Le longform multimédia : l’illustration réinventée?

Le longform multimédia : l’illustration réinventée? 

Depuis l’antiquité, l’oeuvre est régie par des règles qui régissent les rapports entre les différents arts, aussi appelés media: le dessin qui accompagne le texte ne doit pas être tout puissant, mais soumis au dessein du livre entier. L’usage des figures, que la rhétorique nomme « enargeia » ou « evidentia », est nécessairement subordonnée à l’objectif global de l’orateur ou du poète, au choix cohérent des matériaux du livre. Le livre ne peux ni se prêter à l’hétéroclite ni céder au manque d’unité, au risque d’apparaître comme monstrueux . Toutefois, dans l’art du livre, c’est à la  fin du XIXème siècle, grâce à des conditions technologiques et culturelles, que tout change. Il devient impossible de penser la profusion des images en termes d’union ou de fusion avec le texte. C’est l’entrelacement, l’interpénétration, ou l’immixtion qui seraient plutôt les termes adéquats. Les conséquences poétiques sont nombreuses, et les règles sont bouleversées. S’opère une rébellion de l’image, qui entend soudain passer au premier plan et soumettre le texte à sa loi . Ainsi, le montage  d’images sur une même page, qu’elle soit papier ou web, résulte d’une longue tradition, et la toute puissance qu’elle peut acquérir face au texte est un sujet de questionnement depuis plus d’un siècle. Le questionnement et les réflexions d’Evanghélia Stead, chercheuse spécialisée dans le livre fin-de-siècle à l’Université de Versailles- Saint Quentin en Yvelines, s’ancrent dans un contexte culturel bien précis. Si la question de l’intermédialité pose problème aux historiens et aux artistes depuis l’invention de la perspective, et l’édiction de ses règles par Alberti à la Renaissance, sa place au sein du débat n’a fait que grandir au fil des époques. Le paroxysme de cette fusion, ou con-fusion entre les arts, comme le souligne l’ouvrage de Stead, a lieu à la fin du XIXème siècle, sous l’influence d’artistes qui ont changé le visage de l’art, tel que Richard Wagner, dont le travail sur l’usage de tous les arts à la fois a permis de faire tomber les limites du champ d’action de chacun.

Cette expérience multimédia existe en théorie dès le grand essor de la presse et du journalisme, au milieu du XIXème siècle. L’utopie d’utiliser les arts, et donc les médias tous sensibles dans le but d’un récit a été dès le départ très lié au désir de récit journalistique. Historiquement, il est intéressant de noter que l’enregistrement d’une interview d’Eugène Chevreul par Nadar marque un tournant a bien des égards: il s’agit du premier reportage photographique dans la presse, du premier enregistrement d’une interview de voix, et de la première impression tramée sur du papier dans la presse. Ainsi, dès l’essor historique du journalisme, le son, l’image, et l’écrit ont été enregistrés conjointement, dans une sorte de récit total, sans que les conditions techniques ne permettent d’exploiter complètement cette possibilité, cette utopie. Michel Melot a observé l’évolution de l’illustration photographique des grands reportages à travers les âges, et a déterminé qu’après la deuxième guerre mondiale, la photographie n’est « plus seulement témoignage concret d’un événement sensationnel, elle peut aussi résumer une situation dans une synthèse ténue et profonde, arrachée à l’éphémère, qui fait de l’image banalisée le contraire d’un spectacle ordinaire. Il y a de l’ordre à mettre, du sens à saisir dans le foisonnement des faits photographiantes: le reporter se charge de cette mission. » . Mais il note également que les  images en mouvement ont également été liées, dès la naissance du cinéma, aux récits journalistiques, avec les actualités au cinéma. C’est l’image ponctuelle, et brute, qui trouve sur les écrans son domaine de prédilection. Le dessin n’est pas en reste puisque délestée de la nécessité d’être sensationnel, il se fait image symbolique, à travers laquelle c’est au lecteur de trouver un sens, une vision du monde .

Inventer un nouveau storytelling multimédia : un équilibre précaire entre le texte et son illustration

S’il s’agit pour lui uniquement d’histoires vraies, de non fiction, le journalisme se pose aussi cette même question: comment raconter de la meilleure manière possible une histoire, en accord avec le médium utilisé, tout en utilisant toutes les ressources techniques qu’il a à disposition? Il faut raconter d’une manière adaptée au support, et au public. À travers les différentes étapes de l’histoire du journalisme, tous les media ont su trouver leur place, et inventer une manière de créer leur propre récit journalistique, parfois même jusqu’à devenir média. En général, chaque média correspond à un medium, c’est à dire un canal par lequel exprimer son art de la meilleure manière possible: le dessin, la sculpture, le son, l’écrit, etc. C’est ainsi que chacun trouve le mode d’expression qui lui correspond le mieux. De nos jours, la donne a changé. Grâce au web et à la technologie, le récit journalistique peut devenir multimédia c’est à dire utiliser les ressources de chaque média sur un même support. Les expérimentations de cette multiplicité de médias, et donc de media, dans un seul et même récit fleurissent. Avec l’arrivée du web, il s’agit de réinventer la grammaire de l’article illustré. Et même de poser la question suivante: quel media peut revêtir le statut d’illustration?

