Le droit des gens comme justice internationale

Politique de domination et de puissance : pourquoi une coopération ne peut être clairement établie et l’état de guerre est omniprésent.

Le dialogue entre les Athéniens et les Méliens : la puissance comme fondement de l’action internationale

Nous allons commencer notre argumentation avec la prise de ce que nous appellerons le « bloc unitaire », c’est-à-dire un bloc délimité légitime à prendre une décision qui vaut pour tous, comme unité de base de toute relation extérieure à une société politique donnée et délimitée par plusieurs facteurs. Ces derniers désignent la population, le territoire, la communauté ou autres. Le terme bloc unitaire a pour référent dans l’expérience, les États, l’Empire, l’ État-nation, la Cité-état de la Renaissance, la Fédération, la cité grecque, qui en sont les modèles les plus connus. De cette façon, le rapport entre États comme unités politiques indépendantes ne peut, contrairement au rapport intérieur de coopération entre individus sur un fondement donné, être sujet à une analyse simple du lien social ou une assomption de coopération. En effet, la notion de coopération n’est pas préexistante à l’analyse philosophique du domaine international. Elle n’en est pas le fondement naturel ou présupposé. Il est donc nécessaire de se poser la question des relations entre ces unités.
Une telle relation est, à première vue, absente de tout fondement: guerres, paix, ententes ou anarchies semblent se faire et se défaire au gré des saisons et des têtes. Mais bien loin d’un constat défaitiste, un principe peut être dégagé du concert chaotique des relations internationales. En d’autres termes, ce n’est pas un chaos total, mais un chaos organisé par la loi du plus fort. Le plus fort peut et doit imposer sa volonté. Cependant, quand nous parlons de force, il est, ici, question de puissance, soit la capacité d’une unité à agir ainsi que le potentiel dont cette unité dispose afin d’agir. Une telle théorisation a été faite par la description du point de vue athénien par Thucydides, dans le Dialogue entre les Athéniens et les Méliens.
Afin de mettre ce dialogue en contexte, nous allons en expliquer le cadre. Il désigne le dialogue diplomatique entre Melos et Athènes, par le biais de leurs représentants, durant la guerre du Péloponnèse vers 416 avant J-C. Athènes a voulu conquérir l’ile de Mélos qui était supposée neutre, mais affiliée formellement à la ligue de Sparte. Avant de les attaquer et de former un blocus des ressources, les Athéniens préférèrent dialoguer avec les autorités afin de négocier une capitulation pacifique. Les deux représentants se sont entretenus, mais les Méliens refusèrent de se rendre et les Athéniens firent un siège pour affamer et affaiblir l’île avant de la capturer. Ce dialogue est important, car il expose de façon claire la théorie fondamentale des relations de puissance et de la domination qui en suit; ainsi que les caractéristiques principales supposées du courant réaliste en relations internationales. En effet, tout le discours athénien tourne autour de plusieurs caractéristiques qui sont les suivantes : le postulat d’une anarchie dans les rapports entre blocs unitaires, les rapports de puissances et d’intérêt ainsi que de sécurité et finalement, l’appel à la logique et la rationalité. À cela est opposé le point de vue plus idéaliste des Méliens qui font appel à la justice et au droit de ne pas être soumis pour des justifications de domination et de pouvoir.
La position des Athéniens est symptomatique du fondement réaliste des relations internationales dont nous voulons exposer les implications et la légitimité. En d’autres termes, les relations entre les États seraient fondées sur la puissance qui légitimerait le recours à la guerre et une politique agressive induisant un cadre anarchique des relations internationales. Les États seraient dans une position d’anarchie, sans justice ou logique aucunes, au sein des relations, et leurs rapports seraient dictés par la puissance qui légitime leur action. À cela est opposée une vision mélienne fondée sur la justice. C’est-à-dire le droit de ne pas être assiégé sans raison et l’attente de la vengeance des Spartiates comme conséquence. De ce fait, le rapport esquissé dans le dialogue permet d’observer les