L’amour dans le système dramatique cornélien

LA CONCEPTION CORNÉLIENNE DE L’AMOUR 

Une œuvre écrite au début du XIIème siècle en dialecte anglo-normand, La Chanson de Roland paraît comme la manifestation de l’esprit de la civilisation française. Elle est une œuvre qui exalte l’honneur. Ainsi, la figure du preux incarnée par Roland et issue des profondeurs du Moyen Age est l’ancêtre du héros cornélien. Le poète peint un combat où l’arrière-garde de Charlemagne est attaquée et massacrée par des montagnards basques chrétiens. Ainsi, Roland, emporté par sa bravoure et par le sentiment démesuré de l’honneur,

« En douce France, je prendrais mon renom » 

refuse la proposition d’Olivier qui veut appeler Charles à l’aide. Cette évocation de l’honneur familial et féodal s’applique à ces deux pièces, Le Cid et Horace de Pierre Corneille. A cet effet, don Diègue, privilégiant l’honneur, charge son fils de le venger :

« L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir »
(Le Cid, III, 6, v.1059) .

Dès lors, Corneille souligne la faiblesse de l’amour. La morale chrétienne et celle de l’Astrée d’Honoré d’Urfé sont les principales sources d’inspiration du dramaturge. Cette passion est dominée par la loi du devoir. Voilà donc la conception cornélienne de cette passion. Ainsi « désir de posséder quelque chose de grand et de mérite », l’amour implique forcément la puissance du devoir. Dans cet ordre d’idées, nous allons accorder un sens à ces propos de Serge Doubrovsky :

«On dit que guerrier de la vieille école, don Diègue refusait de comprendre les exigences propres de l’amour  » .

Le dilemme cornélien dont nous avons l’habitude d’entendre parler ne s’empare guère des pièces de Corneille. L’amour et le devoir obligent Rodrigue à la vengeance. Mais si dans Le Cid apparaît une opposition Amour-honneur : « contre mon propre honneur mon amour s’intéresse  », Horace s’écarte de cette construction. Aucun des personnages masculins n’éprouve le dilemme. Horace place au dessus de tout le service de Rome :

« Contre qui que ce soit que mon pays m’emploie,
J’accepte aveuglément cette gloire avec joie. »
(Horace, II, 3, v. 491-492)

Ces propos font échos à ceux de Curiace qui, se rattachant à sa patrie, révèle :

« Mais il (le vieil Horace) ne m’a point vu, pour une trahison,
Indigne de l’honneur d’entrer dans sa maison. »
(Ibid., I, 3, v. 261-262) .

Cette morale chevaleresque est influencée par la philosophie stoïcienne. Considérée comme modèle, la morale stoïcienne, une philosophie de la maîtrise de soi, exprimée par Sénèque et reprise par Montaigne dans ses Essais : « Qui a appris à mourir, il a désappris à servir  » est la source d’inspiration de bon nombre d’écrivains.

Dans la tragédie de Corneille, l’amour ne domine pas les personnages. Cela est justifié par l’acte de Rodrigue . Les personnages cornéliens se trouvent toujours confrontés à des situations exceptionnelles. Pour ne pas perdre l’honneur, le Cid doit affronter le père de son amante. Cette liberté de l’homme à lutter contre ses passions se retrouve dans la philosophie enseignée par René Descartes. Le cartésianisme conçoit l’existence de la vertu dans la satisfaction d’un désir. Dans ce sens, Descartes note :

« Je dis que cet amour est extrêmement bonne, parce que, joignant à nous de vrai bien, elle nous perfectionne d’autant. Je dis aussi ne saurait être trop grand, car tout ce que la plus excessive peut faire, c’est de nous joindre si parfaitement à ces biens, que l’amour que nous avons particulièrement pour nous-mêmes n’y mette aucune distinction, ce que croit ne jamais être mauvais : et elle est nécessairement suivie de la joie à cause qu’elle nous représente ce que nous aimons comme un bien qui nous appartient.  » .

Ces deux morales constituent la base des pièces cornéliennes qui mettent plus l’accent sur la morale que sur le sentiment amoureux.

Arrêtons-nous un peu sur l’amour racinien pour mieux étayer celui cornélien puisque contradictoires. Présenté comme la passion dominante dans le théâtre de Jean Racine, l’amour, marque explicite de la faiblesse humaine, est la grande passion tragique. L’amour est une fatalité. C’est ainsi qu’au début de sa passion pour Hippolyte, Phèdre avoue :

« Je le vis, je rougis, je palis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler. »
(Phèdre, I, 2, v. 273-276) 

Complicité ou désir d’être ensemble, la passion amoureuse est, dans le théâtre de Jean Racine, la passion autour de laquelle tournent toutes les autres, elle est celle qui livre le sens de l’œuvre. Racine l’analyse en sa nudité. Il présente les hommes comme ils sont. Dans ce sens on peut dire avec Landry que l’œuvre racinienne est imprégnée d’augustinisme. D’où cette vision :

« Il n’a évidemment pas voulu composer un théâtre janséniste ; mais tout naturellement ces tragédies expriment une vision augustinienne du monde, celle-là même partagée par la plus part des contemporains de Racine. Ainsi il a représenté des hommes faibles, incapables de résister à leurs passions, esclaves des concupiscences. » .

Cela explique donc la différence entre l’amour dans les écrits de Jean Racine et celui dans les écrits de Pierre Corneille qui peint des amours heureuses et partagées, ce qui permet à Rodrigue, après avoir battu don Gormas, de se présenter chez la jeune fille :

« Écouter mon amour, obéir à sa voix,
C’était m’en rendre indigne et diffamer ton choix …
Je t’ai fait une offense, et j’ai du m’y porter
Pour effacer ma honte et pour te mériter »
(Le Cid, op. cit., III, 4, v. 891-892, 895-896) .

Cette présence, cette confrontation amoureuse est analysée par Scudéry qui voit que Le Cid est une « instruction au mal ». Chapelain à son tour voit qu’ « il y a des vérités monstrueuses qu’il faut supprimer pour le bien de la société». Vrai si on se réfère aux règles prônées par Aristote mais n’oublions pas que Rodrigue protège une morale qui révèle le génie de Corneille. Ainsi, foudroyés par les visites de Rodrigue à Chimène, les académiciens s’accordent sur l’idée selon laquelle Chimène est une «amante trop sensible et fille trop dénaturée ». Ils jugent anormale la fin de la pièce :

«…la bienséance des mœurs d’une fille introduite vertueuse n’y est gardée par le poète lorsqu’elle se résout à épouser celui qui a tué son père. » .

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : L’AMOUR DANS LE SYSTÈME DRAMATIQUE CORNÉLIEN
CHAPITRE I : LA PLACE DE L’AMOUR
1- LA CONCEPTION CORNÉLIENNE DE L’AMOUR
2- LA VALORISATION DE L’AMOUR
3- L’INTRIGUE
CHAPITRE II : LES FORMES D’AMOUR
1- L’AMOUR IMPOSSIBLE
2- L’AMOUR UTILITAIRE
3- L’AMOUR VIRTUEL
DEUXIÈME PARTIE : AMOUR ET EXPRESSION DE LA TRAGÉDIE
CHAPITRE I : LE CONFLIT CORNÉLIEN
1- AMOUR CORNÉLIEN : AMOUR, ESTIME, ET GLOIRE
2- AMOUR ET DEVOIR
CHAPITRE II : LE RENOUVELLEMENT DU TRAGIQUE
1- DISPARITION DU FATUM LIE À L’AMOUR
2- LE TRIOMPHE DE L’AMOUR?
TROISIÈME PARTIE : AMOUR ET HÉROISME
CHAPITRE I : LE HEROS CORNELIEN
1- LA GLOIRE
2- LA LIBERTE
CHAPITRE II : AMOUR ET HONNEUR
1- LA FIGURE DU HÉROS
2- L’HONNEUR HEROIQUE
CONCLUSION
PLAN DETAILLÉ
AUTRES PIÈCES DE PIERRE CORNEILLE
BIBLIOGRAPHIE

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