Le meta-lobbying ou comment les entreprises influencent les décisions des organisations intergouvernementales

Comme objet de recherche, les stratégies politiques des entreprises sont un sujet récent et centré sur le niveau national de décision politique. Des travaux de recherche visant à décrire l’action politique dans l’Union Européenne se sont toutefois développés depuis une douzaine d’années (Getz [2002 : 308]). Cet «eurolobbying » a certaines singularités, liées aux caractéristiques institutionnelles du niveau supranational européen et à la rencontre de différentes traditions, qui rendent la pratique du lobbying plus complexe, mais aussi plus répandue qu’au niveau national des Etats-membres de l’U.E. (Dahan [2003 : 167-169]).

Le niveau de décision supérieur, celui des organisations intergouvernementales mondiales, semble faire l’objet de moins d’intérêt. Les chercheurs sont pourtant invités à s’intéresser aux stratégies politiques internationales (Meznar [2002], Windsor [2002 : 405]), puisque, dans une économie globale, les stratégies politiques des entreprises ne peuvent plus être pensées seulement en terme « uni-national » (Meznar [2002 : 330]). L’internationalisation des entreprises a en effet un impact sur les stratégies politiques et confronte les entreprises à différents types d’Etats, démocratiques ou autoritaires, socialistes ou capitalistes (Meznar [2002]). Un certain nombre d’études ont d’ailleurs été menées dans cette direction, et insistent sur le lien entre institutions politiques nationales et comportements politiques (Boddewyn et Brewer [1994], Hillman et Keim [1995]). Ces travaux, qui sont les plus fréquemment cités à propos des stratégies politiques internationales des entreprises (Shaffer [1995], Meznar [2002]), se rattachent en fait à la question des stratégies hors marché multi-domestiques (Baron [1995b]).

Les stratégies politiques des entreprises 

Nous adoptons d’emblée une vision de l’entreprise comme située dans un environnement de marché mais aussi dans un environnement « hors marché » composé des « arrangements sociaux, politiques et légaux qui structurent les interactions entre les entreprises et leur public » (Baron [1995a : 73]). Cet environnement hors marché, qui inclut les pouvoirs publics, suscite de la part de l’entreprise une « stratégie hors marché » (ibid., p. 73). L’entreprise est ainsi vue comme capable d’agir sur son environnement hors marché et non de le subir comme une donnée (ibid., p. 75).

Le concept de « parties prenantes » ou « stakeholder » (Freeman [1983]) permet lui aussi d’inclure les acteurs politiques dans l’environnement de l’entreprise. Les parties prenantes sont « des groupes ou des individus qui peuvent affecter et sont affectés[1] par la réalisation de la mission de l’organisation » (ibid., p. 38) et vis à vis desquels l’entreprise peut agir pour qu’ils soient plus favorables ou moins défavorables à l’entreprise (ibid., p. 49). Un dernier concept voisin des deux précédents est celui des stratégies relationnelles qui visent à établir des relations privilégiées avec certains partenaires parmi lesquels l’Etat (Anastossopoulos et al. [1985 : chapitre 4] et Stratégor [1997 : chapitre 11]).

Ces trois concepts permettent de voir l’Etat comme un acteur de l’environnement de l’entreprise et comme une cible potentielle pour une stratégie menée par l’entreprise dans l’objectif de faire évoluer son environnement. A la suite d’Attarça, nous qualifions cette stratégie de « politique ». Plus précisément nous retenons une définition de la stratégie politique comme « un ensemble d’activités relationnelles en rapport avec des institutions publiques, ou en rapport avec un processus de décision publique » (Attarça [2002 : 3]). Implicitement cette définition est plus large que celle d’Epstein, sur laquelle Attarça s’appuie, qui voit les activités politiques comme « toutes les activités engagées avec l’intention d’orienter, d’affecter ou d’influencer l’action gouvernementale » . Elle nous permet de prendre en compte différents niveaux de décision publique, le niveau gouvernemental et national, ou même local, ou mettant en jeu une collectivité d’Etats.

Les entreprises, des acteurs politiques 

Nous cherchons ici à situer les entreprises comme acteurs politiques, c’est à dire qui tentent d’intervenir sur les décisions publiques par des stratégies politiques. Attarça [1999] et Dahan [2003] proposant chacun une large revue de la littérature sur les stratégies politiques des entreprises , nous n’en exposons que les principaux résultats . Nous nous concentrons ensuite sur quelques points spécifiques dont les données de terrain ont rapidement montré l’importance particulière pour notre objet de recherche : les modes d’influence utilisés par les entreprises , l’action politique collective  et les ressources politiques .