fondements de la théorie réaliste. Fondée sur les faits, elle prend racine dans le cadre conflictuel et l’intérêt des États. Pour elle, les rapports sont déterminés par les intérêts et par la puissance des États. Si un État est assez puissant pour accomplir son intérêt, rien ne l’en empêche et s’il est confronté à un État plus fort, il doit courber l’échine pour ne pas se faire attaquer. Le plus puissant déterminant l’équilibre de la sphère internationale. Ainsi, par la narration du dialogue Thucidy des a réussi à dépeindre cette position théorique qui a pour éléments principaux l’anarchie entre États et la puissance légitimant l’action. Mais cette position théorique est-elle justifiable ?
En effet, au-delà du constat, pouvons-nous adopter ce simple constat d’anarchie, de puissance et d’intérêt comme fondement des relations internationales ? À première vue, les trois variables intérêt, anarchie, puissance – se justifient d’elles-mêmes. Le constat fondamental étant que les États ont des intérêts, la puissance permet, ainsi, de déterminer la capacité des États à agir et leur poids international et de ce fait, la viabilité de ces intérêts. De là, la situation ne peut qu’être anarchique et afin de mener à bien ses intérêts, l’État a besoin d’user de sa puissance et est légitime à le faire. De ce fait, et face à ce constat de la nature intéressée des États et l’usage légitime de sa puissance, nous pouvons induire une situation anarchique, induisant par la même que le seul ordre à suivre est l’ordre de la puissance des différents blocs. Comme l’expose l’envoyé athénien :
Non, chacun d’entre nous doit exercer la puissance qu’il pense vraiment pouvoir exercer, nous savons et vous savez que, dans le royaume humain, la justice est appliquée uniquement entre ceux qui peuvent être également contraints par elle, et que ceux qui ont la puissance l’utilisent, alors que les faibles font des compromis.
C’est, en quelques mots, la loi du plus fort en situation d’anarchie. Mais qu’en est-il des guerres de coalitions ? En effet, une coalition est un exemple qui va à l’encontre de la logique de puissance, car plusieurs États mettent leurs intérêts de côté pour s’unir. Mais cela n’est pas vraiment le cas, comme nous pouvons l’exposer par une première analyse. La coalition, par exemple, des Athéniens et celle des Spartiates sont des coalitions d’intérêts. Loin d’être des sacrifices pour le plus fort, c’est sur un modèle gagnant-gagnant qui se formule. D’un côté, les États à faible puissance se réunissent sous la bannière d’un des deux acteurs les plus forts, de l’autre, le plus puissant a des intérêts dans la formation d’une coalition afin de concentrer plus de puissance et mieux accomplir ses intérêts.
Ainsi, il semble qu’un fondement correct des relations internationales serait celui de la puissance sous-tendue par le contexte anarchique et la logique d’intérêt. Mais une situation de contre exemple est, ici, à notifier, situation qui vient mettre en difficulté cette vision du fondement des relations internationales. En effet, cette logique remet en cause le choix d’agression athénien fondé sur lanécessité et sur l’intérêt de capturer Mélos.
La stratégie athénienne semble être, à première vue, irréprochable. Mais plusieurs éléments viennent remettre en cause cette vision qui se révèle si ce n’est caduque, du moins simpliste, de la position réaliste. En effet, le fondement de la légitimité de la thèse sur la puissance malmène le principe de l’intérêt des États dans le cas athénien. En effet, si cet acte était justifié par l’intérêt tirant sa légitimité dans la puissance, Athènes n’aurait pas fait capituler cette île. Sur le court terme, elle est isolée et faible, ne posant pas un réel danger à l’époque athénienne. De ce fait, l’usage de la rhétorique de l’intérêt sous-tendant la prise de la puissance comme principe se trouve confronté à un intérêt qui est, lui-même, limité. Il est donc nécessaire de se questionner sur la prise de la puissance, comme fondement légitime des relations internationales. Si nous essayons d’analyser l’action des Athéniens en termes de politique ayant pour fondement la puissance, nous en observons l’inadéquation. En effet, la conséquence d’un usage de la puissance, comme fondement, induit un aveuglement, quant à l’intérêt réel.

Analyse des théories pré-réalistes sous l’angle des conséquences sur le cadre des relations internationales

Il s’agira, ici, d’analyser l’adéquation du fondement dans l’intérêt ou dans la puissance avec le cadre international général -c’est-à-dire le cadre général de relations entre les différents blocs unitaires- l’état et la nature des relations. En effet, postuler ces fondements n’est-ce pas déterminer que le  cadre des relations internationales est chaotique et constamment en guerre ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser plus en détail la thèse de Machiavel, en comparaison à celle des Athéniens. Cela nous permettra de déterminer si des fondements réalistes induisent forcément un état de chaos généralisé, et non de simple anarchie définie comme état de guerre. D’abord, concernant le cadre du dialogue mélien de Thucydides, il est possible de voir qu’une telle doctrine possède, à la fois, comme conséquence un état chaotique et de domination, ainsi qu’une inadéquation avec le principe d’égalité entre puissants professé et de lutte de puissance. Mettre, comme fondement, la puissance au sein des relations internationales ne fait qu’engendrer un chaos ou une domination totale. En d’autres termes, si nous mettons la puissance comme fondement légitimant l’intérêt d’un acteur et étant source d’intérêt, cela mène à une guerre totale. En effet, la volonté d’acquérir plus de puissance et la puissance comme source de légitimité ne fait qu’augmenter la volonté d’acquérir plus de puissance. L’exemple d’Athènes est assez frappant.
Excepté la soif de puissance négligeant les intérêts et impossible à arrêter, quelle était la raison pour attaquer Mélos ? Pourquoi ne pas avoir pris de mesures auparavant ? Cela induit donc l’impossibilité d’une entente entre les États qui est, à la fois, critiquable de façon factuelle et de façon théorique. En effet, désirer toujours plus de puissance en négligeant l’intérêt et en plus, procéder toujours sous -tout en étant justifié par- l’approche de la puissance ont pour conséquence que le cadre international serait toujours, celui non de l’anarchie, mais du chaos total. Position qui, de plus, ne tient pas la route, quant à la situation de la guerre du Péloponnèse opposant des coalitions de cités avec à leur tête Sparte et Athènes. Si le véritable fondement des relations était la puissance, cela aurait pour conséquence que toutes les villes, en coalition avec une des deux cités, soit d’égale puissance. Si elles ne le sont pas, la plus puissante dominerait automatiquement la moins puissante. Mais si elles étaient d’égale puissance, elles seraient dans une situation d’affrontement et non de coalition. Si nous sortons de cette logique, en parlant, par exemple de l’intérêt de ces cités à rejoindre la coalition, nous ne sommes plus dans une logique de puissance, mais dans une logique d’intérêt. De plus, ce type d’argumentation revient à être en contradiction théorique avec la dichotomie instaurée par la puissance en tant que fondement : domination pour les faibles, justice pour les égaux. En effet, l’envoyé athénien agit comme si Mélos n’était pas affiliée à la coalition spartiate, or elle l’était. Cela retranscrit que la puissance implique soit la volonté de domination même entre égaux, soit l’aveuglement face à la situation réelle. De ce fait, la prise de ce fondement ne permet, ni de comprendre adéquatement les relations internationales, ni d’avoir un cadre international idéal. Au contraire, la puissance prise comme fondement induit un chaos généralisé, avec des unités cherchant à imposer leur puissance, entre égaux ou non. Comme expliqué plus haut, cela ne congédie pas la puissance comme concept effectif, mais comme fondement simple et unique des relations internationales. Les analyses utilisées de Machiavel en exposent le statut de fin et d’instrument, mais pas de fondement. Le fondement serait l’intérêt des États, légitimé par la morale politique, et non par un cadre général moral ou de justice.
Les conséquences de cette prise de fondement, contrairement à celui de puissance, ne semblent pas former, systématiquement, de guerre de tous contre tous. En effet, prendre l’intérêt de l’État comme fondement des relations internationales semble apporter la rationalité intéressée au sein de l’action étatique. Les guerres, par exemple, ne sont plus faites en fonction d’un critère de justice ou de puissance. Elles le sont à cause des intérêts différents et divergents des États qui se disputent des moyens d’accroitre leur puissance. Ce fondement explique, par exemple, les coalitions entre les États qui le font sur un fondement de l’intérêt qu’ils ont à se joindre à un autre État. De ce fait, les rivalités et les tensions entre États s’expliquent par le biais des intérêts divergents qu’ils peuvent avoir. Du moins, d’une façon totalement descriptive, le critère de l’intérêt de l’État est un bon fondement des relations internationales. En effet, il explique l’action de l’État, la possibilité de coalition, par exemple, dans une guerre, ou encore le fait que certaines guerres ont lieu, sans s’appuyer sur toute une justification de la guerre juste ou injuste. De ce fait, le fondement dans l’intérêt semble être un bon fondement descriptif des relations internationales, mais qu’en est-il du normatif ?
En effet, les conséquences d’une telle prise induisent une sorte de chaos entre les États. Ils ne peuvent s’entendre que par le biais des intérêts et aucun autre lien que celui de l’intérêt n’existe entre les États. La coopération effective, à ce niveau, s’arrête au minimum de l’intérêt entre les États. De plus, l’intérêt, au niveau de la théorie de Machiavel, ne se borne pas à une certaine limite morale ou de justice et induit une domination, de plus en plus grande, au niveau de la puissance et du rapport aux autres États. Ainsi, si nous prenons ce fondement, la coopération effective entre États n’est que très limitée à la coalition d’intérêts, sans véritable lien entre les différents blocs unitaires. Vision qui est légitimée par l’inexistence de morale autre que celle de l’intérêt étatique de Machiavel, évacuant toute considération de justice dans l’action politique. De ce fait, dans une dimension normative, prendre l’intérêt comme fondement induit une situation totalement chaotique des relations entre États qui n’interagissent qu’en fonction de leur intérêt pour former des coalitions, ou pour rentrer en guerre les uns avec les autres, si leurs intérêts divergent. L’argumentation de l’auteur florentin ne prend pas en compte les conséquences des intérêts conflictuels entre blocs unitaires qui, incontrôlés, induisent un chaos généralisé ou une domination totale. Ainsi, ce fondement implique soit la domination d’un bloc unitaire sur les autres de par sa puissance comme l’Empire romain, soit une anarchie généralisée avec des États, à puissance égale, qui cherchent à s’affronter en fonction de leurs intérêts. Situation qui, de plus, ne peut pas être régulée par une morale ou une justice internationale, le déplacement de la morale à la morale politique ayant été fait pour a-moraliser l’action étatique dans la théorie du Florentin.

Entre puissance, état de guerre et anarchie. Une coopération entre États fondée sur ces principes existe-t-elle ?

L’intérêt et la puissance comme principes et l’état de nature comme horizon des relations internationales

Face au premier constat de la sphère internationale comme sphère du chaos, il est nécessaire d’étudier, plus en profondeur, ce fondement réaliste, qui mène à première vue à des conséquences chaotiques. En effet, le réalisme transcrivant un fondement dans le principe de la puissance et de l’intérêt est-il synonyme d’un chaos international ? C’est ce à quoi semblent tendre les analyses des deux auteurs précédents. Mais d’autres analyses, notamment celles tirées du Le viathande Hobbes proposent une autre vision de ce fondement ayant pour conséquence la prudence et la sécurité dans un cadre non chaotique, mais anarchique. Fondement qui, dans la dimension hobbesienne, a pour conséquence la légitimation de l’État comme bloc unitaire de référence. Cela nous permettra de souligner les points théoriques principaux de la théorie réaliste. De là, nous proposerons une visionclassique exposée par Hans Morgenthau dans Politics Amongst Nations. Vision fondée sur leprincipe de l’intérêt comme puissance dont il faut exposer la substance et la légitimité.

Critique de l’intérêt comme puissance pris comme principe et d’un fondement dans l’anarchie

En effet, nous allons analyser cette formulation classique de la théorie réaliste, au sein de la légitimité ainsi que la signification même du concept de puissance. À la suite de Morgenthau, plusieurs auteurs réalistes mirent en doute la pertinence du caractère fondamental des concepts depuissance et d’intérêt national. Ce constat est celui d’un réaliste, Raymond Aron. Ce dernier s’attèle à critiquer le concept de puissance qui, selon lui, n’a pas plus de légitimité qu’un autre concept pour décrire et régir la sphère des relations internationales. Le concept d’intérêt comme puissance pris est d’un côté ambigu et de l’autre trop limité pour avoir une légitimité en tant que fondement des relations internationales. D’abord, son caractère ambigu est déterminé par le fait qu’il régit toute l’action, du moyen à la fin. Cela s’observe, comme l’expose Aron dans Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? par le caractère omniprésent de la puissance : elle est à la fois moyen de l’État et fin de ce dernier. Dans toute la justification réaliste, l’intérêt défini en termes de puissance est, à la fois le moyen par lequel l’État agit et se confronte aux autres unités, et la fin de l’action étatique. Tout est entièrement tourné vers ce fondement de la puissance en empêchant donc sa falsification et la transformant en terme ambigu. L’intérêt défini comme puissance, par exemple chez Hobbes, est légitimé par la sécurité des individus, par l’augmentation de celle-ci et lacompétition pour la puissance. Si tout est interprété de la sorte, il faut se questionner sur le sensd’une telle totalité.
Bien loin d’être un principe qui ait du sens, prendre la puissance comme fondement des relations internationales ne s’avère pas intéressant au-delà de la simple déclaration. En effet, si la puissance est en même temps moyen d’acquérir davantage et finalité, cela ne signifie pas grand-chose au delàde la simple volonté de domination et d’action. En effet, quels seraient, par exemple, les motifsidéologiques derrière cette puissance, comme le demande Aron ? Cela ne nous apprend rien et ne nous fait rien comprendre. Plus encore, Aron attaque le fondement, dans le même article, dans l’intérêt national en en exposant la contradiction interne. D’un côté, elle est « aussi incontestable que vague » , de l’autre, elle s’oppose à d’autres théories aussi peu pertinentes. Le philosophe prend l’exemple de l’URSS, que beaucoup désignent comme exemple de bloc unitaire agissant sur la scène internationale comme étant motivé par l’intérêt national, celui de répandre sa vision du communisme. Cela est une évidence, mais comme l’expose Aron, croire qu’ils auraient eu exactement la même diplomatie s’ils avaient suivi d’autres méthodes et d’autres idéologies est absurde. De ce fait, parler de fondement dans la puissance ou dans l’intérêt défini comme puissance n’a pas grand sens au-delà de la constatation initiale de l’indépendance et l’existence d’autresentités similaires. Comme Raymond Aron l’expose: « Les diplomaties de Napoléon, de Hitler et deStaline appartiennent-elles au même genre que celle de Louis XIV, d’Adenauer ou de Nicolas II?

Une théorie réaliste irréalisable et trop générale ? Analyse des différentes critiques concernant la thèse réaliste

La thèse réaliste telle qu’explicitée plus haut semble fonctionner de façon systématique. La sphère extérieure est fondamentale libre, indépendante de toute autorité centrale, laissant libre court à la recherche de l’intérêt et le déploiement préféré de la puissance à cette fin. Cela permet donc l’imposition de systèmes multi ou bi polaires distinguant des États forts imposant leurs intérêts et des États faibles. Les seules différences se situent dans le placement de la puissance, l’intérêt ou l’anarchie comme fondement. Des trois, et afin de garder l’hétérogénéité et le caractère libre, l’état de nature semble être le fondement idéal des relations internationales. Mais de là, plusieurs critiques sont opposables à la thèse réaliste que nous pouvons formuler sur plusieurs pans: la prise en compte d’autres entités légitimes que l’État qui concentre la représentation à l’international, l’inadéquation théorique entre changement, idéologie et système bi ou multipolaires fondés sur la puissance ou encore la faillibilité de la thèse pessimiste sur la nature humaine.
Tout d’abord, nous pouvons expliciter le premier pan de la critique qu’est le caractère hermétique de la prise de l’État comme bloc unitaire légitime. En effet, il est postulé le long des thèses réalistes que l’État œuvrait pour l’intérêt national. Les thèses réalistes classiques semblent aller vers le fondement de l’intérêt national dans l’accumulation de puissance, sous-tendu par des considérations de la nature humaine comme étant intrinsèquement mauvaise. Cependant, cette caractéristique n’est soutenue par aucune étude empirique, la détermination de la nature humaine a priorin’étant pas la description du comportement humain dans une société donnée. Plus encore, la prise de l’intérêt comme unité connue comme une évidence par l’État est branlante. Par exemple, Dario Battistella expose la débâcle des auteurs réalistes, quant à savoir si l’intérêt était en jeu au Vietnam. Kissinger affirmant que non, Morgenthau que oui, alors que les deux auteurs s’accordent sur la même théorie de la recherche de la puissance comme intérêt. De ce fait, à la manière d’Aron il est possible d’exposer l’intérêt national comme «… le but d’une recherche, non un critère d’action. » En d’autres termes, la puissance est certes recherchée pour assoir son intérêt au niveau extérieur, mais quel est exactement cet intérêt ? Aron pose cette recherche de l’intérêt, dans la pluralité des objectifs atteignables par une unité politique, ainsi que dans les moyens disponibles; à cela s’ajoute, la dualité entre puissance à l’extérieur et bien commun à l’intérieur. De ce fait, le constat simplistede la recherche de l’intérêt défini comme puissance est beaucoup trop réducteur comparativement à la pluralité du bien commun et des objectifs qu’il est possible de viser. De là, il est possible de questionner la détermination et la légitimité de cet intérêt national. Qui le détermine ? Est-ce le représentant, l’individu ou le parti ? La notion d’intérêt national se retrouve bien mise à mal. De ce fait, la supposition de l’unité étatique s’en retrouve plus mise à mal parce qu’elle éjecte via les critères réalistes toute la dimension incombant à la Société ou à l’individu, quant à l’intérêt national.
La question de l’intérêt expose donc la question de la détermination de l’intérêt et de la prise de décision. En d’autres termes, la détermination de l’intérêt, ses facteurs de détermination et le mode d’action à l’échelle internationale sont négligés dans la mise en place théorique des relations internationales. De ce fait, même si le fondement reste intact, le développement d’une telle théorie et ses conséquences, sur une justice internationale liée à la puissance, se profile comme ambigu. D’autre part, une critique se profile concernant la puissance et la légitimité de son usage par l’État seul. La théorie réaliste suppose que le seul acteur étant en possession de la puissance est l’État ou un bloc unitaire similaire. Mais d’un point de vue factuel, plusieurs autres formes existent et peuvent proposer un affrontement véritable contre des États. En témoigne, par exemple, la guerredu Vietnam de 1955 à 1975, où les États-Unis ont perdu contre l’acteur violent non-étatique qu’était l’armée populaire vietnamienne, soutenue uniquement de façon matérielle par les opposants étatiques des États-Unis. Cela montre l’existence factuelle d’autres acteurs dans la sphère internationale. Un autre exemple, effectif pour exposer le faux monopole de la puissance de l’État et de sa domination sur la scène internationale, se trouve dans le coup d’État du 11 septembre 1973 contre le président Salvador Allende par les militaires chiliens aidés par la CIA qui déstabilisa le pays et par les entreprises ITT et Anaconda Copper qui aidèrent à la mise en place de la stratégie. De ce fait, une certaine inadéquation s’expose au sein des relations internationales, si le cadre n’est que l’État hermétique. Il est considéré comme légitime et plus puissant, capable de mettre un terme BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, 2015, Paris, Sciences Po Les Presses,

Le paradigme

ARON Raymond, Paix et guerre entre nations, op.cit, p. 288. à d’autres formes non-étatiques. Mais bien loin d’être vraie, une des critiques possibles revient à exposer l’impossibilité de circonscrire la sphère internationale à l’État de façon exclusive. Bien que l’exemple n’attaque pas frontalement la légitimité de l’État comme acteur de référence, il montre la nécessité de repenser cet État comme donnée plus grande que le simple et unique acteur hermétique présenté dans les théories réalistes. Les remises en cause de la puissance et de l’intérêt national exposent des contre-exemples au développement trop simpliste de la théorie réaliste. La prise de l’unité étatique seule et opaque est donc remise en cause par la détermination de l’intérêt ainsi que par la remise en cause du monopole, de la légitimité de la puissance et de son avantage comparatif à ce niveau.
Le deuxième volet de la critique est celui des conséquences d’une interprétation réaliste de l’anarchie sur les relations internationales. En effet, selon la théorie réaliste les relations interétatiques ne seraient dictées que par des considérations de puissance. Cela a deux conséquences. La première déconsidère totalement le fondement idéologique au sein des relations internationales et au sein des États dans ces relations. Si nous nous attelons à une recherche normative du fondement des relations internationales et de la possibilité d’une justice internationale, il est nécessaire d’aller au delà du constat de puissance pour trouver ce qui peut le mieux fonder les relations internationales et la justice internationale. Dire que l’anarchie fonde cela n’est qu’un postulat de liberté des États; la puissance comme mode d’action y est considérée comme une façon idéologique de penser les relations entre États et non comme moyen de relation. Celles-ci ne se feraient que du faible au fort.
Mais si c’était vraiment le cas, comment expliquer que des blocs unitaires refusent d’obtempérer,même si elles sont objectivement plus faibles ou même si elles sont alliées avec le plus fort ? Le cas de la France refusant la guerre d’Irak en 2003 est assez frappant. L’État se positionnant frontalement en opposition contre le bloc largement plus puissant durant cette époque. Plus encore, il semble difficile d’expliquer, si nous réfléchissons uniquement en termes de puissance, la possibilité de coopération et d’alliance de paix entre les États. La dimension idéologique est effacée par la théorie réaliste. En d’autres termes, la théorie réaliste qui découle de la prise en considération de l’anarchie, comme fondement des relations internationales, efface toute dimension idéologique, à part celle de la puissance qui n’est, initialement, qu’un moyen. Ces auteurs tentent de forcer l’interprétation en système régi par la puissance. Une coopération ne naitrait, par exemple, que par des dynamiques de puissance. Mais une telle analyse semble oublier tout le pendant idéologique des États et le rôle de l’idéologie dans les actions étatiques. Elle impose la coopération et la domination par des volontés de puissance, sans essayer d’analyser les raisons sous-jacentes et les possibilités de coopérations égales, non pas tant sur des considérations de puissances que sur des considérations idéologiques. En d’autres termes, le fondement des relations internationales, celui de l’anarchie est – si ce n’est à remettre en cause comme concept des relations internationales face à ces critiques – au moins à mieux situer, et à en analyser plus en profondeur sa légitimité. De ce fait, le constat actuel est que le fondement dans l’anarchie a pour conséquences une vision -erronée et simpliste- fondée sur la puissance et ne pouvant aller au-delà. Il est donc nécessaire d’analyser à nouveau la thèse d’anarchie comme fondement des relations internationales pour en déterminer ses conséquences.

Vers un fondement d’anarchie libérale des relations internationales ? Une analyse du glissement possible de l’État aux Sociétés et de l’anarchie comme état de guerre à l’anarchie comme état de nature

L’anarchie implique-t-elle automatiquement un état de guerre ?

Dans la partie précédente, nous avons soulevé l’importance de l’anarchie comme fondement au sein des relations internationales. Mais les conséquences qui en découlent sont pour le moins contestables. Face à la faillibilité du développement et des conséquences de ce postulat, il est nécessaire d’analyser ce fondement dans l’anarchie. Les États ou blocs unitaires sont fondamentalement libres au sens où ils n’ont pas, au-dessus d’eux, un pouvoir ou entité supérieure légitime à la manière du souverain sur les individus. Cependant, contrairement aux individus régis par leurs passions, les États doivent être régis par la raison et la recherche de la meilleure manière de sécuriser les intérêts de leurs individus. De ce fait, bien loin d’une anarchie internationale à lamanière d’une guerre de chacun contre chacun, mais dans l’impossibilité conceptuelle d’aller au delà du fondement dans l’anarchie, nous pouvons postuler que les États sont dans une anarchie de différente nature que celle que nous avons exposée. En effet, les États sont des unités,fondamentalement libres, dans le système international, mais aussi libres soient-elles, cela n’implique pas, pour ces blocs unitaires, un état de guerre systématique. Leur liberté et l’absence d’autorité centrale en des termes politiques impliquent qu’ils sont dans un état de nature, une anarchie. Au-delà de cette anarchie initiale, rien n’implique que les relations seront automatiquement conflictuelles à la manière d’un état de nature hobbesien. En effet, pensant en des termes d’intérêts et en termes de raison, non en terme uniquement de passion, les États n’entrent pas automatiquement dans un état de guerre. Il n’y a pas de présupposé impliquant, à la manière de la nature humaine hobbesienne, un état de guerre potentiel. Chaque État œuvre pour son intérêt et avec sa puissance, mais est limité par la raison et par son existence, différente de l’existence humainesimple. De ce fait, si ingérence de la raison il y a, le rapport entre les différents blocs unitaires seretrouve altéré. Les États sont libres, mais agissants par rapport à la raison pour différentes justifications, ils n’en sont pas, pour autant, indépendants les uns par rapport aux autres. Il est important de noter qu’il n’est pas nécessaire d’appréhender l’État à la manière hobbesienne pour penser l’anarchie de la sorte. L’État comme fondamentalement libre est une conception qui est dans la nature de tout bloc unitaire, quel qu’il soit. L’État ne doit pas uniquement et ne peut pas penser qu’en termes de puissance et de passion. Cela a pour conséquence, sur l’anarchie, de postuler des blocs unitaires qui agissent entre eux par le biais de la raison par le calcul de l’intérêt. Le seul changement avec la thèse réaliste, étant, ici, un changement de point de vue. L’anarchie n’est plus comprise ici comme une donnée permanente, celle de l’état de guerre obligatoire et l’usage de la puissance, mais comme une thèse mouvante ou évolutive qui a pour point de départ la liberté d’individus raisonnés. De ce fait, il semble falloir plaider pour une anarchie existante, mais ne dictant pas, obligatoirement, un état de guerre. Une telle version de l’état de nature, commen’impliquant pas un état de guerre, est décelable chez des auteurs comme John Locke que nouspouvons prendre en exemple pour exposer l’importance de la raison.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction 
I/ Coopération ou domination ? Étude du fondement possible des relations entre États libres comme fondement des relations internationales
A/ Politique de domination et de puissance : pourquoi une coopération ne peut être clairement établie et l’état de guerre est omniprésente
1. Le dialogue entre les Athéniens et les Méliens : la puissance comme fondement de l’action internationale
2. Un fondement dans l’intérêt et non dans la puissance ? Analyse des propos de Machiavel
3. Analyse des théories pré-réalistes sous l’angle des conséquences sur le cadre des relations internationales
B/ Entre puissance, état de guerre et anarchie. Une coopération entre États fondée sur ces principes existe-telle ?
1. L’intérêt et la puissance comme principes et l’état de nature comme horizon des relations internationales
2. Critique de l’intérêt comme puissance pris comme principe et d’un fondement dans l’anarchie
3. Une théorie réaliste irréalisable et trop générale ? Analyse des différentes critiques concernant la thèse réaliste
C/ Vers un fondement d’anarchie libérale des relations internationales ? Une analyse du glissement possible de l’État aux Sociétés et de l’anarchie comme état de guerre à l’anarchie comme état de nature
1. L’anarchie implique-t-elle automatiquement un état de guerre ?
2. Un fondement normatif idéaliste libéral ? La question de l’intérêt et de l’action étatique sous le prisme de l’individu et de la société
3. Vers une coopération au sein d’une société internationale: un fédéralisme d’États libres ?
II/ Coopération des sociétés internationales: une question de pluralisme et des différentes normes
A/ Des sociétés qui sont ancrées dans une culture et un territoire impliquant une remise en cause de la possibilité de coopération sur un fondement commun
1. Une impossible uniformisation : critique du point de vue de l’unité du monde
2. Vers un pluralisme des grands espaces: analyse des présupposés de Schmitt et de sa solution face à l’unité mondiale
3. Le modèle schmittien au regard du pluralisme : conséquences et critiques
B/ Vers une compréhension plus libérale de la coopération entre sociétés : Le droit des gens de Rawls et le fondement des relations internationales par le biais des principes libéraux
1. À la recherche d’une utopie réaliste : la volonté des peuples à une coopération juste à l’international
2. La formulation libérale du droit des gens : entre coopération et stabilité
3. Typologie des sociétés : un pluralisme sous l’égide de la justice
C/ Un fondement libéral, est-il philosophiquement viable au sein des relations internationales ? Analyse de la théorie tant bien au niveau des principes libéraux au sein des relations internationales que de la façon de comprendre l’anarchie dans cette sphère
1. Une stabilité idéalisée ou une anarchie contrôlée ? Analyse de la coopération rawlsienne
2. Analyse de la sphère internationale rawlsienne : le cas des États-voyous
III/ Quel critère et quel fonctionnement pour cette justice internationale ?
A/ Une justice internationale selon quel critère ? Analyse du critère et de la dimension d’une justice internationale
1. Le droit des gens comme justice internationale
2. Une justice distributive justifiant le principe de justice internationale
B. Analyse de la nécessité d’une formalisation dans un droit international et d’une défense de la justice internationale face aux critiques de domination et d’universalisme
1. La nécessité de l’inscription de la justice internationale dans le droit international
2. La métaphore du sauvage, de la victime et du sauveur : un universalisme nuisant à la théorie rawlsienne ?
3. Un droit universellement relatif ? Un droit international à l’image du droit des gens libéral
4. Une domination structurelle au sein de la justice internationale ?
Conclusion
Bibliographie 

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *