Le héros au cœur du théâtre identitaire dans Le Vol de l’ange de Daniel Poliquin

LE DYNAMISME IDENTITAIRE

Il ressort clairement, pour Poliquin, que l’identité est dynamique puisqu’elle se construit et se prête au métissage. Les personnages, constamment en train de négocier leur identité, empruntent de multiples postures identitaires. Ainsi, à l’intérieur d’un même roman, les personnages subissent plus d’une mutation, qu’elle soit provisoire ou profonde.
Paul Raymond et Mitchell Constantina constatent que cette identité jamais fixe semble s’inscrire dans «un processus de devenir sans fin» (2000, p. 90). Dans les romans d’ailleurs, un même personnage endosse bien souvent plusieurs rôles. L’identité chez Poliquin relève de l’invention et de l’imagination même des personnages. Ces derniers s’imaginent être qui ils veulent. À ce propos, Jimmy Thibeault écrit qu’«entre le vrai et le faux, la vérité et le mensonge, le texte pose une zone où les personnages, sans sombrer dans l’irréel, acceptent certaines distorsions de la réalité afin d’assurer leur propre survie dans l’ici et le maintenant» (2009, p. 124). Ce caractère ouvert et dynamique de l’identité chez Poliquin s’observe à travers le métissage, les multiples images sociales que renvoient les personnages et l’imagination dont ils usent pour s’inventer et se rêver.

LE RAPPORT À L’AUTRE

Chez Poliquin, tout processus identitaire passe par le regard de l’Autre, qui infirme ou confirme les identités proposées par les personnages. Jean-Claude Kaufmann rappelle d’ailleurs «combien l’identité, processus dynamique et ouvert, résult[e] d’une négociation permanente avec autrui» (Kaufmann, 2004, p. 44). Conscients de ce rapport constant à l’Autre, les personnages de Poliquin manipulent autrui de façon à donner une image précise de leur identité, selon les moments et les situations. Mais il arrive aussi que l’impression que se fait autrui ne soit pas celle souhaitée par les sujets concernés.
En revanche, si la présence de l’Autre est nécessaire pour certifier ou sanctionner l’identité que le sujet présente, elle l’est aussi pour instaurer une frontière entre le «moi» et «les autres», laquelle permet au sujet d’éprouver un «sentiment d’être» (Toboada-Leonetti cité par Kaufmann, 2004, p.41) nécessaire au «travail» identitaire. Dans tous les cas, les personnages de Poliquin sont des êtres d’interactions. Autrement dit, et comme le souligne Kaufmann, «[l]a construction de l’identité personnelle peut être analysée comme une vaste transaction entre soi et autrui» (Dubar cité par Kaufmann, 2004, p. 191). Les aspects suivants permettent d’étudier plus en détails la manière dont s’instaure ce rapport dans les romans de Poliquin : l’identification à l’Autre, la reconnaissance d’autrui et le regard de l’Autre.

LE RAPPORT AU PASSÉ

Les personnages de Poliquin éprouvent un besoin pressant de raconter, qui se traduit par une volonté de raconter l’Autre pour se raconter soi-même en fin de compte. Par la mise en récit du passé trouble qui les hante, les personnages «cherchent sans relâche à reconstruire la logique de leur passé individuel et collectif» (Paré, 2002, p. 426). D’autres, au contraire, passent des années, voire toute leur vie, à fuir le passé. François Ouellet écrit que «[l]’ensemble de l’œuvre, depuis Temps pascal (1982), trouve son unité dans le désir des personnages (principaux et secondaires) d’effacer le passé et de refaire leur vie» (1995-1996, p. 55).
L’identité se trouve à être en quelque sorte une fiction du passé. À ce sujet, Kaufmann souligne que l’identité tend à s’exprimer sous une forme qui s’impose progressivement : le récit (2004, p. 151). Celui qui raconte a le pouvoir de se dire, donc de mieux se connaître. On raconte et on se raconte pour donner un sens à son existence, processus qui fait partie intégrante du travail identitaire. Les personnages de Poliquin entretiennent alors un rapport particulier au passé qui se traduit, dans la mise en récit, par l’importance de la mémoire, des souvenirs et des expériences vécues, mais aussi par le désir de fuir ou d’effacer ce passé.

IDENTITÉ AUTHENTIQUE

Bien que tout, dans les romans de Poliquin, semble se rapporter à l’identité problématique des héros, l’ensemble de l’œuvre jusqu’à La Kermesse laisse croire à un progrès identitaire. Effectivement, il paraît que la quête identitaire de certains héros débloque puisqu’ils finissent par rejoindre la collectivité et par trouver le bonheur et l’amour. À ce sujet, rappelons que François Ouellet affirme que «savoir qui l’on est n’est pas une fin en soi» (2009, p. 195) et que «[s]i les héros visent à une reconquête de leur identité, c’est en vue d’une conquête amoureuse» (2011, p. 205), puisque «seule l’identité authentique permet de trouver l’amour» (2009, p. 195).
Avant d’aller plus loin, soulignons que chez Kaufmann, ce qui semble se rapproche de la notion d’identité authentique telle que nous l’employons passe par le principe de l’«enveloppement» et se rapproche d’un certain bien-être : La sensation d’être parvient même souvent à faire l’économie de tout contenu cognitif, se réduisant à un pur enveloppement sensible. Se «sentir bien» par exemple, soudainement, sans trop de raisons particulières (un calme intérieur, un rayon de soleil, une ambiance amicale, etc.) représente une de ces expériences identitaires dépouillées où les sensations élémentaires sont plus importantes que les détails de l’image de soi. Celle-ci reste d’ailleurs alors très floue, comme masquée par l’enveloppement sensible, qui devient en lui-même le moteur de la fermeture identitaire. Or dans ces instants, il n’y a pas seulement sensation d’exister mais aussi sensation d’être soi. D’être soi plus intensément, plus authentiquement que l’on ne l’est d’ordinaire. Il y a là quelque chose d’assez singulier. Contrairement à la réflexivité, la fixation identitaire s’engage rarement dans des procédures intellectuellement compliquées. Quelques idées lui suffisent. Ou encore mieux une image (au sens de représentation visuelle). Voire même parfois une simple sensation. Ces trois éléments peuvent d’ailleurs alterner (ou se mélanger) facilement : l’identité est une idée, une image ou une sensation de soi.(2004, p. 112-113)
Autrement dit, être soi de manière authentique correspond à un moment de bien être. L’identité authentique est donc passagère, non définitive. C’est pourquoi nous parlons de progrès identitaire plutôt que de résolution, terme qui implique l’idée de non-retour et de finalité, alors que l’identité est constamment en mouvement. Par conséquent, lorsque nous employons l’expression «être en règle avec son identité», nous faisons référence à ces moments où le héros sent qu’il est lui-même.

UN ROMAN PICARESQUE

Ce roman, de par son «écriture jubilatoire, foisonnante et baroque» (Ouellet, 2015, p. 59), s’inscrit avec L’Homme de paille et La Kermesse dans ce que François Ouellet nomme la veine picaresque de Poliquin. Le héros du Vol de l’ange s’apparente de fait au héros du roman picaresque23, lequel est marqué dès sa naissance (bâtard, enfant trouvé, orphelin) et est habituellement issu d’un milieu familial marginalisé. Il est né d’une union illégitime, et «[s]a mère n’[a] jamais signalé [s]a naissance aux autorités parce qu’elle craignait qu’on [lui] enlève» son enfant (VA, p. 63). La structure narrative du roman le rapproche aussi du roman picaresque : le picaro est habituellement le narrateur de sa propre histoire, peut-être parce que, comme le pense Maurice Molho, s’il ne racontait pas sa propre histoire, personne n’aurait l’idée de le faire ; car aucun des actes de sa vie n’est digne d’enseignement. Mais cette structure autodiégétique intègre volontiers des micro-récits, si bien que le roman picaresque est foncièrement digressif ; cette forme en apparence aléatoire trouve son pendant dans une intrigue ponctuée de multiples incidents. (Ouellet, 2011, p. 133)
Ici, faute de s’être fait légende et d’avoir trouvé quelqu’un d’autre pour raconter ses histoires (VA, p. 77), le narrateur-héros «se tient à lui-même un discours [sur sa vie], se parlant dans sa tête» (Ouellet, 2011, p. 163), comme avant lui le héros de La Kermesse. En se racontant de la sorte, il dit qui il pense être au moment de l’énonciation :le simple fait, pour un individu, d’énoncer les étapes qui ont marqué son cheminement identitaire, de souligner ou non, au contraire, de nier les traces de son appartenance à une communauté, à un groupe ou à une classe sociale nettement définis, correspond déjà à une volonté de projeter une image de soi en accord avec certains a priori idéologiques profondément ancrés dans le ici et le maintenant. (Thibeault, 2009, p. 120)
Sur quelque 316 pages, le héros de Poliquin se remémore des expériences passées (y insérant parfois ses impressions du moment), raconte ce qu’il est en train de vivre et anticipe les événements à venir. Un tel découpage narratif va de soi, puisque «derrière l’apparence des belles histoires de vie complètes et limpides, ego ne cesse en fait de se raconter des fragments de récits hétéroclites et hachés» (Kaufmann, 2004, p. 159).

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 DE TEMPS PASCAL À LA KERMESSE
1.1 LE DYNAMISME IDENTITAIRE
1.1.1 Le métissage
1.1.2 Les images sociales
1.1.3 Invention et imaginaire
1.2 LE RAPPORT À L’AUTRE
1.2.1 L’identification à l’Autre
1.2.2 La reconnaissance d’autrui
1.2.3 Le regard de l’Autre
1.3 LE RAPPORT AU PASSÉ
1.3.1 La mise en récit
1.3.2 Mémoire, souvenirs et expériences vécues
1.3.3 Effacer le passé
1.4 IDENTITÉ PROBLÉMATIQUE
1.4.1 Dépression
1.4.2 Marginalité et errance
1.4.3 Conscience coupable et supériorité morale
1.4.4 Solitude et amour refusé
1.4.5 Échec de la paternité
1.5 IDENTITÉ AUTHENTIQUE
1.5.1 Trouver sa place
1.5.2 Bonheur, amour et oubli
1.6 POUR RÉSUMER
CHAPITRE 2 LE VOL DE L’ANGE
2.1 UN ROMAN PICARESQUE
2.1.1 Parcours du héros
2.2 LES REPRÉSENTATIONS DU HÉROS
2.2.1 Le quotidien
2.2.2 Les femmes
2.2.3 La loi
2.3 LES REPRÉSENTATIONS D’ÉQUIPE
2.3.1 Les lieux de réclusion
2.3.2 La voie ferrée
2.3.3 L’encan
2.4 LE HÉROS EN COULISSES
2.4.1 À l’abri du regard des autres
2.4.2 Plans de fuite
2.4.3 Rêvasseries intéressées
2.5 LE HÉROS COMME MEMBRE DU PUBLIC
2.5.1 Le confident de la gouvernante du médecin
2.5.2 L’ultime témoin de Salomé
2.6 MODÈLE D’EXPRESSION IDENTITAIRE
2.6.1 La potentialité inventive
2.6.2 Le retrait
CONCLUSION
Multiplicité des rôles et socialisation
Fabulation
Discours mémoriel
Le nom de la mère
Liberté
BIBLIOGRAPHIE

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