Le document authentique dans les relations interpersonnelles

La notion d’authenticité

L’authenticité : un terme polysémique

Les lectures sur lesquelles repose ce cadrage théorique montrent qu’il existe un certain consensus lorsqu’on interroge la légitimité du document authentique dans le cadre d’un apprentissage formel. Nombreux sont les didacticiens qui s’accordent en effet sur la façon dont le support authentique constitue un outil privilégié, lequel permet aux apprenants d’acquérir des compétences langagières, pragmatiques et culturelles. Malgré des convergences affichées, des dissonances existent, en particulier par rapport au niveau d’apprentissage dans lequel le document authentique devrait être introduit.

Définition générale

Avant d’aborder le cadre de la classe de langue, il nous faut esquisser le sens général communément attribué à la notion « d’authenticité ». Selon les domaines concernés se trouvent des visions bien distinctes sur la nature de l’authenticité, sur son usage, et sur les objectifs qu’elle remplit. La plupart des dictionnaires l’envisagent selon différentes valeurs qui souvent s’interpénètrent. Le premier synonyme attribué à l’authenticité, c’est l’autorité, où ce sens est largement répandu dans une discipline telle que le droit par exemple. En dehors de la légitimité et de la légalité, le terme recouvre également les notions de certitude et de vérité, et dispense de ce fait toute remise en question. À l’irréfragabilité s’ajoute une autre dimension : la conformité à la réalité. D’autres sources encyclopédiques convoquent sa pureté et son caractère absolu. Pourtant, ce ne sont pas les considérations philosophiques rattachées à l’authenticité qui nous intéressent ici, c’est pourquoi nous terminerons ce panorama pour circonscrire le terme selon son équivalence d’originalité. C’est surtout cette dernière qualité qui servira de pivot dans la présente recherche, parce que nous partons du principe que de la question de la source et de la nature des documents naissent des problématiques qui sont traitées de manières bien distinctes.

L’authenticité en classe de langue

Force est de constater que ce qui est qualifié « d’authentique » varie fortement selon les domaines de recherche. C’est la conclusion que tire A. Gilmore, qui exhorte à décloisonner les différents champs concernés et invite à dépasser la seule didactique des langues (2007 : 97). Des huit approches qu’il recense parmi des auteurs spécialisés, nous retiendrons la définition proposée par K. Morrow (1977), qui envisage le documentauthentique comme « […] un texte dont l’énoncé est réel ; il est produit par un locuteur ou scripteur réel, pour un public réel, et conçu pour exprimer un message réel […] » [notre traduction] 1 (cité par Gilmore, 2007 : 98). Cette vision est largement partagée côté français, à ceci près que la définition qu’en donnent R. Galisson et D. Coste stipule clairement que le support authentique ne peut être en aucun cas créé dans un dessein pédagogique : « […] tout document sonore ou écrit qui n’a pas été conçu expressément pour la classe ou pour l’étude de la langue, mais pour répondre à une fonction de communication, d’information ou d’expression réelle. […]. Authentique s’oppose à ‘fabriqué pour la classe’ ». (Galisson & Coste, 1976 : 59). Ici se devine le caractère original du texte puisque l’aspect pédagogique y est exclu ; le document, quelle que soit sa forme, a été avant tout fabriqué pour la récréation du locuteur natif ou pour sa connaissance. Malgré tout, il faut bien se garder de toute méprise : cela ne veut pas dire que l’authenticité d’un texte soit subordonnée à l’identité ou la nature de son destinataire. En d’autres termes, l’authenticité est davantage liée à la fonction qu’occupe le texte en question.
À la définition que nous venons d’exposer, nous ajouterons deux nuances théorisées par J. Swaffar (1985). À l’instar de D. Coste et de R. Galisson, cette spécialiste insiste elle aussi sur le fait que ce n’est pas tant pour qui le document a été conçu. Public natif ou pas, la question se situe davantage sur le pour quoi (1985 : 17). Cependant, la visée communicative ou informative ne suffit pas à caractériser l’authenticité d’un support. Pour elle, un texte est authentique si son contenu n’est pas épuré de tout ce qui fait la particularité de sa forme, auquel cas l’apprenant passerait à côté de signes, voire serait privé des « […] indices […] idiosyncratiques et colorés de l’auteur, lesquels caractérisent un genre […] » [notre traduction] (ibid.). À cet égard, nous adopterons stricto sensu pour cette étude l’angle retenu par J. Swaffar et par D. Coste et R. Galisson, c’est-à-dire que nous exclurons tout support qui a subi une altération, même minime. Les documents didactisés ne feront donc pas partie des items pris en compte dans cette revue de la littérature. Ce parti pris s’explique par le fait que bon nombre de matériels authentiques ont été ici appréhendés en cours dans leur entièreté, comme cela a été le cas pour les supports filmiques, les chansons, les œuvres littéraires, etc. En revanche, nous partons du principe que les extraits de ressources authentiques, comme c’est le cas par exemple pour un article de presse tiré d’un journal, font bel et bien partie de notre cadre de travail. Par ailleurs, et c’est là où le point de vue de J. Swaffar (1985) semble original, le document authentique sur lequel va travailler l’apprenant doit être livré brut, préconise-telle. Autrement dit, il ne doit pas comporter de traductions ou de questions, ces éléments pouvant conditionner, voire influencer la compréhension du support. Dans le cas d’un texte écrit par exemple, l’existence de synonymes ou de tout autre renvoi en bas de page constitue un environnement qui est bien différent du contexte original dans lequel le document authentique a été créé au départ. Cette didacticienne est d’avis que toute annexe, toute information supplémentaire nuit forcément à l’élève, puisque ce dernier est freiné dans sa mise en place d’une démarche inductive, limitant ainsi sa tentative de s’approprier ledit document en le contextualisant lui-même (ibid.). Enfin, cette remarque a le mérite d’envisager la problématique sous l’angle pédagogique et méthodologique. Concrètement, livrer un document authentique brut, c’est-à-dire le livrer seul, autorise l’apprenant à agir comme n’importe quel autre lecteur, y compris celui qui est natif. En ce sens, il va, s’il ne connaît pas un mot, le laisser de côté puis essayer de repérer le champ lexical, les occurrences, les temps, les différentes voix, etc. Ce processus d’appropriation est crucial ; il permet de développer l’autonomie et l’engagement de l’apprenant et de mettre en retrait l’enseignant dont l’omniprésence et l’accompagnement, pour ne pas dire l’assistanat, finissent par entraver le rôle participatif de l’élève. D’ailleurs, l’expression « ‘spoonfeeding’ » , formule sarcastique utilisée par J. Swaffar, traduit bien le danger qui consiste à mâcher le travail en amont et en aval du support (ibid.). De leur côté, E. Carette et al. tentent de déterminer quelle approche paraît la plus probante. Faut-il se départir « […] des métaphores […] qui risquent de bloquer la compréhension [?] », s’interrogent-ils (2009).285). F. Carton est d’avis que le pédagogue doit présenter la ressource « intact[e] », mais qu’il peut tout à fait travailler de façon plus soutenue sur telle ou telle partie du texte (ibid.).
La conviction que le document authentique ne doit pas, s’il veut garder toute nature authentique, être modifié de quelque manière que ce soit, est également soutenue par des chercheurs tels que F. Grellet. Cette spécialiste va même jusqu’à exhorter l’enseignant qui serait amené à travailler sur un article de presse, par exemple, à conserver religieusement tous les aspects originaux du texte. Parmi ceux-ci figurent aussi bien le contenu que la mise en page. Le chapeau, la police de caractère, la surbrillance ou l’iconographie, assène-t-elle, créent un ensemble qui concourt à transmettre au lecteur un message singulier (cité par F. Mishan, 2005 : 13).

Le choix et le traitement du document authentique : quels objectifs ?

Former l’apprenant au-delà du langagier

Sans aller jusqu’à l’aporie qui consiste à affirmer que dès son entrée dans un cours de langues, le document authentique perd finalement tout ce qui fait son authenticité, J.F. De Pietro s’interroge plutôt sur ce qui fait que le contenu d’un texte est en adéquation avec l’objectif que s’est fixé l’enseignant (1997 : 21). Pour lui, il semble stérile de vouloir à tout prix introduire un support authentique afin de valoriser ou de légitimer un aspect réel ; autant le créer soi-même, préconise-t-il – non sans malice – (1997 : 20). En revanche, multiplier l’exposition à des documents authentiques variés pour pratiquer en autres, l’oralité, œuvre à l’appropriation de « genres » (1997 : 22). C’est une stratégie gagnante puisqu’elle place l’élève dans un mode d’expression attendu. Celui-ci pourra par exemple se familiariser avec la visée communicationnelle typique des « […] débats, interviews, récits […] », car, rappelle J.F. De Pietro, l’apprenant se forme et agit aussi socialement (1997 : 22).
Ce dernier point évoqué fait écho aux propos de R. Richterich et al., qui soulignent eux aussi la nécessité de s’interroger en amont sur l’exploitation qui sera faite dudit document. Sélectionner un texte authentique est une opération capitale assènent-ils, même si l’exigence des critères qu’ils évoquent semble difficile à satisfaire de prime abord (1997 : 18). Ils partent du principe que l’élève peut gagner à travailler sur un support réel, à partir du moment où ce dernier l’engage socialement et émotionnellement, et qu’il favorise une ouverture sur le monde. Ces conditions, renchérissent-ils, doivent s’accompagner de clefs de lecture que possède le professeur puisque c’est à lui d’aider l’élève à décoder le document ; c’est aussi à lui de mettre en place des dispositifs d’étayage afin que celui-ci puisse accéder au sens, quel que soit son niveau d’apprentissage (ibid.). Or le processus d’accompagnement pour comprendre un document authentique nécessite parfois un travail de longue haleine, temps dont ne dispose pas forcément l’enseignant. Cette difficulté peut ralentir l’acquisition ou pire, peut transformer la réception du document authentique en objet de résistance ou de démotivation, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir des compétences culturelles et interculturelles, enjeux qui seront largement abordés dans la deuxième partie de ce cadrage théorique. Si la formation de l’élève va au-delà de l’aspect langagier, celui-ci n’est pas le seul à bénéficier de la présence de documents authentiques. Outre la fonction cognitive que J. Swaffar attribue à la lecture de textes authentiques (cf. supra), elle leur confère une autre vertu, en direction de l’enseignant cette fois-ci. L’exposition à un tel matériel permet notamment au professeur d’agrémenter le cadre officiel de son programme, et de rompre ainsi avec la monotonie engendrée par le suivi chronologique de manuels (1985 : 18). R. Richterich envisage d’ailleurs la question selon la réciprocité des statuts du texte et de l’enseignant : « Qu’est-ce que le texte fait ? Qu’est-ce ce que je fais avec le texte ? » interroge-t-il (1997 : 18).
Par ailleurs, ponctuer les cours de supports authentiques favorise un meilleur accompagnement des élèves dans leur apprentissage. En prenant mieux en compte les centres d’intérêt de ses élèves, en introduisant par exemple des sujets dont il sait qu’ils rencontreront l’adhésion de ce genre de public, il sera bien plus aisé pour le professeur de dispenser son savoir (Swaffar, 1985 : 18).

L’exposition au français réel

Comme bon nombre de chercheurs, J. Willis (2011) oriente elle aussi le débat autour de la question de la légitimité des corpus authentiques utilisés en classe de langue. Elle plaide en faveur de la création d’un corpus pédagogique basé sur un matériel authentique, lequel apporte logiquement une plus-value. Ce dernier est aux antipodes de textes fabriqués, qui ont tellement subi de modifications sur la forme, qu’ils en ont perdu tout caractère naturel.
Elle dénonce la futilité et la stérilité de tels supports, trop décalés selon elle par rapport au terrain puisqu’ils reposent sur « […] une langue artificielle ou peu représentative de la langue que [les apprenants] rencontreront dans la vraie vie. » [notre traduction] (ibid.). Ce point de vue est conforté par celui de J. Swaffar, qui elle aussi, s’érige contre des textes guindés, voire aseptisés (1985 : 16). Même si un grand nombre de pays continuent de dispenser un savoir frontal, souvent dénué de tout document authentique, A. Gilmore concède que, grâce aux recherches conjointement menées dans le domaine de l’analyse conversationnelle et dans celui de la sociolinguistique, un changement s’est opéré dans la façon de transmettre les savoirs et d’organiser les programmes scolaires. Certes, tout est perfectible ; cependant, il faut continuer d’analyser sans relâche les spécificités interactionnelles en milieu formel afin d’intégrer une langue réelle, une langue qui ne soit pas édulcorée comme c’est bien trop souvent le cas dans de nombreux manuels scolaires (2007 : 99). M. McCarthy et R. Carter évoquent à juste titre les bénéfices d’incorporer un discours authentique, car cette démarche « […] nous permet d’être plus fidèles à ce que le language est et [d’apprécier] la raison pour laquelle les gens l’utilisent. » [notre traduction] (cité par Gilmore, 2007 : 99).

Conclusion

Les points de vue des différents auteurs qui ont été passés en revue ne sauraient à eux seuls cerner la complexe notion d’authenticité. Parce qu’une langue est intrinsèquement liée à son histoire et à sa culture, nous analyserons la question de l’authenticité sous son aspect culturel, sujet auquel nous consacrerons une partie théorique dans le chapitre suivant.

La délicate transmission de la culture étrangère

Plus que tout autre discipline, la transposition didactique en langues peut donner du fil à retordre au plus aguerri et au mieux préparé des enseignants. Quoiqu’un brin provocatrice, la citation choisie ici en introduction interpelle le pédagogue sur la nature de l’objet à transmettre. En effet, l’enseignement de la culture cible s’avère un parcours particulièrement ponctué d’obstacles, tout autant que l’est sa réception auprès des apprenants. Nous proposons, dans ce deuxième chapitre, d’en analyser les raisons.

Le document authentique et la question de l’interculturalité

L’utilisation de documents authentiques fait partie d’un modèle pédagogique plébiscité dans la classe de langues. Pour atteindre des compétences « multiculturelles », « transculturelles », « globales » ou « interculturelles » pour reprendre la terminologie de A. Simpson et F. Dervin (2019 : 1), l’enseignant doit exposer l’apprenant à des textes qui susciteront son engouement pour la langue cible. Cependant, l’idée d’interculturalité est à manier avec précaution, préviennent A. Simpson et F. Dervin. En effet, non seulement c’est une notion bricolée, un « méli-mélo » qui conduit la société occidentale à se surestimer, mais en termes d’éducation, c’est aussi, regrettent-ils, ne pas dépasser le « comparativisme », méthode qui n’est « […] ni neutre, ni désintéressée […] » [notre traduction] (2019 : 2). F. Demougin avertit pour sa part de l’écueil qui consiste à considérer l’étude des cultures comme de simples strates qui se superposeraient au fur et à mesure de l’apprentissage (2008 : 413). Au contraire, elle exhorte les enseignants, lors de tout travail axé sur la culture, en s’assurer en amont que l’apprenant s’investisse activement en opérant une réflexion sur luimême et sa langue-culture. Dans cette optique, celui-ci devra, au fil des interactions, réadapter ses postures, puis reconsidérer et moduler ses propos. Ces changements ne doivent pourtant pas être vécus de façon négative ; le point de vue de F. Demougin semble davantage porter la réflexion sur le fait que les échanges, par leur nature, conduisent inévitablement à « […] réajuster constamment […] et à accepter l’idée d’une appropriation personnelle variable, qui génère conflits et coopérations » (2008 : 414). Sa posture, qui vise à dédramatiser le fait que parfois les échanges interculturels aboutissent à des prises de position diamétralement opposées, offre un point de vue rassurant, tant pour l’enseignant que pour les apprenants. Il est donc tout à fait normal, lors d’un tel procédé, que naissent des contradictions ou des tensions. Ce point de vue diffère pourtant de celui de A. Simpson et F. Dervin. Ces chercheurs critiquent en effet vivement D. Deardorff (2018), qui elle aussi revendique le droit à l’apprenant de ne pas être d’accord avec le reste du groupe-classe, à partir du moment où il reste poli (2019 : 4). Or, s’offusquent A. Simpson et F. Dervin, cela revient à laisser la seule subjectivité du professeur juger de la courtoisie ou de la discourtoisie d’un individu (ibid.). En outre, ils craignent que ce principe ne soit difficilement applicable au discours, car, rappellent-ils, celui-ci est, par nature, instable (ibid.).
Dans le champ de l’interculturalité, le modèle établi par G. Robinson (1993) est révélateur de la nécessité que les cultures se côtoient. À travers une couleur symbolisant chaque culture, le processus interculturel qu’elle décrit n’envisage pas seulement l’apprentissage via la traditionnelle dichotomie « culture d’origine » (bleu) versus « culturecible » (rouge) ; elle propose d’y ajouter une troisième catégorie, à savoir une lecture culturelle issue de ce mélange (violet) (1996 : 435, cité par G. Robinson-Stuart & H. Nocon).
La référence à la palette de peinture à laquelle recourt G. Robinson traduit bien la précaution indispensable qui consiste à considérer toutes les références à prendre en compte pour l’apprentissage culturel ; l’élève ne peut en effet se départir des repères culturels dont il a hérité. Face à cette théorie dont la couleur violette correspond à une charnière privilégiée dans l’acquisition d’une civilisation étrangère, il faut pourtant nuancer ces propos. Les travaux de C. Kramsch invitent à dépasser la vision trop simpliste, voire manichéenne, qui se bornerait à proposer un cours de langue dans lequel une série d’items culturels seraient présentés, puis amalgamés de façon conventionnelle et formatée. Cette spécialiste de renommée considère au contraire de façon plus marquée que « [l]’objectif n’est pas d’aboutir à un équilibre des opposés, ou à un pluralisme d’opinions modéré […] » [notre traduction] mais bien d’instiguer des échanges et une mise en perspective de points de vue, lesquels permettront d’appréhender la compétence interculturelle en évitant le banal compromis (2000 : 8, cité par S. McKay).

Le cas de la littérature en classe de FLE

Le texte littéraire, un document authentique particulier

Si nous considérons la littérature comme un document authentique, nous prendrons soin, dans un premier temps, de définir ce qui est entendu par « texte littéraire ». Au même titre que le cinéma, la chanson ou les articles de presse, nous avons ici choisi d’inclure la littérature dans les documents authentiques. La raison de cette approche réside dans le fait que ce type de support n’est pas envisagé a priori comme un outil pédagogique. Les auteurs de textes littéraires proposent en effet leur production comme un média qui procure loisir et divertissement, se souciant plutôt de la popularité de leur ouvrage que d’une possible exploitation en classe de langue. En ce sens, nous partageons en tous points la définition proposée par A. Godard (2015), qui envisage le texte littéraire, au même titre que d’autres supports tels que ceux issus de campagnes promotionnelles, comme un document authentique à part entière. Cette revendication s’explique par le fait que celui-ci ne soit pas créé pour répondre à des besoins pédagogiques ou pour constituer une ressource permettant la pratique d’une langue étrangère, mais bien parce qu’il s’adresse à un public – natif ou pas – désireux de pénétrer dans une histoire, un style, un contexte (2015 : § 1.4.1.).

La littérature, document authentique entre prestige et élitisme

Matière érigée au rang de « […], discipline reine, emblème de la culture cultivée, porteuse de valeurs morales et esthétiques […] », telle est la façon dont était perçue la littérature dans le domaine du FLE il y a soixante ans, si nous nous référons aux propos rassemblés par E. Argaud (2018 : 2). Pourtant, cette vision semble perdurer si l’on en croit l’aura de prestige et d’intellectualité qui continuent d’entourer la notion à l’heure actuelle. A. Godard (2015) craint pour sa part que la littérature ne soit vue tel un « […] ‘monument’ inaccessible […] », c’est-à-dire en acceptant finalement ce statut quasi-divin dont jouissent traditionnellement les textes littéraires (2015 : § 1.2.4.). Dans la même veine, les œuvres étudiées continuent de s’inscrire dans un archétype de la production littéraire, le « canon ». Nous en donnerons la définition proposée par G. Pollock, théoricienne dont nous apprécions la vision, entre autres, sur l’art, la culture, et le féminisme. Selon elle, le canon peut être envisagé comme suit : « [les] textes – ou [les] objets – que les institutions académiques établissent comme les meilleurs, les plus représentatifs et les plus significatifs dans les domaines de la littérature, de l’histoire de l’art ou de la musique » (Pollock, 2007 : 46).
Perçus comme des piliers essentiels hérités des siècles précédents, ils assurent les fondements d’une culture de haute volée, sans laquelle pourraient être mis en doute le sérieux et la qualité d’un apprentissage culturel digne de ce nom. (ibid.). Il n’est pas rare ainsi de constater que bon nombre d’établissements, du secondaire au troisième cycle, proposent des textes anciens ou des œuvres réputées inabordables, même si cela conduit, comme nous allons le voir, à de nombreuses difficultés d’accès au sens. Ces obstacles sont malgré tout nécessaires, comme l’explique E. Falardeau. Ce chercheur voit dans l’approche du didacticien C. Tauveron une démarche pédagogique pertinente, laquelle consiste à soumettre aux étudiants des « ‘texte[s] réticent[s]’ » (2003 : 679). Bien que cette formulation antinomique puisse paraître de prime abord contre-productive, la méthode semble pourtant fournir des éléments de réponses à la didactique des langues. Même si cette hypothèse ne se cantonne pas uniquement à l’enseignement et à l’apprentissage du FLE, son principe peut tout à fait y être transposé dans une classe de langue étrangère. Concrètement, il s’agit de sélectionner des corpus littéraires dont la lecture ne livre pas, d’emblée, un décodage direct. Outre les évidentes barrières liées au lexique ou aux formes grammaticales – ce qui est évidemment attendu dans un cours de français langue étrangère – l’angle se situe ici plutôt dans la façon dont l’élève va activement prendre part au décryptage du texte littéraire. En d’autres termes, quel(s) bagage(s) culturel(s), quelles connaissances, quelles expériences va-t-il mettre en œuvre afin d’accéder au sens ? Il sera ainsi demandé à l’apprenant de
transcender.

Le traitement du texte littéraire

Bien que la littérature, par la richesse de son offre, propose au lecteur non natif un regard original sur le monde, les textes étudiés doivent être choisis avec soin. Plus que tout autre support, ils nécessitent une connaissance pointue du public auquel ils sont destinés. Cette mise en garde, S. Bibby l’explique par le fait qu’il peut exister un décalage entre la lecture d’une œuvre et l’interprétation qu’elle sous-tend (2014 : 24). L’exemple qu’il met en lumière illustre parfaitement l’écueil qui consiste à ne pas envisager avec précaution l’ensemble des aspects de la culture éducative des apprenants. Dans le cadre d’un travail sur une œuvre telle que La ferme des animaux de G. Orwell, nous nous devons, assure-t-il, de prendre conscience qu’un public d’étudiants nés à la fin de la Guerre froide a très peu de chance de saisir le subtile rapprochement que l’auteur fait avec l’Union soviétique (ibid.).
De la même façon, poursuit-il, il est nécessaire de s’interroger sur la présence d’autres facteurs contextuels qui seraient à même de freiner l’analyse d’un texte littéraire. Prenant appui entre autres sur l’un des poèmes de T.S Eliot, La terre vaine, M. Marshall rapporte pour sa part que des détails météorologiques ou géographiques, en apparence anodins, peuvent entraver la compréhension d’une métaphore ou d’une synesthésie. En effet, comment un groupe d’apprenants de Puerto Rico, cite-t-il en exemple, peuvent-ils visualiser la ville de Londres ? Possèdent-ils assez d’éléments tangibles leur permettant de repérer telle ou telle figure de style ? (cité par S. Bibby, 2014 : 24). Cependant, le point de vue de M. Marshall ayant été publié en 1979, nous pouvons nous demander si, grâce à l’avènement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux dont disposent les étudiants portoricains aujourd’hui, cette question est toujours d’actualité. Cette parenthèse étant refermée, nous poursuivrons cette revue de la littérature en nous interrogeant sur la façon la plus juste de tirer profit du texte littéraire en classe de FLE.
Il émerge, d’après les travaux de F. Demougin, que les enseignants donnent en règle générale deux orientations possibles au traitement des supports littéraires. Parce qu’il s’agit d’un document authentique qui comporte des obstacles fréquents tant sur le fond que sur la forme, il est habituellement relayé au rang d’activité de compréhension écrite ou orale, et ce, au détriment d’une lecture dont la finalité reposerait sur la façon dont le texte est perçu et ressenti par l’apprenant (2008 : 415). En outre, la démarche classique qui envisage le texte littéraire comme outil de compréhension tend à départir le lecteur d’un privilège essentiel : celui d’envisager le texte selon ses propres inférences. C’est finalement ôter tout « plaisir interprétatif » au nom de l’acquisition langagière, regrette la chercheuse (ibid.). Par ailleurs, défend C. Kramsch, la proximité et la connaissance qu’entretient l’enseignant avec le support joue en la défaveur de l’apprenant puisque dès lors, seul le professeur jouit d’une autorité interprétative, expertise qu’il va dispenser, généralement de manière tranchée (1985 : 358). Sur le terrain, il est effectivement courant – pour ne pas dire admis – que l’enseignant, par l’étayage qu’il construit, oriente davantage les élèves vers une réponse attendue. Dans la même veine, F. Carton rappelle la place haute du professeur, qui, quoi qu’il arrive, reste celui qui choisit la façon dont est transmis le savoir : « […] on peut avoir une intervention extrêmement magistrale qui est de dire : ce document à un sens, c’est moi qui décide quel est le sens à comprendre, et je veux que les apprenants acquièrent ce senslà. » (Carette et al., 2009 : 285).
En tenant compte de ces situations, l’interprétation d’une œuvre littéraire soulève une autre question dans l’apprentissage. Elle peut en effet conduire à une situation gênante pour le lecteur non natif, qui risque parfois d’être bousculé par de nouvelles représentations dont F. Demougin explique l’origine par le fait que les lectures engendrent « [des] implications personnelles, sociales, culturelles et politiques […]. La DLC doit prendre en compte cette expérience de la pluralité à quoi est confronté tout locuteur-apprenant. » (2008 : 415). Malgré tout, ce processus n’est pas atypique ; bien au contraire, il est naturel et inhérent à toute communication et à toute découverte interculturelle. En outre, conclut-elle, la démarche engagée par l’apprenant pour appréhender la culture de l’Autre ne s’offre pas facilement à lui ; cette réalité, même si elle vient ébranler ses représentations, est un procédé dont l’élève ne peut se passer (2008 : 415).

 

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Table des matières
Introduction
Partie 1 – Revue de la littérature
CHAPITRE 1. LA NOTION D’AUTHENTICITE 
1.1. L’AUTHENTICITE : UN TERME POLYSEMIQUE
1.2. LE CHOIX ET LE TRAITEMENT DU DOCUMENT AUTHENTIQUE : QUELS OBJECTIFS ?
CHAPITRE 2. LA DELICATE TRANSMISSION DE LA CULTURE ETRANGERE 
2.1. LE DOCUMENT AUTHENTIQUE ET LA QUESTION DE L’INTERCULTURALITE
2.2. LE CAS DE LA LITTERATURE EN CLASSE DE FLE
CHAPITRE 3. LE DOCUMENT AUTHENTIQUE DANS LES RELATIONS INTERPERSONNELLES 
3.1. LA PRISE EN COMPTE DE L’HUMAIN
3.2. APPROCHER LE DOCUMENT AUTHENTIQUE COLLECTIVEMENT
3.3. LA REACTION AUX DOCUMENTS AUTHENTIQUES
Partie 2 – Contexte et méthodologie 
CHAPITRE 4. LE TERRAIN ET LA METHODOLOGIE 
4.1. CLEFS DE LECTURE DE L’IRLANDE
4.2. LE CADRE METHODOLOGIQUE
4.3. LA QUESTION DE L’INTERPRETATION
4.4. TABLEAUX SYNOPTIQUES
Partie 3 – Analyse et résultats 
CHAPITRE 5. LA RESISTANCE AU DOCUMENT AUTHENTIQUE 
5.1. L’ENNUI
5.2. L’ENGAGEMENT EMOTIONNEL
CHAPITRE 6. SUPPORTS AUTHENTIQUES ET TRANSPOSITION DIDACTIQUE 
6.1. L’AMBIGUÏTE DE L’INTERPRETATION
6.2. L’ACCOMPAGNEMENT DU DOCUMENT AUTHENTIQUE
6.3. LE DOCUMENT AUTHENTIQUE, UNE RESSOURCE SUPERFLUE ?
6.4. PISTES INTERPRETATIVES
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes

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