L’approche migratoire des gardes-frontière

L’approche migratoire des gardes-frontière

Problématique et question de recherche

L’accès au territoire suisse implique un contrôle strict à la frontière. Ce processus de filtrage est appliqué de manière générale aux marchandises et aux personnes et c’est le Cgfr qui assume ce rôle. Pour pouvoir effectuer ces contrôles Guichonnet et Raffestin (1974), expliquent que la frontière assume trois fonctions différentes : premièrement elle a une fonction légale ; en ce sens, la délimitation produite par la frontière est faite à travers les normes juridiques et les règles d’un État. Deuxièmement elle a celle de contrôle, car en principe chaque passage de la frontière fait l’objet d’un contrôle étatique. Et troisièmement elle a une fonction fiscale qui se produit à travers une perception des droits de douane effectuée sur la marchandise lorsqu’elle pénètre dans le pays (Guichonnet et Raffestin, 1974). Par conséquent une frontière a pour buts principaux ceux de contrôler, surveiller, restreindre, interdire ou exclure certaines catégories de personnes (Guichonnet et Raffestin, 1974) et de marchandises. Depuis les années 1990, une évolution a été constatée dans le travail effectué par les gardes-frontière. Un changement majeur au niveau technologique a amélioré la surveillance : ordinateurs, drones, passeports biométriques ont par exemple permis de considérer les frontières comme « intelligentes » (Amilath Szary, 2015, p. 57). Néanmoins ces évolutions ne se sont pas limitées au niveau technologique, mais se sont étendues aux pratiques juridiques et aux procédures. Ainsi la collaboration avec la Police cantonale (Fässler, 1998), l’entrée en vigueur de l’accord de réadmission avec l’Italie en 2000 et l’entrée dans l’espace Schengen en 2008 ont fait évoluer les tâches confiées au Cgfr. Suite à la mise en place de l’Accord Schengen, la question sécuritaire a été considérée comme prioritaire spécialement aux frontières. Le but a été celui de protéger la population et l’État-nation contre des menaces extérieures potentielles (Dekkers et al., 2016). Selon Dekkers et al., le terrorisme, le crime transfrontalier ou la migration illégale ont fait émerger une image de la migration comme une menace arrivant sur le territoire de manière incontrôlée. Face à cette « menace », ce sont donc les gardes-frontière qui incarnent la fonction de protection grâce au contrôle appliqué à la frontière du territoire étatique. Leur travail, qui est régi par des lois, dépend également des décisions subjectives. A ce sujet Lipsky (2010) souligne que les fonctionnaires qui interagissent directement avec la population dans l’exercice de leur fonction peuvent jouir d’un pouvoir discrétionnaire important dans l’exécution de leur travail. Par conséquent, ces personnes disposent d’une marge d’interprétation dans leur fonction qui peut être influencée par des éléments subjectifs tout en étant délimitées par des normes juridiques et institutionnelles (Achermann, 2018). 0000000000000000000000 2. DÉFINITIONS Weber (1970) développe une définition classique et opérationnelle de la notion d’État comme étant une entreprise politique « (…) de caractère institutionnel lorsque, et tant que, sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application de règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné » (p. 97). Hampshire (2013) soutient cette définition, selon lui l’État moderne « (…) it is partly defined by its claim to sovereignty over a specific expanse of physical territory, within which it claims the exclusive right to make laws (…) » (p. 3). Une notion importante qui découle de l’État est celle de la nation. Celle-ci est constituée d’une « communauté imaginaire », fondée par des groupes de personnes qui partagent un territoire, une langue, une culture et une histoire commune (Anderson cité par Hampshire, 2013). D’ailleurs « Nations are constituted by belief, which is to say they exist when members recognize one another and believe that they share the relevant characteristics » (Miller cité par Hampshire, 2013, p. 8). La nation crée donc une forme d’identité nationale qui est active ; en d’autres termes les nations sont le territoire des communautés (Miller cité par Hampshire, 2013). Il est ainsi possible à ce stade de définir le territoire. Selon Amilhat Szary (2015), c’est un espace sur lequel l’État est souverain et il est délimité par une frontière étatique. Cette frontière peut être visible, comme les postes-frontière ou moins visible comme la frontière verte. Cette dernière est représentée par une zone se trouvant entre les postes frontières ; elle passe par les montagnes, les crêtes, les lacs ou les rivières. Lorsqu’il y a un État, une nation et un territoire, la souveraineté devient prépondérante. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la souveraineté est expliquée comme suit : « (…) selon un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements qui découlent pour eux des traités, de contrôler l’entrée des étrangers sur leur sol » (Emre c/Suisse, 2008, p. 14). Hampshire (2013) soutient cette definition et selon lui « One of kay aspects of sovereignty is the right to decide who is allowed to enter that territory » (p. 4). En d’autres termes, l’action de contrôle aux frontières se base sur des lois, articles et protocoles légaux, ce qui représente le droit et le devoir de protection d’un État, d’une population, d’une économie et d’un territoire. Ainsi le concept de contrôle est défini comme étant une pratique qui examine l’action « (…) de contrôler quelque chose, quelqu’un, de vérifier leur état ou leur situation au regard d’une norme (…) » (Larousse, n.d.). Dans mon travail, je m’intéresse au contrôle effectué par des gardes-frontière sur le passage des véhicules, des personnes et de la marchandise. Cette pratique peut être réalisée soit aux postes frontières, soit à la zone frontière de la région de Mendrisio, ou encore dans les trains en provenance d’Italie. A partir du moment que l’État contrôle les étranger·e·s entrant sur son sol, on admet l’idée selon laquelle il existe des personnes ayant le droit de résidence : ses citoyens. De ce fait, d’après Hampshire (2013), la citoyenneté est définie comme suit : « (…) today, citizenship is typically acquired at birth according to place or parentage or some combination of the two, and one of the core rights of citizenship is a right to reside in the state of which one is a member » (p. 4). D’un point de vue opposé, il est possible d’admettre l’idée selon laquelle des personnes n’ayant pas le statut de citoyen du pays en question peuvent se présenter aux frontières étatiques. La notion de migration est, de ce fait, liée au contexte des États-nation (Stünzi, 2018), puisqu’ils définissent les contrôles aux frontières. De ce fait, « (…) s’il n’y avait pas de frontière séparant les États-nations, il y aurait uniquement de la mobilité et pas d’identité ‘migrante’ (…) » (Stünzi, 2018, p. 46). Une définition actuelle du terme migration 00000000000000000 4.2 Aperçu historique de la frontière au niveau européen Selon certains·es auteurs·es, c’est « (…) à la fin du Moyen Age que s’impose la nécessité d’un vocable spécialisé » (Guichonnet et Raffestin, 1974, p. 12). C’est donc à ce moment que le terme frontière apparait dans le vocabulaire. En effet entre le XIII° et le XIV° siècle la notion d’État moderne est élaborée, avec les éléments qui la distingue comme une population et un espace territorial. C’est donc à travers la mise en place d’une frontière dite « linéaire » qui a permis de délimiter l’espace territorial et d’imposer la souveraineté de l’État-nation. Pour d’autres auteurs·es, comme Amilhat Szary (2017), « (…) l’idée de frontière naît à la fin de la guerre de Trente ans, notamment avec la signature des traités de Westphalie en 1648 : les ambassadeurs des rois d’Europe y négocient alors un principe de stabilité territoriale » (p. 75). Ces décisions permirent de fonder l’idée d’État-nation territorial et par conséquence d’inventer la frontière pour matérialiser le territoire (Amilhat Szary, 2015). La naissance du terme frontière se révèle à des périodes différentes selon les auteur·e·s que j’ai consulté·e·s : sa conception reste floue et ambiguë. En effet il n’est pas aisé de déterminer une date précise, puisque définir une frontière dépend de l’idée que l’on s’en fait. La frontière devient réalité lorsqu’on lui donne vie à travers une cartographie – à la suite de la signature des traités de Westphalie – ou devient-elle plutôt une réalité à la suite de la création de l’État Moderne ? Les deux manières de présenter la naissance de la frontière ont comme point commun l’idée qu’elle est une invention de l’homme : « (…) un instrument imaginé par les hommes pour contribuer à un certain ordre (…) » (Guichonnet et Raffestin, 1974, p. 13), qui dépend de différents facteurs, tels qu’économiques, politiques, juridiques, culturels ou sociaux. « Les premières lignes douanières entre États sont établies au 16e siècle, une des premières en Europe est celle qui fut établie en 1559 à la frontière entre l’Espagne et le Portugal » (Kott, 2017, p. 70). Entre les 18ème et 19ème siècles, l’espace-frontière se stabilise et devient une ligne bornée qui définit un territoire sous l’autorité d’un État (Kott, 2017, p. 70). Finalement c’est en 1814, lors du Congrès de Vienne, que la carte de l’Europe post-révolutionnaire est dessinée et « (…) marque le triomphe de cette conception de la frontière comme limite entre les États souverains qui sont en interaction constante les uns avec les autres (Kott, 2017, p. 70). C’est donc à partir de ce moment-là que l’État exerce sa souveraineté en matière militaire, douanière et monétaire, ainsi « Il exerce sa juridiction sur les populations résidant sur ce territoire et accorde droits et devoirs à ceux qui sont reconnus comme des ressortissants nationaux (Kott, 2017, p. 70). Ce qui permet, à partir du 19ème siècle, d’imposer des documents administratifs pour les individus qui sont sous sa protection. Ce procédé permet de réglementer les passages à la frontière et d’identifier les étranger·ère·s (Kott, 2017). La Première Guerre mondiale, en 1914, a été déclenchée par des désaccords liés à la revendication des tracés frontaliers, entre l’Empire allemand, la France et à l’Est avec des territoires peuplés par des Polonais (Kott, 2017). Cependant, à la fin de cette guerre, les conflits frontaliers restent inchangés, ce qui crée auprès des pays insatisfaits, un sentiment de nationalisme extrême et par conséquence un catalyseur pour la Deuxième Guerre mondiale en 1939 (Kott, 2017, p. 71). L’effondrement des puissances totalitaires s’ensuit, ce qui mène à un remaniement du réseau des frontières (Guichonnet et Raffestin, 1974). C’est à la fin de la guerre froide – 1947 à 1989 – que les frontières européennes semblent se stabiliser, et la chute du mur de Berlin en 1989 symbolise cette période (Kott, 2017, p. 72). Les frontières nationales « triomphent » (Kott, 2017, p. 72) : en 1985 les premiers États signent les accords de Schengen. Les principes d’une collaboration policière, judiciaire et douanière sont posés pour répondre aux principes de la libre circulation des personnes (Kott, 2017, p. 72) qui sera opérationnelle dès 1995. Aujourd’hui, la mise en oeuvre de l’espace Schengen est devenue « (…) une véritable exception mondiale, seul périmètre où le contrôle des identités a été supprimé au passage des frontières internationales » (Amilhat Szary, 2015, p. 32). Cependant, même si la chute du mur de Berlin a symbolisé la fin des frontières en Europe, les limites frontalières (Espagne, Italie, Hongrie, Grèce) mises en place avec Schengen représentent une forteresse marquée par des murs et des barbelés qui ont comme objectif celui d’empêcher les entrées illégales sur le territoire (Kott, 2017). Cela permet de comprendre qu’à partir du 21ème siècle, les frontières de l’Europe restent encore contestées et sont de plus en plus étanches (Kott, 2017). De ce fait elles ne sont pas statiques, elles bougent au gré des changements géopolitiques : comme par exemple la création de frontières en Europe ou l’effondrement de l’Union Soviétique. Les changements climatiques sont aussi un facteur évolutif : par exemple le gouvernement italien a dû « (…) faire de la ‘frontière mobile’ un objet de politique publique pour gérer l’évolution du tracé de ses limites alpines localisées sur des lignes de crêtes glacières à la suite de la fonte provoquée par le réchauffement climatique » (Amilhat Szary, 2017, p. 75). C’est d’ailleurs en 2009 que la Suisse et l’Italie ont dû redéfinir une partie de la frontière du fait de la fonte des glaciers entre le Cervin et le Mont-Rose (Amilhat Szary, 2015).

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Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DE MATIÈRES
LISTE DES ABREVIATIONS
PREMIÈRE PARTIE PROBLÉMATIQUE ET DÉFINITIONS
1. INTRODUCTION
1.1 Choix et délimitation du sujet
1.2 Intérêt et but de la recherche
1.3 Structure du travail
1.4 Problématique et question de recherche
1.5 Sous-questions et hypothèse de recherche
2. DÉFINITIONS
2.1 Définitions de frontière
3. VOCABULAIRE DES DOUANES
DEUXIÈME PARTIE MISE EN CONTEXTE
4. MISE EN CONTEXTE GEOGRAPHIQUE DE LA FRONTIERE
4.1 Introduction
4.2 Aperçu historique de la frontière au niveau européen
4.3 Contexte géographique des frontières suisses
4.4 Le Corps de gardes-frontière suisse
4.5 Le contexte géographique du Canton du Tessin
TROISIÈME PARTIE CADRE THÉORIQUE
5. INTRODUCTION
5.1 La théorie de la street-level bureaucrats
5.2 Le pouvoir discrétionnaire aux frontières
5.3 Sécurité et sécuritisation
5.4 Profilage racial
5.5 Théorie de la frontière
6. CADRE JURIDIQUE
6.1 Introduction
6.2 Définitions
6.3 Loi sur l’asile
6.4 Schengen
6.5 Loi sur les douanes
6.6 Accord entre la Confédération suisse et la République italienne relatif à la réadmission
des personnes en situation irrégulière
QUATRIÈME PARTIE METHODOLOGIE
7. INTRODUCTION
7.1 Méthodologie choisie pour la recherche
7.2 La récolte de données
7.3 Remarques réflexives
7.4 Méthode d’analyse
CINQUIÈME PARTIE ANALYSE DES DONNEES
8. RÉSULTATS ET ANALYSE
8.1 Introduction
PARTIE I : Le travail du Corps des gardes-frontière
8.2 Un travail en évolution
8.3 Travail administratif et procédural
Conclusion intermédiaire de la Partie I
PARTIE II : L’approche migratoire des gardes-frontière
8.4 La migration à la frontière
8.5 Migration en chiffres
8.6 Tâches procédurales dans la migration
Conclusion intermédiaire de la Partie II
PARTIE III : Les représentations des gardes-frontière
8.7 La migration : un problème sécuritaire ?
8.8 Marge de manoeuvre et profilage racial : quelle tension ?
8.9 La frontière en discussion
Conclusion intermédiaire de la Partie III
SIXIÈME PARTIE CONCLUSION GÉNÉRALE
9. INTRODUCTION
9.1 Synthèse des principaux résultats
9.2 Limites de ce mémoire
9.3 Perspectives futures et ouvertures
SEPTIÈME PARTIE REFERENCES UTILISEES ET ANNEXES
10. BIBLIOGRAPHIE
11. ANNEXES

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