Le développement de l’ISR en France une analyse économique du rôle des labels

La cause du manque relatif de dynamisme du marché ISR des particuliers est à chercher dans la complexité de l’offre qui intervient à tous les niveaux : produits financiers complexes par nature, approches ISR diverses, décalage entre offre et demande, manque de formation, et inadéquation du circuit de distribution. Au niveau de la conception tout d’abord, les produits financiers peuvent être investis selon différentes stratégies et dans plusieurs types d’actifs : actions de grandes, moyennes ou petites entreprises ; obligations d’entreprises, d’États ou d’autres organismes ; obligations de long ou de court terme ; instruments financiers ; etc. De plus, leur structure de frais est souvent opaque (Carlin 2009). Dans le cas des fonds ISR, on rajoute à cela une couche additionnelle de complexité (Nilsson 2010), liée à l’approche extra-financière qui est elle aussi multiforme : les sources et critères d’analyse des émetteurs sont multiples (agences spécialisées, ONG, analyse interne à la société de gestion…) et leur impact sur la gestion est hétérogène et peut aller de la sélection des meilleurs émetteurs à l’exclusion de certains secteurs d’activité, en passant par la sous-pondération des émetteurs les moins bien notés, l’élimination des entreprises coupables de violation de normes internationales, le dialogue et l’engagement vis-à-vis des entreprises à problème, les investissements « verts »… En somme, les produits financiers ISR sont difficiles à comprendre pour des investisseurs non-initiés. D’autant plus que les approches les plus visibles pour ceux ci, à savoir l’approche historique d’exclusion éthique ainsi que l’investissement dans des secteurs verts et des entreprises solidaires, ne correspondent pas forcément à la vision de l’ISR qu’ont les professionnels, sociétés de gestion et institutionnels, qui met l’accent sur les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance des émetteurs quelle que soit leur activité, et qui tend à y rechercher un avantage financier par la réduction du risque.

La complexité inhérente à la conception des fonds ISR est aggravée par une difficulté d’accéder à de l’information les concernant. Cette difficulté provient de la structure de la distribution de ces produits : ils sont conçus par des sociétés de gestion, et distribués aux investisseurs individuels par le biais des réseaux bancaires et d’assurance. Les sites internet de ces réseaux, qui constituent l’interface avec les clients finaux, ne mettent pas souvent l’ISR en avant et présentent des informations généralement limitées, en tout cas en moindre quantité que ce qu’on peut trouver sur les sites des sociétés de gestion. La pédagogie sur l’ISR n’est guère plus présente lorsque le client se déplace en agence, puisque les chargés de clientèle sont très peu formés au concept. Enfin, les consommateurs manquent d’éducation financière ; ils ont du mal à comprendre le fonctionnement des produits financiers sans même qu’on y rajoute la complexité liée à la démarche ISR. Nilsson (2010) consacre sa thèse de doctorat à l’environnement de décision complexe dans lequel évoluent les épargnants particuliers choisissant des produits ISR, du fait de la combinaison de ces deux dimensions financière et extra financière.

Revue de littérature 

Complexité du marché 

Dans ce chapitre, nous émettons l’hypothèse que le marché des produits ISR peine à se développer en raison d’une complexité de l’offre et d’une difficulté pour les clients finaux d’accéder à de l’information. L’asymétrie d’information entre vendeurs et acheteurs est en effet une cause d’inefficacité d’un marché. L’article fondateur sur l’asymétrie d’information autour de la qualité des produits est celui d’Akerlof (1970). En prenant l’exemple du marché des voitures d’occasion, sur lequel coexistent des voitures de bonne et de mauvaise qualité, il montre qu’en l’absence de mécanismes permettant à l’acheteur d’avoir de l’information sur la qualité (information uniquement détenue par le vendeur), les voitures de mauvaise qualité poussent les voitures de bonne qualité en dehors du marché. En effet, les acheteurs n’ayant pas d’information a priori sur la qualité des voitures, les voitures de bonne et de mauvaise qualité doivent être vendues au même prix. La propension des acheteurs à payer est alors tirée vers le bas par les voitures de mauvaise qualité, qui finissent par dominer un marché dont la taille se réduit.

Lofgren, Persson et Weibull (2002), dans une revue des travaux d’Akerlof, Spence et Stiglitz sur les marchés avec asymétrie d’information, présentent ces résultats, ainsi que les conclusions de Spence sur l’existence, pour les vendeurs de biens de haute qualité, d’une incitation à prendre des mesures observables et coûteuses afin de signaler cette qualité. La labellisation est l’une de ces mesures.

