Le Géant Salifère de Méditerranée

 Le Géant Salifère de Méditerranée

La Terre a connu plusieurs grands évènements dits évaporitiques au cours de son histoire (Warren, 2010) (Fig. 1.1). Il s’agit de périodes d’intense accumulation de roches évaporitiques formées par l’évaporation de masses d’eau (Warren, 2006), qui témoignent d’environnements particuliers, continentaux ou marins, arides ou semi arides. Les gisements formés à l’issue de ces évènements sont d’une grande importance économique pour l’homme. En effet ils constituent des pièges imperméables – sous la forme de diapirs et couches de sels – aux plus grands gisements d’hydrocarbures, ou des éléments essentiels en industrie, par exemple la halite pour l’alimentation et le salage des routes et le gypse pour la formation de plâtre.

Le Géant Salifère de Méditerranée (GSM) est un des dépôts évaporitiques le plus grands de l’histoire de la Terre (Fig 1.1). Il contient environ 10⁶ km3 de sels évaporitiques distribués sur une surface de 2 millions de km2 . Le GSM et aussi le dépôt géant de sel le plus récent de l’histoire de la Terre, car il a été formé à la fin du Miocène (qui s’étend de 23,03 à 5,33 Ma) pendant le Messinien, lorsque la connexion hydrologique entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée s’est partiellement, voire totalement, interrompue (Govers et al., 2009a; Krijgsman et al., 1999; Ryan, 2009). L’evennement qui a mis en place le GSM, appelé la Crise de Salinité Messinienne (CSM), est bref à l’échelle des temps géologiques car il n’a duré que 640 ka, de 5,97 à 5.33 Ma (Krijgsman et al., 1999; Manzi et al., 2013).

Les premières formations salifères géantes identifiées sont paléozoïques. Du Précambrien au Cambrien inférieur, un volume important d’évaporites se déposent dans un bassin dit du Moyen-Orient, aujourd’hui fragmenté en : Iran, (formation Ormuz), Oman, Pakistan, Inde et jusqu’au bassin d’Amadeus en Australie. (Zharkov, 1984) estime à 1.5 x 10⁶ km3 le volume d’évaporites déposées. Des dépôts évaporitiques du Permien sont estimés à 1.45 x 10⁶ km3 , dont la formation connue du Zechstein d’Europe centrale, la mer du Nord et le bassin d’Europe orientale (de la région caspienne au nord jusqu’à l’océan Arctique) avec 1.3 x 10⁶ km3 . À l’Aptien, d’épais dépôts de sel se forment dans le rift initial de l’Atlantique sud (Davidson, 2007, Warren, 2010). Plus récemment, des bassins évaporitiques associés à la fragmentation de la Téthys se sont formés au Miocène (Hsü et al., 1977; Jolivet et al., 2006; Stampfli, 2000) dont le Salifère de Méditerranée. Au Quaternaire, les environnements évaporitiques sont fréquents mais de taille réduite (pas plus de 10000 km²).

Depuis longtemps l’existence des évaporites d’âge miocène est connue à l’affleurement dans les bassins marginaux qui entourent la Méditerranée (Fig. Fig.1.2-A) : en Algérie (Perrodon, 1957), en Espagne (en Sicile notamment, (Ogniben, 1957), en Espagne (dans les Bétiques, (Rios, 1968) et à Chypre (Gass and Cockbain, 1961). A partir de la fin des années 1950, l’exploration du domaine sous-marin a permis d’émettre l’hypothèse que ces dépôts évaporitiques marginaux avait un correspondant dans le bassin Méditerranéen profond (Bourcart, 1958; Ryan, 1973). Les premières indications sont venues de la mise en évidence d’un réflecteur sismique – le réflecteur « M » – à une profondeur de seulement quelques centaines de mètres sous le fond marin, dont l’origine était inconnue mais qui pouvait être le passage de dépôt évaporitiques aux dépôts pélagiques plio-quaternaires qui les superposent (Auzende and Pautot, 1970; Bourcart et al., 1961).

