Le développement de la méthode axiomatique, en économie 

Qu’est-ce que l’axiomatique?

Robert Nadeau (1999) nous donne une définition standard : la méthode axiomatique est une méthode qui consiste à « dériver, grâce aux moyens de la logique formelle, des vérités (les théorèmes) relatives à l’objet sous investigation à partir de termes primitifs et d’une liste d’axiomes. On associe habituellement la méthode axiomatique à la précision, à la rigueur, à la généralité et à la fécondité » (p.405). Il s’agit donc tout d’abord de fixer un ensemble de termes primitifs . On définit ensuite une liste d’axiomes. Cette liste doit répondre à certaines conditions de l’axiomatisation : « On dit d’un système théorique qu’il est axiomatisé s’il répond aux conditions suivantes : le système d’axiomes est exempt de contradictions ; aucun axiome ne peut être déduit d’autres axiomes du système ; les axiomes sont nécessaires et suffisants à la déduction de tous les énoncés appartenant au système » (Nadeau, 1999, p.32).
La première condition de l’axiomatisation constitue le cœur du projet axiomatique: construire des systèmes cohérents, c’est-à-dire qui écartent toute contradiction. A partir de cette liste d’axiomes, on déduit logiquement des théorèmes, dont on doit fournir la preuve.
La méthode axiomatique est caractérisée ici par quatre points forts : précision, rigueur, généralité et fécondité. On pourrait lui en associer deux supplémentaires : l’élégance et la clarté. L’axiomatisation, en listant tous les axiomes intervenant dans la déduction de théorèmes et en définissant tous les termes de la théorie, permet un exposé clair et précis. La déduction logique de théorèmes, à partir d’hypothèses clairement exposées donne au déroulement du raisonnement une certaine élégance. Mais l’exposition claire des termes primitifs et des axiomes est également nécessaire pour vérifier la validité logique du raisonnement. D’où le caractère rigoureux de la méthode axiomatique. La recherche de la plus grande généralité représente l’idéal de l’axiomaticien: on essaye d’obtenir des théorèmes plus généraux en affaiblissant ou en supprimant des axiomes. Enfin, la méthode axiomatique peut être considérée comme féconde car elle permet de bâtir un programme de recherche : on « Terme primitif : 1)dans les sciences formelles, terme nerecevant aucune définition à l’intérieur d’un système (formel) quelconque et servant à définir les autres termes quiy sont introduits » (Nadeau, 1999, p.692).
On entend ici la recherche d’une plus grande généralité par la recherche de l’affaiblissement des contraintes logiques et mathématiques qui pèsent sur un système axiomatisé. Tout axiome énoncé instaure en effet une contrainte sur le raisonnement. Si dans pour démontrer un théorème, on réussit à supprimer un axiome qui auparavant était nécessaire dans la démonstration, alors on pourra dire que l’on a rendu le théorème plus général. travaille sur la définition des termes primitifs et sur les axiomes pour produire plus de théorèmes. Une théorie fondée sur la méthode axiomatique progresse par affaiblissement des hypothèses, généralisation des théorèmes et simplification de la preuve.

