LE DISSENSUS : UNE GARANTIE DE LA PENSEE DEMOCRATIQUE

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Des mauvaises intentions de bonne foi

Le concept d’Intention est ancré au plus profond des débats, des combats pour avoir raison et par conséquent, au cœur des décisions qui en résultent. « Les principes de la volonté sont de certains désirs etcommuns à tous les hommes 2 » nous dit Pascal, mais qu’est donc ce principe de la volonté sinon l’intention qui pousse l’homme à l’action pour arriver à ses fins. L’importance de l’intention est sans cesse soulignée dans le discours des philosophes et G.E.M. Anscombe l’a extraite et développée de façon exhaustive. Je veux parler de ce concept d’intention qui gouverne la volonté d’exprimer « un état interne du sujet… et qui est intimement liée à l’action.3 » Il serait donc probable que le nœud de la discussion, le dissensus même, cette tension, voitsa source dans les intentions des hommes qui les poussent à combattre ou à s’accorder . Le point de départ, cette intention, serait l’étincelle qui signerait le premier mouvement de l’être vers sa réalisation. En tout état de cause, c’est l’acte lui-même qui permettra la mesure de l’intériorité de l’être et qui le nourrira en retou. Franck Fischbach décrit ce phénomène d’oscillation entre l’être et l’acte etc’est dans ce « passage » que se crée le mouvement de l’être « Parce que l’action est justement le lieu où l’homme fait l’épreuve de sa finitude sous la forme de la résistance que la nature oppose à son agir … 4 » Pour que cette action ne finisse pas l’homme, ce dernier doit inventer sans cesse sa propre continuité ; et par là même sa propre réalisation.
La qualité ostensible d’une intention sera déterminante dans le débat. C’est le sens que nous souhaitons lui voir donner qui aura un impact sur l’interlocuteur. C’est plus exactement la qualité perçue de ce dévoilement d’intention et le sens que celui qui la perçoit va lui donner qui seront déterminants dans l’interaction des agents en présence. Ce que nous montrons n’est encore pas forcément en adéquation avec notre intention propre, ou plutôt, l’intention de fond n’est pas aussi propre que ce que nous voulons bien montrer. Ce serait occulter toutes les stratégies existantes dans l’art de conférer. Il y a donc, dans ce qui nous est montré, de l’intention, certaines choses qui sont en parfaite communion avec elle, et d’autres, sujettes à des enjeux du débat, qui y sont contraires. Il y a contre l’intention de fond des contrariétés parasites qui peuvent la détourner de son objectif (les contraintes systémiques, les désirs,les promesses à tenir, le pouvoir de l’autre, la menace…). Autrement dit, ce qui nous est montré en termes d’intention ne nous garantit en rien sa sincérité. Il semble qu’il soit parfois difficile d’assumer cette intention et que nous soyons contraints par notre raison d’exprimer le contraire de cette même intention.

Le syndrome de Monsieur Homais

La science nous pousse toujours à imaginer de nouve lles techniques pour plus de confort, plus de vie. Le scientisme galopant contemporain aurait sûrement happé Monsieur Homais, personnage de Madame Bovary qui personnifie aujourd’hui une forme de bêtise bourgeoise anticléricale.
Il encourage avec passion Charles Bovary à opérer Hippolyte, un jeune garçon d’écurie handicapé d’un pied bot, une intervention très innovante et surtout très en dessus des compétences de « l’officier de santé ». Monsieur Homais n’est pas insensible à la gloire que confèrerait un succès chirurgical d’autant qu’il favoriserait son propre épanouissement commercial, son enthousiasme traduit son intention de fond tant pour éblouir la multitude que pour s’illusionner lui-même. L’incarnation même de la mauvaise foi où le dessein n’est en aucune façon altruiste, ni pour la gloire médicale de Bovary, ni pour la santé du jeune Hippolyte, mais bien pour ses propres profits par procuration. L’intervention se solde par une amputation et Monsieur Homais se détourne rapidement de Monsieur Bovary et lui laisse seul la responsabilité de son échec, « sacrifiant sa dignité aux intérêts plus sérieux de son négoce».L’excitation d’une avancée scientifique motive chez Monsieur Homais tous les moyens utiles pour finaliser l’action. Il ne s’embarrasse pas de scrupules et le bien-être du commis n’est assurément pas au centre de ses préoccupations. Nous pourrions même avancer que Monsieur Homais a été pris d’un accès de bovarysme aigu dans le sens où sa limite est celle qu’il cherche à dépasser à travers le geste de Charles (sans que Charles en ait les moyens lui-même). Ici le mal germe au cœur de l’intention, masqué par une mauvaise foi qui feint le paternalisme.
Le bovaryque n’a point besoin d’un Monsieur Homais pour vivre son existence molle et terne mais il reste à sa merci c ar Homais pique Bovary dans son talon d’Achille : le manque d’audace, le besoin de reconnaissance et d’amour. Il s’avère qu’un Homais a beaucoup plus d’avenir qu’un Bovary du simple fait que Monsieur Homais reste en retrait de la seule exposition aux risques de Charles Bovary. Homais est opportuniste, bruyant et son existence dépend de l’aliénation de pauvres bougres comme Charles Bovary qui n’osent pas se positionner. Bovary, lui, pourrait très bien traverser la vie sans encombre, sans déranger, au prix de ne s’élever ni en audace ni en gloire, mais toujours suspendu au risque de croiser Monsieur Homais.
La bêtise, ici, n’est pas étrangère à l’affaire etelle nous laisse entrevoir cette part de nocivité qui peut motiver certaines ntentions de fond. Curieusement, cette intention de fond chez Homais est dévoilée par son comportement post critique quand il abandonne Charles à la responsabi lité de l’acte auquel il l’a largement poussé. Au vu des résultats de l’intervention chirurgicale, le niveau éthique de son intention se signe par le sacrificede sa dignité au profit des intérêts de sa pharmacie.
La nature nous a laissés aveugles devant la qualitéde l’intention de l’altérité mais nous pouvons et devons répondre dela nôtre. Faire face à ses propres intentions et ne pas s’illusionner soi-même est une première étape nécessaire car « à l’action intentionnelle nous pouvons répondre à la question « pourquoi ? »1 » et cette cécité nous renvoie au devoir de faireface au mal ou du moins de l’anticiper. Pour ajouter à la complexité, la mauvaise intention peut se dissimuler sous le masque de la bonne foi car cette bonne foi ne garantit pas la justice, elle exclut seulement le mensonge, non l’erreur. Nombre d’horreurs sont commises de bonne foi comme celles commises par les terroristes fanatiques. « La bonne foi est un fait qui est psychologique et une vertu qui est morale ; Comme fait c’est la conformité des actes et des paroles à la vie intérieure, comme vertu c’est l’amour ou le respect de la vérité et la seul foi qui vaille.2 » Méfions-nous donc de ces messieurs Homais qui ont tendance dans certains débats à pousser à la roue pour leur propre compte. Voilà un masque que l ’on peut mettre en difficulté dès le moment où nous l’envisageons dans tous ses possibles. Charles Bovary n’a pas eu cette force et sa bonne foi n’a pas pesé lourd face au mal de Homais. Nous voyons aussi qu’en termes de persuasion la mauvaise foi peut se révéler puissante quand les éléments d’intentions sont plus clairement construits. Chez Homais par exemple, la persuasion est étayée par des fantasmesde gloire et de réussite sociale qui forcent la main à Bovary. Ce dernier n’étant qu’officier de santé, l’intervention chirurgicale se révèle largement au dessus de ses compétences. Bovary, lui, n’a pas de moteur ! Il n’a que des fai blesses. Le manque d’intention le fait acquiescer facilement. C’est une stratégie efficace que celle de la mauvaise foi quand elle détecte et exploite le vide.

Bovarysme, psychosociologie et consensus

Le consensus se met au service des besoins d’une société. D’une part du fait qu’une société a besoin de règles et de normessur lesquelles ses membres vont pouvoir fonctionner, se connaître et surtout se reconnaître autour de vérités partagées. D’autre part, parce qu’il est confortable de s’aliéner à des idées nourrissantes en termes de plaisirs, fussent-ils immédiats. J’entends, par progrès, ce qui fait avancer une société sans pour autant que ce progrès soit porteur d’un champ moral universellement partagé.
Il se peut qu’une forme d’oligarchie s’impose dan s un groupe, dès le moment où les autres individus de ce même groupe sont assurés (et rassurés) par elle d’un confort de fonctionnement. Ce confort, ils se le procurent par leur aliénation à un prêt à penser que les promesses dela science, par exemple, servent en pâture à des individus devenus incapables de nou rrir une controverse. Cette forme de bovarysme professionnel se décline facilement dans les services de soins et s’illustre dès qu’une décision d’équipe (ou de ervices ou encore de pôle) est requise. Pour se protéger du doute, participer sansdéranger et être glorieusement reconnu comme membre nécessaire au consensus, nous devenons bovaryste. En retour, ces individus bovaryques sont assurés d’une reconnaissance de leur place dans ce groupe, quitte à faire le deuil d’une pensée élaborée qui risquerait d’être subversive et de remettre en question le bien fondé des décisions et donc les orientations du groupe. Ces individus s’exposent de fait à la responsabilité de la décision prise mais la dilution dans le collectif semble les rassurer comme une promesse d’impunité.
La psychosociologie a bien compris ce besoin humain de participation pour être reconnu dans le groupe, quand Doise et Moscovici disent « Il est donc vrai que pour nous, être, c’est participer. », il faut ajouter que pour certains (les nombreux bovaryques), participer ne correspond qu’à consentir à l’idée phare. Peut-être même, devrions nous dire, que consentiremande encore un effort que ces individus n’ont pas l’intention, l’intérêt ou al force d’exprimer. Cet effort serait celui de l’acquiescement, de la validation et l’évidence montre que ces individus sont plus habités par le vide que par une intention. Ne pas penser protège du doute et assure une reconnaissance qui stabilise et homogénéise le groupe. Le consensus offre à l’individu, une forme de reconnaissance en même temps qu’une forme d’anonymat du fait du collectif. Le consensus permet de ne pas s’exposer seul, bref, le confort parfait pour les nouveaux Bovary : exister mollement, participer à fonder de nouvelles normes et être reconnu pour cela par le groupe sans pour autant s’être réellement positionné.
Allport confirme en 1924 cette propension au compromis des individus réunis à d’autres individus « il y a, dit-il, une tendance humaine à tempérer ses opinions et sa conduite par déférence pour les opinions et la conduite des autres.2 » Or je pense qu’il manque certaines variables pour entériner le paradigme. Il semble, au vu de l’expérience des réunions de consensus dans les services de soins, que la notion de contrainte soit prépondérante dans les résultats de décisions obtenues. Quelle que soit la composition du groupe de réflexion en termes de catégories professionnelles, le groupe va s’organiser sur les schémas connus de dynamique de groupe : le ou les « leaders » vont organiser et planifier la réunion pour s’assurer le leadership du groupe, alors peut-être certains « déviants » viendront-ils mettre à mal leur logique pour ten ter de la leur ravir. Mais le gros de la troupe se situe dans des fonctions dynamiques beaucoup moins agressives. C’est ainsi que l’on retrouve les « par ticipants », lesquels se divisent en participants actifs et participants passifs. Nous verrons, dans l’expérience la jeune femme et le fou, que les rôles récurrents de ces archétypes sont déterminants ainsi que les interactions qui se jouent entre les différents acteurs d’un groupe de décision.
Mais avant d’analyser la dynamique d’un groupe dans le but d’en tirer un enseignement quelconque, nous devons nous expliquer sur les choix épistémologiques retenus.

Constantes dans le déroulement de l’exercice

Une fois la question posée un silence s’installe, les participants s’interrogent du regard et très rapidement l’un d’entre eux propose une organisation. Tous disent le départ de l’exercice douloureux face au manque de méthode et de consigne. Le silence du début est insupportable pour la plupart et de ce fait le positionnement d’un leader spontané a pour effet de tranquilliser le groupe dans sa majorité et d’inquiéter celui ou ceux qui ont trop tardé à se positionner mais qui en avaient l’intention.
Nous pouvons constater que l’injonction de juger et de rendre un jugement est toujours respectée. Nous pouvons nous demander si le statut d’étudiant aide ou suffit à la compliance pour cet exercice. Jamais aucun groupe n’a refusé de s’exécuter au vu de données insuffisantes. Les rares individus rebelles sont phagocytés par les participants actifs ou bien tentent un leadership réactionnaire et se retrouvent très vite évincés entant que boucs émissaires ou au mieux en tant que déviants isolés et non suivis. Les participants disent se prêter très facilement à l’exercice du fait que la problématique ne touche pas leur discipline et que leur valeur professionnelle n’est pas à démontrer. Il ne leur reste qu’à réagir « avec ce qu’ils sont » disent-ils avec un sentiment de n’avoir été aliénés d’aucune façon.
Les leaders qui managent l’organisation de l’exercice, et/ou l a défense d’une position, disent avoir le scrupule de répondre le mieux possible à ce qui leur était demandé. Nous reviendrons plus loin sur les atégoriesc de leaders que nous avons croisés dans ce genre d’expérience en reprenant le travail de Max Weber dans son Economie et société.
La majorité desparticipants actifs partagent ce scrupule sans pour autant n’avoir eu ni la force, ni l’ambition, ni l’obligat ion ressentie de prendre le leadership. Il leur suffit de répondre aux question qui sont posées, se positionner seul ou bien quand cela leur est demandé en propre, sans pour autant « mourir pour une idée ». Ces actifs ont la franche impression d’avoir existé dans la progression du groupe, ceci étant partagé par les eadersl. Les participant actifs nourrissent les controverses et se positionnent en leur âme et conscience pour l’idée du leader qui est la plus proche de la leur. A aucun moment le participant actif ou passif ne tentera de faire exister son idée plus énergiquement que celle du leader. Seuls les déviants se frottent à cet exercice et réussissent la prouesse de ravir quelquefois le leadership du groupe. Les participants actifs se reconnaissent pour la plupart dans la décision finale du fait de leur participation à son élaboration. Dans ces constantes majeures nous ne pouvons pas définir de qualités spécifiques de relations propres et récurrentes entre les participants quels qu’ils soient et le leader. Par contre nous verrons que le caractère des relations est fortement dépendant des qualités dudit leader et que, s’il ne maîtrise pas forcément tout ce qui se passe dans le groupe, son influence est loin d’être négligeable.
Ce qui caractérise les participants passifs c’est leur discrétion, leur silence, leur capacité à se faire oublier. Ces soumis consentants ne gênent en rien la progression du groupe et ne se retrouvent dans une position inconfortable que quand la solution du litige dépend de leur voix. Ils ne prennent uniquement part au débat uniquement que s’ils sont agressés par un leader ou un déviant qui a remarqué leur absence de positionnement. Ces participants soumis disent le plus souvent ne pas se sentir concernés par la problématique, que ce n’est pas important, c’est un exercice, une fiction… Ils reco nnaissent en général leur manque d’implication et disent avoir consenti sans retenue à la décision de la majorité par facilité. Ces participants passifs semanifestent peu, leur indifférence leur procure une distance vis-à-vis du groupe, une forme de distanciation spectatrice qui les dédouane d’implication. Ils avouent parfois même une dissidence (jamais exprimée) à la majorité qu’ils ont nourrie sans pour autant en être contrarié. Leur passivité discrète (c’est-àre-dinon ostentatoire) leur permet de traverser l’exercice sans heurt, préférant ne pas xister plutôt que de s’exclure d’emblée de la dynamique. Leur dissidence, si elle est exprimée a posteriori, ne cède jamais la place à une sédition pendant l’exercice. Leur désaccord semble subordonné à leur passivité et à leur silence quand ils disent (toujours a posteriori) qu’ils ne sont pas forcément d’accord avec la décision du groupe à laquelle ils ont participé. L’expression « pas forcément d’accord » est très récurrente chez les participants passifs et précèdesouvent leur justification du désintérêt global, de leur distanciation de la problématique.
La tentation de lier rapidement passivité et soumission dans ce groupe de participants est forte, néanmoins, ceux que l’on nomme participants actifs pourraient bien être sous l’emprise d’unesoumission consentie1 non conscientisée mais pensée comme une naturelle et nécessaire justif cation de leur existence dans le groupe.

Impact de l’injonction participative dans les groupes de décision

Dans les constantes majeures de l’exercice, la première montre qu’à chaque exercice, tous les groupes sans exception, ont rendu la liste que l’animateur demandait (à savoir la liste des person nages de l’histoire par ordre de responsabilité vis-à-vis du meurtre de la jeune femme). Une précision est toutefois nécessaire : 5 minutes avant la fin de l’exercice, les groupes n’ayant pas encore réussi à élaborer une liste, étaient pressés de s’exécuter par l’animateur. Il leur était précisé qu’il ne leur restait que 5 minutes ourp présenter la liste demandée. Cette injonction n’a été utile que dans 10% des cas, le reste du temps les groupes avaient élaboré une liste avant la fin du temps imparti.
Une autre occurrence régulière concerne l’obligation de rendre une liste. Dans 40% des cas, au début de l’exercice, un membre du groupe (souvent identifié comme un leader ou un déviant avec un avenir de bouc émissaire dans le groupe) va demander à l’expérimentateur s’il est vraiment obligatoire de rendre cette liste ? Question à laquelle l’expérimentateur répondra par l’affirmative, ce qui suffira au groupe pour qu’il se remette au travail.
Le consensus prend une tournure très particulière quand on le frotte à l’épreuve de la psychosociologie. Le contexte de réflexion des groupes amenés à produire un consensus doit absolument être pris encompte pour analyser la teneur dudit consensus. Le consensus sera-t-il construit de la même façon et aura-t-il le même sens s’il est produit par des agents qui consentent une part de soumission ou bien si ces agents ont le sentiment d’être libres dans leur choix ? Les années 1960 ont été riches en expérimentations psychosociales autour de l’impact de la contrainte plus ou moins conscientisée par les agents. Les années 1980 ont vu, elles, la mise en application de nouveaux modes de management loin d’être étrangers à ces expériences. De l’expérience de Milgram au management participatif nous verrons qu’il n’y a qu’un tout pe tit pas et que le consensus en termes de processus de décision comme en termes derésultat n’est pas exempt de l’influence des mécanismes intestins qui transitent dans les expériences psychosociales citées.

Les promesses de la théorie managériale participative

Les participants actifs deviendraient ainsi capables de produire ce que l’on attend d’eux dans une ambiance participative, dès lors qu’ils ont le sentiment d’une marge de manœuvre, un espace de liberté. Nous retrouvons, en termes de management dans les institutions, le mode de management participatif qui est enseigné dans les instituts de formation de cadres de santé. Ce mode de management est enseigné en opposition au management directif… Ce management prône la participation de l’individu pou r un meilleur fonctionnement du système. L’idée veut que l’acteur, en participan à l’élaboration du système (avec ses avantages et ses contraintes), puisse mieux y fonctionner du fait qu’il en soit à l’origine et au suivi. « Les salariés détiennent des connaissances, des savoirfaire, une expérience précieuse pour améliorer lesperformances de l’entreprise. Il faut donc les associer le plus possible.1 »
Le sentiment de moins subir les injonctions, de profiter d’une marge de manœuvre, de liberté, doit permettre une plus grand e motivation, une plus grande implication aux bénéfices partagés de l’acteur et udsystème. Or, si la théorie et sa logique semblent rationnelles et applicables, la marge de manœuvre laissée à ces acteurs participants ne leur permet pas pour autant de remettre en cause les fondements de ce système. Seules quelques zones de manœuvre leur sont ouvertes pour leur action superficielle sur le système. Né des recherches d’Elton Mayo dans les années 1930, le management participatif s’est généralisé dans les années 1980 et continue à être prôné comme outil foncièrement démocratique et favorable au rendement de l’entreprise. « A travers les  » boites à idées », les « cercles de qualité « , les « GRP » (groupes de résolution de problème), l’acteur s’interdit seul toute distance critique vis-à-vis d e son gagne-pain, cette mutation a plongé les syndicats dans un désarroi durable. » Ces nouveaux rituels ont permis de faciliter l’identification de l’acteur comme ide ntité idoine au système. La réciprocité « nourrissante » construit ainsi la viabilité et la stabilité de l’écosystème en permettant à l’acteur d’agir sur son environnement de façon à ce qu’il lui paraisse plus favorable. Le sentiment d’a ppropriation et de maîtrise se fait ainsi plus prégnant en même temps qu’il inhibesa capacité critique. Rien de plus efficace que de faire s’approprier et promouvoir un projet par ses acteurs plutôt que de leur seriner les qualités d’un projet qui leur serait étranger.
La liberté est un luxe auquel nous prenons très facilement goût et ce qui lui ressemble nous suffit trop souvent pour nous croire libres. La menace de l’aliénation n’étant pas assez forte il se pourrait que des situations qui nous maintiendraient dans une forme de confort ou de liberté vraisemblable nous suffisent. Il y a des situations où d’autres peuvent choisir à notre place sans que cela ne bouscule notre confort quotidien, ou du moins ne le grignote de façon à ce que la douleur soit insupportable. De la même façon, pour notre corps par exemple, nous compensons souvent la détérioration ’uned articulation avec une articulation plus saine de façon à ne pas ressentir la douleur. Ce temps où nous nous appliquons à nier le mal, pour donner au corps l’apparence d’un corps sain, ne profite qu’au mal pendant que des dommages plus sérieux s’installent au risque de s’avérer irrémédiables.
L’aliénation sournoise par la privation lente des libertés ne dérange pas assez le sujet dès le moment où ses besoins fondamentaux sont assurés dans un confort de crise, surtout quand une marge de manœuvre lui est octro yée et qu’elle lui donne un sentiment de maîtrise et de liberté dans le système. Dès le moment où le sujet a le sentiment d’opérer des choix, il se satisfait de ces choix qu’il cautionne, légitime et promeut comme étant les garants de sa liberté. Les contraintes sont ainsi intériorisées et assumées confortablement.

De Milgram à Tibbets et Eichmann

De 1960 à 1963, à l’université de Yale, Stanley Mil gram organise les premières expériences de psychologie sociale sur leconcept de soumission à l’autorité. Ses conclusions sont édifiantes. Stanley Milgram se demandait ce qui avait poussé autant d’Allemands à suivre Hitler dans ses idées pendant la deuxième guerre mondiale et avait le secret espoir de nouer des liens entre soumission à l’auto rité et nazisme. Comprendre comment s’élaborait cette relation bien cadrée entr un peuple et son Führer. Pour ce faire, il voulut mener son expérience en Allemagne mais au vu des résultats surprenants qu’il obtint dans les tests de son expérience en Amérique, il décida de rester dans son pays pour poursuivre le protocole.
Milgram recrute par voie de presse les sujets de son expérience qui joueront le rôle du « professeur ». Il est proposé à ces candidats une rémunération confortable. Le sujet arrive dans un lieu (hôpital, labo d’université ou appartement en ville) il est censé participer à une étude sur al mémorisation. Cette dernière serait, selon l’explication donnée au sujet de l’expérience, facilitée ou améliorée par une répression (punition) associée à une mauvaise réponse. Pratiquement, l’expérience comporte trois personnages:
· – l’élève: un comédien et complice de l’expérimentateur qui est censé apprendre et recevoir une décharge électrique, de plus en plus forte, en cas d’erreur.
· – le professeur : le véritable sujet qui dicte les mots à apprendre et envoie la décharge électrique en ignorant qu’elle est fausse et qui pense donc faire souffrir l’élève.
· – l’expérimentateur : professeur à l’université habillé en blouse blanche et qui représente l’autorité pour l’expérience.
Au départ, l’élèverécite quelques mots puis se trompe. Leprofesseur lui envoie une décharge électrique faible. Au fur et àmesure, la décharge devient plus forte (de 45 volts à 450 volts) et l’élève continue par se tordre de douleur, simule un coma jusqu’à la menace de mort. L’expérimentateur tente de pousser le professeur à infliger les décharges électriques dans l’intérêde la science, quitte à les infliger jusqu’à la mort. L’étude consiste à évaluer jusqu’où peut aller la soumission à l’autorité. Les résultats étonnants del’expérience montrent que l’autorité inhibe le sens critique et entrave le libre arbitre de l’individu. 60% des sujets vont jusqu’au bout de l’expérience, c’est-à-dire qu’ils continuent à infliger des décharges électriques de 450 volts à un autre sujet alors que celui-ci ne donne plus de signes de vie. L’expérimentateur donne, au fur et à mesure de l’expérience, les injonctions suivante : « Veuillez continuer », « L’expérience ne peut se construire sans vous, veuillez continuer s’il vous plait », « il faut absolument que vous continuiez » et « Vous n’avez pas le choix, il faut continuer1 ». Les résultats montrent que parmi les quarante individus soumis à l’expérience, aucun n’a jamais stoppé en dessous duniveau de 150 volts.
Éloignement : le sujet et l’acteur sont placés à des distances variables. Dans le cas de plus grande proximité, les sujets son face à face et l’élèvesupplicié doit volontairement maintenir sa main sur une plaque pour recevoir la fausse décharge. À l’inverse, dans le cas où la distance e st plus grande, le professeur ne communique avec l’élève placé dans une autre pièceque par un système de voyants lumineux. Plus le professeur est éloigné del’élèveet plus la soumission est importante. Nervosité: au fur et à mesure que les professeurs infligent des punitions de plus en plus importantes, ils montrent des signes d’inconfort et d’angoisse de plus en plus grands jusqu’à ce qu’ils cessent l’exp érience.
Danger de mort : dans un certain nombre d’expérience, l’acteur prétend avoir des problèmes de cœur et se sentir très mal a u fur et à mesure que les décharges augmentent. A partir de ce moment là les sujets désobéissent plus rapidement.
Figure d’autorité : les scientifiques jouent sur leur comportement et leur habillement pour accentuer leur autorité. Le port de la blouse par exemple à un effet important sur les sujets qui désobéissent moins. Les injonctions verbales insistent sur l’obligation de persévérer. Ces injonctions sont déterminantes pour la persévérance des sujets.
Milgram affirme non seulement que les structures sociales sur lesquelles se fonde le fascisme n’ont pas disparu, mais qu’ell es se sont modernisées, gagnant ainsi en efficacité. Il en conclut que l’exercice du libre arbitre est non seulement indispensable sur le plan intellectuel mais qu’il est salutaire dans les faits. Un point rassurant de son étude est que 10% à 15% de la population semble rebelle à toute forme de pression psychologique, quelle que soit son intensité.
Dans les sociétés industrielles contemporaines, l’accroissement de la population et le progrès technique se traduisent par une perte de sens critique de l’individu qui fait que ces sociétés remplissent toutes les conditions posées à l’exercice du pouvoir autoritaire : « En mettant à la portée de l’homme des moyens d’agression et de destruction qui peuvent être utilisés à une certaine distance de la victime, sans besoin de la voir ni de souffrir l’impact de ses réactions, la technologie moderne a créé une distanciation qui tend à affaiblir des mécanismes d’inhibition dans l’exercice de l’agression et de la violence.1» Les sujets sont ainsi réduits à la simple condition d’agents, état dans lequel l’individu cesse de se voir comme responsable de ses actions et se considère comme un simple instrument à travers lequel une instance sup érieure réalise son plan. On comprend dès lors pourquoi le comportement du sujet se voit si aisément contraint par l’autorité. Dès sa naissance, l’enfant est fortement socialisé selon le principe d’obéissance, à l’école, dans la famille, dans toutes les règles et lois que la société met en place pour assurer un vivre ensemble et par conséquent jusque dans l’entreprise.

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Table des matières

INTRODUCTION :
DU CONSENSUS A TOUS CRINS
Bouvard et Pécuchet, deux êtres penchés sur le vide
PREMIERE PARTIE
CADRE THEORIQUE
HISTOIRE DU CONCEPT
Les contiones
Les comices
Constat du rôle antique du consensus
DE L’OPINION PUBLIQUE AU SENS COMMUN
De l’opinion publique
CONSENSUS ET SENSUS COMMUNIS
Penser l’objet dans son ensemble et penser ensemble le même objet
Le sixième sens d’Aristote
Penser ensemble, ciment social
Histoire du sens commun
Nécessité de l’Autre pour penser la complexité
CONSENSUS ET CONSENTEMENT
Entre consentement et abus de confiance
Sacralisation du consentement et mort de l’éthique
DE L’INTENTION
Des mauvaises intentions de bonne foi
Les conduites paradoxales :
Le syndrome de Monsieur Homais
Bovarysme, psychosociologie et consensus
Choix épistémologique
ANALOGIES DES DECISIONS EN ETHIQUE CLINIQUE ET EN DEMOCRATIE POLITIQUE
DEUXIEMEPARTIE
DE L’ANTHROPOLOGIE CLASSIQUE
A LA DYNAMIQUE DE GROUPE INSTITUTIONNELLE
LA JEUNE FEMME ET LE FOU
Constantes mineures
Constantes majeures
Constantes dans le déroulement de l’exercice
ANALYSE DES CONSTANTES MAJEURES
Impact de l’injonction participative dans les groupes de décision
Du management participatif à la soumission consentie
Les promesses de la théorie managériale participative
Le désenchantement participatif
LE LEADER, UNE FIGURE DU DEALER ?
La soumission librement consentie de Platon à Milgram
De Milgram à Tibbets et Eichmann
Soumission librement consentie : archétype et caricatures
LE CONSENSUS : MACHINE A FABRIQUER LE SACRE
Le culte du malade
La discrète trahison des participants passifs
CONSENSUS ET MAJORITE
La zone d’incertitude :
Les déviants : Aliens du consensus
ENTRE CONVICTION ET PERSUASION, ETHIQUE ET STRATEGIE
De l’art de conférer à celui de persuader
PRUDENCE ET MOINDRE MAL, MESALLIANCE DEMOCRATIQUE
Phronésis, sophia, noos, épistèmé
Prudence et consensus, entre éthique et politique.
Le fossé entre vertu et moindre mal
Si un défaut d’excès est inconcevable qu’en est-il d’un moindre mal ?
CONSENSUS ET MOINDRE MAL, LA DOULEUR DU BIEN
Excision propre et sans douleur : un moindre mal ?
Le conseil de Circé
Le moindre mal, de Rousseau à Machiavel
L’école de Francfort et leurs émules :
Moscovici :
Prudence selon Habermas :
CONTRE LE MOINDRE MAL…LE MEILLEUR DES POSSIBLES ?
Méliorisme et meilleur des possibles
Le meilleur des possibles : utopie ou espérance (espoir ?)
La suffisance du presque-vrai, un moindre faux
SAVOIR, CONNAITRE, CROIRE… L’INACCESSIBLE ETOILE
De croire par habitude
Croire, se fier ou se méfier
De la crédulité à la bêtise
Croire en grec
Croire en, besoin de confiance et risque de trahison
Les accointances du consensus et de la norme
PHENOMENOLOGIE DU CONSENSUS
La force
La faiblesse : sa propension pour le vide
TROISIEMEPARTIE
LA VOIE DU DISSENSUS
Ethique et politique : moteur de la philosophie pratique
LE DISSENSUS : UNE GARANTIE DE LA PENSEE DEMOCRATIQUE
A partir de l’incertitude
La fin de l’histoire
Sous le signe d’Eris
L’école de Mégare, disciples d’Eris
Aristote et la pensée contradictoire
Le tiers exclu
DU DISSENSUS : UN ACTE DE COURAGE
Les points de fracture
Les visages de l’ennemi
Si vis pacem para bellum
Travail d’ipséité : la voie du dissensus
De la servitude maîtrisée
DISSENSUS : UN PARADOXAL SOUCI MUTUEL
Le mythe de l’androgyne : impulsion unificatrice
L’autre, cet alibi
LA PAROLE FECONDANTE
Du verbe à la parole
Être au monde sans Dasein
Recherche en triple aveugle
De la Parole fécondante aux conversations stériles
LA PAROLE TRAHIE
Le paradoxe d’Abilene
Retour aux valeurs sûres
Un double « je »
LE DOUTE ET L’EPOCHE COMME PROPEDEUTIQUE A L’ACTION LIBRE
Le doute, un entre deux choses
En deçà du bien et du mal : l’épochè
Malèvre sous l’emprise de Métis
La prise d’indécision
UNE CONFIANCE INQUIETE, ETHIQUE DU CONFLIT NECESSAIRE
Le dissensus, liquidateur de l’angélisme consensuel
Limite et remède du Conatus
LE DISSENSUS, CONFLIT DE RELIANCE AVEC, CONTRE ET POUR L’AUTRE
Exhortation au soignant
Résistance et collaboration
De l’intérêt de se surpasser
CONCLUSION
ANNEXE
INDEX NOMINUM
BIBLIOGRAPHIE

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