Le cadre de prise en charge des adolescents anorexiques sévères 

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

Un espace-temps dédié à l’anorexie mentale sévère

Spécificités des soins en hospitalisation

L’hospitalisation de l’adolescent à temps complet a pour objectif principal de créer les conditions dans lesquelles le fonctionnement psychique du patient, son mode de pensée, ses capacités de résilience et ses difficultés puissent advenir et être observés hors des contraintes sociales et familiales. Durant ce temps, un travail pluridisciplinaire, alliant soins somatique et psychiatrique, s’engage avec l’adolescent en vue de l’accompagner à court-terme vers une poursuite de soin en ambulatoire.
Le service d’hospitalisation dispose de 20 lits répartis de manière paritaire entre les trois types d’indications (pédiatrie, psychopathologie, TCA). Deux lits sont mis à disposition en cas d’urgence individuelle ou familiale. En fonction de l’indication, la durée d’hospitalisation est variable allant de trois semaines pour un bilan obésité à six semaines pour une observation psychiatrique, voire plusieurs mois pour l’accompagnement d’un trouble alimentaire persistant ou d’un désordre psychique sévère.
L’équipe de soin est supervisée par trois praticiens hospitaliers responsables de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie et des TCA. Elle se compose de deux médecins somaticiens et psychiatres, six internes, deux externes, de cinq infirmières et aide-soignants, trois éducateurs spécialisés, une psychomotricienne à mi-temps et deux diététicien-nutritionnistes.
Organisation temporelle.
L’organisation des soins se structure autour de plusieurs temps clés de la semaine dont les principaux temps de réunions sont :
• Les réunions de transmissions journalières réunissant tous les personnels soignants le matin.
• Une réunion hebdomadaire réunissant un représentant de chaque équipe de soin pour échanger et confronter les observations cliniques autour des nouvelles admissions et de patients en particulier.
• Une réunion hebdomadaire réunissant la cadre de santé, une interne de médecine, les professionnels éducatifs représentant chaque atelier et la psychomotricienne afin d’élargir l’observation clinique aux espaces socio-culturels.
• Les entretiens médicaux individuels réunissant le médecin responsable, l’interne, le patient et sa famille.
Organisation spatiale.
L’espace de l’hospitalisation prend la forme d’un L : on entre au niveau de sa base sur un hall spacieux, où un canapé, des fauteuils et un baby-foot invitent à la détente et à l’amusement. Ce premier espace est longé par de grandes baies vitrées, allant du sol au plafond et donnant sur un grand boulevard. On y observe les passants, le marché et les manifestations régulières en cette période de l’année. Ce hall fait office de passage et de lieu de rassemblement lorsque les parents patientent lors de visites ou quand les tournois bruyants de baby-foot s’organisent. L’ambiance fluctue dans une même journée. Les premières chambres s’alignent le long de cet espace, elles semblent éloignées du reste de la vie du service. La salle de soins, la majorité des chambres et la salle de jeux commune se trouvent au-delà de cet espace, dans la prolongation du L. S’organise alors toute la vie du service dans ce couloir interminable, lui aussi longé de baies vitrées offrant une vue à 180° sur le monde. Parfois, il faut se frayer un passage entre les petits groupes d’adolescents qui se retrouvent devant la salle de soins, soit pour être accompagnés en atelier, soit pour négocier leurs portables ou une pause cigarette. Une atmosphère dynamique se dégage. On pourrait s’imaginer dans une MJC2 surtout lorsque tous scrutent le planning de la journée posté sur la porte du poste de soins, dans lequel se mêle les cours, les ateliers en groupe, les groupes de parole et la psychomotricité. Quand un infirmier hausse le ton, lorsqu’un médecin passe dans le couloir ou encore quand les portes se verrouillent après chaque passage vers l’extérieur, le rappel est toutefois immédiat : il s’agit bien d’un lieu de soin fermé pour adolescents en souffrance.

Modalités d’admission pour « sauvetage nutritionnel »

Depuis cette année, le service d’hospitalisation met à disposition un lit d’urgence pour accueillir un adolescent présentant une anorexie mentale sévère et nécessitant un sauvetage nutritionnel. Ce programme de soin court s’adresse alors spécifiquement aux patients présentant des formes débutantes ou récidivantes d’anorexie mentale, ne relevant toutefois pas d’un service de réanimation.
L’indication peut se faire dans le cadre d’un relais hospitalier suite à une précédente hospitalisation infructueuse dans un service pédiatrique ou de psychiatrie adulte, ou suite à une prise en charge en ambulatoire qui arrive à ses limites en termes de contenance et d’accompagnement. Les patients indiqués présentent des conditions physiologiques correspondantes à une prise en charge en urgence somatique, associées à la présence de troubles psychiatriques sévères (déni massif, opposition, fugue, scarifications, idées suicidaires, tentative de suicide), empêchant la mise en place de soins somatiques.

Maison des Jeunes et de la Culture

Les critères de l’hospitalisation de l’adolescent anorexique, recommandées par la Haute Autorité de Santé (HAS), mettent en évidence une triade de signes :
• somatiques:
o Indice de Masse Corporelle* (IMC) < 14 kg/m2 au-delà de 17 ans, ou IMC < 13,2 kg/m2 à 15 et 16 ans, ou IMC < 12,7 kg/m2 à 13 et 14 ans.
o Ralentissement idéique et verbal, confusion.
o Syndrome occlusif*.
o Bradycardies* extrêmes : pouls < 40/min quel que soit le moment de la journée.
o Tachycardie*.
o Pression artérielle systolique basse (< 80 mmHg).
o PA < 80/50 mmHg, hypotension orthostatique* mesurée par une augmentation de la fréquence cardiaque > 20/min ou diminution de la PA > 10-20 mmHg.
o Hypothermie < 35,5 °C ou hyperthermie.
• anamnestiques:
o Perte de poids rapide : plus de 2 kg/semaine.
o Refus de manger : aphasie totale, refus de boire.
o Lipothymies* ou malaises d’allure orthostatique.
o Fatigabilité, voire épuisement évoqué par le patient.
• psychiatriques:
o Idéations obsédantes intrusives et permanentes, incapacité à contrôler les pensées obsédantes.
o Renutrition : nécessité d’une renutrition par sonde naso-gastrique*, ou autre modalité nutritionnelle non réalisable en ambulatoire.
o Activité physique excessif et compulsif (en association avec une autre indication d’hospitalisation)
o Conduites de purge (vomissements, laxatifs, diurétiques) : incapacité à contrôler seul des conduites de purges intenses.
Le séjour hospitalier est conditionné par une rencontre en préadmission, rassemblant l’endocrinologue, responsable de la prise en charge des TCA, les parents et l’adolescent. L’objectif est d’asseoir les bases de la relation thérapeutique, de rechercher le consentement et d’aménager les soins en fonction des antécédents médicaux du patient. On parle d’alliance thérapeutique pour définir le partenariat spécifique au temps du soin et à partir duquel l’observation clinique résulte d’une analyse empathique de la relation soignant/soigné (Bioy et al., 2012). Concept théorisé dans le champ de la psychanalyse, il est largement employé dans le domaine de la psychiatrie pour signifier l’importance d’une relation de confiance, symétrique, sur laquelle peut advenir l’engagement du patient dans son parcours de soin et in fine réduire le risque de rechute.

Matérialisation de l’alliance thérapeutique

Le consentement et la gestion de la séparation

L’entrée en séjour d’hospitalisation doit être consentie par le patient et l’autorité parentale comme stipulée par la Charte Européenne de l’Enfant Hospitalisé du 13 mai 1986. Elle se fait sans séparation, c’est-à-dire que les visites des familles sont libres et ne font pas l’objet de négociation face à la reprise pondérale. La séparation forcée pourrait mettre à mal le processus thérapeutique et l’autonomisation du sujet (Benoit & Moro, 2009).
En entretien de préadmission, la date d’entrée est discutée en amont par le patient, sa famille et l’endocrinologue, dans la mesure des lits disponibles. Ce temps permet de préparer la séparation dans des conditions optimales.
Dans le cadre d’une hospitalisation régulière pour un TCA, le temps est une variable souple au service de l’adaptation du patient. Les conditions de sortie dépendent du maintien du poids cible pendant deux semaines d’affilée. Le cadre temporel du sauvetage nutritionnel est néanmoins plus strict, il est fixé ici à six semaines. Il s’assouplit au niveau du poids cible qui n’engage pas le terme de l’hospitalisation.

Le contrat de soin

« Comme vous voyez le docteur cet après-midi, dites-lui que je ne signerai jamais son contrat de poids, je ne suis pas son objet d’étude ! », nous avait missionné une jeune patiente, qui avait fugué de multiples fois des précédents établissements de santé.
Le contrat thérapeutique édite les engagements des deux parties au regard du poids de sortie, des modalités d’alimentation, des soins, de la durée d’hospitalisation et des souhaits propres aux patients. « C’est un trajet, un processus de travail, la marque d’un désir de travailler en commun » (Corcos, 2005, p.173). La jeune patiente avait finalement signé le contrat thérapeutique, communément appelé « contrat de poids », après deux semaines nécessaires à son adaptation et à la mise en place de l’alliance thérapeutique.
Pour les profanes, ce contrat peut être considéré comme une fin en soi. Or, il offre un espace de négociation, de discussion et potentiellement de manipulation pendant l’hospitalisation. Le contrat de soin est pensé comme un espace transitionnel, jouant le rôle de tiers différenciateur, qui peut être mis à l’épreuve par l’agressivité du patient. Les termes du contrat de soin sont ré-évaluables si les objectifs ne sont pas atteints.
M. Corcos souligne ainsi qu’en situation de séparation du milieu familial, le contrat de soin recrée un espace psychique et physique personnel dans le cadre de l’hospitalisation, où les relations et les activités peuvent être réinvesties pleinement au détriment des conduites anorectiques. Chez ces adolescents, la séparation et le temps des repas sont deux facteurs de conflictualité.

L’accompagnement lors des repas

L’alimentation orale est source d’anxiété massive. A l’image de l’hospitalisation, le réapprentissage de l’alimentation est un processus progressif qui exige une extrême patience et qui passe par un aménagement des repas.
Les repas peuvent être pris en chambre quand le regard des autres adolescents s’avère déstabilisant. Autrement, une salle thérapeutique spécifique, décorée d’œuvres d’art réalisées par les patients, est dédiée aux patients TCA. Les conduites les plus sévères telles que le mérycisme*, la lenteur extrême, le triage compulsif sont accompagnées par une infirmière et un diététicien. Ce temps privilégié permet de recréer dans la relation une fonction de maternage défaillante. Conceptualisé par D.W. Winnicott, il s’agit de retrouver dans les soins de base ou « handling » – ici le nourrissage – une expérience où les relations entre le corps et la psyché prennent sens (Lefèvre, 2011).
Des repas thérapeutiques ont lieu une fois par semaine. Les diététiciens les organisent de façon à redécouvrir la diversification alimentaire, le plaisir de cuisiner et de partager un repas complet, soit en petit groupe de trois ou quatre patients anorexiques, soit en famille. Ce temps en famille s’envisage au plus près de la sortie. Il est pensé dans une approche systémique : après avoir partagé le repas, les interactions sont discutées par la suite en entretien familial.