La rupture d’avec l’axiomatique des Anciens

De la géométrie euclidienne…

Tenter de présenter la méthode axiomatique telle qu’elle apparaît dès le XIXe siècle implique de faire un bond en arrière de plus de deux millénaires. En effet, son apparition s’explique comme une réponse aux insuffisances de la géométrie développée par Euclide, durant l’Antiquité. Ce dernier emploie une structure déductive qui se rapproche en de nombreux points des canons de l’axiomatique moderne. Comme l’explique Blanché, « les termes propres à la théorie n’y sont jamais introduits sans être définis ; les propositions n’y sont jamais avancées sans être démontrées, à l’exception d’un petit nombre d’entre elles qui sont énoncées d’abord à titre de principes : la démonstration ne peut en effet remonter à l’infini et doit bien reposer sur quelques propositions premières » (p.9). Toute proposition doit être démontrée, à partir des principes premiers, selon un rapport de nécessité. En cela, la géométrie d’Euclide se veut déductive plutôt qu’inductive : « Bien que tout ce qu’on affirme soit empiriquement vrai, l’expérience n’est pas invoquée comme justification : le géomètre ne procède que par voie démonstrative » (p.9).
Cependant, la géométrie euclidienne va connaître une profonde remise en cause tout au long du XIXe siècle. Les exigences pour une plus grande rigueur logique, qui émergent à cette époque, conduisent à une insatisfaction grandissante envers le système déductif construit par Euclide. Il apparaît comme de plus en plus faillible et perfectible. Les attaques contre la géométrie euclidienne s’organisent alors principalement autour de deux axes: le statut donné aux postulats et le rôle de l’intuition dans la déduction.
La mathématique grecque fait la distinction entre l’axiome , qui relève d’une évidence intellectuelle dont la négation conduirait à des propositions absurdes, et le postulat qui est une « proposition synthétique, dont la contradictoire, difficile ou impossible à imaginer, demeure néanmoins concevable » (p.18). Or, par deux fois, en plein milieu d’une chaîne de déductions, Euclide fait appel à un nouveau postulat, sur une base intuitive, dans le but de réaliser sa démonstration. Une telle proposition, introduite de la sorte, apparaît alors comme parfaitement ad hoc , ce qui est fortement insatisfaisant pour quiconque cherche à conquérir une plus grande rigueur logique. L’un des deux postulats invoqués de la sorte est le fameux postulat sur les parallèles (le cinquième postulat) qui énonce que par un point hors d’une droite ne passe qu’une seule parallèle à cette droite. On voit bien là tout l’aspect paradoxal de cette proposition, qui fait appel à une sorte d’évidence intellectuelle mais qui se formule comme un théorème, sans pour autant être démontrée par Euclide. Le second point de blocage auquel la géométrie euclidienne se heurte, selon les standards des Modernessur la question du statut des postulats, provient du fait qu’un certain nombre de ces postulats est formulé de manière implicite. Certaines démonstrations sont menées à l’aide de propositions non énoncées distinctement, laissées sous forme d’implicite, du fait d’une certaine évidence intuitive.
C’est ce qui nous conduit directement au deuxième axe d’attaques à l’encontre de la géométrie d’Euclide : le rôle de l’intuition. Comme l’explique Poincaré, chez Euclide «toutes les pièces sont dues à l’intuition» (Blanché, 1955, p.15). Les démonstrations d’Euclide reposent en effet sur la représentation mentale ou dessinée des figures géométriques. Ces figures servent d’appui aux démonstrations et sont, de ce fait, indispensables. Euclide fait ainsi constamment appel à l’intuition spatiale du lecteur. Or, cela est difficilement acceptable si notre objectif est de fournir des théorèmes dont les démonstrations sont purement logiques, fondées sur des rapports de nécessité. Les insatisfactions envers le système d’Euclide, croissantes tout au long du XIXe siècle, portent principalement au départ sur le postulat des parallèles, d’Euclide. La suppression ou la modification de ce postulat conduit peu à peu au développement de nouvelles géométries, dites non-euclidiennes.

… au développement des géométries non euclidiennes

Si l’on veut accroître la rigueur logique de la géométrie, il devient nécessaire d’écarter tout recours à l’intuition. Non pas que celle-ci soit nuisible au chercheur. L’intuitionjoue un rôle primordial dans la découverte scientifique, mais elle doit disparaître au moment de la présentation du résultat, qui ne reposera alors que sur la base d’inférences parfaitement logiques . Au sein des géométries non-euclidiennes, l’appel à l’intuition est d’ailleurs souvent impossible, tant celles-ci dépassent la perception spatiale intuitive de l’homme.
Ces géométries non-euclidiennes prennent naissance avec la remise en cause du cinquième postulat d’Euclide. Elles respectent en fait tous les postulats du système d’Euclide, sauf celui-ci. On peut citer les géométries de Lobatchevski, Klein ou Poincaré, qui sont des géométries dites « hyperboliques » : par un point extérieur à une droite passe une infinité de parallèles à cette droite. A l’inverse, dans la géométrie « elliptique » de Riemann, aucune parallèle ne passe par un point extérieur à une droite, car toutes les droites sont sécantes.
On a vu plus haut que les grecs distinguaient les axiomes et les postulats, les premiers reposant sur la notion d’évidence. Or, il semble difficile de garantir l’objectivité de cette notion et d’obtenir l’unanimité sur ce qui est évident. L’appel à l’évidence devient inacceptable pour les mathématiciens du XIXe siècle. Dès lors, les propositions premières de la théorie ne sont plus fondées sur l’évidence intuitive et deviennent des hypothèses. Poincaré La présentation axiomatique d’une théorie renouvelle ainsi la distinction entre contexte de la découverteet contexte de la justification. L’intuition occupe une place importante dans le premier, mais doit disparaître dans le second. parlera de « conventions » . Le statut du savoir géométrique est ainsi bouleversé : « On voit alors se dissocier les deux aspects de la vérité géométrique, jusque-là intimement mêlés dans une union étonnante. Un théorème de géométrie était à la fois un renseignement sur les choses et une construction de l’esprit, une loi de physique et une pièce d’un système logique, une vérité de fait et une vérité de raison » (Blanché, 1955, p.14). Cette dualité conduit à reléguer la vérité empirique au second plan et à privilégier la structure logique du système géométrique construit . Les géométries non-euclidiennes ont ainsi « fortement contribué à déplacer le centre d’intérêt de la géométrie spéculative, en le transportant du contenu vers la structure, de la vérité extrinsèque des propositions isolées vers la cohérence interne du système total » (p.13). Ce qui relie les propositions désormais, ce sont seulement les liens logiques qui les unissent. En cela, les systèmes géométriques, axiomatisés selon les nouveaux canons de la rigueur logique, sont des systèmes hypothético-déductifs .

