Le concept d’entité comptable : une interprétation par la théorie des conventions

L’interdisciplinarité 

Le choix du sujet et surtout de l’outil théorique, nous entraînent par ailleurs, à franchir la limite des sciences de gestion pour emprunter aux disciplines voisines les concepts et les logiques. La complexité et l’interdépendance des facteurs en présence tendent parfois à effacer les traces d’une frontière, pour le moins réductrice. Circonscrire notre travail de recherche au seul champ d’une discipline aurait inévitablement pour effet d’en appauvrir les résultats et d’en limiter la portée. Nous pensons justement qu’une science puise son enrichissement dans l’interpénétration de ses connaissances avec celles des espaces plus éloignés.

Ainsi, ces travaux qui s’inscrivent dans le domaine des sciences de gestion et plus particulièrement la matière comptable, iront chercher dans l’histoire, l’économie et la sociologie, les éléments de connaissances propres à lui donner un éclairage que nous souhaitons profitable et fécond.

Explicitation des présupposés épistémologiques 

La démarche du chercheur est inévitablement indissociable d’une certaine vision qu’il se fait de son environnement, et d’une méthodologie qu’il considérera, à tord ou à raison d’ailleurs, comme étant la plus pertinente pour traiter l’objet de ses recherches. De fait, il lui est difficile de se prévaloir d’une soi-disant impartialité scientifique. Aussi, par souci d’honnêteté intellectuelle, et pour légitimer ce type de travail, est-il préférable d’expliciter les présupposés épistémologiques qui détermineront sa conduite tout au long de la recherche .

Cette mise au point, pour nécessaire qu’elle soit, n’en est pas moins délicate à aborder, attendu qu’elle oblige le chercheur à s’interroger sur la nature de la connaissance produite et, plus en amont, sur la nature de la réalité qu’il pense pouvoir appréhender . Cette connaissance relève-t-elle de l’objectivité, image d’une réalité qui lui est extérieure ou d’une interprétation voire d’une construction qu’il s’en fait ? La réponse à cette question est fondamentale dans la mesure où elle engage le chercheur dans un schéma intellectuel déterminant quant à la mise en œuvre de sa recherche et quant aux résultats obtenus. A ce niveau de réflexion, nous devons alors faire face aux deux grands paradigmes épistémologiques qui s’opposent dans un débat aussi vif que passionnant : le positivisme et le constructivisme.

Le premier paradigme dont l’un des plus grands défenseurs fut A. Compte, soutient que la réalité existe en soi, indépendamment de celui qui la perçoit ; elle possède une essence propre. Le chercheur peut s’attacher par conséquent, à saisir cette réalité qui lui est extérieure et indépendante. Or, c’est justement cette indépendance de l’objet par rapport au sujet qui permet aux tenants du positivisme de se prévaloir du principe d’objectivité selon lequel l’observation du premier par le second (qui lui est étranger) ne doit pas modifier la nature de cet objet : « La connaissance en ce sens objectif est totalement indépendante de la prétention de quiconque à la connaissance ; elle est aussi indépendante de la croyance ou de la disposition à l’assentiment (ou à l’affirmation, à l’action) de qui que ce soit. La connaissance au sens objectif est une connaissance sans connaisseur ; c’est une connaissance sans sujet connaissant. » .

L’entité à travers les âges 

Les quatre périodes 

Une brève incursion dans l’histoire de la comptabilité nous invite à considérer le concept d’entité comme le fruit d’une lente évolution dont nous allons rapporter ici quelques aspects.

– Positionnement temporel de l’étude : pour des facilités d’exposé, nous commencerons notre étude à partir du Moyen-Age occidental. Certains historiens comme J.H. Vlaemminck font en effet remarquer que s’il est exact que notre civilisation est l’héritière de ses devancières grecque et romaine, il n’en va pas de même pour la comptabilité médiévale qui est revenue à son point de départ ; on y retrouve, d’après l’auteur, les mêmes hésitations et difficultés que chez les anciens Sumériens. De plus, on ne peut la rattacher en aucune manière à la technique des comptes de l’antiquité puisqu’il y a non pas évolution mais rupture du système . Ça n’est donc qu’à partir du Moyen-Age que la comptabilité se développa jusqu’à l’épanouissement complet de la partie double ; et c’est aussi à partir de cette période que la civilisation économique progressa lentement jusqu’à nos jours, sans interruption durable.

Les croisades (XIIe et XIIIe siècles) constituent l’événement historique qui redonna à l’occident le souffle économique qu’il avait perdu depuis la décadence de l’Empire romain. Le monde méditerranéen en pleine effervescence commerciale, retrouve une activité qui s’étend alors à toute l’Europe occidentale. L’Italie du Nord et la Flandre furent du XIIe au XVe siècles les régions économiques les plus prospères, du fait qu’elles se trouvaient à l’aboutissement des lignes commerciales maritimes ; on ne s’étonnera donc pas que ces deux régions bénéficièrent d’un développement de la technique comptable plus rapide qu’ailleurs. Ces précisions historiques sont importantes car les études menées par les différents historiens de la comptabilité ont montré que l’évolution de la technique des comptes est indissociable de celle du système économique.

A ce propos, il est important de noter que l’accroissement considérable du crédit qui accompagna l’expansion commerciale due aux croisades est, en grande partie, à l’origine du développement de la comptabilité en Europe. Afin de connaître leur situation exacte vis à vis des tiers, les négociants furent progressivement obligés d’inscrire leurs créances et leurs dettes sur des registres. Nécessité faisant loi, on assista peu à peu à la formation d’une comptabilité à partie simple comportant de plus en plus de livres.

Période 1 : les comptes de personnes 

Les premières comptabilités n’enregistrent que des opérations de crédit et ce ne sont par conséquent, que des comptes de personnes que les systèmes comptables produisent. Il ne s’agit donc pas encore d’entité à proprement parler, mais de comptes hétérogènes, sans liaison. Le champ de la représentation comptable se résume alors, dans une première phase, à un ensemble de comptes disparates (appelés mémoriaux), représentant des dettes ou créances envers des personnes avec lesquelles le commerçant entretient des relations économiques. Nous ne devons pas oublier que les comptables de l’époque avaient comme principal objectif de prévenir les défaillances possibles des débiteurs et surtout, de consigner par écrits leurs obligations financières et juridiques. Dans ces « mémoriaux », les comptes se suivent sans aucune classification ; on débite ou on crédite la personne chaque fois qu’une transaction est effectuée de façon à connaître leur position à tout moment. Les opérations terminées, le compte du correspondant était alors rayé, de telle sorte qu’en feuilletant le registre, on trouvait immédiatement les comptes non clôturés .

Période 2 : les comptes d’opération

L’apparition des sociétés commerciales ne fut pas non plus sans effet sur les systèmes comptables de l’époque. Dès le Moyen-Age, les sociétés en commandite font leur apparition : les détenteurs de capitaux désireux de les faire fructifier dans des opérations commerciales, mandatent des négociants (des navigateurs dans la plupart des cas, le commerce étant à cette époque essentiellement maritime) d’effectuer des affaires moyennant un intéressement aux bénéfices. Durant une première période, ces sociétés en commandite n’ont d’existence que le temps d’un voyage ; elles se liquident par le partage des bénéfices. Ces entreprises éphémères donnèrent ainsi naissance à une comptabilité par opération qui avait pour objectif cette fois-ci de déterminer le résultat dégagé par les voyageurs afin d’en faire éventuellement le partage. L’historien R. De Roover nous rappelle que ce sont des comptes de ce type, les plus anciens que l’on ait retrouvés, datant de 1154 à 1164, qui figurent dans le recueil d’un notaire. Il s’agit de notes et calculs relatifs à la répartition des bénéfices dégagés à la suite de trois expéditions commerciales entre un marchand et un bailleur de fonds, liés entre eux par un contrat de commandite et de « compagnie de la mer ».

Période 3 : les comptes de valeurs

Plus tard, les sociétés constituées adoptèrent alors une forme plus durable et se livrèrent à des opérations de plus en plus importantes. Les responsables ne pouvaient alors se contenter de dresser des comptes de personnes ou des comptes par opération pour connaître avec précision leur situation envers les tiers, tant celles-ci étaient nombreuses. « Pour pouvoir effectuer périodiquement des répartitions de dividendes, rembourser un associé désireux de se retirer et procéder à une liquidation, il fallait connaître d’une manière régulière la consistance du patrimoine tout entier et procéder, notamment à des inventaires périodiques. » .

Le développement de l’entité aborde ainsi une nouvelle phase, les écritures font intervenir des comptes de valeur ou de situation dont l’objectif est de décrire la totalité du patrimoine de l’entreprise ou plutôt du propriétaire… Certes, des comptes de valeurs avaient déjà été utilisés par certains commerçants afin de suivre l’évolution de leurs stocks ; toutefois, et selon certains historiens, ces comptes de marchandises tenus en partie simple, ne présentaient aucune homogénéité et ne préfiguraient en rien les comptes patrimoniaux tenus en partie double qui se développèrent plus tard.

Période 4 : les comptes à partie double

A partir du XIVe siècle ou peut-être du XIIIe , la comptabilité en partie double qui prend naissance en Italie, va pouvoir répondre à ces deux exigences : l’utilisation simultanée de variables d’état et de variables de flux permettra à son utilisateur de connaître périodiquement les résultats de l’entreprise ainsi que sa situation patrimoniale. Comme l’exprime fort bien J.H. Vlaemminck, « d’une part on comprit que pour avoir une vision nette de tous les éléments du patrimoine et de leurs variations, il fallait grouper les éléments de même nature dans de larges comptes distincts. D’autre part, on réalisa assez vite que toute mutation dans la consistance ou la valeur du patrimoine avait nécessairement un point de départ et un point d’arrivée et retentissait simultanément sur deux comptes. D’où le grand principe de la partie double : à chaque débit doit correspondre un crédit et vice-versa. » .

Toutefois, tous les pays occidentaux ne suivirent pas le même rythme, ainsi les commerçants allemands utilisaient encore les comptes de personnes au XVe siècle alors que l’usage de la partie double était largement répandu d’autres pays voisins comme l’Italie ou les Pays-Bas. Ce retard est très certainement imputable au recul économique d’une Allemagne moins ouverte au commerce maritime du fait de sa géographie.

Dès l’origine des comptes de personnes, les mots « dare » (doit) et « avere » (avoir) étaient utilisés pour constater l’existence d’un lien juridique entre l’entreprise et les tiers. Le premier terme (correspondant au « débit » actuel) était utilisé à l’origine pour constater la naissance d’une créance contre un tiers ou l’extinction d’une dette ; inversement, le second terme (notre crédit actuel) indiquait une dette de l’entreprise ou la sortie d’une créance sur un tiers. Lors de l’apparition des comptes de valeurs, ces termes furent naturellement conservés pour indiquer les autres mouvements au sein d’une unité patrimoniale : tout accroissement des comptes de valeurs était débité, toute diminution créditée.

La comptabilité des sociétés donna ensuite naissance au compte capital qui représentait une dette de l’entreprise envers ses actionnaires. L’utilisation de ce compte se répandit par la suite dans les autres comptabilités au sein desquelles pourtant, il n’était juridiquement reconnu aucune dette de l’entreprise envers le commerçant. Selon certains historiens, cette utilisation progressive du compte capital dans la comptabilité de l’entreprise individuelle marquait la vision de plus en plus nette de l’autonomie de l’unité vis-à-vis de son propriétaire .

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE LA CONSTRUCTION COMPTABLE DE L’ENTITE ET SES LIMITES
TITRE I – L’ENTITE COMPTABLE ET SES LIMITES
Chapitre I – L’ENTITE DANS LE SYSTEME COMPTABLE
Section I – Le concept d’entité et les comptes sociaux
Section II – Le concept d’entité et les comptes consolidés
Chapitre II – LES DYSFONCTIONNEMENTS DE L’ENTITE COMPTABLE
Section I – L’entité mutilée par les conventions comptables
Section II – L’entité fragmentée par les conventions comptables
Conclusion du titre 1
TITRE II LES FRONTIERES DE L’ENTITE COMME CONSTRUIT
Chapitre I – LES FRONTIERES DE L’ENTITE
Section 1 – Les frontières de l’entité-organisation
Section 2 – Les multiples frontières de l’entité comptable
Chapitre II – LE MODELE ACTUEL ET SA JUSTIFICATION
Section 1 – Les frontières convenues
Section 2 – Théorie de l’agence et entité comptable
Conclusion de la première partie
DEUXIEME PARTIE VERS UNE APPROCHE RENOUVELEE DE L’ENTITE
TITRE I MODELE COMPTABLE ET THEORIE DES CONVENTIONS
Chapitre I – FONDEMENTS THEORIQUES DES CONVENTIONS
Section I – Analyse contextuelle et conceptuelle de la convention
Section II – Analyse organique et fonctionnelle de la convention
Chapitre II – LES CONVENTIONS COMPTABLES
Section 1- Principales caractéristiques des conventions comptables
Section II – Structure des conventions comptables
Conclusion du titre I
TITRE II ENTITE COMPTABLE ET DYNAMIQUE DES CONVENTIONS
Chapitre I – ALTERNATIVE ET REACTIONS
Section I – L’alternative et ses facteurs d’émergence
Section II – Les réactions face à l’alternative
Chapitre II – PERSPECTIVE DYNAMIQUE DE L’ENTITE
Section I – Mobilité des frontières spatio-temporelles
Section II – Mobilité de la frontière substantielle
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion générale
ANNEXES

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