Le féminisme dans la littérature francophone

La femme bisexuelle

   La figure « bisexuelle» soutenue par Hélène Cixous est reproduite dans la représentation de l’androgyne dans la littérature des femmes francophones, à la fin du XXe siècle. En effet, cette auteure prône dans l’écriture, une possession de l’autre qui met en avant la reconsidération de la « bisexualité ». Cette entreprise permet d’éloigner cette notion de sa conception classique, symbole de la neutralité qui conduit au complexe de castration psychanalytique. À cet effet, Cixous élabore deux aspects distincts de la bisexualité à ses propres termes :
1) « La bisexualité comme fantasme d’un être total qui vient à la place de la peur de la castration, et voile la différence sexuelle dans là où celle-ci est éprouvée comme marque d’une séparation mythique, trace donc d’une sécabilité dangereuse et douloureuse.
2) […] l’autre bisexualité, celle dont chaque sujet non enfermé dans le faux théâtre de la représentation phallocentrique institue son univers érotique ».
Le premier concept se rapporte à l’origine de l’androgynie humaine, qu’Aristophane à travers son discours, décrit dans Le Banquet. Il s’agit d’une espèce humaine divisée en deux moitiés par Zeus, car sa morphologie menaçait la suprématie des dieux. Suite à cette intervention, cette nouvelle forme humaine plonge dans le désarroi : « chaque moitié, regrettant sa propre moitié, s’accouplait à elle ; (…) elles s’enlaçaient mutuellement dans leur désir de se confondre en un seul être». Cette forme bisexuelle s’éloigne donc des deux genres que compose la société moderne. Hélène Cixous parle d’une possession en soi, des principes et des valeurs du sexe opposé. Dans un contexte historique et culturel, la femme à travers sa féminité s’adapte à l’androgynie puisqu’elle tient compte de la différence sexuelle et de sa valorisation. Ainsi, Calixthe Beyala dans C’est le soleil qui m’a brulée semble se conformer à la déclaration de Cixous : « la femme est bisexuelle». Dans ce récit qui fascine par sa beauté esthétique, l’auteure met en scène Ateba qui, tout au long de l’intrigue est accompagnée de son double, garante de sa puissance bisexuelle. La narratrice nous livre une description d’Ateba qui retrace les thèmes de la supériorité, de la divinité, de la dominance et paradoxalement, d’une dénonciation de la condition féminine. La jeune fille est dépeinte sous les traits d’une androgynie physique et psychologique par le biais de sa sexualité. Son double qui est également la narratrice argue que :
« Depuis longtemps, Ateba était habituée à se caresser pour s’endormir. Elle fermait les yeux, elle se caressait, elle appelait le plaisir, elle lui disait de venir, de venir avec sa chaleur dans ses reins, de la prendre jusqu’à sortir sa jouissance. Jamais encore, elle n’avait joui de l’homme, de son image ou de ses gestes, de son désir retroussé, imbu d’ingéniosité et de bêtise ou de son besoin de se fabriquer un double».
La sexualité d’Ateba est ambigüe. Elle se procure seule le plaisir sexuel, mais cet acte demeure plus profond qu’une simple masturbation. En effet, les zones sexuellement excitables chez la femme ne se bornent pas au clitoris ou à « un trou-enveloppe» du vagin, qui se compare à l’organe génital de l’homme. Il s’agit de zones érogènes pouvant se substituer au pénis pour que la femme se procure seule le plaisir. Calixthe Beyala se sert de la spécificité de la sexualité féminine afin de doter à son protagoniste des traits propres au sexe masculin. Irigaray précise que « La femme ne vivrait son désir que comme attente de posséder enfin un équivalent du sexe masculin». Dans sa logique de considérer la sexualité féminine sur la base d’un autoérotisme, la critique insiste sur la capacité féminine à se procurer seule le plaisir sexuel, car « son sexe est fait de deux lèvres qui s’embrassent continument». Selon Michel Haar, Freud « attribue, surtout le petit garçon, les mêmes organes génitaux, ceux du sexe masculin, aux deux sexes». Cette affirmation autorise de souligner que Freud soulève une absence du pénis chez la petite fille et une puissance virile du garçon. Dans ce cas, la femme qui éprouve ce manque est envieuse de cet organe et cherche inlassablement à le posséder. La mère phallique pour cette raison préfère obtenir un enfant de sexe masculin pour enfin accéder aux valeurs culturelles de droit destinées aux hommes. On peut à présent supposer que le féminin cherche à posséder les propriétés de l’autre, ce qui lui permet de construire un univers pluriel où chaque genre peut se retrouver.

