LE JUGEMENT PROFESSIONNEL EN EVALUATION

Qu’est-ce qu’évaluer ?

  L’évaluation étant le thème principal de mon travail, il me semble important de comprendre ce qu’évaluer signifie. A travers mes lectures, j’ai découvert qu’il existait de nombreuses manières de définir l’acte d’évaluer. Cependant, selon De Ketele (2010), « tous les auteurs actuels s’accordent sur le fait que le processus évaluatif consiste à confronter un référent à un référé » (p.30). La définition de l’évaluation donnée par Hadji lors d’une de ses conférences (Batier, 2012) me semble adaptée pour illustrer cette pensée : Selon Hadji (Batier, 2012), l’évaluation est donc la production d’un jugement d’acceptabilité. Elle exprime si la réalité donnée, le travail d’un élève ou le référé, si l’on reprend les termes de De Ketele (2010), peut être jugée comme acceptable par rapport à des attentes, le référent (De Ketele, 2010).
Une simplicité apparente ? Si l’on se tient à cette définition de l’évaluation, l’acte d’évaluer peut sembler simple. Cependant, à travers mes lectures, j’ai pu découvrir que cette simplicité n’était qu’apparente et que la recherche de la juste valeur, ou en d’autres termes du niveau réel d’acceptabilité est difficilement accessible. Cet élément me semble pourtant primordial et nécessaire pour pouvoir considérer une évaluation  comme objective. Selon Hadji (1997), l’idée selon laquelle l’évaluation est une mesure reste très présente chez les évaluateurs. Par ailleurs, il précise ceci : « Une mesure est objective en ce sens que, une fois définie l’unité, on doit toujours avoir la même mesure du même phénomène » (p.24). Cependant, selon lui, cette représentation est illusoire, car l’instrument de l’évaluation est la personne du correcteur, donc l’évaluateur ou l’enseignant et que ce dernier n’est clairement pas fiable.
Une interprétation subjective Comme l’expliquent Berger et Luckmann (1966/2003), l’homme n’est pas membre d’une société en naissant, mais il le devient par un processus d’intériorisation. Ces auteurs définissent ce processus comme étant « l’apprentissage immédiat ou l’interprétation d’un événement objectif en tant que signification exacte, c’est-à-dire en tant que manifestation des processus subjectifs d’autrui qui, ainsi, deviennent pour moi subjectivement signifiant » (p.178). Cependant, Berger et Luckmann (1966/2003) précisent que cela ne signifie pas qu’autrui est forcément compris de manière exacte. Ils donnent l’exemple d’un rire. Une personne peut voirdans ce rire un signe d’allégresse, d’enthousiasme, alors que ce rire manifestait plutôt de l’hystérie, de la nervosité. Cette dernière a donné à ce rire une signification subjective, selon son propre regard, une signification qui peut donc différer d’une personne à une autre. Par ailleurs, Barbaras (2004) évoque que « […] la ligne de partage entre le subjectif et l’objectif correspond à la différence entre ce qui n’est accessible qu’à soi-même et ce qui se donne à tous, entre l’imminent et le transcendant » (p. 49). Cela signifierait que pour être objectifs, les résultats ou les conséquences d’une évaluation devraient être les mêmes chez tous les enseignants et évaluateurs. Or, en matière d’évaluation, l’enseignant est amené à interpréter le travail de ses élèves, en d’autres termes les manifestations subjectives d’autrui, et à y donner sens, y donner une signification subjective. En effet, comme le souligne Romainville (2011), les acquis des évalués n’existent pas en eux-mêmes, en dehors du regard que l’on porte sur eux, car les informations données par les travaux, par les réponses des élèves ne parlent pas d’elles-mêmes. Cet auteur donne le contre-exemple d’un thermomètre, qui lui, indique la température de manière externe et objective, sans intervention humaine. Il ajoute qu’ « au contraire, évaluer des acquis revient à construire un point de vue sur des performances censées représenter des acquis » n(Romainville, 2011, p.2). L’évaluation dépend donc de l’évaluateur, qui analyse les performances des élèves selon des objectifs et des critères qu’il devra définir. L’objectivité en évaluation semble donc déjà difficilement atteignable. Certains chercheurs ont d’ailleurs étudié les éléments qui portent atteinte à une évaluation objective.

