Le droit de la concurrence face au défi du traitement des données

De nouveaux risques anti-concurrentiels propres aux caractéristiques des plateformes numériques

De prime abord, le traitement des données présente des effets pro-concurrentiels car il permet d’accroître la transparence des marchés en ligne17. De plus, les données sont massivement disponibles, ce qui réduit en théorie les risques d’abus de position dominante. Cependant, la libre circulation des données ne protège pas contre l’émergence de pratiques abusives visant à restreindre la concurrence. Ces problématiques concurrentielles sont récentes et l’appréciation de leurs effets restrictifs sur la concurrence est rendue plus complexe par la numérisation de l’économie.
La disponibilité des données à l’ère du numérique est avérée. Les consommateurs sont dit «multi hébergés» c’est à dire qu’ils «utilisent plusieurs prestataires pour obtenir un même type de service». Dans une situation de multi hébergement parfait, chaque opérateur devrait donc être en mesure d’avoir accès aux données générées par le consommateur. De plus, on peut considérer que « le même type d’informations peut être extrait à partir de différents types de données qui peuvent être obtenues par des biais différents » de sorte que le risque d’abus de position dominante lié à la détention de données apparait moindre. A ce titre, les Autorités de concurrence américaines et européennes ont pu considérer dans l’affaire Google/DoubleClick de 2008 qu’un accès amélioré à certaines données suite à la concentration ne poserait pas de problème de concurrence20. Cependant, la pertinence de l’argument selon lequel les données « sont partout » repose avant tout sur l’accessibilité des données et leur facilité de reproduction par les concurrents d’une même efficacité. Par exemple, les sociétés de « data analytics » telles qu’Axiom ou Epsilon, collectent des données d’une multitude de sources et les revendent à des tiers; alors que les plateformes nouvellement créées n’auraient pas d’emblée accès à un tel panel d’informations.

De nouveaux risques soulevés par le traitement de données « à caractère personnel »

Une part importante des données traitées par les entreprises, que ce soit sur une base volontaire ou subie, concerne leurs clients personnes physiques. De nombreuses techniques fondées sur l’exploitation des données personnelles, à l’instar du profilage, qui consiste à anticiper le comportement d’une personne grâce à la surveillance et l’analyse de ses données personnelles en ligne, se développent. L’essor de sociétés de « data analytics » spécialisées dans la revente des données collectées permet de déduire que les données personnelles sont l’objet d’une négociation. Le développement du « cloud computing », qui consiste à stocker des données sur des serveurs informatiques posent également question du point de vue de la protection des données personnelles.
Ainsi, les données personnelles représentent aujourd’hui un fort potentiel économique sur lequel les entreprises capitalisent, et on assiste à la création d’un véritable marché des données personnelles : « La protection des données personnelles a été conçue alors que les données n’avaient pas la même importance. Désormais, les données personnelles concernent tous les domaines, dont la finance ou l’énergie. Les plus grandes entreprises du monde doivent leur succès aux données personnelles54 ». Les auteurs reconnaissent les conséquences de cette massification du traitement des données : le sociologue Monsieur Antonio Casilli reconnaît que la « vie privée serait devenue une négociation collective », Madame Laure Marino évoque l’ « usage marketing » des données personnelles.
Il apparaît alors nécessaire, face à ces mutations du marché numérique, d’assurer une meilleure protection des données personnelles. Cette protection est prévue au niveau européen par un cadre juridique spécifique. La directive européenne 95/46/CE, la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) consacrent le droit à la protection des données personnelles des individus. Le 14 avril 2016, un règlement général européen de protection des données personnelles a été adopté, remplaçant la directive de 1995, afin de renforcer ce droit à l’échelle européenne.

La confrontation du concept de position dominante au traitement des données

La position dominante s’apprécie ainsi sur un marché particulier, qui se définit en droit de la concurrence comme « le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique ».
Il est difficile d’appliquer le concept abstrait de « marché pertinent » aux activités liées aux données. Ces dernières n’ont pas de valeur économique, c’est leur traitement qui en génère. La création de valeur résulte alors d’un effort de l’entreprise elle même sur les données qu’elle collecte et non de la rencontre entre l’offre et la demande. Dans la plupart des affaires de « concentrations examinées par les Autorités de la Concurrence, en lien avec des marchés reposant sur la collecte et l’exploitation de données, les parties concernées par l’opération n’utilisaient leurs données qu’en interne, sans les vendre à des tiers. Par conséquent, elles n’étaient pas présentes sur un éventuel marché de données. Les contours d’un éventuel marché de données n’ont dès lors pas pu être définis. »Par ailleurs les données générées par les utilisateurs ne font pas l’objet d’une contrepartie monétaire d’où la difficulté de qualification du marché pertinent : il n’y a pas de reconnaissance des marchés gratuits. Dès lors, on peut reconnaître la place des données dans un marché de produits puisque leur traitement contribue à améliorer le produit final. Cependant, le traitement des données ne constituerait a première vue pas un marché en soi. Cet argument peut être renforcé car les critères nécessaires à la délimitation du marché pertinent ne semblent pas adaptés au traitement des données.

Une confrontation des méthodes de détermination et de sanction de l’abus au traitement des données

Parmi les outils utilisés par le juge communautaire et les Autorités de concurrence nationales, l’application de la théorie des facilités essentielles (ou des « infrastructures essentielles ») permet de mettre en évidence puis de sanctionner un abus de position dominante au sens de l’article 102 du TFUE. Cette théorie repose sur l’idée que si une entreprise en position dominante, détient une infrastructure essentielle, non reproductible dans des conditions économiques raisonnables, sans laquelle des concurrents ne pourraient exercer leur activité, elle peut être contrainte de permettre à ses concurrents d’accéder à cette ressource, afin de protéger le jeu de la concurrence sur un marché aval, amont ou complémentaire.
La théorie a été transposée par la jurisprudence européenne, « francisant l’expression [essential facilities] », à partir d’une décision de la Cour Suprême de 1912 Terminal Railroad Association. Si aux Etats-Unis, le Sherman Act définit la « facilité essentielle » avec deux critères : « la possession d’un pouvoir monopolistique » et « une conduite anti-concurrentielle » ; le juge communautaire estime néanmoins que l’intention n’est pas un élément caractéristique de l’abus. Dans l’arrêt Sealink, la Commission européenne définit une installation essentielle comme une « installation ou un équipement sans l’utilisation duquel les concurrents ne peuvent servir leur clientèle. », et sanctionne sur le fondement de l’article 102 du TFUE le fait pour le propriétaire de telles installations « d’utiliser son pouvoir sur un marché pour protéger ou renforcer sa position sur un autre marché apparenté, en particulier en refusant d’accorder l’accès à ces installations à un concurrent ou en lui accordant l’accès à des conditions moins favorables que celles dont bénéficient ses propres services».  En 1993, aucune condition spéciale ne semble alors avoir été établie par le juge communautaire. Des critères seront par la suite posés par la CJUE dans les arrêts « Bronner « IMS Health» et « Microsoft », comme le souligne l’Autorité de la concurrence: une entreprise peut demander l’accès à une facilité ou à un réseau si le refus d’accès concerne un produit indispensable à l’exploitation de l’activité en question, si ce refus n’est pas justifié par des considérations objectives et s’il est susceptible d’exclure l’intégralité de la concurrence sur le marché secondaire. Si de plus, l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle est en jeu, alors le refus doit également empêcher l’émergence d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle (arrêt Magill).

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Table des matières

I. Le traitement des données, un vecteur de nouveaux risques anti-concurrentiels dans une
économie numérisée
A. De nouveaux risques anti-concurrentiels propres aux caractéristiques des plateformes
numériques
B. De nouveaux risques soulevés par le traitement de données « à caractère personnel »
II. Les limites des instruments traditionnels du droit de la concurrence face au traitement
des données
A. Une confrontation de la notion de position dominante au traitement des données
B. Une confrontation des méthodes de détermination et de sanction de l’abus au
traitement des données

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