Vers une écriture féminine

   « Et il y a un lien entre l’économie de la féminité, la subjectivité ouverte, prodigue, ce rapport à l’autre où le don ne calcule pas son coup et la possibilité de l’amour ; et entre cette “libido de l’autre” et l’écriture, aujourd’hui ». On a vu que dans Le Rire de la Méduse, la bisexualité féminine qui doit être adaptée dans la production littéraire des femmes s’effectue sur le mode de la possession de l’autre et conduit à une décadence du mythe androgyne. Tout comme dans la légende, les deux romans du corpus mettent en scène des personnages féminins aux puissances doubles. En effet, une « écriture féminine » suggérée par Cixous provient de cette position bisexuelle des auteures. Elle vient comme une réponse aux études philosophiques et psychanalytiques longtemps consacrées à la femme et à ses rapports avec l’homme. Elle va au-delà des limites qui fondent le discours du système phallocentrique. Cette écriture trouve sa pertinence dans la dénonciation et dans le projet d’amélioration de la condition d’existence féminine. C’est dans ces rapports de la femme à l’autre que Cixous considère que cette écriture « a et aura lieu ailleurs que dans les territoires subordonnés à la domination philosophique-théorique». Le sexe opposé est alors très présent dans la création littéraire des femmes. Paru vers les années 70, ce concept peut être perçu comme l’expression d’une théorie, mais également d’une esthétique se rapportant à la gent féminine. Il s’agit d’une entrée de la femme dans « la théorie de la femme » comme développée par Luce Irigaray qui affirme que : « Ce marché-là », elle se doit « seulement entretenir le commerce en étant un objet de consommation ou d’échange. Ce qui semble difficile, voire impossible à penser, c’est qu’il puisse y avoir un autre mode d’échange(s) qui n’obéisse plus à la même logique. C’est pourtant à cette condition que quelque chose du langage et de la jouissance de la femme peut avoir effectivement lieu, mais “ailleurs” que dans leur emprise, leur reprise, dans l’économie du seul désir masculin ». Ceci prouve qu’aucune théorie ne peut mouvoir la femme si ce n’est celle qui fait d’elle « un acte » et non « l’appropriation » de l’être. La condition de la femme et sa véritable nature ne peuvent être mieux expliquées que par la femme elle-même donc, il lui faudra une entrée dans l’histoire. La femme s’engage dans l’écriture grâce à une théorie fondée à l’absence de la misogynie, des rejets, de la mort et du silence. Dans cette mouvance, Le Rire de la Méduse annonce l’avènement de « l’écriture féminine », et Cixous cherche à donner une définition, bien que se fut complexe et énigmatique. Elle a d’ailleurs bien insisté sur l’impossibilité de traduire ce concept, dans la mesure où sa signification est dans l’écriture ellemême. Cixous s’exprime en ces termes face à la complexité de définir une théorie de « l’écriture féminine » : « Impossibilité de définir une pratique féminine de l’écriture, d’une impossibilité qui se maintiendra, car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, l’enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Mais, elle excèdera toujours le discours que régit le système phallocentrique ». Elle semble se trouver dans la même perspective d’idée qu’Irigaray, que la femme ne doit pas être enfermée dans une théorie qui ne se focalise que sur l’exploitation de son travail pour parler de sa jouissance. La critique souligne que « prétendre que le féminin puisse se dire sous la forme d’un concept, c’est se laisser reprendre dans un système de représentations “masculin” ». D’ailleurs, la production de Cixous suivant la publication de cet essai porte les stratégies de diffusion de l’écriture féminine. Cixous souhaite que la femme « s’écrive parce que c’est l’invention d’une écriture neuve, insurgée qui, dans le moment venu de sa libération, lui permettra d’effectuer les ruptures et les transformations indispensables dans son histoire». Cet engagement littéraire féministe se fera en deux niveaux : individuellement et dans la prise de paroles. Cet appel demeure pour la femme une voie de retrouver sa véritable nature, de vaincre son anxiété qui l’empêche de rendre influente sa création littéraire et de récupérer ce corps qu’on lui a confisqué. En effet, ôter quelqu’un de son corps revient à faire une liberticide, c’est le rendre assujettie, l’empêcher de s’exprimer voire de persévérer. Cixous déclare qu’avec l’écriture « la femme fera retour à ce corps qu’on lui a confisqué, dont on a fait l’inquiétant étranger dans la place […]. À censurer le corps, on censure du même coup le souffle, la parole. Écris-toi : il faut que ton corps se fasse entendre». Ainsi, Hélène Cixous propose de rompre avec les notions de genres qui consistent à distinguer les espèces que par les notions du masculin et du féminin. Ces appellations réduisent les genres humains à leur simple morphologie et à leur physiologie. Quel que soit le sexe, Cixous invite dans l’écriture, une féminité déchirante et libidinale donc, provenant du corps, comme un mouvement de pulsion vers un objet. Ainsi selon Jean-Baptiste Fages, Lacan démontre qu’avant que la pulsion soit représentée dans le psychisme, elle « s’étale » d’abord et se « localise ». Ce phénomène est considéré comme une force psychique qui fait tendre vers un objet et se situe entre le manque et le désir existant depuis la naissance. Autrement dit, l’enfant ôté de son complément anatomique qui est la mère voire même dans le mythe, la figure androgyne séparée en deux par Zeus, cherche perpétuellement l’objet manquant. JeanBaptiste Fages pour mieux expliquer la vision de Lacan sur ce phénomène signale que : « La pulsion introduit dans le simple besoin organique un coefficient — une qualification – érotique. La pulsion se situe dans la vie biologique, organique, et non dans la vie psychique. Elle est dans l’organisme une force constante qui tend à supprimer tout état de tension. Elle intervient dans le psychisme conscient ou inconscient que par le relais d’une représentation ».

Ateba, une figure masculine

   Hélène Cixous place son essai au regard des études qui le précède et remarque l’impact de la parole féminine sur les notions de genres, lorsqu’elle affirme à propos de la femme écrivaine qu’ : « Elle fait soudain circuler une autre façon de connaitre, de produire, de communiquer, où chacun est toujours bien plus d’un, où sa puissance d’identification met en déroute le même. Et du même mouvement éparpillant, traversant, par lequel elle se fait une autre, un autre, elle rompt avec l’explication, l’interprétation et toutes les instances de repérage, de localisation. Elle oublie. Elle procède par oublis, par bonds. Elle vole». Pour elle, les études de Freud et de ses continuateurs contribuent entre autres à la différenciation des sexes en faveur du masculin. Elle vise à cet effet une abolition de la subdivision permanente entre les genres et les sexes. Pour mieux développer cette pertinente vision de Cixous, on voudrait mettre en rapport le personnage d’Ateba au héros Thésée de la mythologique grecque afin d’élaborer la faisabilité d’une politique de l’indifférenciation sexuelle. Odile Cazenave, dans son étude des « Négociations des écarts d’identité », argue que : « La notion d’identité liée à un bilinguisme et un biculturalisme de fait est au cœur du roman africain d’expression française, des Indépendances à la fin des années 80. Elle se traduit par la recherche d’un difficile équilibre entre les valeurs et les systèmes de pensée, africains d’une part, occidentaux d’autre part ». Partant de cette affirmation, on propose une analyse sur l’intertextualité dans les œuvres littéraires francophones et la culture antique. Comme on le constate, les mythes gréco-latins servent le plus souvent de sources aux écrivains pour la compréhension du drame de l’homme face au monde et à lui-même. En effet, le milieu culturel ne borne pas la création littéraire, dans la mesure où les auteurs ciblent et maitrisent leurs publics. L’adaptation de la mythologie dans les romans africains de langue française n’affecte en rien leurs compréhensions. L’écrivain n’est en aucun cas limité par des sources, par contre son assimilation est avantageuse. Dans C’est le soleil qui m’a brulée, Beyala fait une pénétration momentanée dans la mythologie gréco-latine pour doter son personnage principal de caractères masculins. Dans les premières pages, l’auteure on livre un extrait du Premier poème, Le Cantique des Cantiques, qu’elle fasse une dédicace fascinante à ces termes : « Pour Asseze S., toi la femme dont le silence a su si bien me parler ». Cette dédicace permet deux niveaux d’orientations : l’agencement de l’intrigue en rapport avec la femme, sa situation de victime originelle et, la courte citation sur un mythe grec. Cette légende attire l’attention à travers la présence de deux principes fondamentaux : « Ici, il y’a un creux, il y a le vide, il y a le drame. Il est extérieur à nous, il court vers des dimensions qui nous échappent. Il est comme le souffle de la mort». À partir de cette réécriture du mythe, on peut avoir une approche sur le Minotaure. Cette créature à demi humaine et à demi taureau est représentée par « le souffle de la mort », elle attend le moment de la dévoration dans le labyrinthe, lieu dans lequel il était enfermé et qui constitue le « creux » et le « vide ». Une image de la femme destinée à la souffrance est signalée dès le début, à travers le personnage d’Ateba. Élevée par sa tante, elle est chargée de lui programmer la même destinée que sa mère et sa grande mère. On se retrouve dans une perpétuelle destinée métaphorisée comme étant une « chaine qui n’est pas rompue » et qui « n’a jamais été rompue ». L’usage de la focalisation interne par l’auteure, centrée sur la narratrice facilite le rapprochement de l’héroïne au Minotaure. Le lecteur sait dès les premières pages l’orientation à adopter dans le texte grâce aux témoignages du double d’Ateba qui relate sa condition de femme difficile et sa quête de liberté. Suivons son monologue : « J’attendais, je vieillissais, je m’affaiblissais. J’attendais que viennent à Moi tous les enfants d’Afrique, tous les enfants de l’univers. Je voulais qu’ils sachent comment l’homme pleure au lieu de rire, comment il parle au lieu de chanter. Je voulais qu’ils apprennent comment la confusion des valeurs, des notions, des sensations, des souvenirs avait fini par tuer l’histoire jusqu’aux origines… ».

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : L’ECRITURE ANDROGYNE DES ECRIVAINES FRANCOPHONES
CHAPITRE 1 : L’ANDROGYNIE LITTERAIRE
1.1. L’adaptation du mythe
1. 1.1 la femme bisexuelle
1.2.2 La complémentarité
CHAPITRE 2 : L’INDIFFERENCIATION SEXUELLE
2.1 L’appropriation de « l’autre »
2.1.1 Ateba, une figure masculine
2.1.2 La masculinité des femmes de Marie Ndiaye
2.2 Le cosmopolitisme des femmes
2.2.1 L’universalité de l’existence humaine chez Beyala
2.2.2 Les relations interpersonnelles chez Marie Ndiaye
DEUXIEME PARTIE : LE DISCOURS GYNOCENTRIQUE DES ÉCRIVAINES FRANCOPHONES
CHAPITRE 3 : DE L’ÉCRITURE FÉMININE BISEXUELLE À UNE ÉCRITURE FEMINISTE
3.1 À la recherche du prototype féminin
3.1.1 La découverte du « continent noir »
3.1.2 « Devenir femme » : le silence, une arme d’expression
3.2 La femme et l’écriture : le poids de la psychanalyse
3.2.1 La recherche du Moi
3.2.2 Le style d’écriture
CHAPITRE 4 : LE DISCOURS FEMINISTE : UNE QUETE DE PREEMINENCE
4.1 Les stratégies de la promotion féminine
4.1.1 La prééminence d’Ateba
4.1.2 Une participation économique, éducative et sociale des femmes
4.2 Pour un féminisme universel
4.2.1 Rapport féminisme et universalisme
4.2.2 Rupture avec les subdivisions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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