Langue basque, identités et territoire

La rentrée scolaire 2018-2019 a été marquée, au Pays Basque de France (PBF), par une forte mobilisation des parents d’élèves des écoles immersives en langue basque. Ces ikastola réclament le financement par le Rectorat de Bordeaux, et donc par l’Education Nationale, de cinq postes de professeurs des écoles . Les effectifs d’élèves dans ce système éducatif ne cessent d’augmenter et l’ampleur de la mobilisation interroge sur les motivations d’un tel engouement. La langue basque, l’euskara, reléguée pendant longtemps au domaine privé semble aujourd’hui faire l’objet d’un intérêt public et politique incontournable. Le nombre de locuteurs ne cesse de diminuer et pourtant de plus en plus d’élèves apprennent le basque à l’école, de plus en plus de manifestations revendiquent sa pratique dans l’espace public. Autrement dit, il n’y a jamais eu si peu de locuteurs bascophones et autant de signes du désir de parler cette langue. On estime que 29% de la population du Pays Basque (français et espagnol) est bascophone, soit 767 920 habitants . Si l’on inclut les bilingues réceptifs (personne capable de comprendre la langue mais pas de la parler, ou simplement capable de parler quelques mots), cela représente 45% de la population soit 1 191 600 personnes. Ainsi, la majorité de la population du Pays Basque n’est pas bascophone. En outre, il existe de grandes différences dans cette situation sociolinguistique selon les espaces considérés. Pour le terrain qui nous intéresse, le Pays Basque de France, la proportion de bascophones dans sa population totale n’est que de 20.5% soit 51 200 locuteurs, auxquels nous pouvons rajouter 23 300 bascophones réceptifs (9.3 % de la population du Pays Basque de France). Ainsi, avec moins de 30% de sa population bascophone, la langue basque est minoritaire au Pays Basque de France. Cette tendance s’accentue depuis les vingt dernières années : en 1996, on comptait 75 900 bascophones (locuteurs et bilingues réceptifs) soit près de 36% de la population du Pays Basque de France.

La perte de locuteurs interroge sur l’utilité de la transmission et de l’apprentissage de la langue basque en France. De plus, dans le contexte actuel de mondialisation des échanges, des économies, du développement des mobilités des individus, il semble plus opportun de maitriser des langues internationales telles que l’anglais, l’espagnol ou encore le chinois et l’arabe. Pour autant, en France, on observe une hausse constante des effectifs d’enfants scolarisés en basque et, depuis les années 2010, une augmentation du nombre de locuteurs bascophones parmi les générations les plus jeunes du Pays Basque. Scolariser son enfant en basque est donc un choix de plus en plus partagé même s’il nous paraît, de prime abord, aller contre la dynamique linguistique du Pays Basque de France et de la mondialisation.

La situation sociolinguistique que nous présenterons plus en détail dans cette thèse révèle plusieurs paradoxes qui suscitent des interrogations quant aux motivations autour du choix de la scolarisation en basque.

Tout d’abord, une interrogation alimentée par l’augmentation de la part des bascophones parmi les générations les plus jeunes dans un contexte où le soutien de l’opinion aux politiques de promotion de la langue recule légèrement. L’apprentissage précoce de la langue basque est plébiscité mais la valorisation et l’usage public de la langue ne sont pas souhaités. Comment expliquer ces dynamiques contraires ? Nous émettons ici l’hypothèse d’un choix de scolarisation qui est pensé comme une stratégie. Cet enseignement bilingue précoce est choisi pour d’autres raisons que la pratique du basque en lui-même. Les motivations qui l’entourent relèvent alors de logiques communes à toutes les langues d’apprentissage. Ce choix serait une stratégie qui nous renseignerait sur les lacunes du système éducatif français que les parents souhaitent dépasser.

De même, alors que le nombre de bascophones est plus important dans l’intérieur du Pays Basque de France, on observe que l’augmentation de la part des bilingues est plus importante pour les zones côtières et périurbaines. Autrement dit, les dynamiques d’apprentissage et de transmission de la langue basque sont plus importantes là où l’environnement est le moins bascophone. Ce constat nous interpelle quant au sens que l’on donne à la langue dans un contexte de mixité sociale et culturelle. La langue basque pourrait y être perçue, au-delà de ses liens intrinsèques à l’identité basque, comme une richesse universelle qui participe à la définition des identités plurielles de ces espaces cosmopolites. Sa transmission et son apprentissage seraient révélateurs d’un désir d’ancrage local, de valeurs jugées authentiques et traditionnelles.

De la même manière, nous chercherons à comprendre pourquoi les espaces les plus bascophones semblent moins concernés par la transmission et l’apprentissage de l’euskara. Les représentations associées à cette scolarisation seraient tributaires de ces contextes géographiques et sociaux. Observe-t-on une différence du rapport à la langue basque, à sa transmission, à l’identité qu’elle véhicule entre la côte et l’intérieur, entre les espaces urbains et ruraux, entre les espaces identifiés comme des « déserts non bascophones » et les « espaces de respiration » (BACHOC, 2018) de la langue basque ?

Enfin, l’engouement pour la scolarisation en basque est porté, en partie, par une génération qui n’a pas bénéficié de transmission familiale ou scolaire de la langue. Certains des parents que nous avons rencontrés font partie de cette génération et ne possèdent pas la langue basque. D’autres parents viennent de s’installer au PBF et ne la pratiquent pas non plus. L’absence de la langue basque dans leur parcours identitaire devrait nous renseigner sur l’évolution du rapport entre langue et identité basque : sans l’euskara, comment définissent-ils leur identité basque ? Nous faisons l’hypothèse que le choix scolaire fait par ces parents participe à la (re)définition ou au recentrage de cette identité en nuançant, notamment, sa dimension territoriale.

Situation et évolution de la langue basque en France

Le Pays basque est un territoire transfrontalier : une partie se situe en Espagne, l’autre partie est en France. Il est composé de 7 provinces historiques. Le Pays Basque de France regroupe le Labourd, la Basse-Navarre et la Soule (carte 1). Il compte plus de 300 000 habitants (pour plus de 2 700 000 au Pays Basque d’Espagne) dont près de 70% ne parlent, ni ne comprennent la langue basque. Contrairement aux provinces du Pays Basque d’Espagne, elle ne bénéficie pas de reconnaissance officielle .

L’euskara est une langue minoritaire. Pour autant, elle est au cœur de la culture basque et de tous les aspects qui en sont pratiqués. La langue basque cristallise la singularité de la culture et de l’histoire du Pays basque en France et en Espagne. Elle participe à la définition de ce qu’est « être basque » : en langue basque, on utilise l’autonyme euskaldun pour dire que l’on est basque et que l’on est bascophone. Pour autant, la minorisation de l’euskara, au PBF, interroge : dans quelle mesure entraîne-t-elle une redéfinition de l’identité basque ? Doit-on forcément être bascophone pour être basque ? Est-on basque dès que l’on est bascophone ? En quoi ce lien entre la langue et l’identité connaît-il des recompositions au regard de l’évolution de la situation sociolinguistique du PBF ?

Plusieurs générations ont connu une scolarisation essentiellement en français et un recul, voire un abandon, de la transmission familiale de la langue basque. L’environnement culturel, l’attachement à la langue permettent cependant sa survie, et ce d’autant plus lorsque ces générations ont eu la possibilité de scolariser leurs enfants en basque. En outre, la démographie du PBF est très dynamique et se caractérise par un solde migratoire positif (carte 2). Les communes qui connaissent des taux de variation de leur population les plus forts du PBF se situent dans le Labourd (carte 5) et sont, de façon plus éparse, des bourgs ruraux ou se situent à proximité des bourgs ruraux du Pays Basque intérieur. Au-delà de ces dynamiques démographiques, nous observons que la population se concentre surtout dans les communes de la côte basque ou du Labourd (carte 3). Les communes du BAB concentrent 41% de la population du PBF et celles du Labourd (hors BAB) regroupent 46 % de la population du PBF. Dans ces espaces, l’installation des populations venant de l’extérieur modifie le paysage linguistique et accentue a priori la minorisation de l’euskara. Pour autant, ces populations ne démontrent pas forcément un désintérêt pour l’apprentissage et la transmission scolaire de l’euskara.

Les effectifs d’enfants scolarisés en basque ne cessent d’augmenter depuis ces quinze dernières années, date de la création de l’Office Public de la Langue Basque (OPLB).

Cette revitalisation de la langue par le biais de la scolarisation en basque nous interpelle sur le sens que ces parents donnent à la transmission : pourquoi font-ils le choix d’inscrire leurs enfants dans une filière immersive ou bilingue basque en France ? Ce questionnement est d’autant plus légitime que la pratique de la langue basque ne cesse de décliner au Pays Basque de France Depuis 1991, 6 enquêtes sociolinguistiques ont été menées au Pays basque (en 1991, 1996, 2001, 2006, 2011 et 2016) sous la responsabilité du département en charge de la politique linguistique du Gouvernement d’Euskadi (Communauté Autonome Basque, en Espagne). Depuis 2006, l’Office Public de la Langue Basque collabore à ces enquêtes pour le PBF. Des échantillons de population de 16 ans et plus sont constitués sur la base des listes des annuaires téléphoniques, sans tenir compte de l’origine ni de la nature de la résidence. La consultation de ces échantillons permet de dresser un panorama de l’état de la pratique, de la connaissance mais aussi de la transmission et de l’apprentissage de la langue basque depuis, désormais, une vingtaine d’années. Il est à noter qu’au regard des conditions « pas vraiment satisfaisantes »  de réalisation de l’enquête dans le PBF en 1991, les données de cette année seront écartées pour l’analyse.

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Table des matières

Résumé
Mots clefs
Abstract
Keywords
Introduction générale
Le plan de la thèse
Chapitre 1 : Situation et évolution de la langue basque en France : les enquêtes sociolinguistiques quinquennales
1. Vers un rebond générationnel de l’euskara au PBF ?
1.1. Atténuation récente du recul du basque et dynamisme démographique du PBF
1.1.1. La part des locuteurs de l’euskara en recul… relatif
1.1.2. Vers une tendance haussière pour la période plus récente ?
1.2. Effets de générations sur la compétence linguistique et son évolution
1.2.1. Des bascophones âgés et des actifs qui reconnectent avec la langue
1.2.2. Les jeunes générations synonymes de renouveau.
2. Un gradient Est-Ouest décroissant pour les locuteurs de l’euskara ?
2.1. Trois secteurs d’étude aux poids et tendances démographiques inégaux
2.2. La part des locuteurs de l’euskara plus importante à l’Est, mais en plus forte progression à l’Ouest
2.3. Evolution de la compétence linguistique dans chacun des 3 secteurs
2.4. Evolution de la part des bascophones par classe d’âge dans chacun des 3 secteurs
2.4.1. Dans le secteur du BAB
2.4.2. Dans le secteur Côte Sud – Labour intérieur
2.4.3. En Basse-Navarre et Soule
3. La transmission de la première langue
3.1. La transmission du basque selon le secteur et la tranche d’âge
3.1.1. La transmission du basque comme langue première selon les secteurs d’étude
3.1.2. La transmission du basque en recul face à la scolarisation pour les plus jeunes
3.2. Le renouvellement du bilinguisme basque assuré par une acquisition hors de la famille
3.3. Une transmission familiale de la langue accrue chez les jeunes parents bascophones
4. Vers un renouveau de la langue basque ?
4.1. Apprendre le basque : le rebond grâce à l’école en basque
4.2. Un rebond linguistique qui contraste avec l’évolution de l’opinion
4.2.1. Vers un environnement toujours moins euskaltzale ?
4.2.2. Par contraste, des choix de scolarisation en basque qui se consolident
Synthèse :
Chapitre 2. La langue basque à l’école : historique, constat et enjeux de cet enseignement bilingue en France.
1. Le Pays basque de France et la scolarisation en basque sur ce territoire : des terrains peu étudiés.
1.1. Des objets plus étudiés pour le Pays basque d’Espagne
1.2. Un corpus par le prisme de l’identité basque dans le cadre républicain français.
1.3. Sur la langue basque en France
2. Les soutiens à l’enseignement : fédérations de parents d’élèves et OPLB
2.1 Des parents d’élèves aux fédérations de parents d’élèves.
2.1.1. La filière immersive et associative : Seaska
2.1.2. La filière bilingue dans les écoles confessionnelles : Euskal Haziak
2.1.3. La filière bilingue dans les écoles publiques : Ikas-bi et Biga bai
a) Ikas-bi : une fédération historique qui charrie ses travers
b) Ikas-bi : Engagement pour le basque dans l’école publique et conflits de légitimité
c) Biga Bai : des parents du public plus proches de Seaska
2.2. L’OPLB et la mobilisation en faveur d’une politique linguistique
2.2.1. L’enseignement du basque, l’une des missions de l’OPLB
2.2.2. Le poids de la société civile dans la promotion de la langue et de la culture basques
3. Atlas scolaire 2016-2017 : le basque à l’école
3.1. Trois filières de scolarisation en basque (bilingue et immersif confondus)
3.1.1. La filière bilingue dans le public
3.1.2. La filière bilingue dans le privé confessionnel
3.1.3. La filière immersive dans le privé associatif et laïc
3.2. Distribution spatiale et par niveau des effectifs en basque
3.2.1. Tour d’horizon du basque dans les écoles primaires au PBF
a) Poids du basque dans le panorama général
b) Analyse de la distribution de l’offre en basque en PBF
c) La filière bilingue/immersive dans le système public
d) La filière bilingue (et immersive) dans le privé confessionnel
e) La filière immersive dans le privé associatif : les ikastola de Seaska
3.2.2. L’enseignement en basque dans les établissements du secondaire
a) Le collège en basque : répartition et distribution entre filières
b) Le lycée en basque : répartition et distribution entre filières
3.3. Quitter ou rester ? Des choix contrastés selon les filières et les niveaux
3.3.1. Des taux de suivi du basque au fil de la scolarité inégaux suivant les filières
3.3.2. Des moments clés de la scolarité pour l’abandon du basque, différents selon les filières
4. De la transmission à la scolarisation des langues régionales en France
4.1. Evolution et facteurs d’une transmission familiale du basque en recul
4.1.1. La transmission du basque : un repli, certes, mais contenu
4.1.2. Le monde rural : un refuge pour la transmission de la langue ?
4.1.3. Entre développement et traditions : la langue mise à l’épreuve
4.1.4. Interruption de la retransmission pour cause d’unité nationale et de pacte républicain
4.1.5. Dimension symbolique et conscience de la langue transmise
4.1.6. Au sein des couples, le poids de la bascophonie et le rôle de la mère
4.2. Le français, la langue basque et l’école
4.2.1. La langue française : symbole républicain et ressort progressif d’intégration
4.2.2. L’école, un dispositif d’encadrement par la langue
4.2.3. Le retour du basque en réaction à l’intégration ?
4.2.4. De la convergence des « causes » à l’affirmation de la légitimité du basque
4.2.5. D’un handicap à un avantage cognitif et linguistique
4.3. L’étude de la place des langues régionales en France
4.3.1. Langue et identité régionale : étude d’un rapport social
4.3.2. Les langues régionales à l’école de la République
Synthèse
Chapitre 3. Le champ théorique pour penser le choix de la scolarisation en basque.
1. « Dans quelle société vivons-nous ? »
1.1. Définir l’hypermodernité
1.2. Une société, des systèmes sociaux
1.2.1. Le système d’intégration
1.2.2. Le système de compétition ou de marché
1.2.3. Le système culturel ou d’action historique
1.3. L’identité et le territoire pour l’individu hypermoderne
1.3.1. « C’est que je suis ainsi à la lisière »
1.3.2. Ici et ailleurs, en même temps : le territoire dans l’identité hypermoderne
2. Faire émerger le sens social d’une action
2.1. L’expérience sociale pour construire l’unité
2.2. Différentes logiques d’action
2.2.1. L’intégration
2.2.2. La stratégie
2.2.3. La subjectivation
2.3. Hypothèses de logiques d’action pour définir l’expérience sociale dans notre enquête
2.3.1. Hypothèses des logiques d’action
2.3.2. La scolarisation en basque, une expérience sociale ?
Conclusion générale

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