Du corps à l’espace : le temps de la psychomotricité III.1. Présence et représentations

Une psychomotricienne assure les soins depuis six ans dans l’établissement. Son temps de travail est partagé équitablement entre l’HDJ et l’hospitalisation. En revanche, aucune prise en charge en psychomotricité n’est proposée au service de consultation. De manière hebdomadaire, environ 20 patients hospitalisés et 30 patients à l’HDJ suivent un parcours de soins en psychomotricité. Les modalités de prise en charge sont uniquement individuelles en hospitalisation. A l’HDJ, elles sont principalement en groupe et en co-thérapie avec les infirmiers.
Parmi l’équipe de soin en hospitalisation, la psychomotricité est décrite comme « une pratique corporelle », la différenciant ainsi des prises en charge psychologiques ou des ateliers culturels. La place de la psychomotricité articule les échanges entre les corps de métier et les espaces thérapeutiques, identifiable à plusieurs niveaux :
• Lors de la réunion hebdomadaire des ateliers culturels, elle est la seule représentante des soins paramédicaux.
• Lors des transferts des patients entre l’hospitalisation et l’HDJ, elle peut valoriser une continuité de soin pour le patient et une fonction de communication entre les services.
• Lors d’échanges informels, elle est souvent consultée pour son expertise psychocorporelle et ses observations concernant les patients en relais entre les services.
• Lors de demandes ponctuelles formulées par les médecins, son avis consultatif vise à enrichir les projets de soin. Le bilan d’observation psychomotrice complète les hypothèses médicales.

Indication et prescription en hospitalisation

De manière générale, l’indication en psychomotricité a lieu lors des réunions cliniques hebdomadaires, qui réunissent praticiens hospitaliers, médecins, internes, soignants du paramédical, éducateurs spécialisés et personnels administratifs (cadre de santé, assistante sociale). Ce temps de réunion a pour objectifs de présenter les patients entrants et d’évaluer la prise en charge des patients hospitalisés.
La prescription est émise par les pédopsychiatres pour les patients présentant des traits d’anxiété, de dépression et des troubles du comportement, et pour les patients souffrant de troubles alimentaires. Les pédiatres prescrivent le soin en psychomotricité dans le cadre d’un bilan obésité ou d’une maladie chronique, si les patients présentent des comorbidités psychiatriques. La prescription concerne principalement :
• L’évaluation psychomotrice.
• La thérapie psychomotrice en vue de soutenir la verbalisation des vécus corporels.
• L’éducation et la stimulation psychomotrice en vue de soutenir l’intégration du schéma corporel, la construction de l’image de soi et l’estime de soi.
• L’apaisement des souffrances psychiques à manifestations corporelles.
Dans le cadre de la prise en charge des patients anorexiques sévères, les prescriptions sont émises par l’endocrinologue. Compte tenu d’un ratio défavorable entre le temps de travail en hospitalisation de la psychomotricienne et le nombre de patients admis, la prescription en psychomotricité s’adresse prioritairement aux patients présentant un TCA et ceux nécessitant des soins en phase aiguë. Les patients TCA sont alors surreprésentés dans les prises en charge individuelles. Leur indication concerne plus spécifiquement :
• La diminution de l’anxiété liée à l’alimentation, à la reprise pondérale, aux pensées obsédantes, ainsi qu’à la réduction de l’hyperactivité physique.
• L’accompagnement dans la compréhension du vécu corporel en transition.
• La reconnaissance des émotions et la mise en forme des affects dépressifs.
• Le réinvestissement d’un corps expressif.
• La valorisation des potentialités créatives, de l’estime de soi et de la confiance en soi.

La rencontre, un temps structuré

Le cadre de prise en charge des adolescents anorexiques sévères

La prise en charge en psychomotricité se déroule exclusivement en séance individuelle à raison d’une à deux séances par semaine. Si les conditions physiologiques du patient contre-indiquent les déplacements – ostéoporose avancée, troubles métaboliques sévères pouvant entraîner un arrêt cardiaque, hypotension orthostatique – les séances ont lieu en chambre. Hormis ces contre-indications, les séances se déroulent dans une salle partagée. Lumineuse, elle accueille dans ses murs blancs ponctués de tableaux réalisés par les adolescents, un grand bureau, une table de réunion et un espace libre d’une quinzaine de mètres carrés. L’espace rectangulaire borde l’angle extérieur du bâtiment. Deux grandes baies vitrées perpendiculaires offrent une perspective majestueuse sur la rue, le lycée de quartier et l’horizon. Elles permettent de pouvoir espionner le monde extérieur sans être vu en retour. Cette organisation architecturale pourrait susciter des ressentis paradoxaux. Elle peut refléter une transparence et un manque de limite, d’intimité ou un sentiment de vertige, de perte d’appuis ; ou simplement inviter le regard à se laisser vagabonder vers l’extérieur et se déconnecter. Il est nécessaire de jouer avec le niveau des stores pour recréer des frontières entre le dehors et le dedans et contenir la projection du regard.

Les temps de l’observation clinique

Présentation de Sandra

Sandra, âgée de 15 ans, est scolarisée en seconde. Elle vit avec ses deux parents et une sœur cadette de 11 ans. Soignée et longiligne, elle esquisse des sourires de convenance à son approche tentant de dissimuler une mine triste. Elle est toujours ponctuelle. Ses cheveux épais sont coiffés et lissés le long du visage. Elle porte un léger maquillage et des habits de type sportswear. Son legging noir lui moule à peine les cuisses et les fesses, ce qui laisse entrevoir une fonte musculaire impressionnante. Son pull à capuche noir lui offre une forme arrondie. Ses baskets immaculées, blanches, surprennent par leur taille : ses pieds paraissent immenses au bout de ses jambes filiformes. A son entrée, elle pèse 34 kg pour 1m64. Contrastant avec sa présentation soignée, elle dégage une légère odeur nauséabonde quand je la suis vers la salle de psychomotricité.

Contexte de la demande de soin

Sandra est hospitalisée à temps complet dans le cadre d’une anorexie mentale restrictive évoluant de manière sévère depuis août 2018. Elle est admise dans le cadre d’un « sauvetage nutritionnel » pour une durée fixe de six semaines, faisant suite à une précédente hospitalisation de quatre mois et demi. Entre les deux hospitalisations, Sandra a pu suivre le premier trimestre de seconde au lycée.
Elle est admise en hospitalisation en janvier car son état se détériore et les symptômes se majorent : perte de poids continue, asthénie, hyperactivité physique, labilité émotionnelle, conflits familiaux intenses, banalisation de la maigreur, rituels de pesage des aliments dès le réveil. La prise en charge doit être immédiate compte tenu d’un bilan somatique sévère pour l’âge : retard staturo-pondéral d’un an, ostéoporose avancée, arrêt pubertaire, syndrome de Raynaud*.
Cette nouvelle hospitalisation, croisant soins somatiques et psychiatriques, a pour but l’acceptation de la pose d’une sonde naso-gastrique afin de relancer la prise pondérale et la confiance dans le processus de soin. Cette étape de renutrition rapide est nécessaire pour initier un travail thérapeutique. Un contrat de soin a été discuté en amont stipulant une durée fixe d’hospitalisation, non extensible et non dépendante de la prise pondérale. Le poids cible idéal est fixé à 41 kg. Sandra insiste spécifiquement sur la non-divulgation de la prise pondérale auprès de ses parents et d’elle-même.

Anamnèse psychomotrice et antécédents médico-légaux

Sandra est une jeune fille assidue à l’école qui se satisfait d’excellents résultats scolaires. Elle est décrite par ses parents comme une enfant « facile », qui a suivi un développement psychomoteur sans entrave. Elle pratique la danse classique depuis son plus jeune âge. Sandra relate des cognitions anorexiques dès l’âge de 10 ans, qu’elle met en lien avec la danse. Se jugeant moins « forte » que les autres, elle commence par limiter ses apports caloriques et à augmenter l’activité physique. Après chaque repas, elle fait du sport. Entre la 6ème et la 5ème, elle affirme avoir du mal à accepter ses nouvelles formes prépubères, notamment sa poitrine qui est source de remarques dans la famille. La recrudescence des conduites de restriction alimentaire et d’hyperactivité physique augmentent entre la 5ème et la 4ème.
Sandra a déjà effectué un premier séjour hospitalier de 4 mois et demi dans un service pédiatrique. Un syndrome de renutrition inapproprié touchant le foie a été vécu comme un traumatisme. Depuis, Sandra refuse toute pose de sonde naso-gastrique. Elle s’engage alors à manger plus, ce qui lui permet de sortir de cette première hospitalisation en atteignant son poids cible. Suite à la rentrée de seconde, elle rechute en perdant 6 kg en quelques semaines.
A son entrée dans notre service, son IMC est de 12,65. Son état de dénutrition est sévère. Sandra semble bien s’entendre avec sa famille, malgré la recrudescence des conflits autour de l’alimentation à propos desquels les parents relatent leur impuissance. Le contexte familial est marqué par une exigence de performance scolaire. « Je suis déçue quand j’ai 18 », dit-elle en entretien médical. Un événement vient rompre cet équilibre déjà fragile : Sandra a subi une agression sexuelle l’été dernier. Une plainte a été déposée quelques semaines précédant l’hospitalisation actuelle. L’événement reste tabou voire récusé par le père.
Du fait de l’anxiété envahissante suscitée par la pose de la sonde naso-gastrique qu’elle refuse, un neuroleptique est mis en place. Il vise aussi à diminuer les cognitions dysmorphophobiques et le déni. Les effets secondaires possibles en début de traitement sont l’asthénie, la sécheresse buccale, les dyskinésies, la constipation, la somnolence. La psychomotricité, les ateliers culturels (arts plastiques, musique, radio, socio-esthétique) et les repas thérapeutiques sont également prescrits dès son entrée.

Atterrissage dans le service : premières observations cliniques

En croisant les regards pluridisciplinaires, la première semaine permet d’observer les capacités adaptatives de la patiente, sa compliance aux soins, son ajustement vis-à-vis de la séparation du milieu familial et son intégration à la vie quotidienne avec les autres adolescents. A son arrivée, trois autres patients anorexiques, deux filles et un garçon, sont accueillis parmi les 20 adolescents hospitalisés.
Dans le service, Sandra est décrite comme discrète et triste. Est suspectée une hyperactivité physique à la vue d’ecchymoses au niveau de la colonne thoracique, mais elle n’est jamais prise sur le vif. Sandra éprouve de grandes difficultés à suivre les conditions de son contrat : elle n’arrive pas à s’alimenter, elle ne termine pas ses plateaux repas et elle s’expose au froid en gardant la fenêtre ouverte toute la nuit. Le non-respect du contrat thérapeutique et l’engagement du risque vital contraint le médecin endocrinologue à revoir les conditions d’hospitalisation et impose une sonde naso-gastrique nocturne. Cette annonce tombe comme un couperet juste avant notre premier entretien.

Évolution de Sandra dans le processus thérapeutique

Appropriation de l’espace de soin

Alors que je vais la chercher pour notre troisième séance, elle joue au babyfoot avec une jeune femme. La sonde pend le long de son nez et virevolte quand elle se déplace. Ses cheveux sont attachés en couette haute. Elle m’accueille avec un sourire de convenance mais son regard semble s’illuminer, comme si je la sauvais de cette partie de babyfoot.
Arrivées dans la salle de psychomotricité, je lui demande comment elle se sent aujourd’hui dans son corps : « Ça va pas du tout, je me sens lourde, on ne m’a toujours pas enlevé cette sonde. ». Elle sent surtout son ventre gonflé et elle craint que le poids se répercute sur sa poitrine. Elle la pointe sans la nommer, ni la regarder. « Je veux partir, reprendre une vie normale ». J’entends qu’il est difficile d’accepter l’hospitalisation et les soins. Malgré une apparence « lisse », une grande souffrance transparait. Ses pensées sont dirigées principalement vers la sortie. Je lui propose d’essayer de porter son attention sur notre séance et sur la salle de psychomotricité pour tenter de se l’approprier.
Le thème de la séance est l’exploration de l’espace extracorporel. Le dispositif propose un éveil corporel et des déplacements autour du schème centre-périphérie pour explorer nos espaces personnels. Puis sont proposées des percussions à l’aide de nos poings oscillant entre nous-mêmes, la structure de la salle (murs, sol) et le matériel présent (chaises, tables). Des échanges rythmiques nous permettent d’entrer en relation depuis des espaces choisis, sécurisants. Pendant la séance, elle est volontaire et attentive à ce que je propose. Elle reproduit mes mouvements dans une imitation troublante. Parfois son attention se fixe sur un détail de la salle, puis elle se re-mobilise dans les déplacements. En utilisant des verbes d’action (aller vers, repousser, arrêter, éloigner, rapprocher), son espace personnel prend forme, il est étendu et à distance du mien. Pendant les percussions, elle frappe sur les murs en béton, mais elle y trouve peu d’écho, ce qui la déstabilise. Elle finit par trouver une chaise métallique, qui fait résonner la rangée des chaises autour. Je choisis de frapper sur le bord de la fenêtre à 2-3m d’elle environ. Nos espaces sont assez éloignés. Elle fait face à la fenêtre, dont le rideau n’est fermé qu’à moitié, son regard part au loin. L’échange de rythme est chaotique au départ, puis les rires, les surprises et les répétitions lui donnent le sourire. Son regard finit par se tourner vers le mien. Nous trouvons un rythme commun pour conclure cette séance.
« Je crois que je me sens bien ici. Je sens que je suis plus détendue au niveau du haut du corps ». Elle verbalise également que c’était difficile de toucher ses cuisses. Je lui demande si elle oserait exprimer ses difficultés pendant la séance. Elle répond non en hochant de la tête. Je l’encourage à s’affirmer en lui expliquant que l’objectif n’est pas de me faire plaisir, mais de l’aider à trouver du plaisir dans l’expérience corporelle. Elle repart avec un grand sourire.

Répéter, ressentir, repousser

Son visage est lumineux, la sonde a disparu pour notre quatrième séance. « On vient juste de m’enlever ma perf, je suis trop heureuse ! ». Elle dégage une énergie positive. Elle est rassurée que les médecins aient respecté leurs engagements et le protocole malgré la prise de poids encore insuffisante. Elle craint de ne pas pouvoir s’alimenter seule mais elle affirme : « Je veux m’en sortir ». Dans l’instant, j’entends qu’elle veut sortir. Je la félicite de ces cinq semaines de soin. Je lui rappelle les fortes émotions de colère, d’énervement qu’elle ressentait en début d’hospitalisation et qu’elle a pu traverser avec l’aide des soignants. « Je suis plus apaisée aujourd’hui mais je me mets beaucoup la pression pour l’école, va falloir rattraper le retard et je sens que je vais encore en prendre plus seulement avec la moitié des cours ». Je la sens à nouveau glisser vers des pensées projectives anxiogènes. Je reste à son écoute et je lui propose de revenir à l’émotion positive à son arrivée pour teinter notre séance. Le thème de la séance est de nouveau l’exploration de l’espace extra-corporel à travers un nouveau référentiel, allongé au sol. A partir de ses retours positifs sur les étirements, le dispositif comporte un éveil corporel basé sur des postures de yoga, faisant varier les allers-retours entre la verticalité, les passages au sol et l’observation des appuis/repousser. Des bâtons de bambou sont utilisés en fin de séance afin d’intégrer les sensations par un toucher médiatisé en position allongée.
Alors qu’elle ne connaît pas les postures, elle s’autonomise rapidement dans l’accompagnement du rythme respiratoire. Elle est à l’aise dans la posture de la montagne, qui sollicite la chaîne postéro-médiane9 et l’ancrage au sol dans les talons. Les passages ouverture/fermeture de colonne sont aussi de qualité, elle prend son temps. En revanche, l’amplitude des colonnes est limitée, surtout dans les postures dos rond/dos creux. Au sol, elle est capable de rester immobile pour observer les effets du relâchement. Elle a toujours besoin de m’observer et d’imiter mes mouvements même allongée au sol. J’étoffe mon guidage verbal avec du vocabulaire sensoriel et descriptif. Elle continue à m’imiter jusqu’au travail de repousser du sol, pendant lequel elle jette un regard à l’horloge.
Je lui propose de terminer la séance en choisissant son espace et sa posture idéale pour faire l’expérience du relâchement avec les percussions. Allongée, elle se place sur le dos, les yeux ouverts, face à moi. Je l’invite à ajuster sa posture et à porter attention à ses appuis. Elle me regarde et demande à se retourner sur le ventre en se confondant en excuses. « Bien sûr, super Sandra, je suis très contente que tu puisses affirmer tes choix, c’est très important ! Ton bien-être avant tout ! ». Elle se réinstalle sur le ventre et garde les yeux ouverts.
En fin de séance, elle est étonnée par ses ressentis lors du contact avec les bâtons de bambou : « Quand vous faisiez [les percussions] au niveau des talons, je ressentais les vibrations, dans tout le corps, jusqu’au haut de mon dos. Ça m’a fait du bien, je me sens détendue ».

