L’asile dans le canton de berne 

L’ORGANISATION DE L’ASILE DANS LE CANTON DE BERNE

Les actes législatifs qui régissent le domaine de l’asile dans le canton de Berne sont principalement la loi du 20 janvier 2009 portant sur l’introduction de la loi fédérale sur l’asile et de la loi fédérale sur les étrangers (LiLFAE), ainsi que l’ordonnance du 14 octobre 2009 portant sur l’introduction de la loi fédérale sur l’asile et de la loi fédérale sur les étrangers (OiLFAE). Ainsi, comme le précise l’article 3, alinéa LiLFAE, c’est à la Direction de la police et des affaires militaires (POM) qu’incombe l’octroi de l’aide sociale aux demandeurs d’asile et aux personnes admises provisoirement séjournant depuis moins de sept ans en Suisse.
Après l’entrée en vigueur de la LiLFAE, la responsabilité de l’octroi de l’aide sociale aux usagers du domaine de l’asile a été transférée des communes bernoises à la POM, et plus précisément à son Service des migrations (SEMI). Celui-ci a fait usage de la possibilité que lui offrait la loi (Art. 7 OiLFAE et art. 4 LiLFAE) de déléguer cette mission par contrats de prestations à des institutions publiques ou privées. A cette époque, dans le cadre de la stratégie de l’asile 2012 , l’OPM a choisi de travailler avec quatre partenaires, qui étaient tous actifs de longue date dans ce domaine à l’échelon cantonal, et de répartir géographiquement leur rayon d’action : l’Asylkoordination de la ville de Thoune dans l’Oberland, l’association ABR dans le Jura bernois et le Seeland, le centre de compétence pour l’intégration de la ville de Berne et l’aide aux réfugiés de l’Armée du Salut dans le Mittelland.
L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile sont divisés en deux phases dans le canton de Berne : En 1ère phase, les usagers sont logés dans des hébergements collectifs, c’est-à-dire des centres d’accueil. Le canton de Berne en compte actuellement vingt-cinq, selon les données officielles (Site web de la POM, 04.03.2015). Durant ce séjour, comme le précise la même source, les résidents sont familiarisés avec les usages de la vie quotidienne en Suisse et amenés à vivre de façon aussi autonome que possible. Dans une seconde phase, les usagers sont accueillis dans des appartements situés sur tout le territoire cantonal.

UN RENFORCEMENT DE LA CONCURRENCE ENTRE INSTITUTIONS

C’est ainsi qu’en janvier 2012, la POM a décidé d’ajouter un partenaire à la liste susmentionnée, en confiant la gestion d’un centre d’hébergement d’urgence à l’entreprise privée à but lucratif ORS Service AG, et ce «sans lancer d’appel d’offres public» (Moser, 2012). Selon ce journaliste, le Conseiller d’État avait justifié ce manquement par la situation d’urgence qui régnait à l’époque. Le directeur de l’aide aux réfugiés de l’Armée du Salut, à qui aurait logiquement dû revenir le mandat, si l’on se fondait sur la géographie, estimait quant à lui que «la pression de devenir encore moins cher [était] énorme» (cité par Moser, 2012), sous-entendant, toujours selon Moser, que «l’ORS profitait de s’engouffrer dans une brèche pour faire des économies dans l’aide sociale attribuée aux usagers».
A ce jour, ORS Service AG n’est actif qu’en 1ère phase de séjour des demandeurs d’asile. Ces pressions financières avaient déjà conduit certaines œuvres d’entraide à déserter ce secteur d’activités dans le canton de Berne, comme le laissait entendre un ancien membre de la direction de Caritas : «Les appels d’offres sont lancés à un rythme toujours plus rapide et leurs conditions sont de plus en plus dures. Les mandats se résument à une simple gestion de la misère» (cité par Moser, 2012).
Notons à ce propos qu’une motion parlementaire lancée par un député radical exigeait clairement le renforcement de la concurrence au niveau de la prise en charge des demandeurs d’asile. La motion Kneubühler, déposée le 6 septembre 2012, a finalement été adoptée le 24 janvier 2013 au Grand Conseil avec une majorité de 104 voix pour, 18 contres et 6 abstentions. Le texte accepté affirmait ainsi qu’il fallait «s’opposer à toute velléité de réserver cette tâche ultra-sensible aux seules organisations d’utilité publique» (Grand Conseil du canton de Berne, 2013, Wortlautdokument, affaire 2012.1171, p. 1).
Dans sa réponse, le Conseil-exécutif a souligné « qu’en plus d’exigences nécessaires pour garantir la sécurité, la rentabilité et les instruments de contrôle des cahiers des charges [étaient] des éléments capitaux lors de l’appel d’offre » (Grand Conseil, 2013, p. 2).

LES IMPACTS PARADOXAUX DE LA NOUVELLE GESTION PUBLIQUE SUR LES ACTEURS DE TERRAIN

On vient de le constater, ces transformations au niveau de la gestion publique entraînent des paradoxes, des tensions et des défis, qui « sont le plus souvent ignorés et entachent de manière déterminante l’impact et la durabilité des réformes entreprises » (Emery & Giauque, 2005, p. 13). Les appels d’offre relatifs à des externalisations de missions publiques en sont un bon exemple, car «s’ils sont parfois planifiés et bien ciblés, ils dépendent souvent plutôt de changements de personnes au niveau administratif ou politique. Ainsi, ils représentent plus des dysfonctionnements du marché que les optimisations du marché qu’ils prétendent viser» (Dvorak & Ruflin, 2012, p. 12). Les conséquences négatives des appels d’offre sur les acteurs de terrain sont loin d’être négligeables, puisque les institutions «se contraignent à réduire leurs coûts dans l’espoir d’être [retenues], même si c’est au prix d’une dégradation de leurs conditions de travail et d’une tension croissante imposée à leurs salariés» (Gaulejac & Hanique, 2015, p. 136).
Les contrats de prestations, quant à eux, mettent l’accent sur l’efficience, c’est-à-dire la «réalisation conforme d’une activité» et non sur l’efficacité, c’est-à dire la «finalité» (Emery & Giauque, 2005, p. 23). Si l’accent est placé sur les processus plus que sur les résultats, c’est parce qu’il «est bien plus aisé d’analyser et de trouver des indicateurs sur les processus de travail et sur les prestations fournies, que sur les impacts de l’action publique» (Emery & Giauque, 2005, p. 125) ; c’est ce qui entraîne ce qu’Emery et Giauque qualifient de «multiplication des indicateurs sur des éléments marginaux de l’action publique» (Emery & Giauque, 2005, p. 126). Les éléments pourtant essentiels liés à la qualité des prestations ou à l’éthique sont ainsi délaissés au profit de ce que les auteurs qualifient de sur-pilotage, « qui s’exprime par la production quasi-pathologique de concepts, d’instruments, de processus, de données, de rapports et d’analyses à tous les niveaux de l’action publique, comme si le fait de tout décrire et quantifier allait résoudre les défis de l’action publique en elle-même » (Emery & Giauque, 2005, p. 132).
L’impact de ce sur-pilotage sur les agents de terrain ne doit pas être sous-estimé, car comme le notent les auteurs sa conséquence principale, la paperasserie, surcharge considérablement le terrain.

UN NOUVEL INDICATEUR QUI MENACE LA PÉRENNITÉ DES INSTITUTIONS

Comme nous l’avons déjà évoqué dans l’espace consacré au contexte national, la Confédération a introduit un nouvel indicateur qui influence le niveau de l’enveloppe qu’elle verse aux cantons pour assurer l’aide sociale, l’accompagnement et l’hébergement des demandeurs d’asile après la révision de l’Ordonnance 2 sur l’asile du 11 août 1999, entrée en vigueur le 1er avril 2013, et qui a entrainé une baisse du forfait global de plus de 12% pour le canton de Berne (cf. supra). En effet, selon les chiffres assemblés par le quotidien Berner Zeitung, dans le canton de Berne, seuls 21,3% des réfugiés statutaires aptes au travail exercent une activité lucrative ; ce taux est de 35,3% pour les personnes admises provisoirement. Ces chiffres s’avèrent être les plus mauvais de tous les cantons alémaniques (Sommer, 2014).
Comme le relève un rapport de Solidarité sans frontières, le canton se borne à répercuter les pénalités qui résultent du manque d’intégration des réfugiés statutaires sur les institutions partenaires (2014, p. 4). Ces dernières sont donc contraintes de faire à leur tour des économies, en réduisant sensiblement leur personnel et leurs prestations, en particulier en limitant drastiquement l’accès aux cours de langue pour les demandeurs d’asile. « Cette mesure est contreproductive, car les chances sur le marché du travail après la fin de la procédure d’asile sont conditionnées par le niveau d’apprentissage de la langue » (Solidarité sans frontières, 2014, p. 4). Il s’agit là d’un paradoxe important lié à l’introduction de ce nouvel indicateur, puisque sa conséquence à long terme risque fort d’être une intégration encore moins bonne des réfugiés sur le marché du travail. Voici un bon exemple de ce que Gaulejac et Hanique qualifient «d’injonction paradoxale» (2015, p. 12), pour laquelle les acteurs de terrains sont soumis à des exigences totalement incompatibles. Les auteurs affirment que cette «inflation paradoxale» (idem, p. 14) est à l’origine d’une importante perte de sens, d’un certain désenchantement et d’une crise des valeurs pour les acteurs de terrain.

LES PARTICULARITÉS DE LA GOUVERNANCE DE L’ASILE DANS LE CANTON DE BERNE

D’une manière générale, il convient de noter le fait que les attitudes face aux principes et outils de la NGP diffèrent sensiblement entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Comme l’expliquent Emery et Giauque (2012, pp. 104-105), les cantons alémaniques ont tendance à adopter une attitude plus favorable à leur introduction, alors que les cantons romands, à l’exception notable du Valais, y sont plus réticents. Les auteurs émettent l’hypothèse que ces différences pourraient résulter des attentes différentes que l’on peut avoir de chaque côté de la Sarine envers l’État, et donc de conceptions différentes de son rôle.
Seuls 7,6% de la population du canton de Berne étant francophone, on peut sans grande difficulté en déduire que l’influence des conceptions de l’État qui prévaut en Suisse alémanique y est prépondérante.
Ceci explique peut-être partiellement pourquoi le Conseil fédéral, dans son rapport de 2009 sur la gestion par mandats de prestations et enveloppe budgétaire, a classé le canton de Berne dans le groupe des plus assidus dans l’introduction de réformes liées à la NGP, le «groupe Introduction à large échelle» (Conseil Fédéral, 2009, p. 40). Giauque et Emery (2008, p. 17) relèvent d’ailleurs le rôle pionnier du canton de Berne, en compagnie de Lucerne, Obwald ou Zurich, dans l’application des règles de la NGP. Dans le domaine de l’asile, comme cela a été évoqué plus haut, la Confédération a imposé un nouvel indicateur de performance aux cantons dans le cadre de la révision de l’OA 2, entrée en vigueur le 1er avril 2013. En liant la taille de l’enveloppe réservée à l’aide sociale des demandeurs d’asile au taux de réfugiés statutaires et de personnes admises provisoirement ayant une activité lucrative, elle a utilisé un des outils favoris de la NGP : l’activation. Il s’agit de prendre des mesures fortes pour éviter que les usagers ne dépendent trop longtemps des générosités de l’État. Les exigences face aux bénéficiaires de l’aide sociale augmentent. Ce principe entraîne cependant la hiérarchisation des dépendances évoquée dans l’introduction de cette étude, les migrants se retrouvant au bas de l’échelle.

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Table des matières

INTRODUCTION 
UN FIL ROUGE
DES RÉFORMES ET DES PARADOXES
PREMIÈRE PARTIE : LE CANTON DE BERNE– LE DOMAINE DE L’ASILE ET LA NOUVELLE
GESTION PUBLIQUE 
L’ASILE DANS LE CANTON DE BERNE 
LE CONTEXTE NATIONAL
L’ORGANISATION DE L’ASILE DANS LE CANTON DE BERNE
Un renforcement de la concurrence entre institutions
De la POM à la SAP – Une question de culture
Un audit externe et une restructuration à la POM
Un nouvel indicateur qui menace la pérennité des institutions
DE LA NOUVELLE GESTION PUBLIQUE À LA NOUVELLE GOUVERNANCE PUBLIQUE 
LES IMPACTS PARADOXAUX DE LA NOUVELLE GESTION PUBLIQUE SUR LES ACTEURS DE TERRAIN
L’ÉVOLUTION DES RELATIONS POLITICO-ADMINISTRATIVES EN SUISSE
LES PARTICULARITÉS DE LA GOUVERNANCE DE L’ASILE DANS LE CANTON DE BERNE
QUELQUES ÉLÉMENTS POUR ACCOMPAGNER LA RECHERCHE EMPIRIQUE 
DEUXIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 
UN QUESTIONNEMENT ET UNE MISE EN PROBLÉMATIQUE 
HYPOTHÈSES DE TRAVAIL 
CHOIX MÉTHODOLOGIQUE ET RECUEIL DES DONNÉES SUR LE TERRAIN 
ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS – DIRECTIONS D’INSTITUTION ET DIRECTION DU SERVICE CANTONAL DES MIGRATIONS
QUESTIONNAIRE QUANTITATIF – PERSONNEL DE L’ASSOCIATION ASILE BIENNE ET RÉGION
TROISIÈME PARTIE : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULATS DE L’ENQUÊTE EMPIRIQUE 
LE POINT DE VUE DES AGENTS DE TERRAIN – RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE 
LA STRATÉGIE CANTONALE VUE DU TERRAIN
L’IMPACT DES RÉFORMES AU QUOTIDIEN
L’IMPACT DES COUPES BUDGÉTAIRES AU QUOTIDIEN
LA MOTIVATION ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES AGENTS DE TERRAIN
LES ATTENTES DU TERRAIN VIS-À-VIS DE LEUR DIRECTION
LA VISION DE L’AVENIR À MOYEN TERME
LES BESOINS DU TERRAIN
LES POINTS DE VUE DES DIRECTIONS CONFRONTÉS À CELUI DE L’ADMINISTRATION CANTONALE 
L’ÉVOLUTION DES RAPPORTS ENTRE LES INSTITUTIONS ET L’ADMINISTRATION CANTONALE BERNOISE (POM) – UNE QUESTION DE COMMUNICATION ET DE CONFIANCE
AUCUNE STRATÉGIE CANTONALE ?
UN CHOC DES CULTURES ET SES CONSÉQUENCES
LA DÉFENSE DES VALEURS INSTITUTIONNELLES DANS UN CONTEXTE DÉLICAT
UNE CONCURRENCE EXACERBÉE ENTRE INSTITUTIONS
LES IMPACTS DES RÉFORMES ET DES COUPES BUDGÉTAIRES
DES RECETTES POUR ENCOURAGER LA MOTIVATION DANS UN CONTEXTE PARADOXANT
Au niveau des acteurs de terrain
Au niveau des directions d’institutions
QUE FAIRE EN TANT QUE DIRECTEUR D’INSTITUTION ? 
LES LEVIERS POLITIQUES
LA PROXIMITÉ DU TERRAIN ET LA DÉFENSE DE VALEURS COMMUNES
LE DIRECTEUR D’INSTITUTION – UN COACH POUR LES ACTEURS DE TERRAIN
CONCLUSION

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