De la guerre d’indépendance au nouvel état indépendant

L’Association des Oulémas de 1931 à 1991, du centenaire de l’Algérie française aux victoires électorales du Front Islamique du Salut

L’Association des Oulémas Musulmans Algériens (AOMA) fut créée en 1931 à Alger, juste après les fêtes du Centenaire de la conquête française en Algérie. Elle regroupait des savants religieux (ʿālim, pl. ʿulamāʾ) qui avaient éprouvé le besoin de s’unir pour porter la voix des musulmans algériens en contexte colonial. Très vite, la direction de cette association de loi 1901 fut dominée par les tenants d’un courant « réformiste » (muṣliḥ) dont la figure de proue était le Constantinois ʿAbd al-Ḥamīd Ibn Bādīs (1889-1940). L’iṣlāḥ (réforme ou réformisme en français, deux termes qui n’ont pas la même portée) signifiait pour ces oulémas un retour aux sources scripturaires et la condamnation des pratiques liées au culte des saints, le « maraboutisme », que la majorité des musulmans considéraient comme une part de l’islam au Maghreb dans les années 1930. La prédication devait ainsi permettre la diffusion de l’islam réformé défendu par les Oulémas. En remontant jusqu’à 1931 dans notre étude, il ne s’agit pas pour nous de refaire une énième fois le récit mythique des origines et de la lutte supposée entre réformistes et soufis, ou entre indépendantistes et assimilationnistes en Algérie coloniale, mais de tenter de comprendre comment s’est construite l’Association des Oulémas, ce que représente son évolution dans l’Algérie coloniale, comment elle interagit en situation coloniale. Son rapport aux partis politiques et à l’Administration coloniale seront étudiés. C’est l’enseignement qui est au cœur de notre analyse, parce qu’il est le point névralgique de l’activité des Oulémas algériens.

La promotion de la langue arabe et de l’islam est la principale mission que se donnèrent ces hommes, rejoints par quelques femmes qui enseignent dans les écoles libres de l’Association. L’AOMA développe un réseau d’écoles privées (madrasa-s) dans les mosquées ou dans les locaux mis à leur disposition par des mécènes ou financés par les dons des fidèles, qui contribuent à alphabétiser en arabe un certain nombre d’enfants musulmans algériens, sans se limiter à l’apprentissage par cœur de versets coraniques en usage au kuttāb, l’école coranique. Le développement de l’Association après la mort d’Ibn Bādīs en avril 1940 et la Seconde Guerre mondiale est marqué, sous la Présidence du cheikh al Ibrāhīmī (1889-1965), par la structuration renforcée de ce système d’enseignement, au point de constituer un véritable petit ministère de l’enseignement islamique en Algérie.

Par la diffusion d’une conception de l’identité algérienne comme arabe et musulmane, l’Association joue un rôle majeur dans la construction nationale dès l’indépendance de l’Algérie. Tout le travail de l’AOMA en faveur de la séparation de l’islam et de l’État colonial est politique : les Oulémas argumentent, négocient, se conforment aux lois coloniales pour faire entendre leur voix avec celle des réformistes politiques comme Farḥat ʿAbbās (Ferhat Abbas ; 1899-1985). En 1952, le Président de l’Association, le cheikh al-Ibrāhīmi, quitte l’Algérie pour Le Caire, alors capitale du nationalisme arabe. Il y représente l’AOMA auprès des leaders arabes et musulmans, renforce les liens avec les mouvements nationalistes et islamiques et favorise ainsi la venue d’étudiants de l’Institut Ibn Bādīs, créé en 1947 à Constantine, dans les établissements supérieurs du Moyen-Orient.

Un aspect important de notre démarche sera de resituer l’Algérie dans le monde arabe et le monde musulman, au moment où l’Association des Oulémas joue un rôle majeur dans la représentation de l’Algérie sur la scène panarabe et panislamique. L’exil au Caire du cheikh al-Ibrāhīmī est le prolongement d’années de contact et d’échanges avec l’Égypte d’abord et de façon plus large avec le monde musulman. Sans ce cadre élargi, il n’est pas possible de comprendre comment l’Association construit l’identité arabe et musulmane de l’Algérie .

L’Association des Oulémas Musulmans Algériens : le paysage historiographique d’une rive à l’autre

Comme nous l’avons vu, il serait impossible d’évoquer l’Association des Oulémas Musulmans Algériens sans citer la thèse d’Ali Mérad, publiée en 1967. Elle reste la référence principale jusqu’à aujourd’hui. Si elle n’est pas exempte d’une dimension apologétique (l’auteur étant lui-même acquis aux idées des Oulémas), Ali Mérad ne néglige pas d’exercer un regard critique sur de nombreux aspects. À la même époque, Ahmed Nadir préparait une thèse de doctorat sur le même sujet qu’Ali Mérad et avait dû réorienter son sujet de recherche vers la « contribution du mouvement réformiste algérien dans la formation de l’idéologie nationale » de la période coloniale à la prise de pouvoir de Boumediène (1965). La thèse fut soutenue en 1968, soit six années seulement après l’indépendance. Les deux thèses avaient été préparées en France, par des Algériens liés à l’Association. Si elles restent des travaux de référence, elles ne peuvent désormais plus être considérées isolément.

De manière tout à fait significative par rapport à notre démonstration dans cette thèse, la seconde phase de publications sur l’histoire générale de l’Association des Oulémas correspond aux années 1980. La thèse en langue arabe, soutenue en 1978 et publiée en 1981, de ʿAbd al-Karīm Bū al-Ṣafṣāf (Bousafsaf) s’intéressait aux relations entre l’Association et les partis politiques du mouvement national, celle de Fatma-Zohra Guechi en 1982 à la presse algérienne de langue arabe, accordant donc une belle place à la presse de l’AOMA. Un livre en langue arabe signé Aḥmad al-H̱aṭīb sortit en 1985 à Alger sur l’Association et le réformisme. Mohammed El Korso s’intéressa pour sa part à l’Association dans l’Oranie, en 1989, tandis que la thèse d’Ahmed Sarri était consacrée en 1990 aux relations de l’Association avec l’Administration française. Parmi les chercheurs cités, Guechi, El-Korso et Sarri étaient inscrits dans des universités françaises. De la même génération, Abdelmadjid Merdaci a contribué à la connaissance des réseaux constantinois et des associations éducatives.

De nombreux travaux sont publiés depuis les années 1990 sur l’Association des Oulémas, en Algérie et en langue arabe surtout. Ils bénéficient d’aides de la Fondation Ben Badis, créée en 2000, ou de l’actuelle Association des Oulémas et comportent souvent une dimension apologétique. Cela n’empêche pas ces travaux d’être extrêmement utiles à l’historien car, s’ils ne questionnent pas les catégories et les présupposés liés à l’histoire de l’AOMA, ils apportent en revanche une foule de détails issus de leur connaissance souvent empirique du mouvement et de leurs acteurs et reproduisent quantité de documents en annexe de leurs travaux. Citons par exemple Yūsuf Būġāba, Maʿālim al-fikr al-siyāsī li-Ǧamʿiyyat alʿulamāʾ al muslimīn al-ǧazāʾiriyyīn (Les étapes de la pensée politique de l’AOMA) en 2013, ou encore ʿAbdallāh Maqlātī, dont l’ouvrage Ishām šuyūẖ Maʿhad ʿAbd al-Ḥamīd Ibn Bādīs (Contribution des cheikhs de l’Institut Ibn Bādīs et de ses étudiants dans la révolution de libération), publié en 2014, nous a été particulièrement utile. Il faut distinguer parmi ces recherches récentes les travaux sur l’AOMA (dont il est membre) de Mouloud Aouimeur (Mawlūd ʿAwīmur), historien diplômé de l’Université Paris VIII et enseignant à l’Université d’Alger II.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I . DE LA FONDATION DE L’AOMA À LA GUERRE D’INDÉPENDANCE : L’ÉVOLUTION D’UN MOUVEMENT RELIGIEUX, ÉDUCATIF ET POLITIQUE (1931-1954)
CHAPITRE 1. LA PRÉSIDENCE D’IBN BĀDĪS (1931-1940) : UN « ÂGE D’OR » DE L’AOMA À LA PÉRIODE COLONIALE
I. LA NAISSANCE DE L’AOMA SELON SES ACTEURS
II. LE DÉVELOPPEMENT DES FILIALES ASSOCIATIVES ET DES ÉCOLES DE L’AOMA : FORMER LA UMMA
III. HEURS ET MALHEURS DE L’INTÉGRATION DES OULÉMAS DANS LE CHAMP POLITIQUE
CHAPITRE 2. LA PRÉSIDENCE D’AL-IBRĀHĪMĪ, UN REDÉPLOIEMENT DE L’ASSOCIATION
I. AL-IBRĀHĪMĪ À LA DIRECTION DE L’ASSOCIATION : UNE RESTRUCTURATION DE L’AOMA
II. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT, UNE PRIORITÉ DE LA PRÉSIDENCE D’AL-IBRĀHĪMĪ
