LE FONDEMENT DE LA PHILOSOPHIE MOUNIERISTE

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Les principes de la morale sociale

Le désordre établi a une morale sociale pour origine. Cette morale sociale est caractérisée par une morale capitaliste qui se définit comme une morale qui prône essentiellement les systèmes socio-économiques basés sur la propriété privée des moyens de production ainsi que d’échange. Cette morale a causé le désordre du fait qu’elle se fonde authentiquement sur les trois principes comme suit. D’abord, le primat de la production.
On appelle production l’acte de produire ou l’acte de créer des biens de consommation ou des richesses économiques. Elle est donc englobée dans le domaine économique.
Mais, quand Mounier parle du primat de la production, il faut retenir avec attention cette affirmation: « Ce n’est pas l’économie qui y (dans le primat de production) est au service de l’homme,c’est l’homme qui y est au service de l’économie »19
Cette affirmation qui se présente sous l’aspect de chiasme nous montre que dans la société capitaliste, il n’y a pas non plus de règlement de la consommation sur une morale des besoins de vie humaine. Mais ce qu’elle règle, c’est que l’éthique des besoins de la vie sur une production sans mesure. Tout cela signifie qu’elle subordonne l’être humain à l’économie. Par la suite, l’homme n’y est qu’un moyen, un objet manipulable alors que l’économie est posée comme une valeur, une fin. Ainsi « Il n’y a plus de choses dès lors, pour lui, il n’y a que des marchandises, plus de besoins, mais seulement un marché, plus de valeurs aimées, mais seulement des prix »20 Cela veut dire qu’au lieu de valoriser son existence, l’être humain la dévalorise. Car l’essentiel, pour lui, à cause du règne de la production, n’est que l’élévation de l’économie par l’entreprise des marchandises.
Puis, le primat de l’argent. On s’aperçoit que la société ou la morale capitaliste accorde une suprématie à l’argent. Cette suprématie se voit dans tous les domaines, notamment dans les domaines de travail et de l’économie. Dans ces deux domaines, c’est l’argent qui est au sommet. C’est lui qui est « La clé des postes de commande »21.
Il se présente comme un but, but vers lequel s’orientent à la fois le travail et l’économie. Cette suprématie se déploie par le jeusur le capital, par le règne de la spéculation. Ce jeu et ce règne s’expliquent clairement par la puissance de l’argent. En d’autres termes, c’est l’argent qui est à la base du mal. C’est lui aussi qui est à la racine de toutes les calamités. Il est source de toute dégradation. Il est source d’empoisonnement des cœurs humains puisque c ’est au cœur de l’homme qu’il ne cesse d’installer le vieux rêve divin de l a bête. Il est aussi source d’expulsion car selon Mounier.
« Il expulse l’homme de lui-même et y installe l’égoïsme. Il expulse la communauté des rapports humains [..] »22
Ainsi donc, le règne de l’argent ne fait qu’installer le grand désordre dans le monde, et a fortiori dans la vie humaine. Voilà ce qui concerne le primat de l’argent, mais analysons enfin le dernier primat, le primat du profit.
Quand on parle du profit dans le régime capitaliste, il s’agit de l’art d’utiliser le capital dans le cadre économique. Il s’agit également de l’effet efficace du jeu propre de l’argent. Voilà pourquoi jamais il ne concerne la rémunération des services rendus. Par contre, il se présente comme un gain acquis sans service réel, sans travail. A noter, ensuite, que la société capitaliste donne la valeur au profit dans la mesure où de ce profit dépend nécessairement le développement de l’économie.
Pour autant, cette valorisation du profit provoque des troubles aussi bien au sein de la société qu’au sein de la vie parce que outes les valeurs humaines telles que l’amour du travail et de la matière, le sens du service sont rejetées par elle. C’est ainsi qu’apparaît le désordre excessif. Cependant, celui-ci a d’autre source. Cette source n’est rien d’autre que les régimes politiques existant durant la civilisation moderne.