Séance intégrative : vers une conscience de la tridimensionnalité

Toujours ponctuelle dans le hall, elle m’attend avec un grand sourire pour notre cinquième et dernière séance. Elle est particulièrement apprêtée, dans les tons rose et blanc nacré, détonnant de ses habituels vêtements noirs. Elle porte pour la première fois des bijoux. « C’est notre dernière séance aujourd’hui ! », s’exclame-t-elle toute excitée.
Pendant nos échanges, elle m’explique de pas savoir combien de kilos elle a pris, ni où les localiser sur son corps. « Je ne ressens pas de différence ». Elle pèse 39,8 kg, ce qui correspond à une prise de 5,8 kg en six semaines. Son visage se ferme à nouveau, je constate que ses lèvres sont gercées. D’autres plaies sont présentes au niveau des mains et des ongles, signifiant probablement des conduites de grattage pour évacuer le stress. Je reviens sur les séances précédentes en lui demandant si elle a une préférence pour la séance aujourd’hui. « J’ai tout aimé depuis le début ! ».
Nous revenons sur les sensations solides qui structurent le corps et qui offrent une direction dans l’espace, à l’aide d’auto-percussions et d’étirements dans les plans de l’espace. Nous retrouvons les bâtons pour un moment d’intégration des sensations en position assise. Le dispositif a pour but de soutenir le passage vers la sortie de manière sécurisante.
Cette dernière séance apparaît chargée émotionnellement malgré tous ses efforts pour éviter de parler de son corps et de donner son avis sur les séances. Elle « s’agrippe » à toutes mes propositions. L’imitation est pour le moment le seul moyen d’accéder à l’expérience corporelle. Compte tenu d’un langage corporel figé, je veille à m’assurer qu’elle se sente toujours à l’aise. Au milieu de la séance, une plaie sur son pouce se met à saigner. Nous faisons une pause pour la nettoyer. J’essaie de faire du lien avec les sensations et les émotions dans cette situation mais elle met à distance ses réponses. Puis, dans une dernière tentative d’exploration des sensations avec les percussions, un immense rayon de soleil vient accompagner le moment. Je m’accroche verbalement à cette sensation de chaleur pour essayer d’ancrer le moment présent. Je passe à des lissages avec les bâtons et je suggère de potentielles sensations de relâchement, calme, sérénité dans certaines zones du corps. Alors qu’elle a les yeux fermés, elle lance un subtile et léger « Wahou ! » d’étonnement. A mesure que les rayons s’intensifient, elle semble pouvoir se connecter à cette sensation provenant de l’extérieur. Un nuage passe, assombrit la pièce, la séance se termine.
Elle verbalise en fin de séance avoir été étonnée d’avoir ressenti l’avant de son corps, faisant face aux rayons du soleil, pendant les percussions dans le dos. Elle conclut notre dernière séance : « J’ai beaucoup aimé venir ici, je me sens bien dans cet espace, j’aime bien cette salle. Ça va me manquer. ».

Redevenir une adolescente « normale »

Quand nous sortons de notre dernière séance, Sandra marque un temps d’arrêt face à l’immense baie vitrée donnant sur une rue bondée et surtout sur un lycée, où des jeunes sont rassemblés en groupe pour danser, écouter de la musique, fumer, rire. « J’ai tellement hâte d’être dehors ! ». Je m’appuie sur cet échange pour valoriser à nouveau son engagement et son courage dans les soins. Je lui rappelle que toutes les expériences qui l’ont nourrie pendant ces six semaines d’hospitalisation lui seront bénéfiques à l’extérieur et qu’elle pourra toujours se remémorer cette expérience comme un succès. « Oh oui, car je ne veux plus jamais être hospitalisée, c’est la deuxième et dernière fois ! ».
La poursuite des soins a été prévue au sein d’un HDJ et auprès d’une psychomotricienne en libéral. Un projet de scolarité aménagée a été mis en place, sans notes ni devoirs afin de limiter l’anxiété de performance.
Bien que le poids idéal de sortie n’ait pas pu être atteint à un kilo près, cette hospitalisation courte aura eu pour résultat principal l’acceptation des soins. Sandra, à partir de cette première expérience réussie, peut s’inscrire dans une nouvelle dynamique avec le sentiment d’avoir pris conscience de sa « normalité » en psychomotricité – témoignage qu’elle partage lors de son dernier entretien médical. Cette déclaration résonne au cœur des enjeux adolescents, où s’entremêlent le besoin de s’identifier aux pairs et la nécessité de se construire une personnalité singulière. Peut-être que les bases d’une nouvelle dynamique ont pu s’édifier lors de cette hospitalisation. Alors que l’anorexie mentale a extrait Sandra du processus développemental qui la dirigeait vers l’âge adulte, quelles étapes de l’adolescence doit-elle traverser ? Comment notre travail en psychomotricité pourrait la réengager dans cette voie ?
Dans cette deuxième partie, nous nous appuierons sur un modèle développemental de compréhension des enjeux physiques et psychiques liés à l’adolescence. D’autres modèles auraient pu nous intéresser, néanmoins ce choix théorique permet de resituer l’adolescence comme une étape du développement psychomoteur. Nous pourrons ainsi offrir une lecture bio-psycho-sociale de l’adolescence à partir de laquelle nous mettrons en évidence l’impact brutal de l’anorexie mentale sur ce continuum. Nous mettrons en perspective ces recherches en discutant les axes thérapeutiques dégagés en psychomotricité pour Sandra.

La traversée de l’adolescence : un processus développemental

Selon l’historien français P. Ariès, l’adolescence est un concept moderne datant de la fin du XIXème, mettant en lumière une période de la vie humaine comprise entre l’enfance et l’âge adulte (Gros, 2010). Sa définition varie selon les champs d’application. L’OMS la définit comme une période développementale allant de 10 à 19 ans. Le médecin et psychologue H. Wallon la décrit comme une étape mouvementée durant laquelle les exigences de la personnalité passent au premier plan. Il part du postulat que l’enfant subit des métamorphoses, parfois conflictuelles, qui entrainent une amplification de son être (Wallon, 1941). Ce point de vue entre en résonance avec l’étymologie latine du mot adolescent, adolescere pour grandir. L’adolescence est un continuum par lequel l’être psychomoteur tend vers un but unique, la maturation. Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux doivent être considérés dans une dimension évolutive et globale du processus adolescent.

Crise pubertaire

Dans le langage courant, le concept de crise est connoté négativement, alors qu’étymologiquement il provient du grec krisis pour décision, ce qui laisse sous-entendre le changement, la transition. Pour H. Wallon (1941), la crise pubertaire marque une rupture dans le développement psychique, où les intrications entre les stades ultérieurs sont complexes. Ce déséquilibre entraîne un mouvement de retour vers soi : le sentiment de changement est ressenti depuis l’intérieur tandis que les transformations corporelles liées à la maturité sexuelle se perçoivent de l’extérieur. Nous pouvons analyser ci-après ces transformations au niveau des modifications physiques et instinctuelles, et au niveau du remaniement psychique.

Rupture de l’homéostasie et contrôle du corps

La sémiologie psychiatrique révèle une volonté intense de maîtrise du corps par le biais d’un contrôle excessif du poids, qui se déroule en deux temps.
En phase initiale, les stratégies de perte de poids sont progressives. Les calories et les quantités sont réduites et des pratiques restrictives apparaissent, telles que le tri alimentaire et les régimes pauvres en sucre et gras. En phase d’état, les conduites alimentaires sont marquées par des rituels et des activités restreintes, comparables à des conduites addictives et variables en fonction des adolescents. Chez Sandra, on observe des signes d’hyperactivité physique, d’exposition au froid et la lenteur des repas. Chez d’autres des conduites purgatives (vomissement, prise de laxatif ou diurétique, lavements) et de potomanie (consommation excessive d’eau) peuvent s’observer.
Rapidement, la perte de poids est aussi banalisée et elle est associée à un sentiment d’euphorie, de réassurance et d’absence de fatigue. S’instaure alors un cercle vicieux : moins l’adolescent mange, moins les stimulations somato-viscérales sont activées, plus rapidement il se sent rassasié et plus il perd du poids. Les conduites restrictives pourraient être renforcées et maintenues par une dérégulation des signaux envoyés à l’hypothalamus, centre intégrateur de la satiété et de la faim. Il est influencé par des hormones en provenance :
• De l’estomac: le peptide YY communique des informations liées à la satiété. La ghréline est un signal de la faim.
• Du foie et des cellules lipidiques : respectivement insuline et leptine indiquent la disponibilité en énergie sous forme de glucose ou de lipide dans le corps.
Chez les patients anorexiques, les dysfonctionnements de la ghréline et de la leptine exacerbent la sensation de satiété lors de la prise alimentaire (Culbert et al., 2016). Les effets de récompense du circuit dopaminergique étant également restreints, la reprise alimentaire se complique davantage (Doyen & Criquillion-Doublet, 2016). Nous pouvons penser aussi que la sensation de faim en provenance des viscères prédomine sur toutes les autres sensations corporelles, d’où une nécessité constante de la maitriser. Aussi, chez Sandra, les éprouvés au niveau du ventre sont également caractéristiques d’une remise en route du système digestif, dont les sensations prévalent sur d’autres sensations comme la douleur ou la fatigue.
La perte de poids entraîne l’effacement des aspects sexués du corps et stoppe la croissance. L’anorexie mentale met ainsi à l’arrêt le processus pubertaire et maturatif, qui requiert une énergie métabolique et psychique colossale démontrée précédemment 11 . Nous pouvons penser que chez Sandra, le contrôle du poids est envisagé comme une solution face à la poussée pubertaire. Cette solution s’avère non transitoire car elle engage des troubles somatiques qui accélèrent le vieillissement du corps et augmentent les risques vitaux tels que l’ostéoporose*, l’amyotrophie*, les troubles du rythme cardiaque, l’hypotension*. L’image du corps est aussi attaquée avec l’apparition de troubles trophiques (altération des ongles et cheveux, hypertrichose*, lanugo*, acrocyanose*), l’hypertrophie des glandes salivaires et la détérioration des dents.

Remaniement de la vie psychique et entraves cognitives

Dans son enveloppe externe, le contrôle du corps est soumis au regard de l’autre. Il est également fortement impulsé par des dysfonctionnements internes, physiologiques, cognitifs et psychiques. De manière synchrone, le comportement alimentaire se rigidifie tout comme l’activité psychique et cognitive. Le désir de maigrir occupe une grande place dans les pensées. Le déni est massif quant aux besoins physiologiques, à la reconnaissance de la maigreur et à la gravité de l’état de santé. L’hyperactivité intellectuelle ou physique, présente dans la majorité des cas, pourrait faire office de barrière aux pensées obsédantes. En focalisant l’attention sur une activité, un soulagement cognitif pourrait être retrouvé momentanément. Il s’avère par ailleurs que l’hyperactivité intellectuelle est principalement fondée sur une accumulation de savoirs à restituer au détriment d’activités créatives (Chaulet et al., 2018). En revanche, comme dans le cas de Sandra, les performances scolaires, le fonctionnement social et les capacités de communication verbale sont relativement peu altérés en phase d’état. Les patients anorexiques peuvent donner l’impression que leurs capacités intellectuelles sont préservées, voire supérieures à la moyenne. Or, que ce soit en phase aiguë ou lorsque le poids normal est retrouvé, le quotient intellectuel reste dans la moyenne (Martinez et al., 2014).
Nous pouvons émettre alors l’hypothèse que cette réussite scolaire bénéficie d’un réajustement énergétique : le peu de ressources énergétiques disponibles seraient mobilisées intellectuellement pour lutter contre l’asthénie physique et émotionnelle.
La mise à distance émotionnelle est un trait caractéristique de la personnalité, comme la tendance au perfectionnisme et la rationalisation des conduites obsessionnelles.
La reconnaissance des émotions et à la verbalisation des états émotionnels sont accessibles, néanmoins un défaut d’empathie ou d’intersubjectivité est notable (Martinez et al., 2014). L’adolescent anorexique est moins susceptible de considérer les états mentaux de son interlocuteur. S. Tisseron hiérarchise « l’empathie extimisante » au sommet des capacités empathiques, consistant « à reconnaître à l’autre la possibilité de m’éclairer sur des aspects de moi-même que j’ignore et de se laisser transformer par cette découverte » (Tisseron, 2013, p.164). Ainsi, l’écoute subjective des éprouvés émotionnels et les représentations qui en découlent sont peu accessibles dans la relation, d’où chez Sandra cette incapacité à extraire les signes de la communication non-verbale pour s’ajuster posturalement dans l’interaction. Par ailleurs, une étude récente montre une activation excessive des régions préfrontales lors de la passation de tests cognitifs chez les sujets anorexiques, ce qui souligne une forte capacité à la maîtrise de soi (Kaye et al., 2013).
Compte tenu de ces barrières cognitive et émotionnelle, nous pouvons penser que la stabilité de la vie psychique est fortement entravée. Le pédopsychiatre, P. Jeammet (2016) observe une forme de dépendance psychique liée à la puissance du contrôle de la faim et à l’intensité du plaisir que cela procure. Il décrit également une double contrainte : celle de l’attrait vers la sensation agréable et celle de l’anéantissement d’un sentiment d’inconfort lié à une tension interne. Croisée à l’excitation éprouvée dans la perspective d’un apaisement par la restriction alimentaire ou l’hyperactivité physique, une dépendance psychique émerge chez Sandra parallèlement à une dépendance comportementale.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

PARTIE 1 : ANCRAGE DE L’OBSERVATION CLINIQUE 
I. Un espace-temps dédié aux problématiques adolescentes 
I.1. Fondations pluridisciplinaires du cadre institutionnel
I.2. Piliers humains
I.3. Population accueillie
II. Un espace-temps dédié à l’anorexie mentale sévère 
II.1. Spécificités des soins en hospitalisation
II.2. Modalités d’admission pour « sauvetage nutritionnel »
II.3. Objectifs thérapeutiques
II.4. Matérialisation de l’alliance thérapeutique
II.4.1. Le consentement et la gestion de la séparation
II.4.2. Le contrat de soin
II.4.3. L’accompagnement lors des repas
III. Du corps à l’espace : le temps de la psychomotricité 
III.1. Présence et représentations
III.2. Indication et prescription en hospitalisation
III.3. La rencontre, un temps structuré
III.3.1. Le cadre de prise en charge des adolescents anorexiques sévères
III.3.2. Édification des bases de la relation thérapeutique
IV. Les temps de l’observation clinique 
IV.1. Présentation de Sandra
IV.2. Contexte de la demande de soin
IV.3. Anamnèse psychomotrice et antécédents médico-légaux
IV.4. Atterrissage dans le service : premières observations cliniques
IV.5. Présentation des observations cliniques
IV.5.1. Première rencontre avec Sandra
IV.5.2. Évaluation psychomotrice
IV.5.3. Mise en forme du bilan psychomoteur
IV.6. Évolution de Sandra dans le processus thérapeutique
IV.6.1. Appropriation de l’espace de soin
IV.6.2. Répéter, ressentir, repousser
IV.6.3. Séance intégrative : vers une conscience de la tridimensionnalité
IV.6.4. Redevenir une adolescente « normale » 
PARTIE 2 : TEMPORALITE EN SUSPENSION, CORPS EN TRANSITION 
I. La traversée de l’adolescence : un processus développemental 
I.1. Crise pubertaire
I.2. Remaniement identitaire
I.3. Conscience de soi
II. Arrêt du processus par l’anorexie mentale 
II.1. Définition de l’anorexie mentale
II.2. Rupture de l’homéostasie et contrôle du corps
II.3. Remaniement de la vie psychique et entraves cognitives
II.4. Déséquilibres relationnels
II.5. Conscience de soi et représentations corporelles perturbées
III. Recherche de perspectives : hypothèses théorico-cliniques 
III.1. Déficit de régulation tonique
III.1.1. Définition du tonus
III.1.2. Physiologie de la régulation tonique
III.1.3. La notion de polarité tonique
III.2. Déficit d’intégration du schéma corporel
III.2.1. Définition du schéma corporel
III.2.2. Unité corporelle et articulation anatomique
III.2.3. Diversité des formes corporelles et expressivité
III.3. Proposition d’axes thérapeutiques
PARTIE 3 : ACCORDAGE RELATIONNEL, REBOND PSYCHOCORPOREL 
I. Juste présence à soi, juste distance à l’autre 
I.1. De l’espace externe
I.2. A l’espace interne
I.3. Des aller-retours pour habiter son corps
II. Nourrissage sensoriel de l’unité corporelle 
II.1. Stimulation des sens proprioceptif et kinesthésique
II.2. Réinscription du schéma corporel
II.3. Limites à l’intégration du schéma corporel
III. Prémices d’une reconnexion aux affects
III.1. Passage par la matière structurante du corps
III.2. Nuance tonique et relance psychomotrice
III.3. S’affirmer dans la relation
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *