Le déclin du Parlement sous la Ve République. Mythe et réalités

Le Parlement de la Ve République, le créateur instrumentalisé

Dès les premières années de la Ve République, André Chandernagor dénonçait le fait que « de plus en plus les exécutifs supplantent le Parlement en tant qu’organe de décision et ils le concurrencent jusque dans sa fonction de représentation des citoyens »70. Il mettait ainsi l’accent à la fois sur la perte de pouvoir et sur le déclin du rôle même des parlements modernes à commencer par celui de la Ve République.

En effet, quel que soit le régime considéré, le premier rôle du Parlement consiste à représenter l’opinion et à permettre à celle rassemblant une majorité d’électeurs d’être mise en oeuvre. Le Parlement constitue donc le cénacle qui, par l’intermédiaire de l’élection, concentre sur lui les pouvoirs des citoyens. Cependant, comme le relevait déjà Boris Mirkine-Guetzévitch, « alors que les auteurs des constitutions s’étaient efforcés d’assurer la prédominance du législatif, de mettre le parlementarisme à la base de la vie gouvernementale, l’expérience politique de plusieurs pays consacra, au contraire, la prédominance de l’exécutif, échappant de plus en plus au contrôle parlementaire »71. Pourquoi donc cette apparente contradiction constatée par Boris Mirkine-Guetzévitch ? C’est parce que, dans le cadre du régime parlementaire, s’opère un transfert du pouvoir du Parlement vers un comité d’hommes de confiance auquel le Parlement s’en remet afin de mettre en oeuvre la politique désirée par une majorité d’électeurs.

Ainsi, le rôle du Parlement n’est plus alors de travailler lui-même à la mise en application technique de la politique voulue ; il est de soutenir le Gouvernement dans cette entreprise ; il consiste à mettre ses pouvoirs au service de ce but commun et par conséquent au service du Gouvernement72. Le Parlement se trouve alors n’être plus, dans l’action, l’initiateur de la politique. Il est au contraire instrumentalisé comme étant le point de passage obligé pour adopter le plan conçu par le Gouvernement afin d’appliquer la politique envisagée.

Relégué au rang d’instrument, le Parlement semble dénué de pouvoirs propres. Il est aussi, dans une certaine mesure supplanté dans son rôle de représentation, comme le remarquait André Chandernagor et ceci pour deux raisons. D’une part, la Constitution a pu prévoir, à l’instar de celle du 4 octobre 1958, l’élection directe du chef de l’Etat par les citoyens. D’autre part, l’intime liaison unissant le Parlement au Gouvernement confère à ce dernier la représentation des intérêts de la majorité. Le rôle du Parlement semble donc doublement limité.

La démarche ainsi est aisée allant de ce constat à la conclusion selon laquelle le Parlement aurait enfanté « un monstre » en la qualité du Gouvernement, « monstre » qui le dépouillerait de ses pouvoirs. Le Gouvernement serait assimilable à la créature du Docteur Frankenstein laquelle échappe à son créateur, ne peut être maîtrisée par lui et finit même par le tuer. Sombre constat ou sombre pronostic. Pourtant, une telle conclusion est erronée. En régime parlementaire, le Parlement conserve un rôle primordial, celui d’un « relais de confiance entre le Gouvernement et l’opinion »73. Si bien qu’à défaut d’être fidèlement représentée par sa création la majorité des parlementaires dispose du pouvoir indéfectible de changer de Gouvernement. En effet, le régime parlementaire étant un gouvernement d’opinion, la majorité parlementaire bénéficie des faveurs du corps électoral. Dès lors, les choix énoncés par ses représentants vont pouvoir prédominer (Titre 1). De surcroît, si le Parlement se met bien au service d’une politique donnée, laquelle est mise en oeuvre par le Gouvernement, il n’en demeure pas moins que le Parlement constitue le point de passage obligé pour prendre toute une série de mesures. Il dispose donc encore une fois et en dernier ressort du pouvoir d’arrêter une décision (Titre 2).

Le Parlement, instrument de relais de l’opinion

Apparu sous des régimes de suffrage censitaire, le régime parlementaire a longtemps été considéré comme un régime élitiste, oligarchique. Il faut bien admettre que son mode de fonctionnement d’alors était fort peu démocratique74 et que, s’agissant d’une des variantes du régime représentatif, il pouvait être perçu comme confisquant le pouvoir du peuple.

Ces idées ont fait florès. Il peut donc paraître surprenant de s’interroger sur la question de savoir si le régime parlementaire est un gouvernement d’opinion. En effet, un tel gouvernement est défini comme celui « dont l’action est conforme aux désirs présumés de la majorité des citoyens »75. Georges Burdeau découvre trois caractères au gouvernement d’opinion. Il est, avant tout, un gouvernement démocratique « puisque l’autorité ne peut y être exercée que conformément aux vues de la majorité des citoyens ». Toutefois, et il s’agit là d’un autre aspect de ce système, le « Pouvoir (y) dispose d’une large marge de liberté par rapport aux gouvernés » qui adhèrent au projet envisagé par les gouvernants, ou le rejettent. Enfin, le gouvernement d’opinion est « le régime de la tolérance »76. Nous sommes donc bien loin des principes fondateurs du régime représentatif dont le régime parlementaire n’est qu’une des variantes.

Cependant, le suffrage universel ayant fini par s’imposer, il a fallu réviser les appréciations que l’on pouvait porter sur le régime parlementaire comme ne reflétant plus aucune réalité77. La démocratisation des institutions s’est opérée. Si bien que Hans Kelsen pouvait écrire, en 1929 : « la démocratie directe n’étant pratiquement pas applicable à l’Etat moderne, on ne saurait douter sérieusement que le parlementarisme soit aujourd’hui la seule forme véritable de réalisation de l’idée démocratique, et que par suite le destin du parlementarisme décidera de celui de la démocratie » .

Le Gouvernement, émanation du Parlement

Le Gouvernement, dans un régime parlementaire, est une émanation du Parlement. Le Parlement, organe délibérant, ne gouverne pas lui-même79. Comment pourrait-il à la fois déterminer les grandes lignes directrices de la politique à suivre et les mettre en oeuvre directement jusque dans les moindres détails ? Cela semble tout à fait impossible à un organe dont l’effectif est important et qui est dénué de toute unité d’action, puisque, par nature, il est composé de sensibilités politiques variées. Il s’en remet donc à des gouvernants qu’il choisit. Nous sommes ici sur un terrain commun au régime parlementaire et au régime d’assemblée. Cependant, ce qui distingue l’un de l’autre c’est la relative autonomie dont va alors jouir le Gouvernement dans un régime parlementaire par rapport à la dépendance totale dans laquelle va se trouver le comité exécutif du régime conventionnel.

Le lien qui va unir la ou les Chambres et le Cabinet c’est la confiance des unes envers l’autre. Il va donc naître une forme de contrat entre ces organes par lequel le Parlement, surtout la Chambre le plus démocratiquement élue, va confier la mission au Gouvernement de mettre en oeuvre la politique qu’elle désire voir appliquée. Mais, sans la confiance parlementaire, le Gouvernement n’est rien, il doit se résoudre à démissionner parce qu’il ne représente plus fidèlement l’opinion dominante au sein de l’institution parlementaire (Section 1). Cette étroite imbrication entre le Cabinet d’une part, et le Parlement, d’autre part, qui résulte du contrat de majorité, va même se traduire physiquement dans le choix de ceux à qui les Chambres font confiance et dans la possibilité qu’ils ont de venir au Parlement réclamer les moyens de la politique qu’ils entendent mener (Section 2).

La traduction dans l’idée du contrat de majorité

En régime parlementaire, le Gouvernement est intimement lié à la majorité parlementaire. Si le Gouvernement est puissant dans un tel régime, il ne l’est que grâce au soutien qu’il peut obtenir de la part de cette dernière. Sans son concours, il n’est doté d’aucun pouvoir, sans sa confiance, il doit quitter le pouvoir. Il existe donc entre elle et lui une forme de contrat par lequel elle l’investit de son soutien (§ 1). Néanmoins, le système n’est pas sclérosé, il est, au contraire, vivant. C’est-à-dire que cette confiance qui les unit peut fluctuer. Il faudra donc déterminer à partir de quand le Parlement sera considéré comme ne soutenant plus l’action gouvernementale (§ 2).

La question de l’investiture
Après avoir examiné quelles sont les règles dégagées par le régime parlementaire quant à la formation du contrat de majorité, ou du contrat de gouvernement (A), nous analyserons de façon critique en quoi les règles et pratiques observées sous la Ve République peuvent se différencier de ces règles et partant concourir au déclin du Parlement (B).