En 1970, lors de la campagne de forage scientifique Deep Sea Drilling Project (DSDP) Leg 13 sur le navire Glomar Challenger, la présence du réflecteur M a été confirmée sur des grandes portions de la Méditerranée (Ryan, 1973). Les puits de forage qui ont suivi ont traversé le réflecteur M, montrant qu’il s’agissait en effet de la limite lithologique entre des dépôts évaporitiques et les sédiments pélagiques qui les superposent (Ryan, 1973, 2009). À partir de cette découverte majeure s’est développé un effort scientifique international, qui dure jusqu’à présent, pour déchiffrer la suite de processus géologiques, hydrologiques et géochimiques qui ont amené à la formation de cette accumulation exceptionnelle d’évaporites.

Des nombreuses questions posées par le GSM, notamment celle de son environnement de dépôt, ont rapidement suscité un grand intérêt, ainsi qu’une controverse entre scientifiques. Plusieurs scenarios ont été avancés pour expliquer la formation du GSM, dont voici les trois principaux. Un premier (modèle «shallow basin, shallow water») suggère qu’avant la crise, le bassin méditerranéen était peu profond, puis des mouvements tectoniques verticaux au cours du Pliocène sont à l’origine de la profondeur actuelle du bassin (Nesteroff, 1973). Un second scenario propose une formation des évaporites en bassin profond, et propose une forte chute du niveau d’eau méditerranéen pendant la CSM (« deep-dessicated basin », Hsu et al., 1973, Fig.1.3, A). Ce scenario est soutenu par la présence de dépôts caractéristiques de milieux profonds (marnes pélagiques, présences ce foraminifères benthiques profonds, ostracodes) précédant les évaporites, ce qui exclut la possibilité que la Méditerranée était peu profonde avant la CSM. Un troisième groupe de scenarios suggère un bassin profond mais une très faible (ou aucune) baisse du niveau marin de la Méditerranée (Clauzon et al., 1996 ; Roveri et Manzi, 2006 et Krijgsman et Manzi, 2008 ; Fig.1.3, B et C).

La formation du GSM survient dans un contexte géodynamique particulier de la région méditerranéenne. Celui-ci est contrôlé par deux processus : la convergence entre l’Afrique et l’Eurasie et la subduction vers le nord de la plaque africaine ; puis, le retrait du slab et simultanément l’ouverture du bassin arrière-arc (Jolivet et al., 2006). En effet le bassin méditerranéen est un héritage de la Téthys en voie de disparition le long des zones de subduction (Arcs helléniques, Chypre) (Jolivet et al., 2006; Ryan, 2009; Govers et al., 2009a; Bache et al., 2012).

Le rôle de la tectonique dans l’initiation de la CSM est établi (Rouchy and Caruso, 2006). Seulement, seule la tectonique ne semble pas pouvoir expliquer l’initiation de la crise de salinité (Rouchy and Saint-Martin, 1992). L’augmentation du volume des glaces en Antarctique identifié à la fin du Messinien (Hodell and Kennett, 1986; Hodell et al., 2001) et la mise en place de la CSM pendant une période glaciaire (TG32, Manzi et al., 2013) suggèrent une diminution du niveau globale des océans de quelques dizaines de mètres. Combinés, la tectonique et l’eustatisme auraient causé la restriction hydrologique du bassin méditerranéen (Hodell et al., 2001 ; Rouchy et Caruso, 2006).

Les évaporites des bassins marginaux de Méditerranée

Dans cette thèse, je propose une étude de dépôts de gypse évaporitiques d’âge messinien qui se sont accumulés dans deux bassins marginaux (aussi dit «périphériques ») de Méditerranée lors de la Crise de Salinité (Fig.1.4). Les évaporites accumulées dans des bassins en position marginale par rapport à la Méditerranée profonde sont observables soit à l’affleurement ou par des puits. Les bassins marginaux peuvent être peu profonds (de 0 à 200 m) à profonds (de 200 à 1000 m). Il s’agit par exemple des bassins de Sicile, de Chypre, ou du sud de l’Espagne (Cordillères bétiques). Ils s’opposent aux bassins profonds (plus de 1000 m) comme le bassin ionien et la Méditerranée orientale (Fig.1.4).

Dans ces bassins, les dépôts marquant la CSM sont caractérisés par des alternances entre des niveaux évaporitiques et des niveaux marneux et/ou argileux (Lugli et al., 2010). Les minéraux évaporitiques sont essentiellement sous la forme de sulfate de calcium (gypses et anhydrite, et sous la forme de halite en Sicile, (Schreiber, 1978). L’observation des successions sédimentaires relativement peu déformées à travers les bassins marginaux messiniens a permis d’identifier les unités lithologiques suivantes :

(1) Les gypses inférieurs primaires (Primary Lower Gypsum, PLG): constitués d’alternances de gypses massifs (sélénites) et de marnes ou de calcaires, marquant le début de CSM,
(2) Les gypses inférieurs resédimentés (Resedimented Lower Gypsum, RLG): il s’agit de gypses PLG, érodés lors de phase majeur d’érosion qui a suivi le dépôt des PLG, accumulé dans les parties les plus profondes des bassins,
(3) Unité de halite : présente uniquement en Sicile. Cette caractéristique du bassin de Caltanissetta en Sicile en fait un des meilleurs analogues des évaporites des bassins profonds difficilement accessibles (Rouchy et Caruso, 2006)
(4) Les évaporites supérieures (Upper Gypsum, UG) : constitués de gypses sélénites et souvent finement lités. Elles affleurent à peu d’endroits : en Sicile, Crète, à Chypre et dans les îles Ioniennes (Rouchy et Caruso 2006). Dans les régions Nord et Ouest de la Méditerranée, cette unité est corrélée à des sédiments terrigènes (conglomérats, grès, argiles).

La signification chronologique des alternances PLG et UG a longtemps été une énigme, du fait de l’absence de marqueurs biostratigraphiques ou magnétostratigraphiques continus dans les dépôts évaporitiques pour permettre un calage chronostratigraphique (Sierro et al., 2001). Toutefois, de telles études ont été effectuées sur les séries messiniennes pré-évaporitiques affleurant dans les bassins de Sorbas (S-Espagne), de Gavdos (en Grèce) et à Caltanissetta (en Sicile) (Hilgen et al., 1995 ; Krijgsman et al., 1999, Manzi et al., 2013) (figure 1.5). Ces études ont révélé que les cycles sédimentaires pré-évaporitiques sont contrôlés par les changements climatiques de la région méditerranéenne, induits par la précession (Sierro et al., 1995, Hilgen et al., 1995 ; Krijgsman et al., 1999). Les variations de précession influencent la distribution globale, saisonnière et latitudinale du taux d’insolation reçue à la surface de la Terre et provoquent des changements climatiques conséquents qui se répercutent dans les bassins sédimentaires sous forme d’alternances lithologiques.

L’organisation en cycles des dépôts pré-évaporitiques a été transposée sur les dépôts évaporitiques. Il a donc été proposé qu’un cycle de terrain constitué d’un niveau de marnes et d’un niveau d’évaporites correspondait à un cycle de précession de 20 ka environ (Krijgsman et al., 1999; Hilgen et al., 1999, 2007). Celui-ci comprend une période humide et une période aride, les gypses se formant lors de la période aride du cycle de précession (Krijgsman et al., 1999). Sur le terrain, le nombre de cycle de dépôts correspond bien au nombre de maxima de précession (Krijgsman et al., 1999). Le temps correspondant au nombre total des cycles sédimentaires PLG (370 ka) et UG (175 ka) est en accord quasi parfait avec la durée totale de la Crise de Salinité (avec une période de hiatus de 90 ka ; Krijgsman et al., 1999).

Avant de venir au cœur de mon sujet de thèse dans la prochaine section, j’expose rapidement un problème ouvert qui montre à quel point la Crise de Salinité Messinienne reste un des phénomènes plus intéressant et mal compris en Sciences la Terre. En effet, nonobstant les avancées décrites auparavant, une des plus grandes interrogations qui restent concerne la corrélation entre les séries évaporitiques qui affleurent à terre et les séries qui sont actuellement en domaine offshore, plus difficilement accessible.

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Table des matières

Chapitre 1 : Introduction générale
1.1. Le Géant Salifère de Méditerranée
1.2. Les évaporites des bassins marginaux de Méditerranée
1.3. Les bassins marginaux : processus et questions scientifique de cette thèse
1.4. Approche de la thèse et organisation du manuscrit
Chapitre 2 : Présentation des zones d’étude
2.1. Le bassin de Caltanissetta
2.1.1. Le contexte géodynamique du Bassin de Caltanissetta
2.1.2. Stratigraphie des dépôts messiniens de Sicile
2.1.2.1. La section de santa Elisabetta (bloc de PLG faisant partie du RLG)
2.1.2.2. La section de Gibliscemi (PLG)
2.1.2.3. La section d’Eraclea Minoa (UG)
2.2. Le bassin du Piémont
2.2.1. Evolution géodynamique du Bassin Piémontais
2.2.2. Stratigraphie des dépôts messiniens du Bassin Piémontais
2.2.2.1. Section de Banengo
2.2.2.2. Section d’Arnulfi
2.2.2.3. Section de Pollenzo
2.3. Stratégie d’échantillonnage
2.3.1. Echantillonnage des coupes du bassin de Caltanissetta
2.3.1.1. Echantillonnage de la section de Santa Elisabetta
2.3.1.2. Echantillonnage de la section de Gibliscemi
2.3.1.3. Echantillonnage de la section d’Eraclea Minoa
2.3.2. Echantillonnage des sections du Bassin du Piémon t
2.3.2.1. Echantillonnage de la section de Banengo
2.3.2.2. Echantillonnage de la section d’Arnulfi
2.3.2.3. Echantillonnage de la section de Pollenzo
Chapitre 3 : Introduction aux isotopes stables et à leur mesure dans le gypse
3.1. Définition et propriétés des isotopes stables
3.2. Les fractionnements isotopiques
3.2.1. Fractionnement isotopique à l’équilibre
3.2.2. Fractionnement isotopique cinétique
3.3. La composition isotopique de la molécule d’eau et de l’ion sulfate du gypse : définitions
3.3.1. La molécule d’eau
3.3.2. L’ion sulfate
3.4. Mesure de la composition isotopique du gypse
3.4.1. Analyse isotopique de l’eau de cristallisation du gypse
3.4.2. Analyse isotopique de l’ion sulfate du gypse
Chapitre 4 : Les isotopes de l’eau de cristallisation des gypses
4.1. Le cycle hydrologique dans les bassins marginaux
4.1.1. Le processus d’évaporation
4.1.1.1. Le fractionnement à l’équilibre thermodynamique
4.1.1.2. Le fractionnement cinétique
4.1.1.3. Le deutérium-excès de la vapeur d’eau océanique
4.1.1.4. L’effet de l’évaporation sur la composition isotopique de l’eau du bassin
4.1.2. Les processus de mélange
4.1.2.1. La composition isotopique de la Méditerranée actuelle
4.1.2.2. La composition isotopique des eaux de pluies et de rivières
4.1.3. La précipitation de gypse
4.1.4. Le cycle hydrologique et les isotopes de l’eau dans les bassins marginaux de Méditerranée au Messinien
Conclusion générale

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