LA NOTION D’AUTORITÉ

LA NOTION D’AUTORITÉ

Olivier Houdé insiste sur la nécessité de réviser ses croyances pour accéder à une connaissance nouvelle. Il théorise l’idée qu’ « apprendre, c’est (aussi) inhiber » et définit le fait d’inhiber comme la capacité à « savoir dire “non !” à ses propres croyances ». C’est ma conception erronée de l’autorité que j’ai dû tout d’abord inhiber afin de pouvoir porter un autre  regard sur la notion. Ce sont mes lectures, motivées par mes échecs en classe, qui m’ont amenée à reconstruire l’idée que je me faisais de l’autorité.

L’autorité de l’enseignant : « pouvoir » ou « qualité » ?

L’autorité de l’enseignant, selon le dictionnaire Le Robert, relève du « pouvoir de se faire obéir » : « Ce professeur n’a aucune autorité sur ses élèves ». Pour Le Petit Larousse, l’autorité est surtout une « qualité par laquelle quelqu’un se fait obéir ». Entre « pouvoir » et « qualité », comment se représenter l’autorité du maître ? La notion de « pouvoir » renvoie à la fois à l’idée « d’avoir le droit de » et à celle « d’être capable de ». Le statut du professeur des écoles rend son autorité légitime, lui confère un droit, sans toutefois lui garantir la capacité d’exercer son autorité. « Être capable de » c’est « avoir de l’habileté, de la compétence » et cette compétence semble être un prérequis du « Référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » où le terme « autorité » n’est jamais cité. En effet, nombre des compétences décrites sous-entendent une autorité installée, comme le maintien d’« un climat propice à l’apprentissage » où la référence, bien qu’implicite, soit claire. Il serait ainsi facile d’en déduire que l’autorité n’est finalement qu’une qualité, une condition nécessaire préalable à l’exercice de ce métier. Il semble alors étonnant qu’à aucun moment le Concours de Recrutement de Professeurs des Écoles (désormais CRPE) n’évalue cette qualité première. Mais Franck Léonard réfute l’idée que l’autorité du professeur soit « une condition préalable à toute action pédagogique » . Il s’agit au contraire pour lui d’une compétence qui se construit, d’où la « possibilité d’une formation professionnelle destinée à la construction et à l’exercice de l’autorité à l’école » . Il considère pour cette raison que l’autorité « n’est pas un préalable aux tâches d’enseignement-apprentissage, elle en est plutôt l’aboutissement ». Si l’autorité est une compétence qui s’acquiert dans l’exercice de son métier, elle devrait aussi, selon l’auteur, être abordée en formation initiale, au même titre que les autres compétences professionnelles afin d’éviter aux enseignants débutants d’être « réduits à subir des situations qui adviennent au long des journées de travail, à apporter des réponses dans l’urgence ».
Du jour au lendemain, je suis ainsi promue Professeur des Écoles Stagiaire (désormais PES) dans une classe de CM2 en REP+, à devoir jongler entre la didactique et la pédagogie, sans avoir pu à aucun moment juger de « mes capacités à me faire obéir ». Il est vrai qu’en deux jours j’étais fixée : on ne m’écoutait pas et on m’écouterait de moins en moins au fur et à mesure des jours.

