L’anthropologie de Spinoza

« La politique de toutes les sciences appliquées serait celle, par conséquent, dont la théorie différerait le plus considérablement de la pratique et personne ne serait moins qualifié pour être à la tête d’une communauté publique, que les théoriciens ou philosophes » .

Il n’y a aucun doute que pour Spinoza, la politique est une affaire sérieuse, une affaire d’homme c’est-à-dire une question éminemment anthropologique qui se propose d’étudier « les hommes tels qu’ils sont » et non un panaché de satires ou d’utopies digne du siècle poétique de l’Age d’or. Ce qui nous installe déjà dans un réalisme, mais précisons un réalisme naturel. Autrement dit, la science politique puisque Spinoza la considère comme telle, doit s’expliquer de manière « rigoureuse et indubitable ainsi qu’à déduire de la situation propre à la nature humaine, la doctrine susceptible de s’accorder le mieux avec la pratique ».

Il est ainsi clair que pour Spinoza cette doctrine qui obéit à la logique de la nature humaine n’est autre que la démocratie et cela peut se justifier à partir de deux idées essentielles :

La première est relative à des considérations méthodologiques dans sa façon d’aborder la question anthropologique et sociale. En effet, les premiers chapitres du Traité Politique en plus d’être une introduction générale, rendent compte d’un souci majeur d’élaborer « une théorie naturaliste de la société » .

Autrement dit, le souci de la doctrine politique applicable à la nature humaine en dehors de toute chimère, sert ici d’appoint pour saisir le point de vue anthropologique de Spinoza. Aux yeux du philosophe hollandais, on ne doit pas appliquer une forme quelconque de gouvernement aux hommes mais il est plutôt à chercher dans l’expression naturelle des individus. C’est d’ailleurs ce qui ressort de ces propos : « les hommes en effet selon leur constitution naturelle, ne sauraient vivre que sous une certaine législation. Or les lois générales sont instituées et les affaires publiques sont gérées par des personnages forts clairvoyants ou habiles, voire rusés. Dès lors, on n’admettra pas aisément qu’une mesure quelconque, convenant à l’organisation de la société, reste à découvrir. Car, ou les circonstances, ou le hasard l’auraient fait appliquer auparavant et elle n’aurait pas échappé à l’attention des humains, préoccupés d’une part de la marche des affaires générales et intéressés d’autre part à la sécurité de leur existence » .

Ceci étant, la démarche de Spinoza va consister, dès lors, à nous livrer le secret de la nature humaine, qui jusque là a été occulté par les points de vue de ses devanciers : « car ils ne conçoivent point les hommes tels qu’ils sont, mais tels que leur philosophie les voudrait être » .

Ayant compris cet enjeu majeur qui sous-tend toute l’entreprise de la philosophie politique, et qui d’ailleurs va en déterminer les conséquences (les orientations et les finalités), Spinoza refuse de verser dans l’assimilation de la théorie à la pratique puisque précisément dans le domaine de la politique leur union ne mène qu’à l’utopie. C’est là un point de vue que partage Etienne Balibar lorsqu’il affirme que « la conception qu’une philosophie se fait de la nature n’est généralement qu’une façon de préparer, de loin les déterminations de l’individualité et de la communauté humaine » . Ainsi, la leçon de méthode que Spinoza applique ici dans sa démarche politique, est l’expression même de ce réalisme naturel qui traverse de fond en comble sa position politique.

La seconde raison qui nous permet de justifier l’idée selon laquelle la démocratie obéit à la logique de la nature humaine est une résultante de la première. Et elle s’énonce sous la forme d’une réponse à une question qui est au cœur de la problématique de notre propos. Comment peut-on déduire de la constitution naturelle des hommes un type d’organisation sociale qui soit harmonieuse et rationnelle ? Autrement dit sur quel aspect de la nature humaine, partagé par l’ensemble des hommes dans leur constitution doit-on s’appuyer ?

L’anthropologie de Spinoza

Pour Spinoza l’homme est un mode fini c’est-à-dire une réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain). Ainsi, l’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles. Il faut noter que l’anthropologie de spinoza est redevable à son ontologie, notamment à la mise en place des réalités singulières dont résultent les modes infinis (mouvement ou étendue) et les modes finis c’està dire l’ensemble des réalités particulières, celles là même qui nous intéressent ici.

En effet, Spinoza expose sa définition des modes en ces termes « j’entends par mode les affections d’une substance, autrement dit ce qui est dans une autre chose, par le moyen de laquelle il est aussi conçu » . Ainsi, le mode désigne une particularisation générale de la réalité dans un ordre décroissant, précis et déterminé (substance, attribut, mode). Ce qui laisse entendre que c’est à travers la constitution de la réalité modale que se décline toute la portée de l’ontologie spinoziste. En d’autres termes la substance, Dieu ou la Nature, décrit la réalité par son aspect totalisant et englobant : Nature naturante “causa sui” et liberté, les modes ou tout ce qui dépend d’autre chose, constituent la Nature naturée au nombre desquels figure l’homme. C’est d’ailleurs à juste titre que Robert Misrahi défend l’idée selon laquelle « la raison d’être de l’ontologie spinoziste est de connaître et de maîtriser le monde concret des choses singulières qu’il s’agisse des corps ou des idées , des connaissances ou des affects, des « passions » ou des actions » .

Dès lors se met en place une anthropologie à la mesure de l’immanence comme en témoignent les parties II et III de l’Ethique respectivement intitulées « De la nature et de l’origine de l’âme » et « De l’origine et de la nature des affections ». Il s’agit donc là d’une anthropologie philosophique qui porte déjà les germes des déterminations ultérieures de l’individualité dans ce que Spinoza lui-même nommera « l’Individu Etat». A cet effet, ce qui nous intéressera dans cette entreprise de lecture de l’anthropologie spinoziste, c’est d’abord de mettre en évidence cette solidarité entre immanence ontologique et anthropologie philosophique, ensuite nous essaierons de situer la portée de cette approche méthodologique qui consacre une nouvelle philosophie de l’homme.

De l’individuation

« Un individu, au sens le plus général et le plus complexe de ce mot, est un objet de pensée concret, déterminé, formant un tout raisonnable, et consistant en un réel donné soit par l’expérience externe, soit par l’expérience interne » . Outre cette définition qui présente un caractère général, Jules Lachelier, H Rodier, M Bernés, L Brunschvicg, G Dwelshauvers, M Drouin, Edmund Husserl, Van Biéma, ont jugé acceptable le sens ci : « l’individu est le véritable être de la nature » .

Sous ce rapport, il convient de noter que la dynamique de l’individuation qui occupe une place centrale dans le système ontologique de Spinoza est loin d’être fortuite, puisque en posant le problème de l’individuation, Spinoza entend résoudre en même temps et la question de la nature et celle de l’espèce humaine. Nous savons que « l’objet de l’idée constituant l’Ame humaine est le Corps, c’està-dire un certain mode de l’étendue existant en acte et n’est rien d’autre ». Cette proposition qui établit l’union de l’âme et du corps trouve son explication dans la scolie où Spinoza affirme : « Par ce qui précède nous ne connaissons pas seulement que l’Âme humaine est unie au Corps, mais aussi ce qu’il faut entendre par l’union de l’Ame et du Corps. » et il précise « personne cependant ne pourra se faire de cette union une idée adéquate, c’est-à-dire distincte, s’il ne connait auparavant la nature de notre Corps ». Il s’agit là d’un problème essentiel dans la mesure où, selon l’énoncé de la Proposition VII « l’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses ». Mais de quel problème s’agit-il ? C’est le problème de la « communauté chimique et politique » pour reprendre ici le mot de François Zourabichvili.

Aux yeux de ce dernier seule la connaissance de la nature et de l’essence des individus permet d’accéder à l’intelligibilité du corps politique. Autrement dit l’organisation politique des individus doit être perçue comme un aspect de leur propre configuration physique en tant qu’individu. Ainsi la dynamique de l’individuation s’explique d’abord par la configuration physique des corps. C’est pourquoi en traitant « de la nature et de l’origine de l’Ame humaine » Spinoza a dû suspendre son raisonnement sur la question afin dit-il « de poser quelques prémisses au sujet de la nature des corps » . Nous ne nous étalerons pas outre mesure sur cette question de la configuration physique des corps car ce qui nous y intéresse tient seulement en la validation de notre thèse de départ. A savoir que l’orientation qu’une philosophie prend à partir de son anthropologie prépare de loin les déterminations politiques de celles-ci. Dans le cas présent, c’est-à-dire chez Spinoza cela devient plus intéressant dans la mesure où l’Ethique est d’abord et avant tout « une anthropologie politique » . Cela est d’autant plus vrai que lorsque Spinoza parle de corps il sous-entend individu : c’est ce qui apparait à travers ces propos : « on sait que le corps humain est l’objet immédiat de l’esprit, celui-ci n’étant rien d’autre que la conscience du corps. Par conséquent si le corps est défini comme individu, toute l’anthropologie et toute l’Ethique deviennent des descriptions et des théories de l’individu » . Ce qui revient à dire que l’intérêt qui est ici accordé à l’individu trouve son fondement dans la démarche philosophique de Spinoza puisque c’est ce concept qui est au socle même de sa théorie politique.

« Communauté chimique et politique » ou la voie de la libération

Nous nous sommes permis d’emprunter ce titre à François Z0URABICHVILI qui l’utilise dans son ouvrage intitulé Spinoza une physique de la pensée, afin de mettre en exergue le lien qui se dégage entre la théorie de l’individuation et l’avènement de la communauté politique. Ce titre nous est apparu pertinent parce qu’il résume parfaitement les idées que nous nous sommes proposé de développer ici dans ce sous chapitre. En effet, nous sommes parti du principe selon lequel « pour comprendre le mécanisme interne de la société politique, il faut partir de l’état de nature. Le plus simple est logiquement antérieur au plus complexe ; et le plus simple ici, ce sont les individus juxtaposés » .

Maintenant il s’agira, pour nous de voir comment les individus qui étaient prisonniers d’eux-mêmes à l’état de nature vont tenter de s’extirper de ce mécanisme passionnel? Comment va se présenter la recherche de l’utile propre qui anime chaque individu, en face de cette quête de liberté et de mieux être ? Comment envisager l’expression du droit naturel ; bref comment sortir du carcan de l’individualisme ? Aussi faut-il pour ce faire, que chacun arrive à dépasser sa propre individualité. Dans tous les cas, notre analyse des motifs et mobiles qui seront à l’origine du pacte social nous fournirons des réponses. Précisons seulement que nous ne suivons pas ici la démarche état de nature, contrat, état social pour être fidèle à une certaine mode d’exposition que l’on retrouve presque chez tous les théoriciens du droit naturel, y compris chez Spinoza. Mais que nous essayons au mieux de nous attarder au niveau de ces trois moments pour évaluer la dimension de l’individu tel qu’il se révèle chez Spinoza C’est en cela que nous venons de voir, ci-haut, que l’état de nature présente un tableau synoptique de l’individuation chez Spinoza, dans la mesure où l’individu y est présenté sans aucune forme de conditionnement politique. Tout semble y obéir à la logique de la nature des choses. Qu’en est-il maintenant de cet individu dans une vie en communauté ? En effet, comme le note Misrahi : « en cherchant à définir quel bien serait plus utile à l’homme Spinoza rencontre l’autre » .

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE
I ° L’anthropologie de Spinoza
a- De l’individuation
b- « Communauté chimique et politique » ou la voie de la libération
DEUXIEME PARTIE
II° Individu et citoyenneté
a- La citoyenneté en question
b- Citoyenneté et typologie des formes de gouvernement
Conclusion
Bibliographie

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