Les régimes politiques

Il faut déclarer que le désordre établi, tel que Mounier le conçoit, trouve aussi sa source dans les régimes politiques, notamment le capitalisme, le fascisme et le marxisme. Pour commencer cette analyse, essayons d’élucider le capitalisme et sa relation avec le désordre établi.
Parler du capitalisme, en premier temps, c’est se souvenir de la parole de Guissard Lucien, un des commentateurs de Mounier qui a dit : « Le capitalisme n’a pas institué un ordre »23
Cela signifie que le capitalisme est un des moteurs du désordre parce qu’il se définit comme un régime politique dans lequel le pouvoir est aux mains des détenteurs des capitaux. Autrement dit, ce sont les propriétaires bourgeois qui y assurent, de leur gré, le gouvernement de l’Etat. Au lieu d’être des hommes d’accueil, ces dirigeants sont des hommes bourgeois, des hommes égoïstes, des hommes injustes, des hommes cupides. Parce qu’ils préconisent de façon sensuelle l’instinct de domination sur les biens matériels. Parce qu’ils n’ont d’autre objectif que d’élargir le champ de leur avoir et non pas de leur être. En ce sens, le capitalisme a pris le visage d’un régime corrompu, d’un régime politique dans lequel règnent l’égoïsme comme le mobile du désordre, et le tyran de l’argent.
En second temps, il faut préciser que dans le régime capitaliste, l’Etat accepte et prône ce qu’on appelle libéralisme au profit des dirigeants de l’Etat. Ce libéralisme se conçoit comme une doctrine qui tient compte des libertés politico-religieuses du peuple, de la liberté de l’entreprise privée, et valorise le libre-échange des marchandises tout en estimant la non-intervention de l’Etat dans la vie économique du pays. Parce qu’il accepte la liberté de l’entreprise privée, l’Etat ne dénonce pas la liberté de la concurrence. Pourtant, ici, sa décision parasite les milieux sociaux étant donné que la loi de la concurrence due à la liberté de l’entreprise privée entraîne la faiblesse des entreprises, d’un côté et la pauvreté, de l’autre. C’est ce qui pousse Mounier à dire : « Il (Le capitalisme) a dissout la personne patronale dans la société anonyme irresponsable soumise au pouvoir anonyme de l’argent. Il a opprimé toute l’entreprise sous cette dictature ; expropriant les salariés, il les désintéressent de leur tâche, et esl livrait soit à la haine, soit au désir désespéré de se hisser à leurplace. »24
Par là, il est assez indéniable que la loi de la concurrence provoque, au fond, la division de la société. Cette division sociale reflète l’hiérarchie des classes puisque c’est les plus puissants qui dominent la société. Ils dépossèdent entièrement et oppriment les plus faibles. Ce qui veut dire que la société devient oppressive et agressive. Elle a perdu le sens de la véritable communion. Vue cette décadence de la société, on peut constater que ce sont l’oppression, le mépris total de la personne ou le détournement du spirituel qui sont au cœur du capitalisme.
C’est ainsi qu’il représente complètement le régimetyrannique, le symbole du désordre qui est bien perçu dans le fascisme. Mais en quoi consiste-t-il vraiment ? Le fascisme consiste en le régime de dictature dont l’objectif n’est rien d’autre que la glorification de la nation. Ensuite, quand on parle du fascisme, il ne faut oublier de parler, d’une part, de Mussolini puisque c’est lui qui instaura ce régime en Italie en 1922 et, d’autre part, Hitler puisqu’en gouvernant l’Allemagne , Hitler, lui aussi, à son temps, pratiquait un régime fasciste, un régime dictatorial. A cet égard, on comprend alors que le régime fasciste est un régime qui se caractérise par la dictature. Plus précisément, c’est un régime dans lequel un homme ou un groupe détient effectivement la totalité du pouvoir, et l’exerce sans aucun contrôle, et souvent de manière brutale et tyrannique. De ce fait, affirmer ce régime, c’est valoriser évidemment la puissance.
De plus, il accorde au collectif national une prépotence ainsi qu’à la Nation ou à l’Etat la valeur primordiale et particulière. En d’autres termes, le régime fasciste tend à exalter extrêmement l’Etat. Celui-c i y est considéré comme la véritable réalité de l’homme particulier. Ce qui signifie que l’individu, en tant que tel, ne peut pas vivre en dehors de l’Etat. Sa véritable existence s’enracine profondément dans l’Etat puisque Mussolini a proclamé : « Tout est dans l’Etat et rien d’humain n’existe et a fortiori n’a de valeur hors de l’Etat. »25
Dans cette perspective, c’est l’Etat qui garantit les besoins fondamentaux de l’homme, parmi lesquels on peut citer à la fois le besoin matériel et le besoin spirituel. Ensuite, il est la fin de l’individu. Ce qui veut dire que dans le régime fasciste, l’Etat est présenté comme Dieu qui se fait. Par conséquent, il est bon de retenir cette double remarque : premièrement, le régime fasciste met en relief un véritable panthéisme religieux. Deuxièmement, il peut être considéré comme un régime antipersonnaliste dans le sens où l’on y voit un pseudo-humanisme, une conception négative de l’homme. Cette conception négative de l’homme se manifeste à travers cette expression de Mounier : Cette conception négative de la personne humaine surgit également dans le marxisme. Certes, le marxisme est, du point de vue historique, le fils rebelle du système capitaliste à cause de sa lutte contre le désordre dans les institutions et dans les choses, établi par le capitalisme. Pour autant, il faut évoquer que ce marxisme valorise la matière, et préconise l’appropriation par la nation des grands moyens de production afin d’aboutir à une société sans classes. Ce qui veut dire que la doctrine marxiste ne néglige pas l’économie pour atteindre la société future. En ce sens, avec le réalisme marxiste, l’homme n’est qu’un objet pour améliorer la vie économique. Ensuite, elle embrasse un optimisme de l’homme collectif. Plus précisément, elle prône le collectivisme au plan social. Or ce collectivisme empoisonne et risque de tuer l’initiative personnelle, et de créer un conformisme. En d’autres termes, le marxisme méconnaît le spirituel, c’est-à-dire la personne qui est la forme dernière de l’existence spirituelle, qui a l’autonomie et la capacité de créer et d’aimer. Il ne fait nulle place à la réalité de la vie personnelle. Il refuse l’existence des valeurs transcendantes à l’individu. Il affirme, ainsi un réalisme tronqué qui s’oppose au réalisme spirituel. D’où le désordre.
Il nous reste à expliquer la participation des chrétiens du temps moderne à ce désordre.

La participation des chrétiens au désordre

Dans la civilisation moderne corrompue, les chrétiens, eux aussi, participaient au désordre établi puisque l’esprit bourgeois, qui s’affolait, arrivait aussi bien à influencer qu’à pénétrer la vie chrétienne. Cette possibilité de pénétration peut s’expliquer par le fait que la bourgeoisie ne cessait pas de diffuser autant que possible dans le peuple leurs aspirations. Puis, elle s’intéressait au développement de l’économie, et donc de l’avoir. Elle se contentait d’exalter l’argent tout en démoralisant la masse.
Ce qui est dangereux, c’est qu’elle faisait sa chose de la religion chrétienne. De ce fait, la vie chrétienne, de son temps tombait en décadence. Cette décadence trouve à proprement parler sa justification dans le fait que les chrétiens s’acheminaient avant tout vers la quête incessante des intérêts personnels et de la jouissance. Ils mettaient en valeur le charnel. Pour ce faire, ils tentaient de considérer la religion, notamment la religion catholique comme un moyen. Voilà pourquoi Mounier, dans L’affrontement chrétien, ose déclarer : « Ils voudraient faire de l’Eglise catholique et apostolique une arrière boutique,[…] »27
Dans cette perspective, il y a donc une mauvaise conception de l’Eglise. Celle-ci ne se présente plus, aux yeux des chrétiens, comme un lieu sacré, un lieu de rencontre avec Dieu, mais simplement comme un lieu par son intérêt. Par conséquent, il n’est pas du tout étonnant si les chrétiens camouflaient leur attitude égoïste derrière leur religion, derrière la chrétienté.
Puis, la décadence de la vie chrétienne se manifeste aussi par le fait que les chrétiens suivent et vivent le pharisaïsme. Autrement dit, leur manière de vivre est quasiment semblable à celle des pharisiens, qui sont des membres d’une secte religieuse juive, reprochés à tout rompre par Jésus à cause de leur formalisme ainsi que de leur observance scrupuleuse de la loi. Leur manière de vivre est semblable à celle des pharisiens parce qu’ils se revêtent de l’orgueil et de l’hypocrisie, parce qu’ils aiment l’honneur, et parce qu’ils ne vivent pas intérieurement la foi. Ce qui veut dire que le comportement des chrétiens assombrit la chrétienté. Puis, la religion chrétienne a été dévalorisée. En d’autres termes, c’est avec eux que s’établit aussi le désordre.
Face à ce désordre établi apporté par la civilisation du XX è siècle, Mounier ne s’est pas montré indifférent. Il a osé dénoncerce désordre. Puis, il a osé faire un défi. Ce défi s’appuie essentiellement sur l’expression célèbre « refaire la renaissance ». Cette expression affirme une ambiti on chaleureuse qui implique inévitablement une révolution et qui a pour but de relever autant que possible la dignité de la personne humaine contaminée et de construire la cité de demain, valorisant la personne humaine. Ce sont ce relèvement de la dignité de la personne et cette construction de la citer de demain qui est le fondement de la philosophie de Mounier.