L’autorité de l’enseignant : vers quatre types d’autorité

Attendant avec impatience les cours de « Gestion de classe » de l’ESPE, je me suis replongée dans mes manuels de préparation au CRPE afin de glaner dans l’urgence des informations jusque-là négligées.
Ces ouvrages recensent quatre types d’autorité : l’autorité statuaire, l’autorité du savoir, l’autorité de l’arbitre et l’autorité personnelle. Mon autorité personnelle ayant dès les premiers jours été durement remise en cause, je me suis alors penchée sur les autres composantes de l’autorité. L’autorité statuaire découle de mon statut : l’élève me respecte en tant que représentant de l’État. Mais mon statut de PES est ambigu car, si je suis officiellement fonctionnaire d’État, je ne suis que stagiaire (ce qu’ignorent mes élèves et leurs parents) et suis en droit de douter de ma légitimité. J’ai réussi un concours mais n’ai reçu aucune formation et toute mon expérience se résume à trois jours d’observation dans une classe tenue par un professeur expérimenté. Pour me considérer comme légitime à mon poste, je dois faire appel au respect que j’ai moi-même de l’autorité de l’État qui m’a permis de devenir PES.
L’autorité du savoir naît du besoin qu’ont les élèves des connaissances de leur professeur : une relation de supériorité en faveur du maître s’instaure. Mais lorsque l’on apprend la veille de la rentrée le niveau de sa classe, on a beau avoir les connaissances requises, encore faut-il les organiser et savoir les transmettre. N’ayant aucun manuel en classe pour m’aider à démarrer, n’ayant encore reçu aucune formation (je n’ai pas suivi les cours de Master 1), j’ai conscience d’avoir préparé beaucoup de travail inutile afin d’occuper le temps de classe. Certains enfants n’ont pas été dupes et cette incompétence, qui a certainement joué en ma défaveur, ne m’a pas aidée à poser mon autorité.
J’aurai sûrement fait un très mauvais arbitre car, en comptant sur mon bon sens pour faire respecter les règles et les lois, je me suis trouvée totalement dépassée. Je ne connaissais tout simplement pas les règles que je voulais faire respecter. À mon époque, on ne se levait pas en classe pour aller chercher un mouchoir ou jeter un papier, on ne prenait pas un livre quand on avait terminé son travail. Et je réprimandais les élèves pour “rien”.
Ils connaissaient les règles de la classe beaucoup mieux que moi. Quel discrédit porté à mon compte ! Je regrettais de ne pas m’être mieux renseignée auprès de la titulaire et, pour une raison que je ne m’explique toujours pas, j’ai énormément tardé avant de le faire.
Le bilan était plutôt négatif, quel que soit le type d’autorité considéré. Mais les cours de « Gestion de classe » tant attendus allaient débuter et j’allais recevoir de l’aide concrète.

Dépasser une représentation initiale de l’autorité

Le groupe que nous formions en « Gestion de classe » était composé de professeurs du premier et du second degré aux préoccupations fort différentes. Après un remue-méninge autour de la notion de « climat de classe » et des leviers qui permettent d’agir sur ce climat, des réflexions thématiques se sont engagées par petits groupes. Des pistes furent ainsi dégagées à partir des expériences de chacun et l’étude de cas concrets. Mais la mise en commun n’a débouché sur aucune formalisation. J’avoue avoir été un peu déçue car, hormis une liste de mesures hétéroclites, seule l’idée qu’il faille persévérer dans ses actions et être patiente s’imposait. Les auteurs de Professeur des écoles débutants. La classe mode d’emploi mettent d’ailleurs en garde leurs lecteurs contre le découragement : « l’exercice de l’autorité est usant et demande une grande patience. Les résultats ne sont pas immédiats » . Je n’arrivais toujours pas à avoir une vision globale et organisée des moyens à mettre en œuvre mais un ensemble de « trucs » qui pouvaient fonctionner. Je cherchais des principes généraux qui m’auraient guidés, mais à l’issue de ce cours, toutes les pistes restaient à creuser et à expérimenter.
Je me suis replongée dans mes lectures afin de tenter d’organiser moi-même la conduite à adopter pour poser mon autorité en classe. Une petite phrase avait retenu mon attention lors de la préparation au concours : « Un maître qui a de l’autorité punit rarement ». Cette affirmation m’a énormément nuit car elle a associé dans mon esprit l’usage de la sanction à l’idée d’échec. Elle m’a empêchée d’entendre mes collègues qui me conseillaient de ne rien laisser passer, de sanctionner immédiatement et ce jusqu’à la fin de la première période. Pour moi, il ne fallait au contraire user de la sanction qu’en extrême recours. J’avais, avant de me déterminer à agir, à inhiber cette fausse croyance et il me faudra beaucoup de lectures et de témoignages avant d’y arriver.
Mon a priori négatif face à la sanction m’a rendue dans un premier temps imperméable aux conseils les plus élémentaires. Mais heureusement, une phrase de JeanClaude Richoz m’a interpelée car elle remettait formellement en cause tous mes préjugés. Il soutient que les enseignants « doivent se persuader que la sanction n’est pas un échec, mais la condition indispensable non seulement pour restaurer un cadre de travail acceptable pour tous, mais aussi pour apprendre aux élèves à être responsables de leurs actes » . Si la sanction devient ainsi une nécessité, elle est surtout indissociable de l’autorité.

Des règles et des sanctions pour asseoir mon autorité

J’en concluais qu’il me fallait mettre rapidement au point un système de règles et de sanctions, afin d’instaurer un climat de classe propice au travail. Jean-Claude Richoz affirme que « pour réussir à changer les choses dans les situations d’enseignement difficiles, il est nécessaire de commencer par reposer un cadre en explicitant les règles de fonctionnement et en les faisant respecter » . Je devais de manière urgente travailler sur ces deux axes étroitement liés : être claire sur les règles de vie et être intransigeante quant à leur respect, la mise en place de sanctions me permettant d’enrayer les transgressions. Il me fallait dans un premier temps définir les règles de vie de la classe puis mettre en place un système de sanctions associé à ces règles.
Pour Jean-Claude Richoz, les règles en classe ont quatre fonctions. La première est « de permettre à une activité d’exister et de se dérouler dans des conditions satisfaisantes, […] de permettre aux enseignants d’accomplir leur travail […] et à l’école d’assumer sa tâche d’instruction et d’éducation ». Cette fonction renvoie directement à la capacité de créer un « climat propice à l’apprentissage » du Référentiel de compétences. La deuxième fonction est de garantir la sécurité des élèves car « tout élève a besoin de se sentir en sécurité pour pouvoir apprendre. Il doit avoir la certitude qu’on ne peut pas faire n’importe quoi dans la classe et que l’enseignant est vraiment le garant de ce qui s’y passe » . Il s’agit ici d’un besoin légitime inhérent à toute vie en société : la classe n’est pas un lieu de non droit. Les troisième et quatrième fonctions des règles amènent à considérer la classe comme un modèle structurant et socialisant « par la confrontation avec des adultes qui se positionnent clairement, donnent des repères, posent des limites et sanctionnent » . Les règles prennent ainsi une dimension éducative et pour cette raison les sanctions doivent aussi avoir un rôle pédagogique.
J’avoue que mon principal objectif était de rétablir le calme et si j’avais en tête toutes les vertus des règles, que la sanction soit elle aussi éducative était pour le moment secondaire. Je devais agir dans l’urgence et tout était à mettre en place. Je ne m’attachais tout d’abord au caractère éducatif de la sanction que de manière théorique car c’était une notion que je devais parfaitement intégrer si je voulais la faire vivre dans ma classe. En premier lieu, je décidais de mettre en place une série de sanctions graduées choisies en conformité avec ce qui se pratiquait dans l’école et connues des enfants. Je souhaitais ainsi surtout rétablir le silence pour pouvoir travailler : la fonction n°1 des règles était mon objectif premier.

Premières difficultés, premières sanctions

Ma première mesure disciplinaire fut d’utiliser le carnet de correspondance : les enfants perturbateurs devaient sortir leur carnet et le poser sur leur table (premier avertissement), puis le poser sur mon bureau (deuxième avertissement), la sanction consistant, en cas de récidive, à mettre un mot dans le carnet. J’avoue avoir mal géré dès le début ce système qui demandait d’être vigilante quant au déplacement des carnets. Certains enfants ne les sortaient pas, ne les trouvaient pas, ce qui m’obligeait à interrompre la classe pour fouiller dans les cartables, le reste du groupe profitant de ces moments pour bavarder ou chahuter en toute impunité. C’est pourquoi j’ai mis en place un cahier de comportement avec un système de croix : au bout de trois croix un mot à signer était noté dans le carnet de correspondance. J’avais préparé à l’avance des billets de bavardage afin de les compléter et de les coller rapidement. Ce système avait un inconvénient majeur : les enfants oubliaient le nombre de croix qui leur était crédité et se renseignaient régulièrement sur la quantité de croix à leur actif. Cela perturbait la classe et limitait le rôle dissuasif du procédé. Pourquoi n’ai-je pas alors pensé à utiliser le tableau afin qu’ils aient un repère visuel ?
Deux facteurs ont fortement entravé cette première tentative : j’avais d’un côté du mal à assimiler tous les prénoms des enfants et n’étais ainsi pas suffisamment réactive lorsqu’il s’agissait de reprendre un élève, ceci étant accentué par le fait que je confondais beaucoup de visages (il y avait au moins quatre duos d’enfants qui me posaient problème en raison de leurs ressemblances physiques, mais aussi deux prénoms « Sandy » et « Flavy » que je mélangeais régulièrement). Et d’un autre côté, j’avais aussi beaucoup de mal à sanctionner, je manquais de fermeté, me laissant attendrir par des promesses ou des pleurs ; de plus sanctionner n’était pas un réflexe et je réagissais la plupart du temps aux perturbations en criant ou grondant, en arrivant même à oublier l’existence de mon cahier de comportement, au point que certains élèves me réclamaient des croix!
Mais je pense que ma principale erreur fut de ne jamais avoir été claire sur les règles de vie en classe. Comme je l’ai déjà souligné, j’avais omis de faire le point avec mes collègues sur ce qui était permis ou non en classe afin de savoir précisément ce qui devait ou non être sanctionné. Les règles étant de ce fait implicites pour les élèves, mon système de croix revêtait finalement un caractère aléatoire. Bernard Rey souligne que « ce qui importe, ce n’est pas que la sanction engendre un désagrément pour le fautif ; […] ce qui importe c’est qu’elle dise que la règle a été bafouée » . J’avais choisi d’emblée la sanction optimale, le mot à faire signer par les parents, afin de dissuader les élèves de perturber la classe, mais je n’avais pas clairement posé les règles à respecter. Les enfants sanctionnés devaient finalement établir un lien de cause à effet qui n’était pas toujours évident. Si en général les bavardages étaient perçus, à juste titre, comme interdits, certaines prises de paroles avaient un caractère ambigu. En effet, donner la bonne réponse sans lever la main ou lorsqu’un autre camarade était interrogé posait problème car l’enfant, tout en ayant le sentiment de participer activement, gênait le fonctionnement de la classe. De la même manière, distinguer un déplacement autorisé d’un déplacement qui ne l’était pas relevait d’un point de vue personnel : aller chercher un mouchoir, jeter un papier, prendre un dictionnaire ou emprunter un outil à un camarade permettait aussi de déambuler dans la classe, de s’attarder à la table de l’un ou de l’autre, de faire passer un mot, de créer finalement du désordre. La classe profitait du manque de règles clairement établies pour flirter à la frontière de l’interdit, ayant toujours une bonne raison pour se justifier.

Vers un système de règles et de sanctions opérationnel

Les premières vacances et mes lectures m’ont permis de prendre le recul nécessaire pour mettre en place un véritable système de règles et de sanctions. Nous étions en début de deuxième période et le climat de classe n’était toujours pas favorable au travail.
Néanmoins, les élèves affirmaient une réelle volonté de travailler et étaient nombreux à déplorer l’ambiance de la classe. Mais ce n’étaient que des enfants qui savaient profiter au maximum de la liberté que je leur laissais et les premiers à se plaindre n’étaient pas les derniers à s’amuser.
Après avoir fait avec la classe le bilan de la période écoulée, nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’il fallait mettre en place des règles de vie. Ne souhaitant pas une liste interminable d’interdits difficile à gérer, j’ai proposé cinq règles essentielles, qui pourraient être complétées au besoin , et qui ont été soumises à l’approbation de tous. Je souhaitais que ces règles soient simples et suffisamment générales pour englober de nombreuses situations. Elles correspondaient aux principales difficultés rencontrées en classe. Je m’étais auparavant renseignée auprès de la titulaire de la classe et j’étais donc alors parfaitement au clair sur ce qui était permis ou non. Ainsi les enfants ont voté « oui » pour : « – je lève la main pour demander la parole et j’écoute quand les autres parlent ; -je ne me déplace pas sans autorisation ; – je ne gêne pas la classe par du bruit ou des bavardages ; – je respecte mon matériel et celui des autres ; – je ne bouscule pas dans les escaliers ou en entrant en classe ». Ces règles furent affichées en bonne place et devinrent la référence : une croix était impartie pour chaque règle enfreinte.
Mais il a été rapidement évident que connaître les règles ne suffisait pas, bien qu’elles soient en permanence visibles. Mon système de croix n’était pas dissuasif, comme je l’ai déjà souligné. Le répertoire de mes sanctions était aussi trop limité, le risque encouru étant toujours le même, un mot à signer dans le carnet. Je devais penser à graduer mes sanctions et à créer du lien entre la sanction et la règle bafouée. Je n’ai pas souhaité faire appel aux enfants pour déterminer les sanctions et me suis renseignée sur les pratiques dans l’école. Ainsi un système de sanction progressive a été mis en place dans la continuité des habitudes de classe : lignes, règles de vie à recopier (l’enfant identifie la ou les règles non respectées) avec ou sans signature des parents, réflexion par écrit sur son comportement (un billet à compléter) accompagnée ou non de la signature des parents, une exclusion, dans une autre classe ou chez la directrice, restant possible lorsque la présence de l’enfant continuait à perturber la classe. La signature de la directrice pouvait aussi être exigée lorsque certains parents étaient connus pour leur laxisme.

Des sanctions méritées mais pas toujours dissuasives

Il ne faut pas être un observateur particulièrement avisé pour constater que les enfants se débarrassaient de leurs “punitions” en les bâclant. Elles étaient le plus souvent expédiées en quelques minutes en cachette sur le temps travail en classe. Une simple phrase à recopier regorgeait d’erreurs, l’écriture était parfois illisible et les réflexions sur les petits bulletins à compléter étaient d’une pauvreté inquiétante pour le sens que je voulais donner à la sanction. J’avais tenté ainsi de donner une valeur éducative à la sanction mais, lorsque j’ai entendu une élève rigoler en demandant à sa camarade dans le rouge si elle avait eu un petit bon à remplir, j’ai réalisé que cette dimension échappait totalement à la classe. Un parent ayant même signé un de ces bons où leur fille Anissa avait écrit “parler” pour expliquer ce qui s’était passé et “pas parler” pour annoncer son comportement futur, j’ai décidé de ne plus utiliser mes “petits papiers”. J’ai demandé à Anissa, devant toute la classe, comment elle comptait pouvoir dorénavant travailler et participer sans “parler”. J’ai expliqué que ces bons étaient destinés à les faire réfléchir sur leur comportement afin de leur permettre d’évoluer mais que visiblement ils produisaient l’effet inverse puisque certains devenaient incapables d’écrire une phrase correcte et en arrivaient à des aberrations. Comment Anissa allait-elle pouvoir répondre sans parler lorsqu’elle serait interrogée ? J’ai annoncé que les enfants auraient, à compter d’aujourd’hui, leur sanction seulement le lendemain, qu’elle serait adaptée à chaque cas, ce qui me laissait le temps de la réflexion et était légèrement inquiétant. Cela me permettait aussi de m’adapter aux situations inhabituelles et de ne pas sanctionner sous le coup de l’émotion. Avec le recul, je pense que j’aurai dû refuser les bons bâclés et demander aux enfants concernés de les remplir à nouveau. Je n’y ai pas pensé mais je les ai finalement réintroduits ponctuellement, sous une forme déguisée, comme l’illustre l’exemple de Nora.

Les premières relations duelles

Nora était une excellente élève mais dont la curiosité frisait parfois l’indiscrétion. Il n’était pas rare de la voir en classe s’approcher de mon bureau et jeter un coup d’œil dans mes affaires. Bien élevée, elle répondait systématiquement « oui, maîtresse » à toutes mes remontrances. Toujours discrète, il lui arrivait parfois de s’amuser en classe avec des objets qu’elle ramenait. Un jour, alors qu’elle jouait avec des cartes, je lui ai demandé de les ranger, la prévenant que la prochaine fois, son jeu lui serait confisqué. Elle récidive et, malgré ses promesses et ses demandes de dernière chance, les cartes ont rejoint les autres trésors de mon tiroir. Nora portait depuis peu des lunettes et oubliait parfois de les laisser en classe avant de descendre en récréation. Je l’ai autorisée ce jour-là à remonter en classe pour y déposer ses lunettes. Un doute m’a prise et je me suis rendu compte, pendant la pause, qu’elle en avait profité pour récupérer ses cartes, laissant en guise de leurre le paquet vide. Quelle sanction méritait-elle ? Elle devait comprendre la gravité de son acte, allant bien au-delà du non respect des simples règles de vie de la classe. Il lui fallait absolument récupérer ses cartes (cadeau d’anniversaire récent) et avec beaucoup de sang froid elle avait prémédité et mis en œuvre un stratagème pour arriver à ses fins, au mépris de toute morale. Lors du retour en classe, j’ai rappelé aux enfants, en regardant Nora dans les yeux, qu’il était strictement interdit de fouiller dans le bureau de la maîtresse et de récupérer les objets confisqués. Que l’enfant concerné saurait se reconnaître et qu’il devra m’attendre à la sortie. Le malaise de Nora allait grandissant, d’autant plus qu’elle s’est rapidement rendu compte que j’avais récupéré les cartes dans son cartable. Je lui ai dit que son comportement m’avait beaucoup déçue, que son geste était très grave et ne resterait pas sans conséquences, que j’allais réfléchir à une sanction, mais que je souhaitais surtout qu’elle aussi réfléchisse à son acte afin d’en comprendre la portée. Je lui ai finalement proposé d’analyser par écrit son comportement mais l’ai prévenue que ma confiance avait été ébranlée et qu’il faudrait du temps pour la restaurer. Elle a de plus perdu son droit d’aller en bibliothèque pendant la récréation, et ce jusqu’aux prochaines vacances. À la lecture du mot de Nora, je ne suis pas certaine qu’elle ait vraiment analysé en profondeur son geste, il me semble qu’elle a surtout souhaité redorer l’image que j’avais d’elle.
L’enjeu fut ici plutôt d’ordre affectif, Nora cherchant à me faire plaisir en concluant par : « J’espère que ces quelques mots vous redonneront le sourire ». Je compris alors qu’elle n’était pas indifférente au regard que je posais sur elle. Une relation de professeur à élève est née de cet incident.
L’attitude de Raphaël, un vendredi en fin d’après-midi, m’a énormément ébranlée.
Il était un des meilleurs élèves de la classe et, plutôt taciturne, s’il lui arrivait parfois de bavarder, un mot suffisait toujours à le faire taire rapidement et durablement. C’est pourquoi j’ai pris très au sérieux ses affirmations lorsqu’il s’est exclamé qu’on lui avait volé son goûter et qu’il a ajouté, devant l’intérêt de ses camarades, qu’on lui avait aussi volé vingt euros. La classe, anormalement calme jusque-là, est devenue un champ de foire.
Tous les enfants criaient, s’accusant mutuellement. Et c’est avec beaucoup de difficultés que j’ai pu enfin interroger Raphaël qui, devant l’émeute provoquée, a avoué avoir menti pour les vingt euros. On lui avait bien volé son goûter mais devant le succès de l’annonce, cet enfant plutôt réservé en a profité pour “faire son intéressant”. Ce vendredi après-midi, je n’ai jamais réussi à calmer complètement la classe et les enfants sont finalement sortis dans le désordre. Céleste, toujours très fine, m’a dit : « Maîtresse, on a l’impression que vous allez pleurer ». Je l’ai rassurée en souriant mais, bien entendue, je n’avais qu’une envie, pleurer. Raphaël est rentré chez lui, sachant qu’une sanction l’attendrait lors de mon prochain jour de classe, que j’y réfléchissais. J’ai averti la directrice qui a constaté en début de semaine que, si Raphaël avait bien parlé du vol de son goûter à ses parents, il avait omis de mentionner sa petite plaisanterie. Le jeudi, Raphaël m’a présenté spontanément ses excuses, son repentir semblait sincère et je lui ai donné sa sanction : il fut privé pendant un mois de son rôle de secrétaire et il dut recopier cinquante fois une phrase à faire signer par ses parents . J’aurai pu comme pour Nora le faire réfléchir à son comportement mais comme je souhaitais qu’il comprenne bien toute l’étendue de son acte j’ai préféré, peut-être à tort, le lui expliquer. C’est avec soulagement qu’il a reçu sa sanction car celle-ci me permettait d’accepter ses excuses franches et lui laissait retrouver sereinement sa place au sein de la classe. Le lendemain, lorsqu’il me remit ses lignes, la page était définitivement tournée. Marc Chevallier affirme que « proposer une sanction à un […] élève, c’est […] entamer un dialogue avec lui » . Et je constate qu’avec Raphaël comme avec Nora, asseoir mon autorité en usant de la sanction m’a permis d’entamer des relations duelles qui ont eu des répercussions sur l’ensemble de la classe.