Plus spécifiquement, Carlin (2009) s’intéresse à la dispersion des prix dans le marché des produits financiers à destination des particuliers, et certaines de ses observations peuvent être étendues à d’autres caractéristiques de ces produits, dans notre cas l’aspect ISR des fonds. Il constate qu’il existe une dispersion significative des prix même lorsque les produits sont homogènes. Cette dispersion est imputable à la complexité des structures de prix mises en place par les sociétés de gestion. Cette complexité leur permet de préserver un rapport de force favorable avec les consommateurs et de maintenir des profits plus élevés, en limitant la compréhension ou « l’alphabétisation financière » des consommateurs. Plus ceux-ci ont du mal à déterminer le meilleur prix, plus il est optimal pour eux de rester non informés et de choisir un produit de façon aléatoire. Le coût de déterminer ce meilleur prix représente par exemple l’éducation financière du consommateur et le temps qu’il doit passer à analyser les prix effectifs des différents produits présents sur le marché. Cette éducation financière est loin d’être acquise : un bon nombre de ménages qui investissent dans des produits financiers ne savent pas réellement ce qu’ils achètent ni le prix qu’ils paient (Alexander et al, 1998 ; Capon et al, 1996). Plus l’industrie est compliquée, plus le nombre de ménages qui choisissent de rester non informés est élevé. Carlin note que l’existence d’un canal de conseil professionnel peut limiter l’avantage que retirent les producteurs de la complexité des prix, même si ces derniers peuvent réagir en limitant la dispersion des prix pour réduire l’incitation à se renseigner, en augmentant la complexité pour augmenter le coût de se renseigner, ou en passant des accords avec les canaux de conseil. Il conclut sur les leviers réglementaires susceptibles de limiter le pouvoir d’oligopole des producteurs : l’obligation de révéler clairement les prix, la restriction des contrats possibles entre producteurs et conseillers, et enfin l’augmentation de l’alphabétisation financière en rendant l’éducation financière des consommateurs plus efficace et moins coûteuse. Plusieurs parallèles peuvent être effectués avec l’aspect ISR des produits financiers, l’idée de base étant l’analphabétisme des consommateurs individuels. On constate une dispersion des approches ISR adoptées par les sociétés de gestion, ainsi qu’une certaine complexité dans leurs processus, pour laquelle quasiment aucune pédagogie n’est mise en place ; nous présentons plus loin la diversité des approches ISR adoptées en France et de la présentation qui en est faite sur les sites internet des principaux réseaux bancaires. Les entretiens effectués avec des représentants de sociétés de gestion et de réseaux de distribution suggèrent que les consommateurs connaissent rarement et comprennent encore plus rarement ces produits, ce qui réduit leur incitation à y investir. En suivant le modèle de Carlin, la volonté de développer le marché retail des produits financiers ISR peut justifier des mesures telles que l’intervention d’un canal de conseil, des obligations de transparence, ainsi qu’une pédagogie et une éducation financière accrue à destination des consommateurs.

Bonroy et Constantatos (2004) confirment le lien entre asymétrie d’information et opportunité d’outils de révélation de cette information. Ils traitent de l’introduction d’un label dans un marché de biens de confiance. Un bien de confiance est caractérisé par le fait que sa qualité n’est pas révélée au consommateur, même après achat et consommation (ou alors à très long terme). Comme la répétition de l’achat n’apporte aucune information supplémentaire aux consommateurs, les producteurs de qualité élevée ne peuvent pas espérer avoir une rente informationnelle leur permettant de signaler leur qualité de manière crédible, comme dans le cas de biens d’expérience (Nelson [1970], Shapiro [1983]). Notons que cela s’applique doublement aux produits financiers ISR puisque non seulement leur qualité extra-financière n’est pas révélée après achat, mais qu’en plus on est dans un schéma différent de celui de périodes de consommation et d’achats répétés, l’investissement étant généralement long et le support d’investissement rarement modifié sans raison particulière.

Caractéristiques d’un label 

Après avoir passé en revue les travaux liant complexité d’accès à l’information et opportunité d’introduction d’un label, il convient d’examiner la littérature sur les caractéristiques que doivent remplir un label, en particulier lié à des caractéristiques environnementales et sociales. Coestier (1998) s’est intéressée aux différentes formes de certification dans le secteur agricole : le label, la certification de conformité, l’appellation d’origine contrôlée (AOC) et l’agriculture biologique. L’auteur présente plusieurs aspects qui peuvent nous intéresser dans l’analyse des labels ISR.
– La principale notion est que le produit ainsi reconnu se distingue du produit courant par une qualité ou des caractéristiques consignées dans un document technique (le règlement technique d’un label par exemple) qui vont au-delà du respect de la simple réglementation ou de normes obligatoires.
– En outre, le contrôle est effectué par une tierce partie, un établissement public dans le cas de l’AOC et des organismes certificateurs privés pour le label. Ces derniers doivent être agréés au regard des critères d’indépendance, d’impartialité, d’efficacité et de compétence définis dans la norme EN 45011 relative à l’accréditation des organismes certificateurs, et sont supervisés par les pouvoirs publics.
– De plus, des instances nationales consultatives associent professionnels et consommateurs.
– Enfin, un signe informatif est apposé sur l’étiquetage ou le conditionnement des produits.

L’auteur ajoute que ces formes collectives de signal de la qualité se rencontrent particulièrement sur les marchés de produits « de masse » ou de consommation courante, souvent caractérisés par une pression concurrentielle forte. Elle note aussi que, tout en permettant aux producteurs valorisant la qualité de distinguer leur produit du produit courant, ces formes de signal peuvent donner lieu à des comportements opportunistes pouvant entacher la crédibilité du signe, comme l’usurpation d’appellation ou le non respect du référentiel.

Effets d’un label sur les consommateurs 

Cela étant, un label, aussi crédible soit-il, n’a d’intérêt que s’il favorise effectivement les produits labellisés auprès des consommateurs. Plusieurs articles d’économie expérimentale s’intéressent ainsi à l’effet d’un label sur le consentement à payer (CAP ou WTP pour willingness to pay) des consommateurs, notamment en mettant en regard plusieurs caractéristiques des produits, comme le prix, des caractéristiques apparentes (goût, aspect…) et des caractéristiques de confiance qui sont celles labellisées. Ces méthodes d’économie expérimentale sont justifiées dans la littérature (Alfnes et Rickertsen 2011, Binswanger 1980, Smith 1982), particulièrement sur des produits jeunes voire inexistants pour lesquelles des données de marché existent peu ou pas, et ne donnent en tout cas pas d’indication sur les motivations des consommateurs. Sur la famille de labels qui nous intéresse, à savoir les labels environnementaux et sociaux (écolabels, commerce équitable…), la littérature est abondante (par exemple Moon et al 2002, Wessells et al 1999, Blend et Ravenswaay 1999, Salladarré et al 2010, De Pelsmacker et al 2005, Tagbata et Sirieix 2008, Yue et al 2009). Nous décrirons ici quatre de ces articles. Yue, Alfnes et Jensen (2009) montrent que 75% des consommateurs sont prêts à payer une prime pour les pommes issues de l’agriculture biologique, à apparence identique.

Cependant, l’apparence du produit joue un rôle important puisque ce segment se réduit lorsque des imperfections cosmétiques apparaissent sur les pommes. Ces imperfections sont plus fréquentes sur les pommes « bio » du fait de l’absence d’utilisation de pesticides. Bien que les consommateurs déclarent majoritairement privilégier les produits « bio » pour éviter les pesticides, les pommes ainsi produites sont plus pénalisées en termes de CAP par leur apparence que les pommes conventionnelles. Salladarré et al (2010) analysent la demande d’écolabels pour les produits de la mer en France. En se basant sur une enquête auprès de 1000 consommateurs, ils notent une demande en écolabels qui varie selon les caractéristiques considérées : cette demande est fortement impactée par des caractéristiques de production (origine, niveau des stocks…) – qui se trouvent être peu ou pas observables par le consommateur final -, alors qu’elle l’est beaucoup moins par les attributs plus observables du produit (aspect visuel, fraicheur…).

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Table des matières

Introduction
1 L’investissement socialement responsable
2 Contexte de recherche
3 Contributions de la thèse
4 Pistes de recherche et conclusion
Bibliographie
I. Le développement de l’ISR en France : une analyse économique du rôle des labels
Introduction
1 Revue de littérature
2 Questions de recherche et méthodologie
3 Complexité du marché
4 Comparaison des différents labels
5 Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Les labels en détail
Annexe 2 : Panorama de l’offre de produits ISR retail
Annexe 3 : Analyse détaillée des labels ISR
Annexe 4 : Liste des entretiens effectués
II. Concurrence stratégique entre labels : le cas de l’ISR en France
Introduction
1 Objectifs stratégiques des labels
2 Évolution des labels
3 Le cas d’autres marchés
4 Le cas de l’ISR
5 Conclusion
Bibliographie
Annexe : Liste des entretiens effectués
III. Where do long-term investors stand on responsible investment debates?
Introduction
1 Research context
2 Methodology
3 Survey results
4 Discussion and conclusion
Bibliography
Appendix 1 – The Long-Term Investors Club (LTIC)
Appendix 2 – Insights on the LTIC members
Appendix 3 – Questionnaire sent to LTIC members

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