LE FONDEMENT DE LA PHILOSOPHIE MOUNIERISTE

Mounier et la révolution

Signification de la révolution mouniériste

A plusieurs reprises, quand on parle de la révolution, on pense habituellement à l’idée de changement brusque. Assurément cette révolution se voit dans tous les domaines. A titre d’exemples : dans le domaine de la culture ; d’où la révolution culturelle qui consiste à bouleverser les valeurs principales d’une société. Et dans le domaine politique : d’où la révolution politique qui peut être définie comme un changement radical et violent dans la structure d’un Etat, parfois d’origine populaire.
A remarquer, d’ailleurs, que Mounier, lui aussi, a retenu cette idée de changement brusque lorsqu’il en a déterminé le senspuisqu’il a bien mentionné : « Un changement radical, s’est toujours appelé une révolution »28
A cet égard, on voit que, pour Mounier, révolution et transformation complète sont désormais deux concepts intimement inséparables. Puis, cette idée de transformation complète nous permet de bien comprendre l’idée du bouleversement, du renversement, de crise puérile dans la réalité de la révolution, car selon ses propres termes : « […] la révolution c’est un tumulte bien plus prof ond »29
En ce sens, le mot révolution, aux yeux de notre auteur, ne présente ni un mot noble ni un mot rassurant. Mais il est un mot inquiétant. En allant plus loin encore, la révolution mouniériste est aussi une sorte de démarche instaurée servant à contester l’injustice, le désordre établi dans le monde moderne. Cela signifie qu’elle n’est rien d’autre qu’une tentative voulant établir le véritable ordre. De plus, c’est une tentative qui vise entièrement la révision scrupuleuse des valeurs, la réorganisation sérieuse des structures et le renouvellement des élites. Bref, elle indique, sans hésitation, une démarche qui met l’accent sur la nécessité de la construction d’une nouvelle cité. Enfin, elle se présente aussi comme une action, mais action de l’esprit en ce sens que c’est ce dernier qui est le souverain de la vie. Soulignons ainsi que cette définition de la révolution comme étant une action, dépasse et reproche la conception vulgaire sur la révolution axée sur l’œuvre de la force, de la violente. Ensuite, elle met en exergue l’originalité de Mounier qui veut une révolution non violente, efficace et digne de l’homme en tant que tel.
Voilà en ce qui concerne la précision du sens de la révolution mouniériste. Mais la question est pour le moment de savoir quels sont deux grands types de la révolution mouniériste.