Les difficultés d’une évaluation objective

  Romainville (2011) relève que le manque d’objectivité de l’évaluation a été mis en avant par des études dans le champ de la docimologie (la science des examens) qui portaient notamment sur la validité et la fidélité des évaluations. En effet, il a été démontré que les résultats d’une évaluation ne sont pas semblables si cette dernière est réalisée à des moments différents ou par une autre personne (problème de fidélité). Pourtant, comme dit plus haut, Barbaras (2004) explique que ce qui est objectif, correspond à ce qui est accessible à tous et non pas uniquement à soi-même. Il me semble que cela supposerait que pour être objectifs, les résultats d’une évaluation devraient être les mêmes chez tous les enseignants et évaluateurs. Cela impliquerait un accord intersubjectif entre les différents évaluateurs, que Perrin6 évoque comme étant le résultat d’un développement de moyens de communication entre différents sujets. Je pense notamment à un accord sur les critères d’évaluation et sur le seuil de suffisance. En outre, pour être valide, une évaluation devrait évaluer uniquement les objectifs d’enseignement. Cependant, « les outils d’évaluation mesurent parfois des compétences qui n’ont pas fait l’objet d’un enseignement et, de plus, l’évaluateur établit son jugement sur la base d’autres critères que la seule performance objective de l’évalué » (Romainville, 2011, p. 3). Ainsi, Mottier Lopez et Figari (2012) relèvent que de nombreux auteurs ont démontré l’existence de multiples biais pouvant affecter les jugements scolaires. On peut notamment citer l’effet de Halo, qui représente l’influence que peut avoir la connaissance des caractéristiques des élèves qui sont externes à la cible de l’évaluation, comme leur origine ou leur niveau antérieur (Romainville, 2011). Afin d’évaluer le niveau réel d’acceptabilité des performances des élèves, il semble absolument nécessaire que la validité et la fidélité des évaluations soient respectées. En effet, si les résultats d’une évaluation dépendent de l’évaluateur et donc de l’enseignant et que des éléments externes aux performances des élèves sont pris en compte, comment considérer, que le jugement représente le niveau réel d’acceptabilité d’un élève par rapport à des objectifs, des attentes? Pour atteindre l’objectivité en évaluation, il semble donc primordial de pallier à ces difficultés.
Essai de résolution et critiques Dans le but de rendre le jugement des enseignants plus objectif, les chercheurs ont essayé de rapprocher les pratiques évaluatives des enseignants des procédures scientifiques de la mesure (Tessaro, 2013). Pour ce faire, ils ont cherché à doter les évaluateurs d’outils fiables qui leur permettent de réellement mesurer et ainsi d’atteindre la vraie note, la note juste (Bonniol & Vial, 2009). Il y a notamment les questionnaires à choix multiples qui, comme le souligne Dubus (2006), permettent une grande objectivité dans le constat des résultats, mais qui possèdentégalement des détracteurs et des limites. Selon Lafortune (2008), les données quantitatives recueillies par la mesure sont souvent celles que l’on croit être les plus justes et équitables. Pourtant, cette approche de l’évaluation est très souvent décriée. En effet, selon Bonniol et Vial (2009), ses détracteurs considèrent que la vraie note, la note objective est impossible à obtenir. Ils estiment que l’élimination de tous les biais nécessiterait que les situations d’évaluation soient purifiées, les outils d’évaluation parfaits, et les évaluateurs libérés de leur condition humaine. Malgré la volonté de rendre l’évaluation objective et d’évaluer uniquement les performances des élèves, il semble que ce n’est pas possible. Cela paraît relever de la chimère. Alors que faire? Doit-on y renoncer ? D’autres auteurs adoptent un autre point de vue que celui des défendeurs de la mesure. Ils admettent que l’objectivité pure n’est pas accessible et même qu’elle n’est pas forcément souhaitable. Selon eux, la prise en compte d’éléments externes aux performances des élèves n’est d’ailleurs pas à exclure.

Le jugement professionnel en évaluation

   Pour Lafortune (2008), le jugement évaluatif ne peut pas reposer sur des éléments purement objectifs et la mesure ne peut pas remplacer l’exercice du jugement professionnel des enseignants.
Définition du jugement professionnel Le jugement professionnel est un concept qui n’est pas spécifique à l’enseignement, mais qui a un rôle reconnu dans d’autres professions, comme la médecine. Il peut être défini ainsi (Allal et Lafortune, 2008): Le jugement professionnel est un processus qui mène à une prise de décision, laquelle prend en compte différentes considérations issues de son expertise (expérience et formation) professionnelle. Ce processus exige rigueur,  cohérence et transparence. En ce sens, il suppose la collecte d’informations à l’aide de différents moyens, la justification du choix des moyens en lien avec les visées ou intentions et le partage des résultats de la démarche dans une perspective de régulation. (p. 4) Selon Allal et Lafortune (2008), le jugement professionnel des enseignants est présent dans toutes leurs activités professionnelles (choix des situations didactiques, des modalités de gestion de classe), et dans toutes les évaluations.
Une démarche interprétative de l’évaluation Cette approche de l’évaluation s’inscrit dans une démarche herméneutique ou interprétative qui consiste à recueillir des indices de natures diverses (quantitatifs, qualitatifs), à les organiser en un ensemble cohérent afin de valider une hypothèse parmi d’autres possibles et tout cela sous la forme d’un raisonnement (De Ketele, 2010). Selon Allal et Lafortune (2008), les jugements évaluatifs tirent un réel bénéfice de la combinaison d’informations et l’alliance entre qualitatif, quantitatif et l’intuition, complétée par la rigueur et la cohérence sont des éléments à privilégier. Avec d’autres collaborateurs, Allal et Lafortune (2008) ont choisi d’étudier lejugement professionnel des enseignants de la dernière année de l’école primaire, au moment de dresser un bilan dans le livret/bulletin scolaire des élèves. A travers leurs recherches au Québec et à Genève, elles ont relevé la prise en compte à la fois d’informations quantitatives (notes, résultats des épreuves cantonales, etc.) et d’éléments qualitatifs (observations, investissement des élèves, informations provenant de discussions avec les parents, etc.). Le jugement ne repose donc pas uniquement sur les évaluations et les performances des élèves. De plus, Allal et Mottier Lopez (2008) remarquent dans les procédures d’évaluation des enseignants, des adaptations qui tiennent compte des situations singulières des élèves. Au sujet de l’étude réalisée à Genève, Cattafi et Mottier Lopez (2008) relèvent ceci : Le jugement professionnel tel qu’il est appréhendé dans notre recherche témoigne d’un « jugement-en-acte » montrant la capacité professionnelle d’agir et de prendre des décisions en fonction des circonstances et des situations vécues, en analysant l’ensemble des caractéristiques scolaires, sociales et familiales des élèves. (p. 185) Dans une autre recherche, Dechamboux, Morales Villabona, Mottier Lopez, Serry et Tessaro (2013) évoquent le concept d’arrangement évaluatif développé par Merle. Ils expliquent que, selon cet auteur, dans le cas d’un tel arrangement, « les enseignants s’autorisent à déroger à une notation qui ne rendraient compte que des performances réelles de l’élève dans cette copie-là […] » (Dechamboux et al., 2013). Ils décrivent le cas d’un enseignant qui décide d’adapter ses exigences pour un élève, car il estime que celui-ci a fourni de gros efforts. Il valorise ainsi son travail en lui attribuant des points supplémentaires. Les points accordés ne sont donc pas représentatifs de la performance réelle de l’élève, d’autres facteurs sont pris en compte. Les mêmes auteurs mettent en avant une seconde notion, l’ajustement pédagogique. Pour Dechamboux, Morales Villabona, Mottier Lopez et Tessaro, 2012, « […] la notion d’ajustement désigne une fonction assumée, voire revendiquée par les praticiens, de régulation et de différenciation des situations d’évaluation, y compris certificatives » (p. 169). En effectuant un ajustement pédagogique, l’enseignant aménage délibérément le dispositif d’évaluation en fonction de la situation spécifique d’un ou de plusieurs élèves (Dechamboux et al., 2012)

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Table des matières

REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. IMPORTANCE DU PROBLEME
1.1 PRESENTATION DU PROBLEME
1.2 DANS LE CONTEXTE NEUCHATELOIS DE L’EVALUATION
1.2.1 L’évaluation au cycle 1
1.2.2 L’évaluation au cycle 2
1.2.3 L’évaluation en fin d’année
CHAPITRE 2. ETAT DES LIEUX
2.1 QU’EST-CE QU’EVALUER ? 
2.1.1 Une simplicité apparente ?
2.1.2 Une interprétation subjective
2.2 LES DIFFICULTES D’UNE EVALUATION OBJECTIVE
2.2.1 Essai de résolution et critiques
2.3 LE JUGEMENT PROFESSIONNEL EN EVALUATION
2.3.1 Définition du jugement professionnel
2.3.2 Une démarche interprétative de l’évaluation
2.4 OBJECTIVITE VS EQUITE ?
2.4.1 Une équité plurielle
2.4.2 Un problème éthique ?
2.5 L’ETHIQUE DANS L’EVALUATION
2.5.1 Le code de déontologie des enseignants
2.5.2 Une aide limitée ?
CHAPITRE 3. PROBLEMATIQUE
3.1 QUESTIONS DE RECHERCHE
3.2 OBJECTIFS DE RECHERCHE
CHAPITRE 4. METHODOLOGIE
4.1 LES FONDEMENTS METHODOLOGIQUES
4.2 LA NATURE DU CORPUS
4.2.1 La récolte des données
4.2.2 Le guide d’entretien
4.2.3 Procédure et protocole de recherche
4.2.4 Présentation du choix de l’échantillonnage et de la population
4.3 LES METHODES ET LES TECHNIQUES D’ANALYSE DES DONNEES
4.3.1 La transcription des entretiens
4.3.2 Le traitement et l’analyse des données
CHAPITRE 5. ANALYSE
5.1 PRESENTATION DES RESULTATS 
5.1.1 Leur vision de l’évaluation
5.1.2 L’objectivité/la subjectivité
5.1.3 L’équité
5.1.4 La prise en compte de facteurs externes
5.2 SYNTHESES DE CONTRADICTIONS, TENSIONS
5.2.1 Benjamin
5.2.2 Catherine
5.2.3 Jennifer
5.3 INTERPRETATION DES RESULTATS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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