Le développement de l’axiomatique des Modernes

La remise en cause de la géométrie euclidienne et la naissance des géométries noneuclidiennes marquent l’émergence de l’axiomatique des Modernes. Celle-ci se développe principalement, au départ, par l’axiomatisation de la géométrie et de l’arithmétique. Mais les exigences de rigueur logique ne trouvent pas une fin ultime à cette axiomatisation et il apparaît comme nécessaire d’aller plus loin en axiomatisant les règles utilisées dans les inférences déductives.

Les débuts de l’axiomatique moderne

Toute théorie axiomatique part « d’indéfinissables », c’est-à-dire de termes qui ne sont pas définis au sein du système, et « d’indémontrables », c’est-à-dire de propositions non démontrées au sein du système. Certaines définitions sont dites implicites du fait que « leur sens sera fixé par l’usage qu’on en fera dans les postulats, lesquels énoncent quelles relations logiques soutiennent entre elles ces notions » (p.38) . La théorie déductive se développe ensuite par le biais de deux processus : la définition (on définit de nouveau termes, à partir de termes antérieurs, avec pour point de départ les indéfinissables) et la démonstration (on énonce de nouvelles propositions en partant des propositions premières, c’est-à-dire des Blanché nous dit que les principes premiers « sont seulement posés, et nonaffirmés ; non pas douteux, comme les conjectures du physicien, mais situés par-delà le vrai et le faux, comme une décision ou une convention » (p.14).
Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, on constate également que la structure logique est mise au
premier plan dans la théorie économique suite à son axiomatisation. Le privilège accordé à la syntaxe de la théorie, au détriment de sa sémantique, est une caractéristique essentielle du style de pensée axiomatiquedans la discipline économique.
Un bon exemple de définition implicite est la définition de l’équilibre concurrentiel chez Arrow et Debreu (1954). Celui-ci n’est pas défini directement mais il est caractérisé par quatre conditions qu’il doit respecter. axiomes). On a donc deux moments dans l’axiomatique : le premier, qui fixe les termes non définis et les propositions non démontrées, et le second, qui enchaîne les démonstrations et les définitions à partir des éléments définis comme premiers au sein de la théorie axiomatisée.
A partir de là, il est désormais possible, en suivant Blanché, de distinguer quatre conditions qui font d’un système déductif une théorie axiomatisée : « 1. Que soient énoncés explicitement les termes premiers à l’aide desquels on se propose de définir tous les autres ; 2.
Que soient énoncées explicitement les propositions premières à l’aide desquelles on se propose de démontrer toutes les autres ; 3. Que les relations énoncées entre les termes premiers soient de pures relations logiques, et demeurent indépendantes du sens concret qu’on peut donner aux termes ; 4. Que seules ces relations interviennent dans les démonstrations, indépendamment du sens des termes » (p.31).

L’opposition du courant intuitionniste

Dans son opposition à ce que l’on appelle généralement le programme formaliste de Hilbert, l’intuitionnisme se situe également sur le plan des métamathématiques, mais propose une approche constructiviste (ou génétique), par opposition à la conception nonconstructivistede la preuve, propre au formalisme hilbertien.
Le premier point d’achoppement entre ces deux courants porte sur l’infini actuel de Cantor. Ce dernier est le fondateur de la théorie des ensembles, qu’il développe dès 1874.
Dans ses premières publications, il démontre que l’ensemble des réels est plus grand que celui des entiers naturels. Ce qui introduit l’idée que des ensembles infinis peuvent être de tailles différentes, bouleversant ainsi la conception classique de l’infini(Dumoncel, 2002).
Le deuxième point d’achoppement, dans la continuité du premier, se porte sur le statut de la preuve. Pour les intuitionnistes, une preuve est une opération mentale, fondée sur l’intuition. Ce qui les conduit à s’opposer au principe du tiers exclu. Même si on démontre que non-p est faux (et donc, par identité, que non-non-p est vrai), il reste encore à prouver que p est vrai, car la double négation est considérée chez les intuitionnistes comme inférieure à l’affirmation. On voit par là, à l’inverse, l’influence du formalisme d’Hilbert sur la théorie économique et plus particulièrement sur la théorie de l’équilibre général, où les preuves nonconstructives sont prépondérantes. Leur utilisation constitue une des caractéristiques du style de pensée axiomatique en économie.
On peut résumer grossièrement la pensée intuitionniste en deux thèses, pour reprendre les propos de Heyting, le successeur de Brouwer : « 1. La mathématique n’a pas seulement une signification formelle mais aussi un contenu. 2. Les objets mathématiques sont saisis immédiatement par l’esprit pensant. La connaissance mathématique est par suite indépendante de l’expérience» (Dumoncel, 2002, p.28). Il en résulte un rapport à la réalité différent de celui des formalistes, pour qui les questions concrètes ne doivent pas intervenir dans les développements mathématiques.
L’histoire donnera en partie raison au courant intuitionniste, dans le sens où l’on peut considérer que le programme hilbertien fut un échec, du fait qu’il ne toucha pas au but,ne trouvant pas un fondement formel solide et absolu, et donc indépendant de l’intuition, à toute connaissance mathématique.

L’axiomatisation des mathématiques : l’émergence d’une nouvelle épistémologie

Dans notre introduction, nous avons mis en avant le concept de style de pensée axiomatique. Nous avons alors soulevé un ensemble de questions épistémologiques qui nous semblait revêtir un grand intérêt pour l’analyse de celui-ci(voir p.17) : quels sont les critères de la justifiation qui permettent d’évaluer une théorie et de la comparer avec d’autres théories ? Quel rapport avec la réalité et les données empiriques cette théorie doit-elle développer ? Comment doit-elle progresser et s’enrichir ? Nous pensons qu’une réponse (cependant incomplète) peut être apportée à ces questions, au sujet de l’axiomatique, en nous intéressant aux trois points suivants : le principe de séparation entre structure logique et contenu interprétatif d’une théorie ; l’idéal de généralisation mathématique ; le rôle de l’interprétation d’un système axiomatique.

La distinction entre contenu logique et contenu interprétatif

Nous avons vu que la rupture avec l’axiomatique des Anciens s’opère par la remise en cause du cinquième postulat d’Euclide. Cette proposition sur les parallèles reposait sur une sorte d’évidence empirique, mais les tentatives pour essayer de la démontrer, à l’intérieur du système euclidien, furent des échecs. Le développement des géométries non-euclidiennes et les débuts de l’axiomatisation de la géométrie bouleverseront le statut des postulats.
Dans l’axiomatique des Modernes, il n’est plus question de partir de principes reposant sur une évidence empirique. Les propositions premières sont vues comme des conventions, au-delà du vrai ou du faux. C’est donc la structure logique qui importe dans ce type d’approche et non plus la vérité empirique : « Le rôle qu’on a longtemps fait jouer à l’évidence est lié à l’idéal d’une mathématique catégorique, où ce qui n’est pas démontré doit cependant, de quelque manière, produire ses titres à la vérité. Il s’amenuise dans une conception hypothético-déductive, axée sur l’idée de cohérence logique plutôt que sur celle de vérité absolue » (Blanché, 1955, p.19).
Cependant, il est possible de se concentrer sur la structure logique du système axiomatisé uniquement car celle-ci est séparée de ses interprétations concrètes possibles. On fait face ici à un « présupposé caractéristique de toute philosophie des sciences de tradition positiviste » qui affirme que « ce que dit une théorie (son contenu) ne dépend pas de la manière dont elle le dit (sa formulation) » (Vorms, 2011, p.63). A partir du moment où ce présupposé est accepté, on considère alors qu’il est possible « d’isoler le contenu objectif d’une théorie à l’aide d’outils formels. Pour les défenseurs de ces approches, le contenu d’une théorie, c’est précisément ce qui est exprimé par sa reconstruction formelle, cette dernière ne rendant pas compte des aspects des formulations usuelles de cette théorie qui n’en affectent ni n’en modifient la structure logique ou mathématique » (p.63). Dans le cadre du style de pensée axiomatique de l’économie, ce présupposé conduit à penser que tout phénomène économique peut être décrit de manière transparente par un système d’équations mathématiques.
Si l’on se concentre sur la structure logique, l’accent est alors mis sur le principe de consistance, cher à David Hilbert. Toute contradiction révélée est la preuve d’une erreur logique. Ce qui est d’une grande importance pour les preuves d’existence d’objets mathématiques, à l’aide de démonstration par l’absurde. On parle aussi de démonstrations non-constructives, par opposition aux démonstrations constructives. Friedrich Waismann, mathématicien autrichien membre du Cercle de Vienne, définit une preuve constructive comme « une procédure, une méthode systématique, ou un algorithme » grâce auquel l’existence « d’un nombre, ou d’une fonction, ou d’une équation (…) peut être trouvée, ou approchée, ou construite d’une manière systématique, selon une règle de procédure » (Punzo, 1992, p.7). A l’inverse, pour les preuves non-constructives « on dit parfois (…) qu’il existe un objet d’une sorte particulière, sans savoir du moins ce qu’il faut faire pour le trouver ou le calculer approximativement. Comment, dès lors, sait-on qu’un tel nombre existe ? Ici l’existence repose sur une preuve essentiellement indirecte : supposons que ce nombre n’existe pas, il peut être prouvé qu’une contradiction survient » (p.7). Si la non-existence d’un objet conduit à des contradictions dans un système axiomatique, c’est que cet objet existe, selon le principe du tiers-exclu.
Bien entendu, le travail de l’axiomaticien n’est pas un travail totalement détaché d’une base matérielle. La mise en forme axiomatique est le résultat d’un processus dont le point de départ est l’accumulation d’une masse de connaissances concrètes. En ce sens, il existe une double lecture d’une théorie axiomatique, selon que l’on s’intéresse à la cohérence logique ou à la vérité empirique. Mais le but de l’axiomatique est de structurer ces connaissances en dégageant des axiomes. En considérant que la masse de connaissances à la base du contenu de la théorie est fixée, l’axiomatique a sa propre logique de développement.

Les axiomatiques ensemblistes de la science économique

L’axiomatisation des théories économiques, qui prend son envol dans les années 1950, marque une différence claire dans l’organisation des déductions, des théories qui les précédent. Il suffit d’observer les travaux de Ricardo ou Walras pour se rendre compte de la prépondérance de la déduction. Mais, tout d’abord, le statut des postulats n’est généralement pas le même. Avec le processus d’axiomatisation, on rompt peu à peu avec « la certitude des principes » (Mongin, 2003, p.105), dont l’essai de Robbins (1932) en constitue le manifeste, et on envisage la théorie d’un point de vue plus «hypothético-déductif ». De plus, « les économistes classiques et les premiers économistes néo-classiques procèdent sans doute déductivement, mais ils ne font pas d’effort systématique pour isoler l’ensemble des principes qu’ils déclarent certains et pour s’astreindre ensuite à n’employer qu’eux. Au contraire, comme on le voit chez Ricardo, ils font librement et consciemment appel aux principes suivant les besoins du raisonnement » (p.105). La distinction nette entre le contenu interprétatif de la théorie et sa structure logique n’est pas de rigueur.
Comme l’explique Mongin (p.106) et comme peut le laisser penser le contexte viennois que nous avons décrit dans la première section, le positivisme logique a poussé la théorie vers l’organisation axiomatique de son système déductif. On a tendance à assimiler ce processus à celui de la formalisation de l’économie (ce que laisse d’ailleurs entendre l’expression de « révolution formaliste »). Il nous semble utile d’opérer dès lors quelques distinctions. Tout d’abord, avec la formalisation en mathématiques et en logique : dans ce cadre, un système formel (noté S) doit répondre à quatre conditions : 1) que soient définis tous les signes qui apparaissent dans S ; 2) que soient définies toutes les règles de formation des formules dans S, à partir des signes ; 3) que soient définis tous les axiomes (c’est-à-dire les formules premières), constitués à partir des signes de S ; 4) que soient définies toutes les règles d’inférence dans S, permettant de transformer les formules initiales dans de nouvelles formules (Vilks, 1998, p.29).
Or, il est évident que toutes ces règles ne sont pas respectées dans les axiomatiques de l’économie. Les règles de formation et les règles d’inférences sont toujours tacites, se référant à des connaissances antérieures provenant de la logique et surtout des mathématiques. En ce sens, on peut donc dire avec Mongin que la formalisation, en économie, « consiste à traiter les signes en faisant abstraction des significations qu’on leur attribue. Traiter les signes, cela veut dire : les transformer les uns dans les autres, les regrouper, les dissocier, en un mot, effectuer sur eux des opérations » (Mongin, 2003, p.106). L’axiomatisation conduit à dégager la structure logique d’une théorie et à détacher cette structure de l’interprétation de la théorie.
Les règles qui permettent d’effectuer des opérations sur la structure logique ne sont pas définies au sein de la théorie axiomatisée, mais sont inspirées du champ des mathématiques.
Pour le dire autrement, la formalisation renvoie à l’utilisation d’outils mathématiques, indépendamment du contenu sémantique de la théorie en question.
On voit bien dès lors à quel point, en économie, les processus d’axiomatisation et de formalisation (entendus dans la définition qu’en donne Mongin, pour l’économie) coïncident grandement (même si cela ne constitue pas une nécessité). Sous cet angle, l’expression de « révolution formaliste » revêt pour nous un double sens. Elle induit l’idée d’une focalisation sur la forme logique de la théorie au détriment du contenuconcret. En détachant la structure logique, l’axiomatisation permet de se concentrer uniquement sur celle-ci. Le second sens traduit le processus de formalisation que connaît une partie de la discipline dès la fin des années 1930, avec l’utilisation de nouveaux outils mathématiques puissants, provenant de l’analyse convexe et de la topologie.

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Table des matières
Introduction générale 
Qu’est-ce que l’axiomatique? 
Quel cadre épistémologique pour étudier les relations entre économie et mathématiques ? 
L’étude des critères de justification
Image du savoir et corps du savoir
L’apport du concept de Style de pensée
Objet d’études et problématique 
Plan et méthodes 
Chapitre I : Perspectives épistémologiques de l’axiomatisation
I – Genèse et développement de l’axiomatique
A) La rupture d’avec l’axiomatique des Anciens
B) Le développement de l’axiomatique des Modernes
C) Du programme de recherche Ẍilbertien au théorème d’incomplétude de Gödel
II – L’axiomatisation des mathématiques : l’émergence d’une nouvelle épistémologie
A) La distinction entre contenu logique et contenu interprétatif
B) Le progrès dans une théorie axiomatisée
C) L’interprétation d’un système axiomatique
Conclusion
Chapitre II : Le développement de la méthode axiomatique, en économie 
I –Le rôle de Vienne, dans les années 1930, dans le développement de la méthode axiomatique en économie
A) Le colloque mathématique de Karl Menger
B) Vers le développement de la théorie des jeux
II –La « révolution formaliste » aux Etats-Unis à partir des années 1940
A) Un mouvement général vers une plus grande « rigueur » logique et mathématique ?
B) La Cowles Commission, vecteur du changement
III –Les caractéristiques de la méthode axiomatique en économie
A) Quel héritage de Hilbert ?
B) Les axiomatiques ensemblistes de la science économique
C) La cohabitation de deux points de vue divergents ?
Conclusion
Chapitre III : Arrow-Debreu (1954), un article révélateur
I – Genèse et description de l’article de 1954
A) Arrow et Debreu : deux chemins convergents vers leur collaboration
B) Présentation de l’article de 1954
II – Les questions épistémologiques soulevées par l’axiomatisation
A) Un modèle avec peu de débouchés interprétatifs
B) L’article de 1954 : l’expression de premières divergences entre les deux auteurs
C) La publication de l’article dans la revue Econometrica
Conclusion : Pour une étude comparée de l’axiomatique chez Arrow et Debreu
Conclusion Générale 
Annexe : récapitulatif des hypothèses et des interprétations du modèle Arrow-Debreu
Bibliographie

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