Des oeuvres hybrides 

Chaque longform que nous avons sélectionné semble faire appel à différents media, autres que l’écrit. Sur l’écran de l’ordinateur, l’oeuvre journalistique nous apparaît hybride, comme une chimère à la fois linguistique et plastique: les limites de chaque medium sont brouillées, et l’oeuvre finale emprunte des petits morceaux de la  de chaque moyen d’expression. Pour commencer, sur l’écran, la lettre tout comme l’image sont composées de pixels. Le pixel, c’est « l’unité de base permettant de mesurer la définition d’une image numérique matricielle. Son nom provient de la locution anglaise picture element, qui signifie « élément d’image » . Pour la première fois, le texte, composé de lettres, et l’image sont soumis au même régime d’apparition, luminescent et dynamique: tous deux sont numérisés et recomposés au seul profit de l’oeil . Les traditionnelles deux soeurs ennemies sont donc remises sur un pied d’égalité grâce à la technologie. Plus encore, c’est grâce à internet que tous les médiums semblent enfin être réconciliés. Son, image, texte, cinémagraphe, tous apparaissent grâce à une seule et même innovation technique: le signal électrique, qui fait tout apparaître ensemble sur l’écran et dans l’ordinateur, sans hiérarchiser les moyens d’expressions, comme pouvaient le faire les théories traditionnelles et les règles édictées au préalable. Il s’agit donc de construire une nouvelle donne pour l’illustration. La première chose que l’on peut constater en observant l’intermédialité de ces longforms, c’est qu’il n’y a pas de règle: chaque longform utilise les media qu’il souhaite sans contrainte de choix ou de préséance d’un médium sur l’autre. Le choix de chaque media et l’importance qui lui est accordée dépend donc de l’histoire racontée, des désirs des journalistes et des directeurs artistiques, ainsi que de la ligne éditoriale du média qui édite l’article. Ainsi, si l’on compare trois articles abordant le thème général de la musique que sont « Machines for life » de Pitchfork, « Women are making the best rock music, and here are the bands that prove it » du New York Times, et « Joey Badass, political MC » de Shoes Up, on peut observer trois choix complètements différents en termes de media. Le plus évident, pour parler de musique, serait de mettre le son, ou bien une vidéo avec du son, en avant. Or, seul l’article du New York Times met vraiment le son en avant. Si l’on devait faire un classement des media utilisés par ordre d’importance pour traiter le sujet, il faudrait d’abord mentionner le son (morceaux en écoute, playlist, ambiances, voix des artistes), puis les vidéos qui sont à certains moments supports, vecteurs du son, puis le texte, qui sert à rapporter le son en images, en lettres, et enfin les images statiques, qu’elles soient photographies ou dessins, qui sont plutôt vectrices d’une ambiance que d’un véritable propos. En 2013, pour parler de Daft Punk, Pitchfork avait fait le choix audacieux de ne pas intégrer le son dans son article. On y trouvait donc le texte, prééminent sur la page, puis des images et des cinémagraphes, c’est à dire des images en partie animées. Ainsi, force est de constater que malgré le statut légendaire du groupe dans l’histoire de la musique, c’est une histoire visuelle et textuelle que Ryan Dombal a choisi de raconter, et son une histoire musicale et sonore. Tandis que de son côté, le New York Times ne racontait pas une histoire musicale, mais une histoire politique, sociale et militante, tout en choisissant le son comme vecteur. Ces deux traitements montrent que le thème ne dicte pas toujours la manière de racontée, mais c’est bien l’angle qui dirige le choix du medium à adopter pour raconter. « Joey Badass, political MC » en témoigne également: la mise en page alterne des textes, qui sont vraiment le coeur du récit, agrémentés d’images, puis de vidéos qui diffusent le son. Les sons ne se lancent que lorsque le player de la vidéo est activé, ce qui veut dire que les deux ont la même utilisation: montrer et faire entendre. Shoes Up, qui raconte également une histoire politique et militante, à choisi de donner à voir et à entendre, mais pas autant que de donner à lire à son lecteur-spectateur.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
I. Le longform multimédia : l’illustration réinventée?
1) Inventer un nouveau récit multimédia : un équilibre précaire
Des oeuvres hybrides
Une utilisation des médias chaque fois différente: un espace d’expérimentation
La tradition multimédia des récits journalistiques
2) Un lecteur immergé dans le récit grâce aux augmentations du texte
Le lecteur participe activement à la création du longform
Un récit augmenté pour capter l’attention du lecteur
Une interactivité qui laisse place à l’histoire
3) La modernité, espace et temps de la réconciliation du texte et de ses augmentations
Le web: espace du multimédia
Décadence ou réconciliation?
Image et modernité sur l’écran
II. Récit en media, récit d’un média?
1) Une adéquation technique
Références et signes
Du fond ou de la forme, qui a la primauté?
Des oeuvres médiagéniques?
2) Une adéquation historique
Forme éditoriale et héritage
Écran et papier
Une réflexion sur le journalisme et son histoire
3) Création d’une nouvelle poétique
Des frictions désamorcées par la réflexivité du média
Écrits d’écrans et médiagénie
Pour une poétique de l’écran
III. Longforms multimédia et storytelling politique
1) Des dispositifs communicationnels
Tentative de définition
Des dispositifs particuliers
Une réception biaisée?
2) « Stories that matter »
Des histoires à fort pouvoir de séduction
Une dramatisation du récit
Du Pathos à l’Ethos
3) Un dispositif de contrôle?
Le webdesign, institueur de cadres
Une lutte pour le pouvoir?
Le dispositif wagnérien
Conclusion

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *