L’ambiguïté sentimentale et spirituelle

Le climat d’ambiguïté dans le roman Thérèse Desqueyroux

Étant donné que Mauriac et ses œuvres sont déjà très profondément étudiés, il faut que nous sélectionnions un angle précis pour notre étude. On constate que Mauriac s’est construit sur l’ambiguïté sociale et politique. L’ambiguïté est immanente à l’œuvre de Mauriac. Thérèse Desqueyroux, son roman phare, n’est-il pas aussi une œuvre pleine d’ambiguïté ?
Nous allons alors essayer de traiter de l’ambiguïté dans ce roman. Dans la mesure où Thérèse Desqueyroux est un roman classique constitué d’une unité de temps, de lieux, de personnages et d’action, nous allons nous interroger sur la question de l’ambiguïté à travers ces aspects structurels d’un récit.

Le temps

Dans un premier lieu, le temps chronologique est rompu dès le début du roman, cela donne une incertitude aux lecteurs. Mauriac s’inspire des techniques cinématographiques pour commencer ce roman par un flash-back: la sortie de Thérèse du palais de justice.
C’est à travers quelques passages sur la saison naturelle et certaines dates précises (par exemple la date de la visite du fils de Deguilhem) que nous essayons de remettre un temps chronologique.
Dans un deuxième lieu, le temps historique n’est pas précisé dans le roman. Nous pourrions néanmoins émettre quelques hypothèses selon certaines descriptions du mode de vie, par exemple, on sait qu’il s’agit d’une époque où l’on utilise encore la calèche, mais le train existe également vu le changement de différents transports par Thérèse pendant son trajet retour vers Argelouse. La citation de l’affaire Dreyfus (chapitre II) et la Séquestrée de Poitiers (chapitre XII) nous fournissent également des indices historiques.
Nous pouvons également faire référence à d’autres œuvres autour de Thérèse, mais André Séailles montre que même dans le cycle de Thérèse Desqueyroux, le temps historique reste ambigu : « On sait seulement que Bernard épouse, à vingt-six ans, Thérèse au lendemain de la guerre 1914-1918, mais étrangement, cette guerre n’apparaît à aucune page du roman, et Bernard semble ignorer, toute sa jeunesse, cet événement.»
Enfin, le temps psychologique rend la question du temps plus compliquée. Le roman à la troisième personne favorise généralement le point de vue de Thérèse. Il se déroule sous forme d’un journal intime de Thérèse et c’est sa conscience qui conduit la temporalité du roman. Le temps psychologique de Thérèse est ainsi plus important que le temps chronologique et historique. La plupart du livre raconte des souvenirs des années de Thérèse en une nuit sous forme d’un monologue, puis nous lisons sa séquestration qui dure quelques mois, et enfin ses quelques heures à Paris. Il s’agit toujours de la conscience de Thérèse, qui tantôt au présent, tantôt au passé, produit une ambiguïté du temps.

Les lieux

Mauriac choisit sa région gironde pour la plupart de ses romans. Si l’on considère les lieux physiques du roman, il est clair que Mauriac a bien placé cette œuvre dans un cadre, les Landes qui sont en parallèle avec Paris et nous ne trouvons pas d’ambiguïté sur ce point. Or, dans l’imaginaire mauriacien, ces lieux comportent des sens profonds et ambigus. La terre des Landes, c’est sa racine et la source d’énergie de sa création littéraire. Mais cette terre peut sembler aussi étouffante et rétrécie. Paris, la ville de liberté, n’est pas non plus toujours un lieu de paradis. Pour Thérèse, c’est également une ville populeuse dans laquelle l’on peut se noyer. Ces images ambivalentes des lieux sont souvent en interaction avec des motifs naturels comme l’eau ou le feu. Ils sont également liés à l’image des personnages et bien d’autres éléments physiques dans le décor. Par exemple : l’enfance de Thérèse est associée à l’image de la neige à la source du fleuve.
Autrement dit, l’histoire psychologique de Thérèse a un lien étroit avec ses pendants du monde extérieur. À travers des métaphores et des syllepses, Mauriac unit les lieux avec la psychologie du personnage en créant un univers intégral et symbolique.

Les personnages

L’ambiguïté de Thérèse, le moteur du roman, réside d’abord dans son aspect physique. Selon l’écrit de Mauriac, nous ne savons pas sa taille exacte ni comment elle s’habille ou quelle est sa coiffure. Elle est d’ailleurs une femme sans âge. Mais nous connaissons son ton sarcastique, nous subissons son charme. Nous savons qu’elle a un large front, qu’elle aime la cigarette. Chacun de nous peut imaginer un corps physique de Thérèse, ainsi que pour d’autres personnages comme Bernard, dont la description se fait par petites touches.
Par ailleurs, son caractère suscite une ambiguïté profonde. D’un côté, elle fait preuve d’une féminité moderne, luttant contre son milieu bourgeois étouffant ; d’un autre, la jeune femme qui a « la propriété dans le sang » se rend compte à la fin que « la Thérèse qui était fière d’épouser un Desqueyroux, de tenir son rang au sein d’une bonne famille de la lande, contente enfin de se caser, […] cette Thérèse-là est aussi réelle que l’autre, aussi vivante».
En outre, sa relation avec d’autres personnages est également ambivalente. Nous donnerons deux exemples majeurs et laissons les autres personnages à discuter dans la suite du mémoire. D’abord, sa relation avec Bernard Desqueyroux reste à discuter. Avant le mariage, elle a hâte de se marier avec lui. Elle cherche « moins dans le mariage une domination, une possession, qu’un refuge ». Mais quand elle a ce refuge, elle se sent seule et surtout étouffée. Après le mariage, il nous semble qu’elle s’est rendu compte finalement qu’elle a commis une faute et que son mariage est raté. Elle pense de Bernard qu’il est un cochon, pourtant elle se demande aussi: « Que sais-je de Bernard, au fond ?
N’y a-t-il pas en lui infiniment plus que cette caricature dont je me contente, lorsqu’il faut me le représenter? » Par ailleurs, même si elle ne l’aime peut-être jamais, son souhait est finalement d’être pardonnée par lui et de retourner et revivre avec lui à Argelouse (l’intention n’est pourtant jamais saisie par Bernard).

Thérèse Desqueyroux au fil du siècle – un roman, deux films, trois époques

Dans cette partie, nous fournissons des connaissances contextuelles de l’œuvre de François Mauriac et des adaptations filmiques. Nous traitons d’abord la création de Thérèse Desqueyroux, le mettant en lien avec d’autres œuvres de Mauriac. Ensuite, nous fournissons quelques repères de la réception du roman. Après, nous focalisons sur les réalisateurs et les acteurs, pour connaître leurs parcours et leurs rapports avec des adaptations filmiques, en donnant des éléments objectifs qui favoriseraient la réception. Enfin, nous procédons à de brèves analyses sur la réception des films.

La genèse et la suite de Thérèse Desqueyroux

Dans cette section, nous présentons quelques éléments sur la genèse de Thérèse Desqueyroux pour imaginer ce qu’a pu être le processus de création de Thérèse. Nous regardons ensuite la suite du roman pour approfondir notre connaissance sur Thérèse Desqueyroux et montrer comment l’écrivain est fasciné par l’héroïne de Thérèse.

Thérèse dans d’autres romans de François Mauriac

La préfiguration de Thérèse, c’est d’abord Maria Cross. Maria Cross est l’héroïne du roman de Mauriac – Le désert de l’amour (1925). Une bourgeoise qui, par passion de la vie luxueuse, est devenue une femme entretenue. Elle fait souffrir deux hommes en silence puisqu’elle ne partage pas l’amour charnel qu’ils éprouvent pour elle. Elle est, comme Thérèse, une figure représentant l’amour platonique en refusant la sexualité. Mauriac, dans son interview, citant la phrase de Mme de Noailles pour expliquer sa vision de l’amour indique : « La paix qui m’envahit quand c’est vous qui souffrez. »
Quelques lignes plus loin, il le corrige: « j’ai tort de donner le nom d’amour à ce qui est la passion ». Si on considère que Maria Cross est au fond à la recherche d’un amour dans une harmonie paisible (et non pas d’une passion), son côté matérialiste l’empêche d’y arriver. Les deux hommes, qui sont dans leurs passions aveugles, cherchent en vain l’amour réciproque de l’objet inaccessible de leur passion. Ici, Le désert de l’amour constitue déjà l’embryon du principe de la contradiction d’un personnage féminin et du conflit passionnel dans Thérèse Desqueyroux.

La réception du roman à l’époque de Mauriac

Thérèse Desqueyroux a connu un grand succès à sa publication dans la Revue de Paris en 1926 ainsi qu’aux éditions Grasset en 1927. En 1950, il a également reçu le Grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle. L’accueil que la presse française réserve au roman est majoritairement positif. Dans les Nouvelles littéraires, Edmond Jaloux fait l’éloge du roman : « Quel tempérament de grand romancier ! Thérèse Desqueyroux, c’est la Phèdre de Monsieur Mauriac ». Le Mercure de France commente : « son meilleur ouvrage, proprement admirable».
Tandis que d’autres en écrivaient la nécrologie. Les jugements négatifs portent souvent sur l’immoralité du personnage morbide ou l’érotisme implicite de l’œuvre. Le vieil antagoniste de Mauriac, Paul Souday, a publié un article dans le journal Le Temps en lui reprochant : « un mélange d’immoralité fétide et de christianisme malsain qui se complaît dans la piété et le crime pour mieux savourer ensuite les frissons masochistes du repentir ». Les critiques viennent naturellement aussi des catholiques. François Mauriac se souvient qu’il a été invité un jour par les jeunes catholiques belges en le présentant ainsi: « Nous avons invité M. François Mauriac, […] mais non ses personnages. Vous n’êtes pas là, Thérèse Desqueyroux !»
Malgré des critiques, Thérèse Desqueyroux continue à rencontrer du succès chez les lecteurs du monde entier. Jusqu’aux années 1960, une dizaine d’éditions du roman en langue française sont réalisées en France et dans d’autres pays francophones. De nombreuses traductions en langues étrangères voient également le jour, par exemple en allemand et en anglais (1928), en russe (1936), en japonais (1952), en grec (1953) et en chinois (1981).

Choix des réalisateurs

Au début, le producteur Eugène Lépicier souhaite que Franju fasse une adaptation de Le Nœud de vipères, que Franju refuse. Dans le cas de Miller, le producteur Yves Marmion lui propose d’adapter Le Désert de l’amour, Miller décline également. Or, les deux réalisateurs sont tous les deux fascinés par Thérèse Desqueyroux. C’est de leur propre volonté qu’ils insistent sur le choix de ce roman précis parce qu’il leur convient.
Franju est attiré par la complexité du personnage de Thérèse : « puisque c’est une méditative, qu’elle regrette toujours son adolescence, on peut dire qu’elle pourrait appartenir au nouveau roman, mais dans la mesure où c’est une insurgée, où elle tente d’empoisonner son mari, elle appartient à la littérature classique. C’est en ça que Thérèse m’intéressait. » Thérèse est un personnage hybride entre nouvelle époque et ancien régime. La complexité du caractère du personnage réside dans une Thérèse qui retourne toujours à l’origine, à son enfance. Mais il y a aussi l’autre Thérèse adulte landaise, qui est d’un côté une révoltée, et d’un autre, une femme ordinaire, pareille aux autres femmes de la région. Ces différents aspects coexistent et produisent des conflits permanents à l’intérieur et à l’extérieur du personnage de Thérèse. Cela attire Franju à adapter Thérèse Desqueyroux.
En outre, Franju, cinéaste de l’insolite, ne s’intéresse guère à la religion catholique, un thème presque impossible à contourner dans la plupart des romans de Mauriac. Franju déclare : « Je crois aux fantômes, et je ne crois pas en Dieu.» À ce propos, Thérèse Desqueyroux est l’œuvre de Mauriac qui comporte le moins de traces édifiantes du catholicisme de l’auteur, comme le juge bien Lacouture: « aucun de ses livres n’est aussi froidement déserté par la foi» . D’où sa qualité d’œuvre idéale à adapter pour Franju.
C’est aussi une des raisons pour lesquelles Franju ne veut jamais adapter les autres œuvres de Mauriac. Il l’exprime clairement : « c’est parmi les romans de François Mauriac, le seul qui me convient. » Il juge d’ailleurs dans le même interview que La Fin de la nuit, dans lequel Mauriac, en tant que chrétien, châtie Thérèse, est un roman très mauvais. Miller est certainement aussi passionné par l’héroïne ambivalente, mais il ne s’exprime pas aussi franchement que Franju, sur la raison pour laquelle elle lui plaît. Pourtant, dans le livre de Claire Vassé, nous pouvons découvrir quelques pistes.

Espace symbolique

Dans ce chapitre nous étudierons l’ambiguïté en trois segments : les lieux, les temps et les éléments. Les passages dans le texte de Mauriac servent toujours de base à l’analyse filmique, mais nous n’entrerons pas toujours dans le détail de chaque séquence dans les films, puisqu’elles sont parfois de nombreuses ; nous ne mentionnerons que celles qui nous paraissent les plus exemplaires.

L’ambiguité des lieux

Les personnages mauriaciens ont besoin d’un lieu physique dans lequel exister.
Mauriac choisit de dépeindre ses personnages dans la région avec laquelle il est familier.
Cette province bordelaise est aussi le lieu majeur où se déroule l’histoire de Thérèse Desqueyroux. Dans cette partie, nous nous concentrerons principalement sur Argelouse et Paris, en laissant de côté les lieux moins ambigus, comme Saint-Clair, où l’héroïne passe souvent pour prendre part à des rituels religieux et assumer ses responsabilités familiales.

Argelouse

Argelouse est décrit dans le roman comme un « quartier perdu » où l’on ne trouve que « marécages, […] lagunes, [et] pins grêles ». La nature domine ce pays alors que la culture humaine n’y a pas accès : Argelouse est réellement une extrémité de la terre ; un de ces lieux au-delà desquels il est impossible d’avancer, ce qu’on appelle ici un quartier : quelques métairies sans église, ni mairie ni cimetière, disséminées autour d’un champ de seigle, à dix kilomètres du bourg de Saint-Clair, auquel les relie une seule route défoncée.
C’est un endroit sans foi ni loi caractérisé par un isolement du monde, où l’on ne trouve qu’une route. Le silence règne dans cette nature déserte :
Les gens qui ne connaissent pas cette lande perdue ne savent pas ce qu’est le silence : il cerne la maison, comme solidifié dans cette masse épaisse de forêt où rien ne vit, hors parfois une chouette ululante (nous croyons entendre, dans la nuit, le sanglot que nous retenions) . Ce décor renforce la vie de solitude de Thérèse et elle se sent souvent perdue, morte, étouffée et insomniaque dans ce pays naturel. Le silence du lieu est aussi le miroir du silence de Thérèse qui est privée du droit de parler par la famille.
La nature est l’ennemie de Thérèse. Les arbres d’Argelouse sont « pareils à l’armée ennemie » qui l’entourent, ils sont « les témoins de cet étouffement lent » ; alors que pour les autres Desqueyroux, c’est une terre sur laquelle ils jouissent de leurs plaisirs matériels et physiques.
Cependant, Thérèse adolescente aime cette solitude, comme Tante Clara ; et dans le silence naît aussi le bonheur :
Rien à se dire ; aucune parole : les minutes fuyaient de ces longues haltes innocentes sans que les jeunes filles songeassent plus à bouger que ne bouge le chasseur lorsqu’à l’approche d’un vol, il fait le signe du silence. Ainsi leur semblait-il qu’un seul geste aurait fait fuir leur informe et chaste bonheur.
Après la séquestration, le silence ne la gène plus et à la fin, elle songe même à retourner dans ce silence : « Elle imaginait un retour au pays secret et triste toute une vie de méditation, de perfectionnement, dans le silence d’Argelouse : l’aventure intérieure, la recherche de Dieu… » Argelouse est redevenu un pays paisible, voire divin, pour Thérèse.
On constate que le double visage d’Argelouse est fortement lié aux états d’esprit ambivalents de Thérèse, car au fond, ce qui l’intéresse, ce sont les êtres humains et non pas le lieu où ils se trouvent : « Le gémissement des pins d’Argelouse, la nuit, n’était émouvant que parce qu’on l’eût dit humain. » Mais les hommes ne sont-ils pas aussi façonnés par le lieu ? Du côté matériel, c’est un domaine où les pins poussent et permettent de faire du profit. Même si sur ce point Thérèse se montre moins passionnée que les autres membres de la famille, elle a aussi la propriété dans le sang. Du côté mental, c’est un lieu où demeure son bonheur chaste d’enfance. Par ailleurs, Bernard Chochon rappelle que la terre pour Mauriac est bien « la rêverie du repos » qui est liée à ses ancêtres, ses racines. Même si Thérèse méprise son milieu borné, elle a aussi de la fierté d’appartenir à cette Histoire, de garder ses racines bordelaises, et de se reposer dans ce pays ; car c’est bien dans ce pays qu’elle est née , a été éduquée et a aimé.

L’ambiguïté des temps

Dans cette section, nous étudierons le temps dans Thérèse Desqueyroux et ses adaptations. Nous commencerons par une analyse brève du temps chronologique en laissant plus d’espace pour le temps psychologique, dans la mesure où l’importance de ce dernier est davantage soulignée dans le roman et que l’ambiguïté se produit principalement par le temps psychologique de Thérèse.

Le temps chronologique

Le roman commence par un soir d’automne où Thérèse sort du Palais de justice.
Cette nuit d’automne occupe dix chapitres racontant le retour de Thérèse vers Argelouse.
Pendant cette longue nuit de souvenir, ce qui compte est le temps psychologique de Thérèse.
On ne sait pas la date précise ni combien de jours sont passés depuis l’arrivée de Thérèse à Argelouse. Au onzième chapitre, nous nous trouvons à la dernière nuit d’octobre. Le surlendemain, Bernard part en laissant Thérèse seule dans son enfermement.
Pendant l’enfermement, c’est encore une fois le temps psychologique de Thérèse qui dirige, mais cette fois-ci il s’agit de ses rêveries de vie à Paris.
Puis, nous arrivons au 18 décembre, le jour où le fils Deguilhem rend visite à Thérèse et met fin à sa claustration. À partir de là, le couple vit ensemble jusqu’à la fin du roman : ils sont séparés définitivement un matin chaud de mars, à Paris.
Tandis que Franju reste fidèle à cette structure chronologique du roman, Miller rompt avec le procédé en flash-back en présentant l’histoire de Thérèse dans l’ordre chronologique. Dans le film de Miller, il reste peu de perturbations temporelles, chaque période de la vie de l’héroïne étant sous-titrée d’une date et d’un lieu, introduit par un fondu au noir. Il y a au total huit sous-titres datés de l’été 1922 au 7 décembre 1929. Il est clair que Miller veut situer le film au moment de la publication du roman, même s’il commet parfois des anachronismes, par exemple, la chanson Sans y penser de Lys Gauty (1937) est accompagnée du sous-titre : « Octobre 1928 ».

Le temps psychologique

Le temps psychologique de Thérèse est construit dans le roman autour de quatre thèmes majeurs, même si ses activités ne suivent pas décidément un ordre temporel bien précis : 1. le souvenir heureux d’enfance ; 2. la vie étouffante après le mariage accompagnée de l’affaire Anne/Jean ; 3. le déroulement du crime ; 4. des rêveries de vie parisienne. Les trois premières parties se situent dans le passé et sont majoritairement racontées lors de son retour à Argelouse, alors que la dernière est tournée vers l’avenir et surtout évoquée pendant sa séquestration.
Par manque d’espace, nous ne procéderons pas à des énumérations exhaustives pour montrer les va et vient dans le texte, puisqu’il s’agit de la conscience de Thérèse ainsi souvent fragmentée et incomplète. Par exemple, quand Thérèse se souvient de l’empoisonnement, la durée du temps nous paraît floue. De plus, étant donné que l’empoisonnement est un crime lent, on aurait voulu savoir ce qui se passe au cours de cette période. Pourtant, dans la mesure où le roman adopte le point de vue de Thérèse, ces informations sont considérées comme déjà connues et tombées dans l’ellipse.
Franju montre avec virtuosité la possibilité d’être fidèle à la structure du roman tout en organisant la vie intérieure de Thérèse dans un ordre compréhensible. D’abord, Franju déplace des scènes pour assurer que les événements dans la rétrospection de Thérèse restent dans l’ordre chronologique. Ainsi, il n’y a pas de brouillage temporel qui nous empêche de comprendre la progression de l’histoire.
Ensuite, l’enchaînement de différentes scènes dans la mémoire de Thérèse est souvent introduit par un fondu enchaîné qui sert aussi à montrer la transition entre le présent et le passé. Des scènes de souvenirs se terminent toujours par un retour de Thérèse au présent dans la voiture.
Nous étudierons d’abord un exemple de la transition du présent au passé dans le film de Franju. Lors de la première plongée de Thérèse dans le passé (« Anne…»), on observe d’abord que la forêt sombre est éclairée par une lumière. Ensuite, cette zone lumineuse se fond avec un chemin sur lequel apparaît la silhouette d’Anne à vélo. On a bien saisi que le souvenir d’Anne illumine la vie sombre de Thérèse. Le pare-brise sert d’écran dans lequel Thérèse regarde son propre film intérieur, ce qui donne un effet magnifique de film dans un film et rapproche le spectateur du personnage.
Quant au retour du passé au présent, Franju utilise souvent une image de Thérèse du passé dans la même position que celle du présent dans la voiture. Par exemple, la scène de la promenade de Bernard et Thérèse dans la forêt se termine par un gros plan sur le visage de Thérèse, enchaîné avec un plan de Thérèse au présent dans la voiture avec le même cadre et la même inclinaison.
Le réalisateur a même tendance à mettre tout au présent, même le passé. Entre les scènes des souvenirs, on voit par exemple à la suite de la première rencontre entre Thérèse et Jean Azévédo, Thérèse se trouve dans le salon de la maison d’Argelouse quand elle raconte ses expériences à Bernard. Puis, Tante Clara appelle : « c’est servi! », Bernard sort de la pièce, Thérèse reste assise dans le fauteuil devant la cheminée et l’on entend la voix hors-champ : « Ai-je souvent revu Jean Azévédo ? » Cette parole nous mène dans son souvenir (un souvenir dans un souvenir) en montrant sa rencontre continue avec Jean. Pendant cette deuxième rencontre, Thérèse parle avec Jean de ses ancêtres déshonorants qui ont disparu de l’album photo, ce qui s’enchaine avec le plan de Thérèse feuilletant l’album de famille dans le salon de la maison d’Argelouse, assise dans le même fauteuil. Tout cela nous donne une illusion que nous sommes toujours le même jour, mais en réalité, il s’agit d’un autre jour.
C’est ainsi que Franju réunit ingénieusement les scènes fragmentées dans le texte tout en soulignant l’état actuel de Thérèse. Franju reprend toutes les scènes importantes dans le roman, mais il est regrettable qu’il ne traite pas des rêveries de Thérèse, puisque notre héroïne est une rêveuse.
Miller, lors du retour de Thérèse à Argelouse, nous montre une scène ambiguë dans laquelle Thérèse se confesse à Bernard. Thérèse, avec une moitié du visage en lumière et une autre moitié complètement dans l’ombre donne une image de mi-ange mi-démon. On ne sait pas si la séquence est dans le passé ou le futur, et surtout on ne sait pas si elle a réellement eu lieu ou s’il s’agit d’une pure imagination de Thérèse. Quand Bernard lui répond: « et vous osez sourire? », c’est comme si nous entendions la narratrice omnisciente disant : « Ah ! le seul geste possible, Bernard ne le fera pas. S’il ouvrait les bras pourtant, sans rien demander ! Si elle pouvait appuyer sa tête sur une poitrine humaine, si elle pouvait pleurer contre un corps vivant ! » Nous pensons plutôt qu’il s’agit d’une scène purement imaginée, puisque Bernard lui pardonne à la fin du film. Mais comme cette parole de Bernard nous rappelle la parole similaire « ça vous fait sourire? » quand il voit le sourire de Thérèse face au vouvoiement, il pourrait tout aussi bien s’agir du réel.

L’ambiguïté des éléments

L’univers mauriacien est un univers intime où tous les éléments naturels contribuent à donner une poésie symbolique, comme le dit Francoise Trugeaud: « Vie minérale, vie végétale, vie animale, vie humaine s’accordent en effet au même rythme : les frontières entre l’humain et la nature restent indécises. » Dans ce segment, nous essaierons d’analyser ces éléments en les divisant en deux contre-pôles — le feu et l’eau, et nous explorons enfin les animaux

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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Première partie : Thérèse Desqueyroux au fil du siècle – un roman, deux films, trois époques
1.La genèse et la suite de Thérèse Desqueyroux
1.1 Thérèse dans d’autres romans de François Mauriac
1.2 L’affaire Canaby et d’autres sources de Thérèse Desqueyroux
1.3 Après Thérèse Desqueyroux
2. La réception du roman
2.1 La réception du roman à l’époque de Mauriac
2.2 La réception du roman de nos jour
2.3 Thérèse Desqueyroux en Chine
3. Les films Thérèse Desqueyroux
3.1 Réalisateur, acteur/actrice et Thérèse Desqueyroux
3.2 La réception du film de George Franju
3.3 La réception du film de Claude Miller
Deuxième Partie : L’ambiguïté sociale et symbolique
1. Espace Social
1.1 Les femmes dans la famille bourgeoise et l’éducation des femmes
1.2 Le regard chinois
1.3 Analyse des séquences
2. Espace symbolique
2.1 L’ambiguité des lieux
2.2 L’ambiguïté des temps
2.3 L’ambiguïté des éléments
Troisième partie : L’ambiguïté sentimentale et spirituelle
1. Thérèse et les figures masculine
1.1 Bernard Desqueyroux
1.2 Jean Azévédo
1.3 Jérôme Larroque
2. Thérèse et les figures féminines
2.1 Anne de la Trave
2.2 Tante Clara
2.3 Marie Desqueyroux
3. L’ambiguïté religieuse
3.1 François Mauriac, Thérèse Desqueyroux et la religion
3.2 La représentation de la religion dans les films
3.3 Thérèse Desqueyroux : un monstre ou une sainte ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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