produites par le Codepo (2004) nous renseignent sur les grandes tendances des mouvements de population interdépartementaux en Bolivie. Pour cela, elles s’appuient sur le calcul
Si les variations de la croissance selon les périodes intercensitaires ne sont généralement pas importantes, il convient tout de même de signaler le cas du Pando, dont le croît annuel moyen de la population est très faible pour les périodes 1950-1976 (1,0 %) et 1976-1992 (0,6 %) mais l’un des plus forts des départements boliviens entre 1992 et 2001 (3,6 %).

Des signes d’instabilité résidentielle

C’est sur la composition de ce solde migratoire que nous nous interrogerons maintenant. En effet, si la croissance du Tarija et son taux de migration nous laissent supposer qu’il s’agit d’un des départements fortement structurés par l’immigration interne bolivienne, il convient de s’interroger sur sa fonction redistributrice à l’échelle nationale. Les données disponibles à ce sujet excluent toute étude détaillée du phénomène, mais les résultats des recensements de l’INE fournis par le Codepo (2004) autorisent une distinction des grandes tendances. Ils se basent sur deux questions : le lieu de naissance et le lieu de résidence cinq années avant le recensement, et sont disponibles pour les années 1976, 1992 et 2001.

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Table des matières

Introduction générale
Première Partie – La dynamique démo-spatiale du Tarija : les éléments d’analyse
Chapitre I – Le Tarija, miroir de la complexité géographique bolivienne
Chapitre II – Un milieu hétérogène : mise au point d’une méthodologie
Deuxième Partie – Une agriculture en crise et des stratégies migratoires différenciées
Chapitre III – Le milieu paysan traditionnel et l’émigration agricole vers l’Argentine : la Vallée de Tolomosa
Chapitre IV – La colonisation agricole récente et l’émigration vers les villes boliviennes : la communauté de Caigua
Troisième partie – De complexes noyaux urbains redistributeurs de population
Chapitre V – L’inertie du centre régional historique de l’Occidente : la ville de Tarija
Chapitre VI – L’émergence de l’urbain dans l’Oriente à travers ses logiques migratoires : la ville de Villamontes
Conclusion générale
Bibliographie citée
Bibliographie par thème

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