Les principes relatifs à la confiance parlementaire

Le Petit Robert définit la confiance comme étant « l’assurance de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose ». Or, l’ensemble du régime parlementaire repose sur le lien de confiance unissant le Parlement, ou plus exactement la majorité parlementaire, et le Gouvernement (1). La certitude de cette condition du régime parlementaire contraste avec l’incertitude entourant la manière dont cette confiance est exprimée (2).

Le principe du lien de confiance 

Le régime parlementaire repose, pour une grande partie, sur le principe de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement ou l’une de ses Chambres. Pour certains auteurs même, cette responsabilité est la seule condition d’existence du régime parlementaire80. Ces adeptes de la théorie dite « moniste » du régime parlementaire, comme Raymond Carré de Malberg, considèrent, en effet, que le régime parlementaire ne repose pas sur un quelconque équilibre des pouvoirs que permettrait la détention par les différents organes de moyens de se détruire (mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement, d’une part, et droit de dissolution, d’autre part), mais a pour unique fondement juridique la responsabilité du Gouvernement devant l’une ou la Chambre du Parlement. Pour Raymond Carré de Malberg, le régime parlementaire est donc, nécessairement déséquilibré au profit de l’institution parlementaire81, il a même « pour but direct d’assurer la prépondérance du Parlement » .

Cependant, il est constant que le régime parlementaire a pour fondement la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, que ce critère soit insuffisant ou non pour entraîner la qualification du régime. Mais, à vrai dire ce principe de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement est plutôt une conséquence du principe suivant : tout Gouvernement doit jouir de la confiance parlementaire pour exister. Cette idée était particulièrement bien exprimée par l’un des plus grands théoriciens du régime parlementaire, Prosper Duvergier de Hauranne. Selon ce dernier, « un ministère parlementaire, (…) c’est un ministère qui, porté au pouvoir pour y faire prévaloir une opinion qu’il représente et qu’il exprime, n’hésite pas à se retirer quand cette opinion cesse d’obtenir la majorité ».

Représenter une opinion majoritaire, cela signifie bien que le Gouvernement, pour pouvoir agir, doit être accepté par une majorité parlementaire, voire en être issu ; cette majorité parlementaire reposant elle-même sur l’existence d’une adéquation entre les idées que celle-ci défend et véhicule et le sentiment d’une majorité d’électeurs. De ce point de vue, le régime parlementaire est véritablement un gouvernement d’opinion. De façon quasi mathématique, Georges Renard décrivait le régime parlementaire de la manière suivante : « Le pouvoir exécutif gouverne avec la confiance des Chambres ; les Chambres légifèrent avec la confiance du corps électoral ; le corps électoral choisit les députés et, par l’intermédiaire de ceux-ci, garantit au pouvoir exécutif la confiance du pays »84. Belle démonstration de ce qu’est un gouvernement d’opinion.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
1ERE PARTIE LE PARLEMENT DE LA VE REPUBLIQUE, LE CREATEUR INSTRUMENTALISE
TITRE 1 – LE PARLEMENT, INSTRUMENT DE RELAIS DE L’OPINION
Chapitre 1 – Le Gouvernement, émanation du Parlement
Chapitre 2 – La possibilité de recourir à l’expression directe de l’opinion
TITRE 2 – LE PARLEMENT, INSTRUMENT D’ACTION DU GOUVERNEMENT
Chapitre 1 – Le Parlement donne au Gouvernement les moyens de gouverner efficacement
Chapitre 2 – Le Parlement fixe le cadre d’action du Gouvernement
2NDE PARTIE LE PARLEMENT DE LA VE REPUBLIQUE, CONTROLEUR ET CONTROLE
TITRE 1 – LE PARLEMENT, INSTRUMENT DE CONTROLE DE L’ACTION GOUVERNEMENTALE
Chapitre 1 – Le contrôle de ratification
Chapitre 2 – L’efficacité du contrôle suppose l’information du Parlement
TITRE 2 – LE PARLEMENT, OBJET DE CONTROLES
Chapitre 1 – Le contrôle de la majorité parlementaire par l’autorité effective de la Constitution
Chapitre 2 – Le contrôle de la majorité parlementaire par la place réservée à l’opposition
CONCLUSION

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *