L’analyse des pratiques des agriculteurs

L’analyse des pratiques des agriculteurs

Les systèmes agraires au Nicaragua : entre dynamiques de marchés, dynamiques de classes et dynamiques écologiques

Classes sociales et élaboration d’idéaux-types

L’anthropologie américaine s’est intéressée assez tôt aux formes d’organisation des sociétés agraires et aux systèmes de production. Dans les années 50, La production littéraire sur ces thèmes montre la multiplicité des études consacrées aux « cultures » et « sous cultures » (Redfield 1941) du monde rural. Parmi ces approches, celles centrées sur l’analyse de la catégorie de « paysan » en confrontation avec celle des « capitalistes », et celles qui cherchent à comprendre les modèles de production des « Haciendas » et des « Latifundios » présentent un intérêt heuristique pour l’élaboration de typologies. A la suite des auteurs pionniers, l’une des contributions les plus reconnues est celle qui a été développée par Eric Wolf (1955). Dans « Types of Latin American Peasantry » (1955), cet auteur présente les caractéristiques majeures de la production « paysanne » en opposition avec les sociétés « indigènes »
traditionnellement étudiées par les anthropologues. Wolf distingue ainsi trois critères pour déterminer les « paysans ». Le paysan est selon cet auteur un producteur agricole. Propriétaire de la terre, il contrôle effectivement le terrain qu’il cultive. Les productions sont destinées à sa propre subsistance, la vente d’une partie de ses cultures ne sert qu’à couvrir ses besoins quotidiens et à maintenir un statut établi. Il oppose ce dernier au « farmer » qui vend ses cultures pour obtenir des gains à réinvestir dans l’exploitation. Dans un deuxième article, coécrit avec Mintz (1957), « Haciendas and Plantations in the Middle America and the Antilles », les deux auteurs s’attèlent à analyser les distinctions existantes entre ces deux types de systèmes. Dans les premières lignes de cet article, les deux auteurs distinguent ainsi les deux types en fonction des investissements et des orientations mercantiles de ces deux structures : les haciendas représenteraient ainsi la particularité d’orienter leur production sur des marchés de petite envergure tout en maintenant un faible niveau d’investissement alors que les plantations s’orienteraient vers des marchés étendus en investissant un capital important. Par ailleurs, les auteurs soulignent que pour les premiers, la possession des terres a, en plus d’une fonction économique, pour objectif de maintenir un statut social alors que pour les seconds la production s’inscrit uniquement dans une logique d’accumulation.
Cette approche s’inscrit dans une démarche où les caractéristiques économiques de la production sont fondamentales pour comprendre les formes que prennent les systèmes de production en fonction des situations sociales des producteurs. L’intérêt majeur de Wolf est qu’il définit chaque classe dans leur position structurelle à l’intérieur de la société (en analysant par exemple les transferts des excédents des paysans vers les groupes dominants) et refuse l’idée de phases de successions d’une structure à une autre. En analysant les relations  sociales entre différents types de structures, il prend ainsi le contrepoint des économistes qui ont généralement analysé les systèmes par l’unique entrée du marché. Cependant, l’analyse des systèmes de production (ou modes de production) à travers les simples critères « objectif de la production », « main d’œuvre employée / familiale »,
« contrôle des moyens de production », ne permet pas d’expliquer les types de stratégies mises en œuvre par les différents producteurs. Par, ailleurs en présentant des types relativement figés, Wolf omet de prendre en compte l’aspect dynamique des systèmes de production et les différenciations sociales qui s’exercent au sein même de cette catégorie analytique. En effet, en présentant une vision monolithique des différents groupes sociaux, l’auteur ne laisse pas la place à l’analyse des trajectoires sociales propres à chaque acteur, insérés dans des réseaux sociaux différents. Cette approche a cependant considérablement influencé les formes d’appréhensions de la réalité sociale dans le monde rural en Amérique latine.
Les premières typologies rurales visent à donner une image du développement du capitalisme dans le secteur agricole et déterminent généralement deux grands secteurs sociaux : le premier caractérisé par celui des grandes haciendas capitalistes et l’autre par les prolétaires agricoles. Ces typologies s’appuient sur le facteur « rapport de production », déterminé par l’achat/vente de la force de travail qui constitue le critère fondamental de différenciation sociale et auquel sont parfois associés d’autres critères tels que le foncier, le type de production ou le niveau de revenus, qui permettent de définir des sous-groupes plus spécifiques (Maldidier et Marchetti 1996).

Analyses théoriques du monde agraire et implications politiques

Les analyses du monde agraire des années 1980 ont considérablement influencé les actions politiques mises en œuvre à l’égard du monde rural et ont également contribué à produire des interprétations des dynamiques sociales contribuant à la structure agraire actuelle du Nicaragua. Il est parfois difficile de séparer l’idéologique de l’approche théorique. De nombreux écrits scientifiques produisent aujourd’hui encore des analyses dont l’influence de ces approches est certaine. Ces théories sont encore très présentes dans la manière de concevoir les différentes classes sociales du monde rural latino-américain et dans la façon dont elles s’affrontent politiquement et idéologiquement. Au Nicaragua, ces approches se basent globalement sur trois analyses : le couple latifundio-minifundio comme résultat du « modèle agroexportateur » ; la bourgeoisie « chapiolla » comme voie inter-médiane; le potentiel de la classe paysanne (Maldidier et Marchetti 1996)

L’insertion inégale dans le capitalisme international

A l’image de Myers (1981), plusieurs auteurs invoquent l’insertion dans le marché international comme facteur prépondérant expliquant l’extension des surfaces destinées à l’élevage. Théoriciens de la dépendance, et ceux du courant qu’il est convenu d’appeler la « hamburger connection » se rejoignent ainsi pour dénoncer le rôle de périphérie des pays d’Amérique centrale comme facteur primordial de l’expansion des surfaces consacrées à l’élevage bovin. Ce type d’analyses peut trouver leur origine dans une approche classique selon laquelle le modèle agro-exportateur serait à l’origine de la constitution et de la permanence d’une structure agraire bimodale. S’inscrivant dans ce courant, Roux (1975) établit une rapide relation de cause à effet entre l’augmentation de la demande de viande bovine des pays industrialisés et l’expansion dans l’espace de l’activité d’élevage. Selon lui, l’élevage extensif est le produit d’une structure sociale inégale héritée de la période coloniale et caractérisée par la dualité latifundio-minifundio. L’appropriation de très grandes surfaces par une minorité et l’insertion inégale du pays dans le capitalisme international sont les deux éléments explicatifs des systèmes d’élevage extensifs. En effet, par sa position de périphérie au sein du système monde, les grands propriétaires terriens sont dépendants de la demande internationale des produits agricoles. Ainsi, explique-t-il, l’évolution des prix des produits en fonction de la demande internationale (principalement des Etats Unis) conduit à une spécialisation productive et à une division fonctionnelle des terres. L’usage apparemment irrationnel de terres fertiles pour l’élevage extensif est donc justifié au regard de la faible demande qui n’incite pas les producteurs à intensifier leurs terres et les incite au contraire à réduire l’offre des produits bovins pour ne pas être confrontés à une baisse des prix sur le marché. Dans cette acceptation, l’apparition d’un nouveau marché de la viande bovine conduira progressivement à l’intensification des systèmes d’élevage. Ces analyses ont ainsi tendance à surévaluer le marché comme principal facteur de transformation des structures productives en oubliant les dynamiques internes explicatives des structures. Ces approches largement développées dans les années 70-80, font face à leur propres contradictions, au regard de la permanence de ces systèmes (Edelman 1993).
Ces analyses ont constitué la base idéologique pour l’action sandiniste des premières années (1979-1983), représentées en la personne de James Wheelock (1975), qui fut ministre de l’agriculture dans les années 1960. Le « modèle agro-exportateur » a ainsi conduit à développer une approche selon laquelle le développement du capitalisme dans les structures rurales du Nicaragua s’est caractérisé par le surgissement de deux classes sociales : une bourgeoisie agro-exportatrice héritière des structures coloniales divisée en deux sous groupes, l’un utilisant des techniques intensives et l’autre ayant conservé des schémas peu développés et un prolétariat investi dans la production intérieure et servant de main d’œuvre dans les structures capitalistes (Kaimovitz et Cusminsky 1986). C’est ainsi que les politiques mises en œuvre au cours de cette première période ont consisté à favoriser le développement des entreprises étatiques comme moteur d’accumulation paysanne et à réaliser une alliance avec les entrepreneurs agricoles non somozistes (Maldidier et Marchetti 1996).

La voie inter-médiane entre le capitaliste et le prolétaire : la « bourgeoisie chapiolla »

La notion de « bourgeoisie chapiolla », popularisée par David Nuñez, caractérise les franges de producteurs d’un « poids très significatif de petits et moyens producteurs » qui se sont développés entre les deux classes dominantes du monde agraire nicaraguayen : l’élite agraire qui a le contrôle des « capitaux présents dans les sphères de circulation et de transformations agroindustrielles » et les entrepreneurs agricoles modernes avec un schéma intensif (Baumeister 1989, Maldidier et Marchetti 1996). Ces deux dernières classes sont en concurrence pour le contrôle des ressources. La bourgeoisie chapiolla, dont les principes d’accumulation sont basés essentiellement sur la terre et la main d’œuvre, sont issues de couches populaires. Cette classe sociale a profité des politiques de mises en valeur des terres forestières des régions du Nord du pays qui assuraient la propriété des terres à ceux qui les défrichaient. La bourgeoisie chapiolla constitue donc un groupe de producteurs enrichi notamment grâce au processus de frontière agricole qui leur permet d’accéder à de grandes surfaces de terres. Selon cet auteur, l’alliance entre la bourgeoisie chapiolla et les entrepreneurs agricoles modernes devrait permettre de contrecarrer le pouvoir des grands propriétaires terriens.

La voie paysanne

Cette approche s’oppose aux théories postulant que le paysannat n’a jamais existé et visent ainsi à réintroduire l’idée du potentiel du paysannat dans l’économie nationale. Bainville et al. (2005) présentent une bonne illustration de cette approche. Ils démontrent ainsi que la production paysanne n’est pas « retardée » mais que l’analyse par l’importance de chaque producteur dans la production nationale ne permet pas de rendre compte de la réalité des situations et de prendre en compte le potentiel économique de la production paysanne. Ce sont d’abord pour des raisons structurelles que celle-ci est limitée dans son développement. Les résultats technico-économiques de ces dernières sont meilleurs que ceux de producteurs capitalistes et elle est créatrice de source d’emploi. Dans ce contexte, soulignent Bainville et al. (2005), des politiques foncières visant la redistribution des terres aux paysans devraient permettre de favoriser le développement économique du pays. Les analyses portant sur la voie paysanne ont cependant souvent été critiquées comme a-historique et romantiques (Maldidier et Marchetti 1993).
L’analyse de Merlet (1990) sur l’émergence de la voie paysanne au 19ème siècle vise ainsi à réintroduire cette classe dans l’histoire agraire du pays, qui a toujours été interprétée et analysée à partir des classes dominantes. Il montre que le paysannat a bel et bien constitué une réalité à part entière mais la classe paysanne émergente a été contrecarrée par les classes dominantes à travers un processus d’exclusion. L’appropriation des terres incultes (« baldias ») permises par la réforme agraire du XIXème siècle s’inscrit dans cette logique.

El campesino-finquero : un essai d’analyse agro-socio-écologique

Il est nécessaire ici de mentionner le livre de Maldidier et Marchetti (1996) qui représente un effort de systématisation important de la structure agraire du Nicaragua en présentant une typologie dynamique. Associant des données statistiques issues du Ministerio de Desarrollo Agropecuario y
Reforma Agraria (MIDINDRA) et les résultats d’études régionales et locales, Maldidier et Marchetti construisent une typologie qui part des dynamiques d’évolution et dans laquelle l’appartenance à un groupe social est intimement liée au type de système de production définit comme la « combinaison spécifique de ressource en terre, équipements et infrastructure et force de travail, organisés pour produire certains produits et obtenir certains résultats ». Les systèmes de production sont par ailleurs entendus comme le fruit d’une rationalité spécifique déterminant la logique productive de chaque producteur. Trois groupes de critères sont utilisés pour définir les différents types de producteurs : la genèse historique ; la nature technique du système de production ; et l’existence d’une certaine rationalité économique. A partir de cette approche, ils définissent deux niveaux de classification : la définition de groupes sociaux homogènes reliés aux types de systèmes de production et la définition des types de systèmes de production en lien avec la diversité physique et socio-économique du pays. A l’échelle nationale, il s’agit ainsi de présenter « la forme concrète que prend un secteur social déterminé dans une localisation géographique déterminée ». La typologie de Maldidier et Marchetti permet d’identifier des secteurs sociaux ruraux à l’échelle nationale, et représente une approche nouvelle. La prise en compte des trajectoires sociales, représente une avancée pour situer les producteurs dans les dynamiques sociales. Cependant elle présente d’une part l’écueil de présenter la rationalité comme purement économique et déterminée par les conditions matérielles et d’autre part, elle n’inclut pas dans l’analyse les producteurs issus de la réforme agraire, considérés à part.

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Table des matières

SOMMAIRE :
Introduction : 
PREMIERE PARTIE 
DES OBJETS A LA METHODE
I. L’analyse des pratiques des agriculteurs : un retour vers l’acteur ?
1.1 L’analyse agronomique : le fait technico-économique
1.2 Les sciences sociales : les pratiques en tant que fait social1.2.1 L’anthropologie économique contre la rationalité instrumentale
1.2.2 « Le sens pratique » en sociologie ..
1.2.3 Les représentations sociales
II. Les systèmes agraires au Nicaragua : entre dynamiques de marchés, dynamiques de classes et dynamiques écologiques
2.1 Classes sociales et élaboration d’idéaux-types
2.2 Analyses théoriques du monde agraire et implications politiques
2.2.1 L’insertion inégale dans le capitalisme international
2.2.2 La voie inter-médiane entre le capitaliste et le prolétaire : la « bourgeoisie chapiolla »
2.2.3 La voie paysanne
2.3 El campesino-finquero : un essai d’analyse agro-socio-écologique
III. Problématique
IV. Sites et méthodes
4.1 Plaines et zones sèches de l’Etat de Rivas
4.2 Méthodologie
DEUXIEME PARTIE 
GROUPES SOCIAUX, STRATEGIES DE PRODUCTION ET REPRESENTATIONS A LA CHOCOLATA, RIVAS,
NICARAGUA
I. La constitution des systèmes de production 
1.1 Un espace « agro-socio-écologique » hétérogène
1.2 La Chocolata : histoire sociale / histoire orale
1.3 Structure agraire actuelle de la Chocolata et dynamiques des systèmes de production..23
II. Pour une typologie locale des systèmes de production 
2.2 Trajectoires et différenciation sociale
III. Situation sociale, stratégies productives et pratiques de gestion des ressources
3.1 Systèmes d’élevage intensifs / systèmes d’élevage extensifs : modes de production, rapports de production et représentations
3.2 Les systèmes de polyculture /élevage : un système intégré guidé par les cultures vivrières
3.3 Des stratégies agroforestières aux Représentations sociales
TROISIEME PARTIE 
DISCUSSION : DE LA « RATIONALITE PAYSANNE » A LA « LOGIQUE DU LATIFUNDIO »
I. Le facteur économique en question 
II. La notion de groupes sociaux et trajectoire sociales
III. Représentations sociales et Relations sociales
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ..

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