Les entreprises face aux décisions publiques 

Les effets des décisions publiques 

Les décisions publiques peuvent prendre différentes formes bénéfiques pour une industrie (Stigler [1971]) . Elles peuvent aussi prendre la forme de contraintes notamment dans le domaine de l’environnement où entreprises et pouvoirs publics sont souvent des adversaires (Vogel [1996 : 153]). Enfin, l’Etat peut avoir un rôle de client (commandes publiques) ou de fournisseur (de services ou de matières premières) pour les entreprises (Stratégor [1997 : 251-252]). En fait, les décisions publiques peuvent mettre des obstacles au développement des entreprises mais offrent aussi des opportunités stratégiques fondées sur les nouvelles règles du jeu (Nioche et Tarondeau [1998 : 70]). Selon les cas, les effets des décisions publiques peuvent être individuels – une entreprise aux dépens des autres – (Mitnick [1981]) ou collectifs – un groupe stratégique (Yoffie [1987]) ou une industrie (Stigler [1971])7 aux dépens d’un autre. Au total, une caractéristique générale des réglementations touchant les entreprises est leur effet différentiel (Dahan [2003 : 62]).

Les objectifs des stratégies politiques

De nombreuses études de cas sur les effets des réglementations sont sous-tendues par les concepts d’avantage concurrentiel et de barrières à l’entrée (Dahan [2003 : 52 et 61]). Mener une stratégie politique pour influencer la réglementation peut alors conduire à un avantage concurrentiel durable, selon un cheminement que Dahan s’efforce d’expliciter. Se référant à l’approche fondée sur les ressources , Dahan considère que certaines ressources politiques permettent à l’entreprise d’obtenir un accès politique, qui, grâce à la mise en oeuvre d’autres ressources politiques, peut conduire à un avantage politique durable [2003 : 96 et suiv.]. Plus précisément, certaines ressources (des ressources relationnelles par exemple) donnent directement un accès politique, d’autres ressources (l’organisation collective de la représentation des intérêts par exemple) donnent une  légitimité politique – supérieure ou inférieure à celle d’autres acteurs – et l’ensemble se combine pour donner accès au décideur politique (ibid., p.270-272).

L’avantage politique (c’est à dire une capacité à influencer) permet d’obtenir un avantage réglementaire, qui, s’il peut être exploité par les ressources stratégiques de l’entreprise, est lui même source d’avantage concurrentiel (Dahan [2003 : 96 et suiv.]). Après l’obtention d’un avantage politique durable, l’objectif de l’entreprise est donc que la réglementation corresponde aux ressources stratégiques dont elle dispose, dans une co-évolution durable (ibid., p. 76). Objectifs politiques et objectifs économiques sont donc articulés (Baron [1995b], Attarça [1999 : 390 et suiv.]).

Schuler rappelle toutefois que la relation entre les actions politiques de l’entreprise et une politique publique est difficile à mettre en évidence et que l’étape suivante, c’est à dire l’évaluation des conséquences d’une politique publique sur la performance d’une entreprise pose des problèmes pratiques et méthodologiques (Schuler [2002 : 344-348]).

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Table des matières

Introduction générale
PREMIERE PARTIE
LA CONSTRUCTION D’UNE RECHERCHE SUR LES STRATEGIES POLITIQUES DES ENTREPRISES DANS UNE ORGANISATION INTERGOUVERNEMENTALE
Chapitre 1 – Les stratégies politiques des entreprises
Chapitre 2 – La décision dans les organisations intergouvernementales
Chapitre 3 – La construction d’une problématique et d’un cadre d’analyse
Chapitre 4 – Méthode de recherche
DEUXIEME PARTIE
LE CODEX ALIMENTARIUS ET SON CONTEXTE
Chapitre 5 – Le Codex Alimentarius : une organisation internationale productrice de
normes
Chapitre 6 – Le Codex Alimentarius : une organisation devenue une référence
internationale
Chapitre 7 – Le contexte des travaux du Codex Alimentarius : les spécificités des
aliments pour l’activité réglementaire
TROISIEME PARTIE
L’ANALYSE DES CAS EMPIRIQUES
Chapitre 8 – La norme sur les eaux minérales naturelles
Chapitre 9 – Les « autres facteurs légitimes » ou O.L.F
Chapitre 10 – La norme sur les laits fermentés
Chapitre 11 – La limite maximale pour la patuline
Chapitre 12 – Les allégations santé
Chapitre 13 – Synthèse empirique transversale des dossiers
QUATRIEME PARTIE
LES ENSEIGNEMENTS SUR LA DECISION DANS LES ORGANISATIONS
INTERGOUVERNEMENTALES ET LES STRATEGIES POLITIQUES QUI Y SONT
MENEES
Chapitre 14 – Les organisations intergouvernementales : des lieux d’indécision
ponctuée de décisions
Chapitre 15 – La stratégie politique des entreprises françaises au Codex
Alimentarius : du lobbying au « meta-lobbying »
Conclusion générale
Bibliographie generale
Acronymes
Annexes
Index
Table des tableaux
Table des figures
Table des matières

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