Les deux grands types de la révolution mouniériste

De prime abord, il faut insister sur le fait que selon Mounier, cette révolution se divise en deux grands types. Ainsi, il y a la révolution de type personnaliste et de type communautaire.
En matière de la révolution personnaliste, il s’agit bien d’une révolution organisée ayant pour objectif de lutter pour la personne méprisée dans la civilisation vécue par Mounier. Autrement dit, elle tâche de chercher et en même temps de restaurer sa véritable signification. Elle tâche également de fonder un régime humain et social pour la personne elle-même. Tout cela nous montre que cette révolution personnaliste lutte contre le règne de l’individualisme qui considère le « moi » comme une réalité isolée, qui saisit la personne comme une abstraction, un être sans attaches, sans entourage. Ensuite, elle stigmatise le capitalisme car celui-ci exalte l’argent et pousse à tout prix l’anarchie jusqu’à la pire tyrannie dans la société. Il en résulte que l’homme a été dépouillé. On n’a qu’un type d’homme victime, misérable.
Par contre, la révolution communautaire, étant une révolution voulue, a pour fonction de fonder une communauté des personnes, une communauté qui respecte leur dignité, leur diversité dans l’unité,et une communauté vivifiée par l’amour et basée sur la véritable communion. De ce fait, il est clair qu’elle dénonce et arrache le communisme qui est une doctrine sociale qui valorise la collectivisation des moyens de production, la distribution des biens de consommation suivant les besoins de chacun et la suppression des classes sociales. Mounier le méprise car le communisme saisit l’homme comme celui qui vit uniquement dans sa relation avec l’économie. Et il néglige la diversité reconnue entre les hommes.
Tels sont les deux grands types de la révolution. Il est temps d’élucider les conditions nécessaires proposées par Mounier pour atteindre cette double révolution.

Les conditions nécessaires de la révolution mouniériste

Il n’est pas douteux qu’une révolution, selon la réalité, implique tant de conditions. Ces conditions peuvent être tantôt simples, tantôt complexes. Elles peuvent être aussi efficaces. Il est à rappeler que ces conditions efficaces peuvent être appelés « conditions nécessaires » ou « condit ions sine qua non ». Ces conditions nécessaires sont exigées par les révolutions mouniéristes. Parmi ces conditions nécessaires, on peut citer avant tout l’esprit et ses rôles, ensuite l’effort personnel. D’où l’appellation « révolution spiritue lle et personnelle ».
Affirmons, en premier temps, que les révolutions mouniéristes, à savoir la révolution personnaliste et la révolution communautaire, ne peuvent s’incarner ni réaliser sans l’esprit. Cela veut dire qu’elles ne peuvent pas exister par soi. Par contre, elles appellent l’esprit. Elles en dépendent totalement jusqu’à leur réalisation. Pour illustrer cela, il nous faut recourir à la déclaration de Mounier : « Ce n’est pas la force qui fait les révolutions, c’est la lumière »30
Par conséquent, avec Mounier, si l’on vise la révolution personnaliste et communautaire, il faudra mépriser, voire rejeter la force physique car avec la force physique, l’homme a tendance à faire violence à autrui. De plus, la violence, dont il est question, se présente, aux yeux de Mounier, comme une chose impure en ce sens qu’elle paralyse l’être humain, et que, dan s l’idée de la violence, il y a toujours l’idée d’agressivité.
En effet, Mounier choisit et pose l’esprit comme étant une des conditions certaine de ses révolutions. Parce que, selon ses propres termes, « Le monde est en panne, l’esprit peut seul remettre la machine, il se trahit s’il s’en désintéresse » 31
Cela signifie que l’esprit est principe de la révolution. Il est le démarreur puisqu’il n’est pas l’esprit bavard de démagogues. Il n’est pas un réflexe biologique de justification. Il n’est pas non plus une hypothèse de structure. Mais, il est vie. Il est, ensuite, une réalité à laquelle nous adhérons et qui nous transcende et nous pénètre.
En sachant qu’il est sagesse et juste milieu, et qu’il a pour fonction de prévoir, de dépasser les différents obstacles existant dans la vie, et de poser des buts adéquats à la réalité humaine, l’esprit est fondement de tout ordre. Il a la capacité de résoudre les différents problèmes de hommel’. Il est apte à les résoudre par priorité. Par la suite, il nous aide à nous tirer de l’abîme du désordre et de l’injustice ainsi qu’au-delà de nous –mêmes. C’est pour cela qu’il peut être considéré comme une réalité engagée. Plus profondément, il spécifie et situe l’être humain non seulement par rapport à la matière et aux hommes mais aussi par rapport à la société. On s’aperçoit, ici, que le rôle de l’esprit devient vaste. Son rôle ne se borne pas à la production des concepts et à leur enchaînement. Mais il s’étend jusqu’à comprendre et à appréhender le réel. Cela veut dire clairement qu’avec Mounier, la fonction de l’esprit parvient à échapper à l’idéalisme pour rejoindre le réalisme. Cette fonction pertinente de l’esprit apportée par notre auteur qualifie la révolution spirituelle. Toutefois, celle-ci appelle des intellectuels qui sont disponibles à faire une révolution personnelle.
Pour Mounier, la révolution personnelle ne signifie pas une révolution intérieure. Elle exprime plutôt l’effort personnel résultant de la volonté et du choix personnel. Cet effort personnel est un des éléments qui garantit l’accomplissement des révolutions. Il entraîne lesrévolutions dans la mesure où il commence par la prise de conscience personnelle de la violence et du désordre dans la société. Cette prise de conscience personnelle de la situation vécue tient une place importante dans la théorie de la révolution mouniériste car elle est le point de départ. C’est la raison pour laquelle Guissard dit : « La révolution commence par une prise de position devant l’injustice, devant les vices de l’organisation sociale devant le grand corps libéral qui déjà reprend sa pesanteur de cadavre […] »32
En dépit de tout cela, il faut préciser que cette prise de conscience personnelle, étant le fruit de la technique spirituelle, n’est pas abstraite. On ne peut pas l’envisager comme un laisser-aller. En revanche, elle est une lutte contre le sommeil de la vie. Plus précisément, elle est une démarche personnelle pour accéder à l’existence authentique, à la véritable révolution.
A cette prise de conscience personnelle, il faut ajouter la conversion intime, ou la conversion personnelle qui devra être normale ment perçue aussi bien à travers l’agir qu’à travers l’attitude subjective. Cette conversion subjective veut que la personne doive être dynamique, qu’elle ose comba ttre contre les mythes. C’est-à-dire qu’elle doit lutter contre le mensonge parce que : « Plus grave est le mensonge qui s’insère, point toujours consciemment, à l’intérieur des partis, et qui fait la vie publique contradictoires aux actes publiques »33
Dans cette perspective, il est évident que le mensonge nuit l’être humain car il est à la racine de toute contradiction, de toute opposition. Par là, l’être humain doit être convié à s’engager librement dans la recherche incessante et amoureuse de la vérité. Ce qui est essentiel, c’est que la vérité, à quoi se donne la personne, la libère complètement. Elle est source de la tranquillité
En allant plus loin encore, après avoir senti la situation dangereuse causée par l’argent, il est nécessaire de décider car la décision est affirmation de la personne parce que Mounier a déjà dit :
« […] Elle est la personne répondant « présent » à un appel du monde et s’engageant à la vie et à la mort dans la réponse qu’elle lui donne ». 34
De cette affirmation découle l’idée selon laquelle de par la décision, la personne ose faire face à la réalité, à la situation vécue. Par la décision, elle doit agir et en même temps réagir. Son agir doit se diri ger vers la dénonciation du monde de l’argent, du régime capitaliste qui est source de la lutte des classes.
Malgré cette conversion personnelle, il faut affirmer, en second temps, que la révolution mouniériste exige également la réorganisation de la vie économique. D’où l’appellation « révolution économique». Cette révolution économique s’explique par le fait que l’économie doit être au service de l’homme. Elle doit favoriser la vie personnelle et la vie publique. Il est à exiger qu’elle ait pour fonction d’assurer la satisfaction des besoins matériels de l’homme. Cela veut dire qu’elle doit être subordonnée à ce qu’on appelle éthique des besoins de création. Mais, afin qu’il ait vraiment un développement humain, il est bon d’établir cette double règle : d’une part, les besoins de consommation doivent être à la fois subordonnés et limités par un idéal de simplicité de vie. Et d’autre part, les besoins de création doivent être limités par les exigences de la morale et en même temps, les possibilités créatrices de la personne.
Puis, il faut aussi le primat du travail sur le capital. Autrement dit, on s’efforce de valoriser le travail. C’est le travail qui est source e l’argent et de rémunération. Ainsi, il sera illégitime et injuste si l’argent et la rémunération sont acquis par le biais de l’usure. Il faut également ’exaltation du service social par rapport au profit. Cette exaltation consiste à refuser l’obtention du profit, du gain sans service social.
Enfin, il est urgent aussi de réorganiser la vie politique puisque, depuis longtemps, le régime établi comme le capitalisme, se présente comme régime oppressif, corrupteur. Il est hostile à la réalité de la personne car la personne humaine est faite par l’Etat et non pas l’Etat pour la personne. En effet, la personne humaine a été opprimée. Cette oppression de la personne est causée par l’abus du pouvoir effectué par les gouvernants. Il est alors urgent d’instaurer un régime nouveau qui méconnaîtra la tyrannie et anarchiel’. Il est urgent de l’instaurer par la création des communautés organiques dans lesquelles se trouve le lien vif entre la vie privée et la vie publique. Pour terminer, ce régime nouveau devra accorder, dans sa structure, le primat de la personne. A noter ici que la réflexion sur ce primat de la personne constitue fondamentalement ce qu’on appelle « personnalisme ».

