Le français contemporain dans sa variation diatopique

Le français contemporain dans sa variation diatopique

Dans le cadre de l’étude d’une langue romane dans ses réalisations concrètes, l’analyse du français sous l’angle de la diatopie dans une œuvre littéraire contemporaine nécessite non seulement une méthodologie adaptée (v. chap. 2.3 2.4), mais également une clarification de ce que nous entendons par notre objet d’étude. Un premier chapitre servira à présenter notre conceptualisation de la variation diatopique du français contemporain, et à définir les termes et concepts fondamentaux pour ce sujet. Au sein de la philologie et linguistique françaises, l’étude de la variation diatopique du standard comme champ disciplinaire apparu à la fin du 20e siècle, est établie solidement depuis deux décennies (Rézeau 2007e ; Francard 2008, 30 et 36). Inscrite dans un cadre variationniste, elle est entreprise dans une optique résolument descriptive et majoritairement lexicale, par des chercheurs de formations et d’orientations diverses, affiliés aux grands courants d’Europe, d’Amérique du Nord et de la francophonie du Sud (ib., 31). La conceptualisation de l’objet d’étude et la terminologie utilisée divergent (encore) de façon importante en fonction des chercheurs et de leur affiliation, mais aussi selon les époques au cours de la mise en place du domaine d’étude, notamment depuis les années 1970/80 (cf. Poirier 1987, v. chap. 1.2-1.5). L’avancement et l’état actuel de la recherche en ce domaine ayant été discutés ailleurs (surtout Chambon 1997b et 2005 ; Greub/Chambon 2008b), nous nous concentrons ici essentiellement sur une présentation des concepts et termes auxquels nous recourons tout au long de la présente étude.

Diatopicité et régionalité du français standard

Dans une représentation dynamique de la langue, la variation, comme la variabilité, est considérée comme principe structural et partie intégrante de toute langue. Cette conception se manifeste en linguistique variationniste, tenant de la théorie sociolinguistique instaurée par les travaux de William Labov (1972, 223-226 ; Wolfram/Schilling-Estes 2006, 174), de même qu’en linguistique variationnelle (Völker 2009) – ou ‘linguistique des variétés’ (Ammon/Arnuzzo-Lanszweert 2001) – laquelle s’inscrit dans la linguistique générale initiée par Eugenio Coseriu (cf. Gadet  2007, 26 pour le français). L’inhérence de la variation à la langue est aujourd’hui considérée comme principe de base en philologie romane (Glessgen 2007, 19sq. et 73-110), et plus particulièrement en sociolinguistique historique française, après une longue persistance de conceptions centralistes et structurelles unifiantes de la langue (cf. Bal 1983, XVI ; Rézeau 1987b, 30 ; Francard 1991, 371-374 et 377 ; Chaudenson 1993, 387 et 395-397). Ainsi, la sociolinguistique (historique) française englobe aussi la linguistique différentielle qui décrit la variation diatopique du français, c’est-à-dire sa variation de type géolinguistique ou géographique (p.ex. Bavoux 2008b, 18). Au sein d’une langue historique telle que le français (Coseriu 1969, 148), les variations collectives diatopique, diastratique et diaphasique sont considérées comme constitutives de l’architecture (ou du diasystème). Elles concernent (dans l’ordre) les types de facteurs ‘espace’, ‘société/communauté’, et ‘style/niveaux/registres’ :

« Normalmente, en una lengua histórica pueden comprobarse tres tipos fundamentales de diferenciación interna : a) diferencias en el espacio geográfico o diferencias diatópicas ; b) diferencias entre los distintos estratos socioculturales de la comunidad idiomática, o diastráticas, y c) diferencias entre los tipos de modalidad expresiva, según las circunstancias constantes del hablar (hablante, oyente, situación u ocasión del hablar y asunto del que se habla), o diferencias diafáticas »  (Coseriu 1981 [1958], 12 ; v. aussi id. 1969, 149 ; l’auteur reprend les notions de diatopie et diastratie à Flydal, p.ex. 1952, 248-250 et 250-253).

Bien que les termes structuralistes tels que architecture, structure et (dia-)système évoquent dans de nombreux cas l’existence d’ensembles statiques (Schmitt 2006, 1857), les outils de la linguistique contemporaine permettent de conceptualiser la variation diatopique non pas en conflit avec la structure de la langue, mais comme élément de sa dynamique, en interaction avec d’autres paramètres. En font aussi partie les variations diachronique – selon le facteur ‘temps’ – diacodique – écrit ou oral selon le canal, ou médium de communication (code graphique/phonique) – mais aussi diamésique, selon la conception d’un énoncé, c’est-à-dire selon ses modalités  de constitution fonctionnelle et communicative (Gadet  2007, 23, 47-49 ; Söll  1985 [ 1974], 17-25 pour la notion de conception). C’est surtout suite aux travaux de Koch/Oesterreicher que la représentation cosérienne du diasystème est complétée par le quatrième paramètre de la dynamique (conceptuelle) immédiat-distance (1985, 17-24 ; 2001, 605-609 ; 2008, 2575-2577).