CHAPITRE 3. LE CHEIKH AL-IBRĀHĪMĪ AU MOYEN-ORIENT : LE PRÉSIDENT DE L’AOMA EN REPRÉSENTANT DE L’ALGÉRIE DANS LE MONDE ARABE ET MUSULMAN
I. LE MAGHREB ET LE MOYEN-ORIENT À L’HEURE DU NATIONALISME ARABE
II. LES MISSIONS D’ÉTUDIANTS DE L’AOMA
III. EN L’ABSENCE DU CHEIKH AL-IBRĀHĪMĪ : DIFFICULTÉS PERSONNELLES ET RIVALITÉS, UNE RESTRUCTURATION DU CHAMP POLITIQUE EN ALGÉRIE
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
PARTIE II. DE LA GUERRE D’INDÉPENDANCE AU NOUVEL ÉTAT INDÉPENDANT : LA DÉFENSE DE L’ISLAM ET DE LA LANGUE ARABE, UNE CONSTANTE
CHAPITRE 4. L’ASSOCIATION DES OULÉMAS DANS LA GUERRE D’INDÉPENDANCE : ENGAGEMENTS INDIVIDUELS, PRUDENCE COLLECTIVE
I. L’AOMA DANS LA GUERRE D’INDÉPENDANCE : UN ENGAGEMENT PROGRESSIF FACE À DES ENJEUX DE POUVOIRS
II. JANVIER 1956 : LA DÉCLARATION OFFICIELLE DE SOUTIEN AU FLN ET SES CONSÉQUENCES
CHAPITRE 5. TERRITOIRES ET FAMILLES D’OULÉMAS, L’AOMA COMME DEUXIÈME FAMILLE
I. LES IDENTITÉS LOCALES DES OULÉMAS ALGÉRIENS (1931-1991)
II. LES OULÉMAS ET LA FAMILLE SUR TROIS GÉNÉRATIONS
CHAPITRE 6. DÉFENDRE LA PERSONNALITÉ ARABE ET MUSULMANE DANS L’ÉTAT INDÉPENDANT : CONTRE LE FLN, « TOUT CONTRE »
I. CONSTRUIRE L’ALGÉRIE INDÉPENDANTE : LE POUVOIR ET L’IDENTITÉ NATIONALE EN QUESTION
II. LA FIN D’UNE ASSOCIATION, L’AVENIR DEVANT SOI
CHAPITRE 7. LES OULÉMAS À L’INDÉPENDANCE DE L’ALGÉRIE : DOMINANTS DU CHAMP RELIGIEUX, DOMINÉS DU CHAMP POLITIQUE (1962-1978)
I. LES OULÉMAS, « GARDIENS DE L’ISLAM » DANS L’ALGÉRIE INDÉPENDANTE
II. S’ÉMANCIPER DU CADRE ÉTATIQUE : NAṢĪḤA (CONSEIL) ET RAPPORT DE FORCE AVEC LE POUVOIR AUTORITAIRE
III. S’ÉMANCIPER DANS LE CADRE ÉTATIQUE
CHAPITRE 8. LES OULÉMAS, DES ENSEIGNANTS COMME LES AUTRES ?
I. DANS L’ÉDUCATION NATIONALE, FAIRE CORPS : L’HABITUS CLIVÉ DES ENSEIGNANTS DE L’AOMA
II. HORS DE L’ÉCOLE ET DE LA MOSQUÉE, POINT DE SALUT ? DES PARCOURS DIVERSIFIÉS PARMI LES MEMBRES DU DERNIER COMITÉ DIRECTEUR DE L’AOMA
CHAPITRE 9 : « L’IDÉOLOGIE DE LA SURENCHÈRE », ENJEUX ET CAPITAL DE LA LANGUE ARABE EN ALGÉRIE INDÉPENDANTE
I. L’ARABISATION : L’ŒUVRE DES OULÉMAS ?
II. UNE « GUERRE DES LANGUES » PROPRE À L’ALGÉRIE ?
III. FILS ET FILLES DE CHEIKHS DE L’AOMA : LA TRANSMISSION D’UN CAPITAL SOCIAL
PARTIE III. LES OULÉMAS À L’ÈRE DE L’ISLAMISME, UN HÉRITAGE EN DÉBAT (ANNÉES 1980-1990) À PROPOS DE « L’ISLAMISME »
CHAPITRE 10 : LÉGITIMITÉS ET APPROPRIATIONS, SE REVENDIQUER DE L’HÉRITAGE DE L’AOMA DANS UNE ALGÉRIE FRAGMENTÉE (ANNÉES 1980-90)
I. LA RÉALISATION D’UNE ALGÉRIE ARABE ET MUSULMANE : UNE ALGÉRIE ARABISÉE ET ISLAMISÉE ?
II. LA MONTÉE DE LA CONTESTATION DU RÉGIME DANS LES ANNÉES 1980 : DE LA MOBILISATION UNIVERSITAIRE AUX MOUVEMENTS ISLAMISTES
CHAPITRE 11 : VERS UNE NOUVELLE ASSOCIATION DES OULÉMAS MUSULMANS ALGÉRIENS (1980-1991)
I. LES ANNÉES 1980, UNE RÉACTIVATION SYMBOLIQUE ET EFFECTIVE DE L’AOMA
II. L’OUVERTURE À LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET AU MULTIPARTISME APRÈS OCTOBRE 1988 : REFORMER L’ASSOCIATION EN 1991, OBJECTIFS ET RÉALISATION
LES OULÉMAS ENTRE 1931 ET 1991 : D’UNE DÉFINITION DE LA NATION PAR L’ISLAM, À LA DÉFINITION DE L’ISLAM POUR LA NATION INDEX
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE

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