Le DP : une émergence à la croisée des chemins

L’identification de pratiques de DP a émergé à la fin des années 1990. Eclairer cette émergence est une première manière, que j’ai choisie, d’aborder la question de la construction du DP, pour approcher son identité. C’est une façon de parvenir à une première réponse, partielle, à la question de savoir dans quels termes la création du DP est effectuée et si l’on fabrique de l’enseignable (Chervel, 1988). En effet, j’ai étudié si la naissance du DP est un événement singulier, isolé, ce qui ferait de lui une création ex nihilo ou si elle s’inscrit dans un réseau d’évènements, voire dans un ou des mouvements déjà amorcés ou bien même dans des traditions scolaires. J’ai mené cette étude de deux points de vue, qui prennent au sérieux le nom générique qui est le sien : débat d’une part, philosophique d’autre part.

L’émergence du DP à la lumière de l’émergence de l’oral et du débat à l’école primaire

Afin de rendre compte de l’émergence du DP à l’école primaire à la fin des années 1990, de déterminer s’il naît de manière isolée et récente ou s’il s’inscrit dans un mouvement amorcé à l’école primaire, un parcours du statut accordé à l’oral et au débat à l’école primaire m’a paru pertinent, puisque les pratiques de DP revendiquent elles-mêmes d’être orales et discussionnelles. Ce parcours ne consiste pas dans une étude historique , mais à disposer d’éléments qui permettent de donner un aperçu du statut de l’oral et du débat à l’école primaire pour situer le DP, dans une perspective didactique.

Pour conduire cet examen, je me suis appuyée en premier lieu sur la discipline français, que j’ai prise à titre de matrice, plutôt que de le faire porter sur l’ensemble des disciplines, en considérant que c’est une discipline privilégiée, susceptible de dévoiler, au travers de ses pratiques, l’état général de la réflexion sur le statut accordé à l’oral à l’école, la pertinence d’un enseignement et d’un apprentissage de l’oral et de genres de discours y afférant, ainsi que les représentations et conceptions du dialogue pédagogique (section 1). En termes de délimitation d’un corpus, j’ai retenu les programmes et instructions officiels en français de 1882 à 2008. Je me suis limitée à l’examen des pratiques prescrites, en laissant de côté l’étude de recommandations de pratiques d’une part et d’autre part les recherches didactiques , car mon objet n’est pas de mener une étude sur les pratiques d’enseignement de l’oral et du débat en français pour elles-mêmes, mais de les explorer afin d’éclairer l’émergence du DP. L’étude, qui porte sur l’élémentaire , est menée à partir de 1882, c’est-à- dire à partir de la rénovation pédagogique engagée avec les lois Ferry, où le souci d’une éducation intellectuelle et morale de l’enfant est affirmé à côté de la nécessité de transmettre des savoirs et des savoir-faire élémentaires, souci auquel l’enseignement du français contribue de manière centrale  (Chervel, 1995, t. 2, p. 12).

Pour rendre compte de mon parcours des programmes, j’ai distingué la place accordée à la parole de l’élève et la place accordée à un enseignement de l’oral, qui peuvent être différentes, pour en interroger la signification : on peut notamment encourager la parole de l’élève sans pour autant organiser et structurer un enseignement de l’oral. Ce choix fait écho à ce qu’ont montré Dolz et Schneuwly pour la France et la Suisse : l’enseignement de l’oral est un « produit tardif de la culture scolaire » (1998, p. 11). Ces auteurs ont montré que le terme « oral » est peu présent dans les instructions officielles et les manuels jusque dans les années 1960, tandis que le « parler des élèves » est envisagé selon deux finalités : apprendre à parler français à des élèves qui parlent d’autres langues ou des patois et apprendre à le parler correctement, c’est-à-dire selon les normes du français écrit (ibid.).

J’ai aussi interrogé la nature du dialogue pédagogique préconisé, en le reconstruisant en termes de verticalité et d’horizontalité, c’est-à-dire respectivement en termes d’adresse du maître aux élèves et réciproquement et en termes d’échanges entre élèves, afin de faire apparaître la place qui est donnée aux échanges, à leurs modalités et ainsi aux modalités de parole accordées aux élèves.

En second lieu, j’ai étudié l’émergence très contemporaine du débat dans les disciplines, au regard de l’espace des prescriptions qui en sont faites pour l’école primaire de 1995 à 2008, par rapport auxquelles j’ai situé le DP (section 2). J’ai complété ce parcours par l’étude de l’émergence récente de formalisations du débat dans des espaces de recherche didactique ou de recommandations (section 3), qui permet de faire apparaître le caractère proprement disciplinaire du débat en France, qui invite ainsi à le considérer en tant que genre disciplinaire (section 4). De ce point de vue, mon approche du contexte d’émergence du débat en France ne rejoint pas celle de Destailleur (2014), lorsqu’elle affirme une « scolarisation du débat », l’idée que le « débat est devenu une pratique scolaire évidente à l’école » (ibid., p. 27) qui semble précéder, pour elle, une disciplinarisation du débat, c’est-à-dire sa construction par discipline. En ce qui me concerne, je montre que ce sont les recherches didactiques disciplinaires qui ont chacune promu une approche proprement disciplinaire du débat et favorisé son émergence, par discipline, à l’école primaire.

L’émergence de l’oral et du débat dans l’enseignement du français à l’école primaire 

L’examen des programmes officiels de français de l’école primaire élémentaire de 1882 à 2008, guidé par l’identification de continuités et de discontinuités, fait apparaître une place souvent minorée de la langue orale, dont l’apprentissage, lorsqu’il est envisagé, est conçu au service de l’apprentissage de la langue écrite. Les instructions de 1972 rompent avec cette tradition, en affirmant le rôle fondateur de la langue orale et de son apprentissage, sans pour autant parvenir à réellement fonder une nouvelle tradition. Si les programmes de 2002 tentent de la lancer, ils sont démentis par ceux de 2008. Le dialogue pédagogique, lorsqu’il est objet de préconisations, est majoritairement vertical. C’est avec les programmes de 1972 et de 2002 qu’il est aussi horizontal, dans la préconisation de travaux de groupe et du débat. On ne peut donc pas en inférer une tradition continue d’apprentissage de l’oral, du débat et d’un dialogue pédagogique vertical et horizontal, dans l’école primaire française. Dans ces conditions et dans la perspective de rendre compte de l’émergence du DP, il apparaît que celui-ci ne s’inscrit pas dans une tradition continue d’apprentissage de l’oral, elle-même inexistante.

Si, dans les programmes de 1882 et de 1887, pour ce qui concerne l’enseignement de la langue française, la parole de l’élève est convoquée, cependant l’oral n’est ni valorisé en lui-même et pour lui-même ni constitué comme objet d’apprentissage. A suivre Chervel, c’est à partir de 1850 que « commence timidement à se répandre la nouvelle consigne : “faites parler les enfants” » pour enseigner le français à l’école, alors que la pédagogie traditionnelle valorisait le silence au nom de l’ordre scolaire (2006, p. 403). Et Chervel remarque qu’il faudra du temps pour définir et mettre en œuvre des « exercices, une pratique, une doctrine » adéquats, dans le cadre de la discipline français (ibid.), qui puissent s’apparenter à un apprentissage de l’oral spécifique.

Dans les programmes de 1882 et 1887, pour les différents cours de l’élémentaire, il apparaît que dans la rubrique « langue française », une sous-rubrique « exercices oraux » est répertoriée à côté des rubriques « exercices de mémoire », « exercices écrits », « exercices d’analyse ». Ces exercices oraux ont ceci de particulier qu’ils sont très majoritairement attachés à des supports textuels. On peut en inférer qu’un usage correct de la langue est visé, selon deux finalités : l’une consiste dans une maîtrise de la langue parlée conformément aux normes de l’écrit : c’est ainsi qu’aux cours moyen et supérieur, des exercices d’élocution sont prévus, l’élocution pouvant être définie comme l’« art de parler correctement en construisant des phrases correspondant à la norme française » (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 12), soit les «normes du français écrit » (ibid., p. 11) ; l’autre consiste dans la maîtrise de la parole, comme maîtrise de la langue scolaire, au service de l’enseignement et de l’apprentissage de la langue écrite, notamment dans l’idée que c’est en apprenant à bien parler qu’on apprend à bien écrire (Chervel, 2006, p. 404). Dans tous les cas, l’oral n’est pas constitué en tant qu’objet d’apprentissage autonome. Parallèlement, une redéfinition profonde de la méthode de l’instruction, jugée convenir, promeut un dialogue pédagogique vertical dans toutes les disciplines : « Non pas la froide succession de leçons exposant aux élèves les différents chapitres d’un cours » (Ferry dans Chervel, 1995, t.2 p. 103), non pas une succession de procédés mécaniques, mais « celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d’idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées » (ibid.). Le dialogue est à l’initiative du maître, son but étant de permettre selon Ferry le développement des facultés et la « culture de l’esprit » (ibid.). On peut dire qu’il s’agit, par les échanges verticaux, de veiller à l’appropriation par l’élève de connaissances stables « au lieu de l’enfermer dans des formules dont il ne retire que de l’ennui, et qui n’aboutissent qu’à jeter dans ces petites têtes des idées vagues et pesantes, et comme une sorte de crépuscule intellectuel » (Ferry, 1880). On peut illustrer que l’enseignement du français est ordonné à ce dialogue vertical avec les « questions et explications au cours de la leçon de lecture » ou les « interrogations sur le sens, l’emploi, l’orthographe des mots du texte lu » » (Ferry, dans Chervel, 1995, t.2 p. 105). La parole a sa place à l’école comme vecteur des apprentissages.

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Table des matières

INTRODUCTION
Première partie. Le DP : une émergence à la croisée des chemins
Introduction
Chapitre 1. L’émergence du DP à la lumière de l’émergence de l’oral et du débat à l’école primaire.
1. L’émergence de l’oral et du débat dans l’enseignement du français à l’école primaire
2. L’émergence contemporaine du débat dans les programmes des disciplines de l’école primaire
3. L’émergence du débat dans les disciplines comme renouvellement des pratiques
d’enseignement
4. L’émergence du débat scolaire comme émergence de genres disciplinaires
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2. L’émergence du DP à la lumière des difficultés autour d’un renouvellement des pratiques scolaires de la philosophie
1. La reconstruction d’un enseignement de la philosophie pour le secondaire au travers de trois piliers : le couronnement des études, la leçon du professeur, la dissertation
2. Défense des trois piliers de l’enseignement de la philosophie versus renouvellement des pratiques
3. Le DP au regard de la construction historique de l’enseignement de la philosophie et du renouvellement des pratiques de la philosophie
Conclusion du chapitre 2
Conclusion de la première partie
Deuxième partie. Des recommandations de pratiques du DP : des difficultés autour de la scolarisation et de la disciplinarisation du genre DP
Introduction
Chapitre 3. L’espace des recommandations de pratiques du DP comme objet d’une analyse didactique
1. Cerner l’identité du DP : des axes et des critères d’analyse pour une étude des
recommandations du genre
2. Questions scientifiques et méthodologiques pour la construction d’un corpus de
recommandations
3. Le corpus, objet d’étude
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4. Des recommandations de pratiques : du nom à l’objet
1. Le choix du nom comme choix de genre et choix d’objet
2. Contexte du DP
3. L’identification de contenus du DP comme composantes structurelles
4. Le contrôle des enseignements et des apprentissages
5. Modalités de travail
6. Les finalités du DP
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5. L’horizon d’une discipline scolaire ?
1. Cursus, programmes et progressivité d’un enseignement
2. Conceptions de la philosophie et construction d’une discipline scolaire
3. La formation de l’enseignant
Conclusion du chapitre 5
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie. Le DP, ses genres de référence et ses frontières : une fabrication hétérogène
Introduction
Chapitre 6. Des genres de discours de référence du DP
1. Le dialogue socratique
2. La dispute
3. La conversation
4. Le débat délibératif du Conseil d’enfants, un genre scolaire de référence
Conclusion du chapitre 6
Chapitre 7. Le DP, un genre aux frontières instables
1. DP et débat en éducation civique : concurrence ou complémentarité ?
2. DP et débat argumentatif en français : l’aiguillon du didactique
3. DP et débat en littérature : le régime de la communauté
4. DP et débat en sciences : modéliser la problématisation
Conclusion du chapitre 7
Conclusion de la troisième partie
CONCLUSION

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