La conceptualisation cosérienne d’une langue en termes de différents ordres catégoriels en dia- est en effet matérialisée mais aussi davantage développée dans une (socio)linguistique moderne qui dépasse le primat des structures linguistiques. Dans une telle conceptualisation d’une langue ou variété, la variabilité du système linguistique concerne non seulement les plans lexical, phonique et morphologique, mais aussi la syntaxe comme le souligne Gadet (2009, 171-191) ; elle est en outre due à des facteurs multiples qui s’enchevêtrent, linguistiques (formels) de même que sociolinguistiques – selon l’histoire des variétés et des phénomènes variables, ‘leur statut, fonctionnement écologique et rapport à la norme’, selon des facteurs identitaires (selon l’évaluation des formes par leurs utilisateurs), énonciatifs et interactionnels, de même que cognitifs (2009, 186-188 ; aussi chap. 1.5 et 2.3.2.1).

Dans une optique historique défendue ici, nous percevons le français comme une langue standard car historiquement standardisée, ‘élaborée’ (Kloss 1987, 303sq. ; Haarmann  2004, 241, 248sq.). Elle a en effet subi les quatre opérations définitoires de sélection, acceptance, élaboration et codification d’une norme linguistique (Haugen 1966, 933 ; cf. Gadet  2007, 27) . Elle se réalise non pas comme une variété d’une langue historique, selon une acception répandue où le terme langue standard réfère à un concept éminemment social – défini comme « un ensemble de normes abstraites » (p.ex. Lodge 2010, 7), mais comme un ensemble de variétés effectives. Comme les autres types de variation, la variation diatopique du français est donc, dans notre perspective historique, considérée comme étant dans le standard (Chambon 2005, 6-8 ; aussi p.ex. Bouchard 2004 et Pöll 2005 en titres).

La variation dans l’espace – ou diatopicité – est la variation collective la plus ancienne, la plus ancrée dans l’histoire de l’humanité, présente en français écrit depuis ses débuts au 9e siècle (Roques 1988-1989, 139sq.) . La régionalité de la langue française en tant que phénomène propre à une langue standard – ou en voie de standardisation, depuis les scriptae régionales des 12e /13e siècles – reflète, elle, un type de variation plus récent, lié à la propagation de la langue française comme standard régionalisé (Glessgen/Thibault 2005b, XII). Il est peu probable que le français standard ait été initialement créé à partir d’une seule variété, de Paris, du 12 et 13e siècles – celle-ci ne devenant particulièrement prestigieuse qu’à partir du 13e et notamment du 16e /17e siècles.

Une francophonie régionalisée et ses variétés diatopiques

Phénomène diversifié, la variation diatopique caractérise le français dans toute la francophonie, qui connaît des situations (socio)linguistiques et des fonctionnements communicatifs divers – en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi en Afrique, au Moyen Orient, dans l’océan Indien et le Pacifique et dans les Antilles (Poirier 2005, 485-495 ; 1995, 16sq.). Les variétés diatopiques du français, ensembles linguistiques nés lors de la diffusion du français en voie de standardisation dans le futur espace francophone européen (Greub/Chambon 2008b, 2554 et 2553-2557) –  puis également sur des territoires extra- européens – sont le français standard en X ou à Y (Chambon 2005, ). Dans une perspective historique, il s’agit du « standard sous sa forme réelle, celui-ci – en dehors de la variété codifiée livresque/scolaire dite de référence – n’ayant pas d’existence concrète en dehors de ses réalisations géographiquement particularisées » (ib., 7 > Greub/Chambon 2008b, 2556) . Les différentes variétés diatopiques, non étanches entre elles, sont formées par des apports et mouvements divers impulsés essentiellement depuis les villes comme centres directeurs (ib., 2559). Selon les chercheurs, elles sont conçues tantôt comme des systèmes linguistiquement cohérents, tantôt comme des ensembles à cohésion de type sociolinguistique (cf. Bavoux 2008c, 341). L’usage du terme variété persiste ainsi en linguistique contemporaine en dépit de ses inconvénients (Chambers 1995, 13sq. ; Gadet  2007, 23, 25sq.), même si celui de modalité aurait l’avantage d’être moins chosifiant (Chambon 2005, 8). Parmi les variétés diatopiques du français, les variétés nationales représentent des ensembles linguistiques cohérents qui ont cours à l’intérieur d’entités étatiques, c’est-à-dire en Suisse Romande, Belgique et au Québec ; elles sont aussi de type national dans les pays maghrébins et dans certains pays de l’Afrique subsaharienne. Les variétés régionales, elles, constituent des ensembles diatopiques à l’intérieur d’un pays, dans un rapport de dépendance quant à une variété nationale.

Compte tenu des importantes différences (socio)linguistiques de fonctionnement entre une variété de type régional et une variété de type national, la première peut être conçue comme « l’ensemble des usages linguistiques d’une communauté francophone bien localisée sur le plan géographique » (Poirier 1995, 19, v. aussi 16-19 – qui restreint d’ailleurs l’utilisation de l’adjectif diatopique aux variétés nationales). En effet, en ce qui concerne les variétés régionales, on ne pourrait pas parler de « systèmes qu’on pourrait ranger sous l’étiquette de ‘français régionaux’ » (Rézeau 2004, 9) au sens de variétés autonomes (v. ci dessous). Le terme français régional a été fortement critiqué surtout lorsqu’il est utilisé sans définition adéquate préalable, et pour référer aux variétés nationales du français hors de France (Poirier 1987, 152, cf. 140-152 pour la polysémie du terme). Il a en outre pour désavantage d’évoquer l’idée de l’existence d’entités autonomes – comme le fait selon nous aussi l’usage au pluriel du terme français, même si celui-ci semble utilisé surtout pour évoquer l’importante variation du français (p.ex. Muller 1985, 157-168 ; Rézeau 2004, 18, mais v. ib., 9 ; Thibault 2008a, 115sq.).

Lancé par Dauzat (1906, 203 et déjà p. 191), le terme français régional a été utilisé de façon générique pour les variétés diatopiques, en France et en dehors, surtout jusqu’à la fin des années 1980, à côté de nombreux autres (Boulanger 1980, 27-49, surtout 33, 45, 48). Son emploi est cependant restreint depuis la fin des années 1990 et le début du 21e siècle chez une partie des chercheurs pour être utilisé dans le sens de variété régionale du français, en accord avec l’acception propre de l’adjectif régional (v. TLF) – par là opposé à celui de français national (Poirier 1987, 158 et 155sq.). Selon des définitions plus anciennes et atomiques, les ‘français régionaux’ désignaient des conglomérats d’éléments déviants par rapport au ‘bon français’ (Tuaillon 1977a, 10 ; 1983, 19), ou bien des « sous-ensembles de traits particuliers greffés sur un noyau commun, lequel assure à la fois l’appartenance à la même langue et l’intercompréhension des locuteurs faisant usage de variantes différentes » (Corbeil 1984, 41sq.). Les ‘français régionaux’ ont longtemps été perçus comme existant à côté d’un vrai français, pour certains sous la forme d’une variété populaire, rurale et orale (encore Chaurand 1985, 341, 357 et 355 ; Pöll 2005, 120 pour une critique) et/ou d’une interlangue entre français et dialecte. Cette seconde conception est dans la lignée de l’ancien modèle du ‘français régional comme calque du patois’, ou même de celui du français régional comme ce qui reste quand le patois a disparu: ‘miroir fidèle du patois qui y survit après sa mort’. La persistance de ce modèle résulte, comme ses conséquences méthodologiques (chap. 1.3), d’un « obstacle épistémologique : la dialectologite » (Chambon/ Chauveau 2004, 176). Celui-ci a façonné et parfois durablement brouillé le regard de toute une génération de romanistes français ayant travaillé sur les variétés régionales du français depuis le milieu des années 1970 ; en donnant au patois le primat absolu, il a empêché de voire d’autres variétés, notamment le français et son rôle moteur dans l’histoire des autres langues galloromanes dès la fin du Moyen Âge (ib. ; aussi notre chap. 1.3-1.4 pour la diffusion du français).

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Table des matières

I. ABREVIATIONS, SYMBOLES ET SIGLES
II. INTRODUCTION
III. PROBLEMATIQUE
1. LE FRANÇAIS CONTEMPORAIN DANS SA VARIATION DIATOPIQUE
1.1. DIATOPICITE ET REGIONALITE DU FRANÇAIS STANDARD
1.2. UNE FRANCOPHONIE REGIONALISEE ET SES VARIETES DIATOPIQUES
1.3. LES DIATOPISMES
1.4. L’AREOLOGIE D’UNE FRANCOPHONIE PLURICENTRIQUE
1.5. LA DIATOPIE ET SA LEGITIMITE DANS LA SOCIETE
2. LA VARIATION DIATOPIQUE DANS LE DISCOURS LITTERAIRE
2.1. UNE ANALYSE DE CORPUS : POURQUOI UNE ŒUVRE LITTERAIRE ?
2.2. LE CORPUS D’ANALYSE : L’ŒUVRE DU VENDEEN CONTEMPORAIN YVES VIOLLIER
2.2.1. La Vendée et le Centre-ouest : paysage linguistique et culturel
2.2.2. L’œuvre d’Yves Viollier dans le champ littéraire francophone
2.3. DECRIRE L’UTILISATION DISCURSIVE DE DIATOPISMES DANS LA LITTERATURE FRANCOPHONE
2.3.1. Un bilan chronologique
2.3.2. Une approche sociopragmatique
2.3.2.1. L’exploitation de diatopismes : implications et contraintes
2.3.2.1.1. Le discours littéraire comme dispositif de communication
2.3.2.1.2. Les contraintes discursives d’une stratégie de discours
2.3.2.1.3. Un positionnement littéraire et ses conventions stylistiques
2.3.2.2. Les mises en relief métalinguistiques et leur interprétation
2.3.2.2.1. Emploi et modalisation autonymiques
2.3.2.2.2. Les unités compositionnelles du discours
2.3.2.2.3. Le marquage typographique
2.3.2.2.4. Les gloses
2.3.2.2.5. Une question de fonctions ou d’actes de langage ?
2.4. DECRIRE LES DIATOPISMES DANS L’APPROCHE DIFFERENTIELLE
2.4.1. La collecte des diatopismes
2.4.2. L’identification des diatopismes du français
2.4.3. Les outils de description des diatopismes
2.4.3.1. Établir un corpus de référence
2.4.3.2. Le corpus de référence minimal
2.4.3.3. Enquêtes orales
2.4.3.4. Le corpus de référence élargi
2.4.4. Exploiter le corpus de référence
2.4.4.1. Le corpus différentiel du français contemporain
2.4.4.1.1. Dictionnaires
2.4.4.1.2. Documentation préparatoire du DRF
2.4.4.1.3. Base de données en ligne
2.4.4.2. Le corpus général du français
2.4.4.2.1. Dictionnaires généraux du français moderne
2.4.4.2.2. Bases de données du français général contemporain
2.4.4.2.3. Ouvrages du français général populaire contemporain
2.4.4.2.4. Le FEW
2.4.4.2.5. Dictionnaires généraux de l’ancienne langue
2.4.4.2.6. Sources modernes et historiques en matière de grammaire
2.4.4.2.7. Sources modernes et historiques : phonétique et phonologie
2.4.4.2.8. Enquêtes orales : le français contemporain
2.4.4.3. Le corpus régional
2.4.4.3.1. Le fonds documentaire du FEW
2.4.4.3.2. Les ouvrages régionaux concernant surtout le 20e siècle
2.4.4.3.3. Les ouvrages régionaux concernant les 15e–19e siècles
2.4.5. Les enquêtes orales en Vendée
2.4.5.1. L’approche conversationnelle dirigée
2.4.5.2. Accéder aux usages d’une communauté de locuteurs
2.4.5.3. Le questionnaire et les diatopismes testés
2.4.5.4. Les caractéristiques des témoins et les points d’enquête
2.4.5.5. Le déroulement des enquêtes
2.4.5.6. Synthèse des résultats d’enquête
2.5. PRESENTATION DES DONNEES
2.5.1. Nomenclature
2.5.2. Macrostructure
2.5.3. Microstructure
3. ANALYSE DES DIATOPISMES DU FRANÇAIS EN VENDEE DANS L’OPUS DE VIOLLIER 202
3.1. LE VOCABULAIRE
3.1.1. L’univers : ciel, atmosphère, terre, flore et faune
3.1.1.1. Ciel, atmosphère, terre
3.1.1.2. Flore et faune
3.1.2. Le Pays et les hommes
3.1.3. L’homme : être physique et émotionnel
3.1.3.1. L’homme : être, corps et santé
3.1.3.2. Nourriture
3.1.3.3. Comportement, gestes, caractère
3.1.4. L’homme : être social
3.1.4.1. Sobriquets
3.1.4.2. Famille
3.1.4.3. Loisirs et fêtes
3.1.4.4. Travail
3.1.4.5. Aménagement de l’espace, moyens de déplacement
3.1.4.6. Habitat, la maison et ses dépendances
3.1.4.7. Ustensiles domestiques et meubles traditionnels
3.1.5. Divers
3.2. LES DIATOPISMES PHONETICO-GRAPHIQUES
3.3. LES NOMS PROPRES
IV. CONCLUSION

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