Mounier et le personnalisme

Le sens du personnalisme

Premièrement, quand Mounier a défini le « personnalisme », il a vraiment mis l’accent sur la philosophie. Pour lui, le personnalisme n’est rien d’autre qu’une philosophie. En cela, voilà ce qu’il écrit : « Le personnalisme est une philosophie, il n’est pas seulement une attitude. Il est une philosophie […]»35.
Cela veut dire que le personnalisme consiste en une tentative effectuée par Mounier pour assigner à l’homme sa place dans le monde. Il est vraiment une philosophie car il souligne et valorise des structures au cœur desquelles il accorde spécialement une place au principe d’imprévisibilité, disloquant et détroquant complètement le désir de systématisation. Il est vraiment une philosophie car il est une réflexion philosophique qui s’intéresse et affirme avant tout et plus particulièrement l’univers de la personne humaine. En d’autres termes, il exalte la réalité existentielle humaine puisque son axe est dirigé vers l’existence personnelle. Par là, il ne peut pas seulement être qualifié d’attitude. Autrement dit, il ne s’avère pas seulement comme une conduite, comme une manière de penser et de régir. Ensuite, il ne peut pas être conçu comme un système car Mounier a déjà mentionné dans Le personnalisme : « Le personnalisme n’est pas un système ». 36
Mais qu’est-ce qu’un système ? Un système peut être défini comme ensemble d’idées qui soutiennent mutuellement et s’enchaînent logiquement afin de constituer une doctrine. Ce terme nous rappelle le grand philosophe Hegel et l’hégélianisme. Car Hegel, dans sa philosophie, éleva le système, valorisant la spéculation. Selon Mounier, le personnalisme ne peut pas être considéré comme un système parce que celui-ci prône à la fois la généralité et l’abstraction. Or cette abstraction ne tient pas compte de l’existence. Elle la laisse de côté. Elle ne peut ni la penser ni l’éclaircir ni la démontrer. En ce sens, le système demeure un tout clos. Il embrasse une rédaction de la véritable réalité, et donc de la réalité existentielle de la personne. Voila pourquoi Lacroix affirme : « Ainsi le système risque toujours de masquer la complexité du réel sous la simplicité des principes, de cristalliser al pensée sous des cadres rigides qui laisseront échapper la plus grande part de la réalité en la déformant, […] ». 37
En un mot, le personnalisme mouniériste semble s’opposer à la doctrine hégélienne. Deuxièmement, il peut être aussi défini comme une perspective dans la mesure où il englobe un effort incessant qui ne néglige jamais l’importance de l’expérience vécue. C’est pour cela qu’on y voit ce qu’on appelle réalisme spirituel.
Puis il s’efforce d’unir l’appel à la plénitude personnelle et celui de l’humanité. C’est cette union qui nous permet de comprendre qu’il s’avère comme une conceptualisation qui tente d’absolutiser la personne. En ce sens, un optimisme tragique vivifiant découle du personnalisme car celui-ci cherche la réalisation de la personne dans la lutte. Puis, il s’oppose radicalement à l’idéalisme abstrait.
Mais pour bien accueillir ces différents efforts déjà précisés, il faut que le personnalisme se présente comme une méthode. En tan que méthode, il se soucie de dénoncer et de récuser la méthode déductive des dogmatiques d’une part et l’empirisme brut des réalistes d’autre part.
En revanche, il a pour rôle de lier l’être humain à une ligne précieuse des valeurs et des présences historiques. Plus clairement, il l’aide à tendre vers le plus être et à faire de l’histoire.
Sans doute la réalisation de ce double mouvement n’est pas du tout facile du fait qu’il implique quelque chose. Ce quelque chose n’est rien d’autre que l’ensemble de l’agir humain, de l’action de l’intelligence et les apports des événements dont Mounier a fait notre maître à pensée, car ces événements peuvent être considérés comme source des suggestions.
A vrai dire, ce sont cet agir humain et cette action de l’esprit dans le spatio-temporel qui sont le rayonnement de l’engagement. Il est à noter que c’est cet engagement que nécessite le personnalisme. D’où l’affirmation mouniériste : « [….], Le personnalisme est exigence d’engagement total et conditionnel »38
Cette perspective souligne l’idée selon laquelle le personnalisme met en relief l’engagement total parce que la validité de la lucidité dépend réellement de sa réalisation, parce que Mounier s’intéresse beaucoup à l’homme et veut le comprendre afin de le perfectionner. Enfin, il s’apparaît exactement comme exigence d’engagement conditionnel parce que l’homme a toujours un désaccord interne qui freine la civilisation, l’évolution humaine et le déséquilibre vers la complaisance solitaire, puis vers l’étourdissement collectif, et enfin vers l’évasion idéaliste.
Si telles sont les significations du personnalisme de Mounier, il est maintenant temps d’aborder ses spécificités.

