Le conflit identitaire

Le conflit identitaire

Chaque homme est constitué de caractéristiques personnelles qui le représentent et lui donnent une particularité qui est propre à sa personne. L’ethnie, la culture, la nation sont des identités collectives mais le sexe, l’âge, la structure familiale sont des éléments dont chaque individu du milieu social est dépositaire. L’identité renvoie donc aux éléments socio culturels d’un individu ou d’un groupe social. Amin Maalouf dit à ce propos : « Mon identité c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne. »  Aussi, soit l’individu possède une identité qui lui est propre et arrive à se mouvoir librement dans son environnement, soit il est à cheval entre deux mondes, deux cultures. Il vit ainsi un conflit identitaire et est à la recherche de son moi.

Bien que le cerveau humain ait une certaine capacité à s’adapter à tout milieu, il n’en demeure pas moins que certains facteurs empêchent une adaptation totale. Pour être plus explicite, l’individu perd ses repères. Le fait de se déplacer vers une autre sphère, un autre pays crée un certain déséquilibre dans son esprit et il ne sait plus réellement d’où il vient. Toutefois et de manière contradictoire changer de milieu favorise une sorte d’intégration car le milieu détermine l’individu. Une adaptation est donc naturelle et nécessaire mais il n’est pas dit que tous les individus parviennent à s’intégrer dans la zone dans laquelle ils vivent. Les gens étant différents, on conçoit bien que certaines personnes éprouvent des difficultés à réussir cette étape que l’on appelle adaptation ou intégration.

Cependant, même ceux qui arrivent à s’intégrer y arrivent partiellement et sont par la suite victimes d’un conflit identitaire car ils perdent leurs repères et ne savent plus à quel milieu ils appartiennent ou doivent appartenir. Ce conflit identitaire entraine l’individu vers une quête de son moi et cette quête favorise des conflits interpersonnels car l’individu ne se sent en paix ni avec soi-même ni avec son entourage. Perdre ses repères équivaut à perdre sa sociabilité et sa capacité à entrer en contact et développer des liens avec les autres individus.

Dès lors, une réflexion de Dominique Picard sur la quête identitaire et les conflits interpersonnels dans la revue Connexions étaye cet argumentaire. Aussi, nous pouvons avancer que :

L’identité subjective se construit en grande partie dans le contact avec les autres ; la quête de reconnaissance identitaire constitue donc une des dynamiques fondamentales des  relations interpersonnelles. Cette quête peut revêtir des formes variées qui se déclinent en une série de besoins » identitaires et territoriaux qui sont autant de sources de conflits possibles. […] .

Ces propos expliquent quelque peu la position de l’individu qui se déplace d’une zone à une autre et qui essaie de s’intégrer dans une zone en développant ses relations interpersonnelles. La reconnaissance individuelle passe par celle des autres, ce qui constitue une dynamique fondamentale. L’individu qui veut s’identifier et s’intégrer dans un milieu a besoin de se reconnaitre dans l’espace dans lequel il vit mais il a également besoin que les personnes qui vivent dans cet espace le regardent comme s’il était un des leurs. Si l’individu qui cherche à se faire accepter par son environnement immédiat et par son entourage n’y parvient pas, il est victime de conflits interpersonnels et recherche son moi qui semble lui échapper.

Aussi, dans Une forme de vie d’Amélie Nothomb, l’auteure entretient une correspondance avec un soldat américain basé à Bagdad. Progressivement une sympathie se crée au cours de ces échanges, mais la jeune femme apprend que Melvin Mapple, le soldat a falsifié son identité tout au long de cette correspondance. Si le soldat a ressenti le besoin de travestir son identité, c’est parce que la sienne ne lui convenait plus et pensait-il que cette identité ne serait pas bien reçue par l’auteure. Il voulait attirer son attention. Ces quelques lignes le montrent bien : « Je veux exister pour vous. Est-ce prétentieux ? Je l’ignore. Si ça l’est, pardonnez-moi. C’est ce que je peux vous dire de plus vrai : je veux exister pour vous. » (UFDV, 44) Ce besoin d’exister de Melvin explique le tissu de mensonges qu’il a fabriqué à cette fin. Pour exister pour la romancière, il fallait qu’il se crée une nouvelle identité, une vie intéressante. Selon Melvin, dévoiler sa propre vie et ses propres réalités, ne l’aurait certainement pas conduit à gagner la sympathie de l’auteure.

Un individu qui veut se faire accepter dans un milieu social donné, est prêt à changer sa propre mentalité et même son apparence. Il opère ainsi une transformation sur sa manière de penser et travestit son physique à sa convenance pour parvenir à être intégré comme il le souhaite dans la structure sociale. Le souci de Melvin était de s’inventer un univers imaginaire. Prisonnier de cette utopie, il se berçait d’illusions jusqu’à en oublier la banalité de sa véritable existence. Il voulait donner une raison valable à son obésité. Il enviait les militaires américains basés à Bagdad car ces derniers pouvaient grossir autant qu’ils le souhaitaient, leurs actes d’héroïsme masquaient leurs kilos en trop; quant à lui, la raison de sa prise de poids, quoiqu’explicable, ne se justifiait pas, car il n’était pas soldat. Ainsi, il avance ces propos teintés de désespoir dans une de ses lettres : « Ensuite, je me suis surpris à envier les militaires obèses. Comprenez-moi : eux au moins, ils avaient un motif sérieux. Leur statut les apparentait à des victimes. Il y’aurait des gens pour penser que ce n’était pas leur faute. J’ai jalousé qu’on puisse les plaindre. C’est misérable je sais. » (UFDV, 112) Melvin aurait voulu lui aussi avoir une circonstance atténuante à son crime d’obésité.

Ainsi, le concept de conflit identitaire est l’un des principaux piliers de l’écriture intime. Les écrivains sont à la recherche de leur véritable identité, et pour tenter de réussir cette quête, ils se créent une identité dans le monde de la fiction et essayent de coller ce moi fictionnel au moi réel dans le but de le rendre plus concret.

La fabulation

La fabulation est un récit imaginaire présenté comme une réalité vécue. Les faits d’une fabulation sont vraisemblables, purs produits de l’imagination. Fabuler c’est donc un travail sur l’esthétique pour les romanciers qui cherchent à rester sous le voile de la fiction. Parallèlement à cette réflexion, Roland Barthes dans Le degré zéro de l’écriture, aborde une recherche approfondie de l’écriture. Dans la rubrique « Qu’est-ce que l’écriture ? », il essaie d’apporter des éléments de réponse à sa question lorsqu’il affirme :

Aussi l’écriture est une réalité ambiguë : d’une part, elle nait incontestablement d’une confrontation de l’écrivain et de sa société ; d’autre part, de cette finalité sociale, elle renvoie l’écrivain par une sorte de transfert tragique, aux sources instrumentales de sa création. Faute de pouvoir lui fournir un langage librement consommé, l’Histoire lui propose l’exigence d’un langage librement produit.

Selon Barthes, l’acte d’écriture est infiniment énigmatique puisque l’écrivain doit lui-même construire son propre langage. Il ne suffit pas de raconter une histoire de façon tout à fait banale, sans un aucun travail sur la langue. Il faut au contraire raconter l’histoire et la raconter d’une manière particulière, avec un style original, une belle esthétique. Il faut que derrière l’histoire, on puisse deviner la plume de l’écrivain, sa façon d’avancer des propos, sa touche personnelle doit apparaître derrière les mots. Ce ne sont pas que des mots alignés mais une attitude qui est dévoilée, une démarche romancière et artistique qui diffère d’un écrivain à un autre.

Ainsi, à l’ère de la modernité, le romancier privilégie dans ses œuvres la quête de la connaissance de soi, mais également des choses abstraites de l’existence. Il utilise, à cet effet, certaines techniques esthétiques pour favoriser l’intérêt de son lectorat. Aussi pouvons-nous dire que l’écriture sur soi de l’époque contemporaine transgresse les lois de l’autobiographie classique, telle que l’ont préconisé les premiers auteurs. Des écrivains comme Amélie Nothomb font de la fiction, le socle de leur écriture. Il existe également de nombreux autres écrivains qui fictionnalisent des évènements de leur parcours existentiel. Dans ces œuvres, il y a une sorte de fictivisation du réel, c’est-à-dire faire une représentation du monde réel en utilisant des matériaux fictionnels. L’écrivain ne dévoile pas comme dans l’autobiographie classique sa vie mais utilise la fiction pour transmettre une partie de son réel. Par des techniques d’écriture diverses, son réel devient fictif. Pour en revenir à l’auteure de notre corpus, on peut avancer que la fabulation, l’imagination, l’invention masquent ses véritables ambitions qui consistent entre autres, à dérouter le lecteur qui, lui, est avide de recueillir les turpitudes de son existence, tous les moments qui ont marqué sa vie.

Ayant recours à la fabulation, l’écrivaine aborde d’une manière particulière sa vie en prenant soin de masquer certains éléments de son parcours. C’est à travers un beau jeu narratif qu’Amélie sort d’elle-même pour entrer dans le personnage de Melvin. On remarque ainsi un dérèglement volontaire de l’intrigue de la part de l’auteure. Cette dernière ne dévoile pas ses problèmes dans l’œuvre, au contraire dans ce roman, c’est Melvin Mapple qui est obèse mais si l’on passe en revue la propre vie d’Amélie Nothomb, on remarque qu’elle a eu elle-même des problèmes de poids, mais d’un tout autre ordre. En effet, Amélie Nothomb, a été victime de viol à l’âge de 12ans et, selon elle, la raison était qu’elle commençait à subir une métamorphose de son corps de jeune fille. Pour ne plus avoir à revivre le même évènement traumatisant, elle se laissa volontairement devenir anorexique, pour ne plus grandir, pour devenir laide et ainsi ne plus attirer l’attention malveillante des hommes.

La fabulation dans l’œuvre consiste à détourner cette histoire d’anorexie de l’auteure et de la transformer en son contraire qu’est l’obésité. Derrière l’image du soldat, se cache celle de la menue jeune fille anorexique qui veut à tout prix maigrir. Fabuler lui permet de tourner le dos à la sincérité de sa narration, et de s’adonner à une sorte de carnavalisation des faits. A une seule reprise dans l’œuvre est évoquée l’anorexie d’une jeune fille qui fait de sa maladie un chef d’œuvre pour son mémoire de fin d’études. En effet, ces passages en sont l’exemple : « […] J’ai connu une jeune étudiante en art qui, à titre de travail de fin de cursus, avait décidé de faire de sa propre anorexie, qu’elle était en train de vivre, une œuvre […] Les anorexiques ont besoin que leur mal soit non pas condamné, mais constaté. […] » (UFDV, 51) Amélie raconte à Melvin l’aventure d’une étudiante anorexique qui fit de sa terrible perte de poids, le sujet de son mémoire de fin d’études. Les anorexiques ne doivent pas être condamnés à cause de leur maladie, dit-elle au soldat. Il nous semble ici qu’elle cherchait à se dévoiler, ayant été ellemême anorexique, mais le fil de l’histoire du soldat continue à se dérouler par la suite. Elle incite le soldat à faire de son obésité un chef d’œuvre tout comme l’étudiante. Ainsi on peut se demander si sa propre anorexie ne lui avait pas fait se sentir mieux dans sa peau.

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Table des matières

INTRODUCTION
Première Partie : Le conflit identitaire
Chapitre I : La fabulation
1.1 Travestissement d’identité
1.2 Dévoilement identitaire
Chapitre II : Autodérision et ironie
2.1 Fictionnalisation de soi
2.2 Retour à l’enfance
Deuxième Partie : La parodie de soi
Chapitre III : Littérature intime
3.1 : Une écriture sincère
3.2 : Registre ironique
Chapitre 4 : L’autofiction
4.1 L’illusion identitaire
4.2 Ecriture et cure
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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