LA NATURE JURIDIQUE DE L’AGRESSION

La prévention et la répression effectives de tout crime international nécessite deux choses importantes : une définition précise et applicable de ce crime et des juridictions pénales nationales ou internationales ayant compétence pour poursuivre et juger toute personne accusée de ce crime international. Comme tout crime international, inscrit dans le Statut de la Cour pénale internationale , le crime d’agression se devait d’être défini, de même que les conditions d’exercice de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), sur ce crime, devaient être déterminées. Pour incontournable qu’elle soit, une fois qu’il a été convenu, après de nombreux débats, d’inscrire le crime d’agression dans le Statut de Rome, cette démarche a été très difficile et a même semblé impossible , à certains moments, car le crime d’agression s’est révélé ne pas être un crime international comme les autres. Le crime d’agression contient une part de complexité qui le distingue assez largement des autres crimes internationaux inscrits dans le Statut de Rome. Il faut d’ailleurs reconnaître que depuis la « consécration » du « crime contre la paix » ou crime d’agression, par les Statuts des Tribunaux militaires internationaux (TMI) de Nuremberg et de Tokyo, tribunaux chargés de juger les grands criminels Nazi et japonais, la question de la définition de ce crime et de la détermination des conditions d’exercice de la compétence d’une Cour pénale internationale et permanente sur ce crime s’est posée de façon constante et récurrente à de nombreuses générations de juristes et de diplomates.

La complexité de cette entreprise découle directement de ce positionnement atypique propre au crime d’agression encore considéré comme le « crime suprême contre la paix et l’humanité » . Le crime d’agression est à la croisée de deux branches du droit international public, à savoir le droit international du maintien de la paix et le droit international pénal. Cette réalité conduit nécessairement, dans toute démarche relative au crime d’agression, à prendre en considération les exigences caractéristiques de chacune de ces deux branches du droit international public. À ceci, il faut également ajouter cette difficulté, inhérente à la société internationale des États ou plus exactement aux États, qui est celle de s’interdire de recourir à toute guerre d’agression ou guerre en général . Il faut garder à l’esprit que l’acte d’agression est d’abord, avant tout et surtout, l’acte d’agression de l’État. Ces même États ont démontré avec les deux guerres mondiales, ainsi que la fin de la « guerre froide » -qui « a entraîné … une fragmentation de la communauté internationale et un désordre intense, lequel, ajouté à la montée des nationalismes et des fondamentalismes a débouché sur une spirale de conflits armés » – à quel point la guerre restait un de leurs attributs.

Le problème de la criminalisation de l’agression 

L’incorporation du crime d’agression dans le Statut de la CPI, texte d’envergure en droit international pénal, est venue, pour la seconde fois, réaffirmer la volonté forte et ferme de la communauté internationale de faire de ce crime, même en l’absence de tout consensus sur sa définition, un crime individuel à part entière. Depuis les jugements des TMI de Nuremberg et de Tokyo, prononcés il y a plus de soixante ans, marquant ainsi la première fois dans l’histoire de la justice pénale internationale  où des individus étaient formellement accusés, jugés et condamnés pour avoir eu recours à des guerres d’agressions, aucun projet et pas même celui mené par la CDI sur le projet de la codification des « core crimes » plus connu sous la dénomination de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, n’a permis de rendre effective, au niveau international et sur le plan individuel, la criminalisation de l’agression .

L’agression considérée comme un crime individuel, est, de ce fait, restée pendant de nombreuses décennies plus un « mythe » qu’une réalité dans la mesure où aucune juridiction internationale, pas même les Tribunaux pénaux internationaux mis en place dans les années 1990, n’avait jusque là reçu compétence pour juger des individus pour la commission de ce crime. Il faut d’ailleurs constater que le Statut de la Cour pénale internationale, première « juridiction criminelle internationale » ou « Cour criminelle internationale » permanente, a été adopté en 1998 en laissant de côté ou en renvoyant à plus tard la définition du crime d’agression. Ce renvoi à une décision ultérieure de la définition du crime d’agression constitue une preuve si on pouvait encore en douter de la complexité de toute démarche tendant à criminaliser l’agression. Cette difficulté de criminalisation de l’agression, ou plus largement du recours à la force, s’expliquerait par cette volonté forte et impérieuse des États, et notamment des plus puissants d’entre eux, à conserver un droit à l’usage ou au recours à la force et ceci, bien évidemment, en dépit des dispositions de la Charte interdisant le recours à la force (A). On peut penser que la qualité des personnes, directement visées par la criminalisation de l’agression, n’a pas non plus rendu facile l’acceptation par les États de la consécration non seulement de ce crime, mais surtout de son inscription dans le Statut de la Cour pénale internationale. En effet, il est de plus en plus admis et reconnu que le crime d’agression est « un crime de direction » ou un « crime de dirigeants » (B).

Un « jus contra bellum » difficilement accepté par les États 

Les États, notamment pour les plus grands et les plus puissants, ont été souvent assez réticents à accepter toute limitation de leur droit de recours à la guerre, jus ad bellum, droit découlant, comme on l’a dit plus haut, de leur souveraineté. On peut d’ailleurs constater que l’époque antérieure à la première guerre mondiale ou à la mise en place de la SdN a surtout été marquée par l’émergence et l’acceptation des règles ayant pour vocation d’organiser l’application du droit dans les conflits ou dans la guerre , « ius in bello (règles sur la manière de faire la guerre) » , et non par celles mettant en place des normes juridiques ayant vocation à limiter le recours à la force ou à interdire les guerres d’agression. Il semblait en effet difficile, voire impossible à cette époque pour les États, d’accepter de circonscrire et d’encadrer, du point de vue du droit international, de la morale, et encore moins de la justice pénale internationale, leur droit de faire ou de recourir à la guerre . Cette période a été résumée ainsi par Georges Scelle : « [i]l était donc impossible de faire du recours à la guerre, un excès de pouvoir, encore moins un délit ou un crime. Seule la violation des lois de la guerre pouvait aboutir à des crimes ou délits »  .

Il a fallu attendre la survenance de la seconde guerre mondiale et l’adoption de la Charte des Nations Unies pour voir les États militer plus largement en faveur de la mise en place d’un système de sécurité collective fort et solide, fondé sur une interdiction véritable du recours à la force, et non plus sur de simples limitations du recours à la force comme le proposaient le Pacte de la SdN ou le Pacte Briand Kellogg . Cette interdiction du recours à la force sera posée clairement par l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies : « [l]es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.».

L’interdiction du recours à la force , obligation imposée en des termes clairs par la Charte des Nations Unies aux États, n’a cependant pas conduit à une fin des guerres et notamment des guerres d’agression sur la scène internationale. En effet, les États n’ont pas, dans les faits, renoncé totalement à leur droit de recourir à la guerre. On peut évoquer le nombre important de conflits, larvés ou non, de guerres d’agression qui ont été menées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et surtout, il faut également mettre en évidence le rôle ou du moins l’impact de la « guerre froide » – et non pas les dispositions de la Charte et les éventuelles sanctions qui pouvaient être prononcées par le Conseil de sécurité des Nations Unies  sur la limitation du nombre de guerres étatiques. Il convient en effet de reconnaître que la guerre froide a considérablement contribué à geler ou à empêcher de nombreux conflits, qui auraient pu,à cette époque, éclater entre États sur la scène internationale . Il fallait empêcher à tout prix certaines guerres, au risque d’aboutir à un affrontement direct entre les deux « grandes » puissances nucléaires de l’époque , ce qui aurait conduit à une troisième catastrophe et hécatombe mondiales. Ce n’est donc pas toujours sur la base de la puissance et la persuasion du droit international, et notamment du droit international de la Charte, que nombre d’États ont renoncé, comme il avait été affirmé à l’article 2§4 de la Charte, de recourir à la guerre , ils l’ont fait en raison d’autres « pesanteurs ». Il faut souligner d’ailleurs que les juridictions internationales, et notamment la Cour internationale de Justice, ont été, à plusieurs reprises, saisies par les États afin de se prononcer sur des situations d’agression ou de « violation of the jus ad bellum » par les États.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE. LA NATURE JURIDIQUE DE L’AGRESSION
TITRE I. D’UNE CONSTATATION POLITIQUE À UNE QUALIFICATION JURIDIQUE DE L’AGRESSION
CHAPITRE I. LA POLITISATION DE LA CONSTATATION DE L’AGRESSION
CHAPITRE II. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE L’AGRESSION
TITRE II. UNE DÉFINITION DU CRIME D’AGRESSION TIRAILLÉE ENTRE DIFFÉRENTS OBJECTIFS
CHAPITRE I. LES OBJECTIFS DE LA DÉFINITION ET LA QUESTION DU RESPECT DU PRINCIPE NULLUM CRIMEN SINE LEGE
CHAPITRE II. LES TENTATIVES D’EXTENSION DU CRIME D’AGRESSION
SECONDE PARTIE. LE RÉGIME JURIDIQUE DU CRIME D’AGRESSION
TITRE I. LA QUALIFICATION DE L’INFRACTION
CHAPITRE I. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU CRIME D’AGRESSION
CHAPITRE II. L’AGRESSION : ACTE COMMIS « DANS L’EXERCICE DE L’AUTORITÉ SOUVERAINE », ACTE PRIVÉ ET CRIME DE « DIRIGEANTS »
TITRE II. LA MISE EN ŒUVRE DE LA RÉPRESSION
CHAPITRE I. LE DÉCLENCHEMENT DES POURSUITES
CHAPITRE II. LES POURSUITES ET LES CONSÉQUENCES DE LA CULPABILITÉ
CONCLUSION GÉNÉRALE

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