L’approche socio-écologique appliquée à la gestion côtière : concepts et application

Les zones côtières : importance, menaces en enjeux d’avenir 

Les espaces côtiers constituent des territoires à forts enjeux stratégiques environnementaux et humains (Halpern et al. 2012). Les écosystèmes marins associés à ces espaces y jouent un rôle majeur (Luisetti et al. 2010). Ils contribuent à la production des ressources vivantes marines (Liquete et al. 2013), ils assurent un grand nombre de processus et de fonctions écologiques à la bases de nombreux services écosystémiques (Annexe 1) comme la protection côtière ou le recyclage des nutriments (Leenhardt et al. 2015). On retrouve en zones côtières les habitats les plus variés et les plus productifs de la planète (Fletcher et al. 2011): baies, estuaires, zones humides, marais, vasières, récifs coralliens, forêts, mangroves. Les zones côtières jouent un rôle crucial dans le développement économique, social et politique de nombreux pays, car elles représentent une source significative de biens et de services pour les populations, locales ou non (Granek et al. 2010, Barbier 2012, Liquete et al. 2013).

Comme les environnements terrestres, la plupart des zones côtières à travers le monde sont soumises à de fortes pressions dues, par exemple, aux changements climatiques globaux, à la destruction d’habitats, à la surexploitation des ressources marines ou encore aux pressions anthropiques terrestres provenant des bassins versants (Halpern et al. 2008, Hoegh-Guldberg et Bruno 2010). Ces différentes pressions peuvent induire des changements rapides d’état des écosystèmes caractérisés par de fortes modifications de la biodiversité, avec des écosystèmes entiers cessant de fonctionner dans leur forme courante (Folke et al. 2004, Rocha et al. 2014). En conséquence, la pérennité des biens et des services produits par les zones côtières n’est plus assurée. Il en résulte des perturbations économiques et sociales évidentes pour les populations dont le mode de vie dépend de manière directe ou indirecte de la biodiversité côtière (Chapin et al. 2010, Niiranen et al. 2013). Comme les populations ne cessent de croître et les demandes en ressources marines ne cessent d’augmenter, les zones côtières se trouvent ainsi constamment soumises à de fortes pressions anthropiques qui menacent leur équilibre et leur intégrité. Ces symptômes persisteront si des décisions politiques et des mesures de gestions adéquates ne sont pas mises en œuvre (Liquete et al. 2013, Visconti et al. 2014).

Depuis plusieurs décennies, les acteurs du littoral ont pris conscience de l’importance, des menaces et des défis de gestion qui pèsent sur ces territoires ; ainsi parmi les scientifiques, les usagers de la mer (en particulier les pêcheurs, les opérateurs touristiques), les politiques et les collectivités locales, des champs de recherches, des réflexions, des propositions voient le jour dans le cadre d’une gestion intégrée des zones côtières. Modèle de gestion durable des territoires et activités côtières, elle s’intéresse aux différentes dimensions (environnementales, économiques, sociales) de la zone côtière, en intégrant bassins versants et partie marine. Elle vise à concilier développement durable (et les nombreux usages qui en découlent) et conservation, tout en reconnaissant les liens d’impacts qu’il peut y avoir entre les activités à terre et les écosystèmes marins. Face à la multitude d’enjeux de gestion et à la complexité des systèmes à gérer, il est désormais nécessaire de s’appuyer sur des cadres méthodologiques et conceptuels afin d’appréhender les dynamiques complexes des territoires et de leur gestion. Ce travail de thèse se propose ainsi d’étudier les apports de l’approche socioécologique appliquée à la gestion côtière.

L’approche socio-écologique

Pour penser les interactions entre les hommes et leur environnement il est possible de considérer le fonctionnement du monde comme un système (Ostrom 2009, Folke et al. 2010) où les interactions peuvent être de nature physique, écologique ou sociale. Le concept de système socio-écologique a été créé pour exprimer le fait que les interactions sociales et écologiques sont liées et qu’il est indispensable de les intégrer pour comprendre puis gérer le système qu’elles forment (Mathevet et Bousquet 2014). L’écologue Fikret Berkes et l’économiste suédois Carl Folke, définissent un système socio-écologique comme un assemblage de systèmes complexes dans lesquels les hommes font partie intégrante de la nature (Berkes et al. 2003). Ce système se rapproche de la notion de « territoire », utilisée par les géographes, dans lequel les caractéristiques et la dynamique sont issues des interactions entre acteurs et composantes de leur espace géographique. Ainsi un système socio-écologique se compose d’éléments physiques naturels (espèces, habitats, eau…), des produits des activités humaines ainsi que des formes d’interactions existant entre les hommes ou entre eux et leur environnement (Gunderson et Holling 2002).

Pour explorer les différentes facettes de l’approche socio-écologique, il est nécessaire de disposer d’une vision transdisciplinaire du système étudié afin de mieux comprendre les dynamiques socio-écologiques qui découlent d’usages ou de pratiques de gestion des milieux naturels. L’analyse des systèmes socio-écologiques se trouve à la croisée des sciences naturelles et des sciences de l’homme et de la société privilégiant aussi bien des perspectives fonctionnelles (des écosystèmes), les intérêts des parties prenantes que des systèmes de valeurs. L’approche socio-écologique connaît actuellement un fort développement au sein de la littérature scientifique. La première étape consiste à décrire les limites d’un système et ses règles de fonctionnement, à quantifier certains de ses éléments (biomasses, valeurs) et à étudier les variables qui influencent ses dynamiques socioécologiques. La deuxième étape consiste à étudier les interactions entre les variables et entre les différents niveaux d’organisation. La troisième étape consiste à analyser la gouvernance : qui sont les acteurs, quels jeux de pouvoir sont à l’œuvre ? Quelles sont les règles de gestion ? Quels sont les réseaux ? Le but est de soutenir la capacité du système à fournir des services à la société. La dernière étape consiste à comprendre la dynamique du système étudié ainsi que les composantes de sa résilience : quels états différents peut-il prendre ? Quelles variables le feront passer d‘un état à l’autre et selon quels seuils ? L’approche socio-écologique consiste donc à assembler les données culturelles, sociales, économiques et écologiques qui nous révèlent les changements de ces systèmes ; cela consiste également à modéliser pour mieux comprendre les forces qui pilotent les dynamiques socio-écologiques et à mettre en place une gestion grâce à de nouveaux outils.

La démarche de l’étude 

En milieu côtier, la majorité́ des recherches actuelles reste théorique et peu de cas d’étude appliqués à la gestion des zones côtières mettent à l’épreuve ce concept dans une démarche transdisciplinaire. Cette thèse a donc pour objectif principal de combler ce manque en explorant les concepts de l’approche socio-écologique appliquée à la gestion côtière. D’un point de vue théorique d’abord, nous réaliserons un état de l’art des connaissances afin d’explorer les concepts de l’approche socio écologique appliquée à la conservation marine et à l’étude d’une aire marine protégée. Dans un second temps nous utiliserons ces connaissances théoriques sur le système socioécologique du lagon de Moorea en Polynésie française où nous avons développé une approche quantitative pour modéliser les interrelations existant entre la biodiversité, les services écosystémiques qu’elle produit, les usages que l’Homme en fait et les outils de gouvernance qui régulent ces derniers. Nous avons également étudié les modifications de ces interrelations au sein des systèmes socio écologiques sous l’influence de forçages régionaux ou globaux et de différents scénarios de gestion et de prise de décision. Le but était de guider l’adaptabilité et/ou la transformabilité des usages faits de la biodiversité afin d’en dériver de manière pérenne des biens et services face aux pressions anthropiques et climatiques intervenant à plusieurs échelles.

Discussion Générale

Synthèse des résultats 

Une approche transdisciplinaire des systèmes socio-écologiques côtiers intégrant les sciences de la complexité doit permettre de caractériser les dynamiques socioécologiques et les propriétés émergentes qui structurent l’évolution incertaine de ces systèmes. Il est nécessaire pour cela d’adopter une méthodologie de recherche qui intègre l’écologie, la sociologie, l’anthropologie, et les sciences économiques de par l’apport de données empiriques ou de la connaissance experte. Une étude préalable du système socio-écologique récifo-lagonaire de l’île de Moorea nous a permis d’explorer sa complexité ainsi que les manques de connaissances limitant la compréhension des dynamiques socio-écologiques de ce système. Comme pour de nombreuses pêcheries récifo-lagonaires du Pacifique, les activités de pêche dans le lagon de Moorea sont très difficiles à surveiller et à quantifier, car elles varient énormément et sont très dispersées. La complexité de la pêcherie récifo-lagonaire de Moorea, à bien des égards, est ainsi représentative d’autres pêcheries récifo-lagonaires insulaires du Pacifique. Une grande diversité de poissons est capturée avec au moins cinq grands types d’engins et la pêche se produit pendant la journée ou la nuit sans aucun horaire régulier ou protocoles formalisés. La pêcherie de Moorea est cependant assez spécifique lorsque l’on considère le contexte socio-économique et les motivations d’accès à cette ressource naturelle. Contrairement à de nombreuses autres pêcheries récifo-lagoanire dans le Pacifique et dans le monde, la Polynésie française est un pays relativement riche. Ainsi, la grande majorité des habitants de Moorea ne dépendent pas des ressources marines lagonaires pour leurs subsistances. Seul un faible pourcentage des ménages de Moorea identifient la pêche comme leur principale source de revenus ou de moyens de subsistance (Leenhardt et al. 2016). Les activités de pêche sont en revanche d’une très grande importance pour leurs avantages non matériels. Pour les habitants de Moorea, la consommation de poissons de récif frais est aussi fondamentale pour leur identité que de parler la langue tahitienne. Ainsi pour mieux comprendre les dynamiques socio-écologiques liées à cette activité, il faut tenir compte des avantages non matériels liés au style de vie et à l’identité polynésienne.

Apport de la science de la complexité à l’étude des systèmes socioécologiques

Les systèmes socio-écologiques côtiers sont des systèmes complexes possédant des interactions multi-échelles, des propriétés émergents ainsi que des dynamiques d’évolution non linéaires renforçant une incertitude quant à leur évolution (Gallopín et al. 2001, Levin et al. 2012). Les dynamiques socio-écologiques se produisent sur une large gamme d’échelles spatiales et temporelles. Ce paradigme implique que les dynamiques locales des systèmes côtiers sont imbriquées et donc influencées par des dynamiques plus globales expliquant le rôle de phénomènes cumulatifs locaux sur des processus globaux (Bodin et al. 2006, Kininmonth et al. 2011). Gunderson et Holling (2002) ont résumé ce concept des interactions croisées en soulignant que «de plus en plus, les problèmes locaux du moment peuvent avoir une partie de leur cause située à une demi-planète et avoir des causes dont la source provient de changements lents accumulés au cours des siècles». Dans le cadre d’étude du système socio-écologique récifo-lagonaire de Moorea, l’impact local d’une crise économique mondiale nous a permis de mesure à quel point ce système était ouvert et pouvait potentiellement être influencé par des dynamiques extérieures de bien plus grandes échelles (Leenhardt et al. 2017). Les systèmes socio-écologiques côtiers possèdent des propriétés émergentes uniques. Ces propriétés n’appartiennent pas aux systèmes sociaux ou naturels séparément, mais émergent de leur interaction (Liu et al. 2007, Graham et al. 2013). Le terme émergence est utilisé pour décrire des phénomènes spatiaux et/ou temporels inattendus ou imprévisibles de la structure et de la dynamique d’un système, telle que sa résilience (Parrott 2002, Parrott et al. 2012). L’observation et la compréhension des propriétés émergentes des socio-écosystèmes côtiers sont cruciales pour comprendre la dynamique du système (Folke et al. 2010). La résilience du système socioécologique récifo-lagonaire de Moorea est sans conteste une propriété émergente de ce système qu’il nous est pour le moment difficile de parfaitement appréhender. Cette résilience est à l’origine de phénomènes de rétroaction au sein du système qu’il nous a été impossible à modéliser du fait des limites techniques imposées par l’utilisation des modèles par réseaux bayésiens (qui excluent la prise en compte des phénomènes de rétroactions). Afin d’appréhender la résilience du système socio écologique récifolagonaire de Moorea et des possibles rétroactions complexes, une utilisation des modèles multi-agents pourrait s’avérer pertinente.

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Table des matières

Introduction générale
1. Les zones côtières : importance, menaces en enjeux d’avenir
3. La démarche de l’étude
4. La structure de la thèse
Chapitre 1 : L’approche socio-écologique appliquée à la gestion côtière : concepts, réflexions et perspectives de recherches
Chapitre 2 : La pêcherie récifo-lagonaire de Moorea : état de l’art et perspectives de recherches
Chapitre 3 : Etude des dynamiques socio-écologiques au sein du lagon de Moore en Polynésie Française : Modélisation participative
Chapitre 4 : Scénarios d’évolution du système socio-écologique du lagon de Moorea: modélisation par réseaux bayésiens
Discussion Générale
1. Synthèse des résultats
2. Apport de la science de la complexité à l’étude des systèmes socio-écologiques
3. L’approche socio-écologique : une approche limitée par les données ?
4. Une science transdisciplinaire, mais une gestion interdisciplinaire ?
5. L’approche socio-écologique : un complément essentiel de la gestion écosystémique ?
6. Perspectives
Conclusion Générale
Références Bibligraphiques
Résumé
Annexe 1
Annexe 2

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