L’art au fondement de la science

L’art au fondement de la science 

Figure emblématique de Léonard de Vinci

L’étude du premier régime repose sur une observation rencontrée à la lecture de nombreux textes portant sur les relations entre Arts et Sciences. Plusieurs de ces discours débutent leur réflexion par une évocation de la figure de Léonard de Vinci comme origine des liens entre les Arts et les Sciences. Ils convoquent ses dessins d’observation sur l’anatomie, la botanique, les phénomènes naturels ou les  mécanismes techniques, lesquels, selon les auteurs, relèvent de la science, alors que les tableaux qu’il légua à la postérité sont classés comme relevant de l’art. Ainsi, en suivant la pensée de ces auteurs, nous serions face à une figure qui forge l’origine des pratiques Arts et Sciences. Notons que ces discours sont tenus par des théoriciens de l’art aussi bien que par des scientifiques. Citons par exemple celui de la théoricienne de l’art Lucia Santaella : “Les relations entre l’art et la science n’ont rien de nouveau. Le paradigme de ces relations se trouve déjà dans l’oeuvre de  Léonard de Vinci .” Cette approche peut également se retrouver au sein de  colloques. Évoquons par exemple le colloque Art & Science, regards croisés, dont l’une des interventions porte sur l’apport de Vinci à la thématique . Laure Fagnart  fait en effet observer que ce “savant emblématique de la Renaissance”, n’a pas reçu de formation aux savoirs classiques (latin, philosophie) mais contribua par l’expérience à forger la connaissance artistique et scientifique de son temps. Enfin, citons un dernier discours puisé du côté de la science, celui de Thomas Grenon prononcés à l’École des Mines de Paris :

“Des peintres des cavernes aux bâtisseurs de cathédrales, les artistes sont aussi les tenants des savoirs de l’ingénieur. La Renaissance renforce cette alliance, mais constitue aussi le dernier moment historique où les deux figures peuvent coexister en une même personne, c’est l’exemple connu entre tous, de Léonard de Vinci .” (fig.1)

Léonard de Vinci est donc perçu comme la figure paradigmatique servant à instaurer l’origine des liens entre l’art et la science “en une même figure”. Placer Vinci en tant qu’origine des pratiques Arts et Sciences revient à instaurer le fondement de ces pratiques par une approche universelle de la connaissance, mythe selon lequel un seul cerveau pourrait englober l’ensemble des savoirs.

Nous pensons que ces approches méritent d’être discutées. L’idée d’un savoir universel réuni en une même figure se rattache en effet à une certaine conception qui nous apparaît peu appropriée pour penser l’histoire des pratiques Arts et Sciences. Il nous semble en effet que c’est par opposition à cette figure omnisciente, produisant seule le savoir que s’élaborent les processus de collaboration entre artistes et chercheurs. Inscrire l’origine des pratiques Arts et Sciences dans la figure de Vinci tient selon nous davantage du mythe que de l’observation fine de ces pratiques dont l’étude fait apparaître qu’une seule personne ne peut être à la fois engagée dans une recherche, associée à un laboratoire et mobilisée en tant qu’artiste, c’est-à-dire pleinement investie dans le développement de sa pratique et actif sur la scène artistique contemporaine.

Ces discours, qui nous sont pourtant contemporains, semblent également faire peu de cas du contexte radicalement différent dans lequel se construisent la science et l’art aujourd’hui. Après la seconde guerre mondiale, la science est devenue une entreprise collective, institutionnalisée et internationale , tout comme on sait que le travail  artistique repose sur un ensemble de chaînes de collaboration. De plus, lorsqu’on élabore une histoire des idées, il convient aussi d’interroger le sens des termes. Sur ce point, l’historien de l’art Ernst Gombrich a bien souligné que la signification des mots art et science à la Renaissance était radicalement différente de la nôtre. Selon lui, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on commence à parler d’art dans le sens qu’on lui prête aujourd’hui.

“Jusque là, précise-t-il, on parlait de peinture, de sculpture, mais on ne parlait pas de l’art, avec cette signification générale (…). J’ai dû aborder ces questions à plusieurs reprises quand j’ai écrit sur Léonard de Vinci : il y a toutes ces considérations assommantes pour savoir comment il a combiné l’art et la science. Mais il n’aurait certainement pas dit qu’il combinait l’art et la science puisqu’il ne savait pas ce qu’était “l’art” dans ce sens-là. Pour lui, il était simplement question de connaissance, d’essayer de comprendre la réalité .”

À la Renaissance, l’apport du dessin et de la peinture à la perception du monde est un élément important. Car la connaissance ne réside pas calmement dans les choses qui attendent d’être découvertes. On pourrait penser, en paraphrasant Isabelle Stenger et Bruno Latour et en rapportant leur discours à notre propos, que Vinci ne projette ni  ne découvre mais instaure (…) des dispositifs expérimentaux, prépare activement l’observation et la production de faits dotés du pouvoir de montrer si la forme réalisée par un dispositif, ici le dessin, est ou non apte à saisir un phénomène naturel, tel un tourbillon, une plante ou l’anatomie d’un organisme. Le dessin et la peinture comme pratiques deviennent un mode d’observation et de construction du savoir, forgeant en cela le premier régime, celui qui pose l’art au fondement de la connaissance scientifique.

L’invention de la perspective : du flou à l’univers de la précision 

Pour réfléchir aux liens entre les arts et les sciences à la Renaissance, il nous a semblé important d’étudier l’approche de certains historiens de l’art. Dans son ouvrage L’oeuvre d’art et ses significations, l’historien de l’art Erwin Panofsky consacre au chapitre Artiste, Savant, Génie une longue réflexion sur les apports des arts au développement des sciences pendant la Renaissance . Il pose ainsi l’hypothèse  qu’en cette période l’art ait pu contribuer de manière non négligeable à faire progresser les sciences. Pour étayer ce point, il observe la manière dont la perspective devient à la fois une “affaire d’art non moins que de géométrie .” Il entend ainsi traiter de la  Renaissance par un réexamen de l’actuelle distinction entre l’art et la science, en s’appuyant sur l’étude des travaux de l’architecte Filippo Brunelleschi (1377-1446) qui, en 1420, confère à la perspective ses soubassements mathématiques, “en jetant les bases de géométries futures, tant projectives qu’analytiques .” Comme pour Léonard  de Vinci, on voit donc s’exercer en un individu, ici Brunelleschi, des dispositions qui, pour une approche contemporaine, relèvent autant de compétences artistiques que scientifiques. Brunelleschi réunit par ses dessins d’architecture des facultés pratiques et intellectuelles.

Inventée à Florence, la perspective dite scientifique ne se contente pas d’imiter servilement le monde. Elle contribue à le penser, à le donner à voir, comme l’écrit Hubert Damisch, en participant à son édification . C’est ainsi que dans le domaine  des arts s’introduisent progressivement l’exigence de la mesure et celle des justes proportions par l’usage de l’organisation des lignes de fuite et la prise en considération du point de vue du spectateur. Ces nouveaux éléments annoncent un changement de paradigme. Ils signalent le moment où “l’à peu près” tend à s’effacer pour être remplacé par “l’univers de la précision, des mesures exactes, de la détermination rigoureuse .” Il n’est pour s’en convaincre que d’observer certaines peintures, comme celle de Piero della Francesca, La Flagellation du Christ , peinte vers 1478 et conservée à Urbino (fig. 2). Cette peinture, amplement commentée, est un exemple de rigueur et de précision qui donne à voir une composition qui s’appuie sur les règles strictes de la perspective scientifique. Les figures et groupes de personnages sont inscrits dans un agencement d’éléments architecturaux faits de colonnes, arcs, dallages et caissons, qui structurent l’ensemble en un tout cohérent. Le spectateur est invité à suivre la composition organisée suivant des lignes de fuite qui se réunissent en un point. Ici, le hasard, l’hésitation ou le flou semblent ne tenir aucune place.

L’attention des artistes se porte ainsi sur l’étude minutieuse des proportions, attention que nous pourrions penser comme une manière de combler le fossé entre le praticien et le savant, en réunissant les domaines manuels et intellectuels, mais qui semble devoir être perçue différemment. En effet, c’est la pratique du dessin, de la peinture qui  conduit à l’intellect, la pratique d’un Léonard de Vinci ou d’un Brunelleschi étant un mode d’accès à la connaissance. C’est ainsi que plus tard, l’artiste revendique sa place du côté des arts libéraux.

À la Renaissance, les professions artistiques s’intellectualisent, faisant dire à Erwin Panofsky que “nombre d’éléments de ce qu’on allait isoler plus tard sous le nom de sciences naturelles virent le jour dans les ateliers d’artistes .” L’artiste focalise son  activité sur l’observation et la description la plus exacte possible des éléments naturels qu’il s’attache à dépeindre. Cette nouvelle activité contribua à favoriser l’émergence des sciences de l’observation qui, plus tard, prendront les noms de botanique, zoologie ou biologie. À cet égard, Panofsky pose l’hypothèse .

“qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que dans l’histoire de la science moderne, l’introduction de la perspective marqua le début d’une première période ; l’invention du télescope et du microscope, le début d’une deuxième période ; et la découverte de la photographie, celui d’une troisième période .”

Cette hypothèse souligne, s’il en était encore besoin, le désir de l’historien d’ancrer l’origine de la science moderne dans le domaine artistique. La perspective scientifique permet de rendre le monde commensurable. Elle apporte la rigueur et la précision dans le registre de la représentation. Elle contribue aussi, comme le souligne Erwin Panofsky, à poser les assises d’une démarche scientifique en posant l’observation des éléments et leur description au cœur des nouveaux modes de connaissance du monde. Soulignons qu’à partir de la Renaissance, le monde cesse progressivement d’être interprété à travers la religion au profit d’une approche rationnelle.

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre A : Contexte de la recherche : PRIST
I. Master Mind, 2015-2016
II. Cells fiction, 2016-2017
II.1. Réflexion sur l’image par l’apport de la photothèque du CNRS
III. Collisions, 2018-2019
Chapitre B : Brève histoire des pratiques Arts et Sciences
I. L’art au fondement de la science
I.1. Figure emblématique de Léonard de Vinci
I.2. L’invention de la perspective : du flou à l’univers de la précision
I.3. Le dessin comme connaissance : Galilée et André Vésale
II. Sur quelques acteurs de la séparation des arts et des sciences
II.1. Victor Hugo
II.2. Charles Baudelaire et le registre du surnaturel
II.3. Le surréalisme en prise avec l’ésotérisme
II.4. Permanences du surnaturel
III. La science au fondement des arts
III.1. La chronophotographie
III.2. Duchenne de Boulogne
III.3. Le film scientifique de Jean Comandon
IV. L’illustration scientifique
IV.1. L’illustration naturaliste
IV.2. L’emblème du SRAS-CoV-2
IV.3. De l’image scientifique à la société
V. Le XXe siècle et la crise de la représentation
V.1. Développement des collaborations entre artistes et scientifiques
V.1.a. Les processus de création de Nicolas Schöffer
V.2. L’essor des technosciences
V.3. Nine Evenings : Theatre & Engineering.
V.3.a. Exemple d’une performance : Open score.
VI. Périodes contemporaines : naissance des dispositifs institutionnels
VI.1. Etude de cas : Le LadHyX
VI.1.a. Mist Collector, une oeuvre hybride
VII. Conclusion de l’historique
Chapitre C : L’hypothèse d’une discipline Arts et Sciences
I. Approches théoriques et méthodologie
I.1. Les disciplines à l’épreuve des pratiques Arts et Sciences
I.2. L’émergence de l’Histoire de l’art en tant que discipline
I.3. Connaissance, formation et transmission d’une discipline
II. Les pratiques Arts et Sciences conduites à l’université
II.1. L’organisation du savoir en discipline
II.2 .Les Arts plastiques en tant que discipline
II.3. Naissance des Sciences de l’art
II.4. Étude des pratiques Arts et Sciences à Paris 1
II.5. Le pôle Arts plastiques de l’université de Lille
II.5.a. Oculométrie et perception des images
II.5.b. Exposition – Production des œuvres d’art contemporain
II.5.c. La thématique Arts, sciences et expérimentations du CEAC
II.6. L’École universitaire ArTeC : un projet ANR
III. Des sciences « exactes » aux pratiques Arts et Sciences
III.1. Co-création et signatures
III.2. Quelques concepts en microscopie : un autre mode d’accès au réel
III.3. La plateforme de microscopie photonique TISBio
III.4. Création du dispositif Œuvres et Recherches
III.5. Informatique et création contemporaine
III.5.a. Rôles de l’image de synthèse
III.5.b. Motivations du scientifique à se rapprocher des arts
III.5.c. Les industries créatives
III.5.d. Positions critiques face aux industries créatives
III.6. L’imaginaire comme trait d’union entre les Arts et les Sciences
III.7. Institutionnaliser les pratiques Arts et Sciences
III.7.a. Collectif des Chercheurs Œuvres et Recherches : diversité des laboratoires
III.7.b. Implications des artistes dans le dispositif Œuvres et Recherches
III.8. Tendre vers une coévolution : étude du Chant des vers
IV. Les pratiques Arts et Sciences en dehors de l’université
IV.1. Les Arts plastiques, une discipline du CNRS
IV.2. La Chaire arts & sciences
IV.2.a. L’art citoyen en question
IV.2.b. Dimension politique des pratiques Arts et Sciences
IV.2.c. Nous ne sommes pas le nombre que nous croyons être
IV.2.d. Transformation des champs respectifs
IV.2.e. La Chaire et ses modalités
IV.2.f. Quantum dream
IV.2.g. Conclusion sur la Chaire arts & sciences
Chapitre D : Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains
I. Emprunt technologique versus collaboration avec des chercheurs
II. Génèse du projet Arts et Sciences du Fresnoy
III. Rôle des artistes invités
IV. Création du doctorat
V. Le groupe de travail L’Incertitude des formes
V.1. Le groupe au travail : SMITH et Jean-Philippe Uzan
V.2. Du groupe de travail à la refonte de l’institution
VI. La forme contre la narration
VI.1. La reconnaissance des formes selon Jacob von Uexküll
VI.2. Perception et sens commun
VII. Étude de cas : Human Genomics
VII.1. Le cartel comme mode de connaissance de l’œuvre
VII.2. Human genomics : l’art et l’image scientifique
VIII. Indiscipline
IX. L’appel à projets scientifique du Fresnoy
X. Les laboratoires et l’institution
CONCLUSION

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