Les spécificités du personnalisme mouniériste

Le personnalisme mouniériste a des spécificités. Ses spécificités dont il est question, peuvent apparaître à travers l’analyse suivante.
En premier lieu, quand on parle du personnalisme chez Mounier, il ne faut jamais oublier qu’il est une doctrine qui affirme le primat de la personne. Il s’intéresse avant tout à la réalité de la personne humaine. Il la saisit complètement. Il est vrai que cette réalité de la personne humaine, comme nous avons déjà évoqué, a été contaminée, au cours du XXè siècle, par le désordre établi. Et c’est pour cela que le personnalisme mounieriste se présente comme effort total en vue de la compréhension ainsi que du dépassement de la situation dramatique de l’homme au XX è siècle. Par là, il mérite d’être considéré comme une philosophie de l’homme total.
En sachant que l’homme a une histoire et fait de histoire, il importe de préciser que le personnalisme de Mounier accorde une valeur à l’histoire de l’humanité tout en affirmant l’incarnation de la personne.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA GENESE DE LA PHILOSOPHIE DE MOUNIER
CHAPITRE I : LES SOURCES DE LA PENSEE DE MOUNIER
1-Mounier et la tradition chrétienne
2-Mounier et la tradition philosophique
2-1 Mounier et Péguy
2-2 Mounier et Jacques Maritain
2-3 Mounier et Nicolas Berdiaeff
2-4 Mounier et Max Scheler
3-Mounier et le désordre établi
3-1 Le sens du désordre établi
3-2 Les formes du désordre établi
3-3 Les sources profondes du désordre établi
3-3-1 L’individualisme
3-3-2 Les principes de la morale sociale
3-3-3 Les régimes politiques
3-3-4 La participation des chrétiens au désordre
CHAPITRE II : LE FONDEMENT DE LA PHILOSOPHIE MOUNIERISTE
1-Mounier et la révolution
1-1 Signification de la révolution mouniériste
1-2 Les deux grands types de la révolution mouniériste
1-3 Les conditions nécessaires de la révolution mounieriste
2- Mounier et le personnalisme
2-1 Le sens du personnalisme
2-2 Les spécificités du personnalisme mouniériste
DEUXIEME PARTIE : LA DIALECTIQUE DE LA PERSONNE
CHAPITRE I : DIVERSES SIGNIFICATIONS DE LA PERSONNE
1 – La personne : une incarnation
2-La personne : une communication
3-La personne un affrontement.
CHAPITRE II : LA VIE INTERIEURE DE LA PERSONNE
1-Les significations de la vie intérieure
2 –Les caractéristiques de la vie intérieure
2-1 Le recueillement
2-2-Le secret
2-3 L’intimité
TROISIEME PARTIE : LES VALEURS DE LA PERSONNE
CHAPITRE I : LES CONDITIONS SINE QUA NON DE L’EXISTENCE DE LA PERSONNE
1-La primauté de la subjectivité
2- La liberté
3- L’engagement :
CHAPITRE II : LA SUBLIMITE DE LA PERSONNE
1-La singularité de la personne
2-La transcendance
3-L’amour
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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