Le discours du gouvernement libéral du Québec pendant la mobilisation étudiante de 2012

Discours politique

Selon Maingueneau (Charaudeau et Maingueneau, 2002), le discours ne délimite pas un domaine de recherche, mais est plutôt une façon d’aborder le langage. En fait, la définition du discours a évolué au cours des siècles, mais aussi selon les approches théoriques (Barry,2002).
Le mot discours est apparu en 1503. Il s’agissait alors d’un emprunt au latin du mot diseurs us, qui signifie «parcourir en tous sens» (Rey, 2005, p. 90-91). Le terme était déjà utilisé dans la philosophie classique où l’on opposait l’intuition à la raison: son sens était d’ailleurs apparenté au terme grec logos (Maingueneau dans Charaudeau et Maingueneau, 2002). C’est un peu plus tard, à la fin de la latinité, que le terme prend le sens de conversation et d’entretien. Il désigne un exposé dans un domaine spécifique, comme la médecine ou la politique (Rey, 2005). Encore aujourd’hui, c’est l’acception que le sens commun lui prête en général (le président a prononcé un «discours»).  Par la suite, au XVIIe siècle, le terme discours prend le sens d’ expression verbale (par les mots) de la pensée et ne se résume plus à la dimension orale (parlée).
L’échange de discours politiques est nommé communication politique (Wolton, 1989). Wolton (1989) voit la communication politique comme un espace où les trois acteurs publics ayant la légitimité de s’exprimer sur la politique (les politiques, les journalistes et l’opinion publique via les sondages) se confrontent avec des discours politiques souvent opposés. Il la considère comme une instance de régulation, comme un processus continu se terminant lors de la tenue d’élections et ouvrant ainsi une nouvelle boucle alimentée par d’ autres problèmes politiques (Wolton, 1989).Le discours politique est vu, par certains citoyens, comme étant « prévisible, codé, voire mensonger » (Le Bart, 2003, p. 97). En se conformant aux contraintes et aux caractéristiques du genre discours politique, il est mal vu et suscite la méfiance chez les électeurs (Le Bart, 2003). En effet, lorsqu’un acteur prononce un docheiscours politique, les mots qu’il emploie ne sont pas choisis aléatoirement (Labbé et Monière, 2008). Il y a, en effet, toute une série d’indicateurs à suivre pour respecter le genre discours politique. Les termes employés sont également choisis selon l’objectif poursuivi par l’acteur politique. Selon Labbé et Monière (2008, p. 18), « ces contraintes sont encore plus fortes lorsqu’il s’agit du chef du gouvernement qui doit, dans ses déclarations, respecter les valeurs, les orientations et les choix de son gouvernement qui s’inscrivent dans le cadre idéologique de son parti ».

Analyse critique de discours

L’ analyse critique de discours, mieux connue sous son acronyme anglais de CDA (critical discourse analysis), s’ est développée dans les années 1990 et de manière plus institutionnelle après un symposium en 1991 à Amsterdam (Wodak, 2001). Cette rencontre a réuni ceux qui allaient devenir les piliers de la discipline, soit Gunther Kress, Norman Fairclough, Ruth Wodak, Teun A. Van Dijk et Theo Van Leeuwen. Ils ont pu discuter et confronter leurs idées, car la CDA regroupe une variété d’ approches et de méthodologies de recherche (Fairclough, 2012). Notre grille d’ analyse, présentée dans la section 3.4, a été créée à l’aide des concepts de Van Dijk et de Van Leeuwen.
Kress :Gunther Kress aborde, au début des années 1990, les notions de légitimation du pouvoir, de fabrication du consentement, du rôle de la politique, de l’éducation et des médias ainsi que de la reproduction de la domination entre les groupes. Il affirme que ces sujets se retrouvent aussi dans les discours au quotidien et que c’est à cet endroit qu’il est primordial de les analyser.
Fairclough :Norman Fairclough a une «approche pragmatique orientée sur le problème, où la première étape consiste à identifier et à décrire le problème social à analyser» (Meyer, 2001, p. 28-29).
Pour cet auteur, la CDA est nécessaire, puisqu’elle démontre le volet discursif de nombreux changements sociaux et culturels. Il voit d’ailleurs les médias de masse comme un lieu de lutte et de pouvoir, et non un lieu neutre comme ils prétendent l’ être, puisqu’ils jouent un rôle de médiateur en choisissant les nouvelles qui feront la manchette (Wodak, 2001). Il s’intéresse particulièrement aux processus de transformations sociales (2012). Fairclough présente la CDA comme apportant à la fois une critique normative, puisqu’elle ne décrit pas seulement les réalités, mais qu’ elle les évalue et une critique explicative dans le sens où en plus de décrire et d’ évaluer les réalités, elle tente de les expliquer (Fairclough, 2013).
Wodak :Ruth Wodak soutient qu’une perspective historique est primordiale dans l’analyse de l’utilisation du langage en milieu institutionnel (Wodak, 2001). Le contexte historique est d’ ailleurs toujours pris en compte dans ses recherches et ses interprétations. Elle est, dans le lot des chercheurs de la CDA, celle qui est la plus orientée vers le côté linguistique du discours (Meyer, 2001). Elle croit que les relations entre le langage et la société sont si complexes qu’une vision interdisciplinaire est nécessaire (Wodak, 2001). Elle utilise une méthodologie déductive et pragmatique, puisqu’ elle développe ses catégories, mais qu’ elle fait de nombreux allers-retours entre la théorie et ses données (Meyer, 2001).

Représentations sociales

Sensible à l’argument de Van Dijk selon lequel il serait souhaitable de mettre à contribution la psychologie sociale pour analyser les idéologies, nous avons choisi de mobiliser le concept de représentation sociale en nous inspirant tout d’abord de Moscovici, puisqu’il a beaucoup réfléchi et contribué aux études sur ce concept.
Moscovici perçoit les représentations comme des idées qui «circulent, se croisent et se cristallisent sans cesse à travers une parole, un geste, une rencontre dans notre univers quotidien» (Moscovici, 1976, p. 39). Selon lui, le système représentationnel présente trois dimensions, soit l’information (l’ensemble des connaissances sur un sujet), l’attitude (sa position – favorable ou défavorable – envers un sujet) et le champ de représentation (l’organisation et la hiérarchisation de ces données) (Moscovici, 1976). Les représentations sont ensuite élaborées via deux processus qui se chevauchent. Le premier est l’objectivation, soit le moment où l’individu garde en mémoire certaines informations plutôt que d’autres en les sortant de leur contexte. Le second processus est l’ancrage, soit le moment où la représentation peut s’intégrer dans le système de valeurs de l’individu et lui donner une valeur fonctionnelle (Moscovici, 1976).
Jodelet (1989, p. 53) va dans le même sens en expliquant que les représentations sociales sont des «formes de connaissances socialement élaborées et partagées, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social ». Elle ajoute qu’observer les représentations sociales c’ est comprendre comment « les systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (Jodelet, 1989, p. 53). Elle est en accord avec Moscovici qui mentionne que l’on doit analyser les représentations dans leur contexte, c’est-à-dire en tenant compte des autres aspects de la communication comme les rapports sociaux et les éléments affectifs (Jodelet, 1989).

Légitimation et délégitimation

Le dernier concept que nous allons présenter est la (dé) légitimation. De façon générale, la légitimation est un processus de reconnaissance d’un individu par d’autres (Charaudeau, 2005). Elle justifie ou donne le pouvoir à quelqu’un de dire ou de faire certaines choses au nom d’un statut, d’un savoir ou d’un savoir-faire (Charaudeau, 2005). Elle se distingue de la crédibilité qui, elle, renvoie à la confiance qu’on a envers une personne.
Selon Thompson, la légitimation est une des modalités opératoires de l’idéologie. Se basant sur Weber, il affirme « qu’un système de domination peut être fondé sur une représentation qui le légitime » (Thompson, 1987, p. 13). Les concepts d’idéologie, de domination, de représentation et de légitimité sont reliés : « les rapports de domination sont fondés sur la représentation de leur légitimité» (Thompson, 1987, p.21). Le discours sert à justifier le pouvoir de ceux qui le possèdent et ainsi de faire accepter au reste de la population de ne pas exercer ce pouvoir.
Charaudeau (2005) estime que la légitimité d’une personne lui donne la possibilité d’exercer du pouvoir. Dormagen et Mouchard (2007, p. 16-17) affirment que « ceux qui exercent du pouvoir disposent souvent de cette double ressource: ils sont à la fois légitimés pour commander et disposent de moyens de coercition ». Charaudeau (2005) souligne que la légitimité dépend des normes institutionnelles en place, puisque celles-ci accordent des statuts à certains acteurs sociaux. Par exemple, les gouvernants sont en place pour édicter et faire appliquer des règlements et des décisions et arbitrer des affrontements entre divers groupes. En d’autres mots, ils «disposent d’une autorité reconnue et légitime, et de moyens efficaces de contrainte » (Dormagen et Mouchard, 2007, p. 22). Étant donné qu’ils sont les seuls détenteurs légitimes de la force, ils sont donc en mesure de faire respecter leurs décisions. Cependant, vu la diversité des acteurs sociaux et les rapports de force qui les lient, le pouvoir ne peut s’exercer qu’à la condition d’avoir une légitimité. Le politicien doit donc jouer un « double rôle de représentant et de garant du bien-être social» (Charaudeau, 2005,p.60).Charaudeau (2005) précise qu’il ne faut pas confondre légitimité et autorité. L’autorité implique la soumission de l’autre, et permet à son détenteur de faire faire, faire penser ou faire dire des choses aux autres. Bref, on retrouve l’autorité dans « un processus d’influence qui donne à la personne détenant l’autorité le droit de soumettre l’autre avec l’acceptation de ce dernier » (Charaudeau, 2005, p. 52-53). Par exemple, le policier est une personne en situation d’autorité: il peut donc soumettre un citoyen ne respectant pas les lois en vigueur, qui n’aura d’autre choix que de l’accepter.

Portrait des acteurs sociaux

Les associations étudiantes

Quatre associations étudiantes ont milité contre la hausse des frais de scolarité. La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) 14 représentait et défendait les étudiants provenant du secteur collégial (Simard, 2013). Durant la période qui nous intéresse, elle était présidée par Léo Bureau-Blouin jusqu’ au 1er juin 2012, puis par Éliane Laberge. Elle réunissait 80000 étudiants provenant de 21 associations différentes (Bonenfant, Glinoer et Lapointe, 2013). La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ)1 5, créée pour représenter les étudiants universitaires et défendre leurs intérêts et leurs droits (Simard, 2013), était présidée en 2012 par Martine Desjardins et représentait 125 000 étudiants provenant de 15 associations. La CLASSE, la coalition large de l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante), créée en 2001 , prônait la gratuité scolaire et un soutien financier aux étudiants (Simard, 2013). Cette organisation comprenait, à son apogée, 100000 membres, et avait deux co-porte-paroles, Gabriel Nadeau-Dubois (qui démissionna le 9 août 2012) et Jeanne Reynolds. Une troisième co-porte-parole, Camille Robert, s’ajouta le 3 juin 2012. Finalement, il y avait la Table de concertation étudiante (TaCEQ), créée en 2009 par quelques associations étudiantes universitaires pour s’opposer à ce qu’elles estimaient être une centralisation excessive au sein de la FEUQ (Simard, 2013) et qui était représentée par son secrétaire général, Paul-Émile Auger. La TaCEQ fut moins active que les autres associations, mais elle représentait tout de même 65 000 étudiants, provenant de quatre associations (Bonenfant, Glinoer et Lapointe, 2013).

Le gouvernement libéral du Québec

En régime démocratique, le gouvernement se doit de considérer la communication comme un élément essentiel, puisqu’elle permet, selon Gingras (2003, p. 3) «le maintien de la cohésion sociale, l’organisation de lieux de débats citoyens, la recherche voire la fabrication du consentement et la lutte pour l’obtention et le maintien du pouvoir». Dans le cas d’un gouvernement démocratique légitime, comme au Québec en 2012, il travaille dans un modèle délibératif de communication (Montpetit dans Pétry, Bélanger et Imbeau, 2006). Des discussions sont donc au cœur de l’action politique qui, elle, évolue selon les idées et les opinions qui ressortent de ces débats. D’après Monpetit (Montpetit dans Pétry, Bélanger et Imbeau, 2006), les citoyens savent que le gouvernement ne peut convaincre et/ou satisfaire tout le monde et ils l’autorisent à suivre cette façon de faire si celui-ci met en branle des politiques acceptables par une majorité d’acteurs. De ce fait, le gouvernement, malgré qu’il soit influencé par des orientations idéologiques et partisanes, doit favoriser le bien commun ou du moins avoir l’apparence de le faire pour bénéficier du consentement du public (Labbé et Monière, 2008). En d’ autres mots, le gouvernement a besoin d’un appui populaire pour continuer à diriger le pays ou la province.
Ainsi, nous revenons à notre argumentaire sur le discours politique où nous exprimions que celui-ci cherche toujours à convaincre les citoyens que les décisions prises par le gouvernement sont les bonnes (Labbé et Monière, 2008). En effet, lorsqu’un acteur politique « prononce un discours, il ne choisit pas ses mots au hasard, car ses choix sont contraints ou encadrés par une série de paramètres qui dépendent de la situation d’énonciation et tout particulièrement de la fonction persuasive du discours politique » (Labbé et Monière, 2008, p. 18). De surcroît, le gouvernement doit, lorsqu’il émet un discours, tenir compte du fait qu’il souhaite élargir son soutien en plus de garder ses bases les plus fidèles.

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Table des matières

Introduction 
Chapitre 1 -Problématique de la recherche 
1.1 Contexte sociale
1.2 Contexte scientifique
1.3 Objet, objectif, question et hypothèse de recherche
Chapitre 2 – Cadre conceptuel
2.1 Discours politique
2.2 Idéologie
2.3 Analyse critique de discours
2.4 Représentations sociales
2.5 Légitimation et délégitimation
Chapitre 3 – Méthodologie 
3.1 L’analyse de discours
3.1.1 Choix de l’analyse de discours
3.2 Stratégie de recherche
3.3 Choix du corpus
3.4 Indicateurs (grille d’analyse)
3.5 Les limites de la recherche
Chapitre 4 – Résultats 
4.1 Portrait des acteurs sociaux
4.1.1 Les associations étudiantes
4.1.2 Le gouvernement libéral du Québec
4.2 Présentation des résultats
4.2.1 Les étudiants
4.2.2 Les associations étudiantes
4.2.3 La population
4.2.4 Le gouvernement
4.2.5 Les acteurs résiduels
Chapitre 5 – Discussion 
5.1 La synthèse des résultats
5.2 Le non-dit
Conclusion

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