TRAVAILLER EN GROUPE POUR MIEUX VIVRE ENSEMBLE

Le respect des règles de vie à l’école est une première étape vers le savoir vivre en société attendu à la fin du collège. Les futurs citoyens doivent aussi être capables de « communiquer et de travailler en équipe » . Pour Michel Barlow, un des bénéfices du travail en groupe est lié aux valeurs impliquées : « faire travailler les élèves en équipe, c’est mettre en jeu la coopération, le dialogue, la solidarité plutôt que la concurrence, la compétition et l’individualisme » . Philippe Meirieu, dans son article « Pourquoi le travail en groupe des élèves ? » , insiste sur le rôle de socialisation du travail en équipe où « l’essentiel se situe au niveau des attitudes sociales des élèves […] pour parvenir à des relations sociales où les individus ne se détruisent pas les uns les autres ». C’est pourquoi, afin de renforcer la cohésion de la classe, j’ai tenu à développer les travaux en groupe, malgré les difficultés rencontrées en gestion de classe et les réticences de certains à travailler en binômes. En effet, lors d’activités de découverte en mathématiques ou en français, des enfants manifestaient leur mécontentement de devoir travailler avec leur voisin. Ils n’avaient pas le sentiment que le travail à deux leur serait bénéfique car ils se sentaient tout à fait capables de réaliser la tâche individuellement. Michel Barlow fait le même constat lorsqu’il souligne que « les plus consciencieux de nos élèves ont parfois le sentiment que [le travail en groupe] représente une perte de temps ou plutôt de rendement » . De plus, le placement de mes élèves ne prévoyait pas ce type de travail et les binômes devenaient arbitraires. Il aurait fallu construire des paires fonctionnelles dans chaque domaine, mais cela aurait entraîné des déplacements, sources de dissipation, que j’ai préféré éviter. Et la disposition des tables, en autobus, ne facilitait pas le travail en groupe. Je savais que je m’exposais à des difficultés matérielles en proposant ce type de tâche mais je devais dépasser mes réticences pour développer la capacité des élèves à travailler ensemble.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. LA NOTION D’AUTORITÉ
1.1 L’autorité de l’enseignant: «pouvoir» ou «qualité»?
1.2 L’autorité de l’enseignant: vers quatre types d’autorité
1.3 Dépasser une représentation initiale de l’autorité
1.4 Des règles et des sanctions pour asseoir mon autorité
2. DES LIENS AFFECTIFS RENFORCÉS PAR LA SANCTION
2.1


 Ma
 classe 
était‐elle 
une
 « 
classe 
difficile
»
?
2.2


 Premières 
difficultés,
premières 
sanctions
2.3


 Vers 
un 
système 
de 
règles
 et
 de
s anctions 
opérationnel
2.4 


Des 
sanctions 
méritées
 mais
 pas 
toujours
 dissuasives
2.5 


Les premières
 relations
 du elles






3.

TRAVAIL LE R
EN
GROUPE
 POUR
 MIEUX 
VIVRE
 ENSEMBLE

3.1


 Un 
jeu
 mathématique
3.2


 Un 
problème 
pou r
chercher
3.3 


Dire 
une
 poésie 
à 
plusieurs
3.4


 Le 
jeu
des 
photos






4.

DES
 RITUELS
4.1 Les lectures offertes
4.2 Les lectures individuelles silencieuses
4.3 Les mandalas
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
ANNEXES
Résumé

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