l’alimentation scolaire, un objet d’étude multidimensionnel

L’alimentation des enfants dans les écoles peut paraître, au premier abord, un fait social mineur et un objet de recherche secondaire. Pourtant, en tant qu’objet « concret » (Davallon, 2004), l’alimentation à l’école s’avère être aujourd’hui un phénomène quantitativement important. En 2014, six millions d’enfants et d’adolescents mangeaient dans les six mille cantines scolaires en France. Presque un milliard de repas ont été servis dans les écoles lors de la même année. Aujourd’hui, prendre son repas à l’école est un phénomène majeur qui concerne plus de la moitié des enfants scolarisés . De plus, en tant qu’objet « de recherche » (Ibid), l’alimentation à l’école constitue un fait social complexe dont les enjeux sont à la fois économiques, politiques, culturels et sociaux. Pour saisir cette complexité, nous proposons dans cette première partie de rendre compte de différents travaux scientifiques qui ont abordé l’alimentation scolaire en tenant compte de ses différentes dimensions : historiques, politiques, sociales, éducatives et communicationnelles. L’alimentation des enfants dans les écoles représente, en effet, un objet de recherche aux multiples facettes et offre au chercheur plusieurs entrées possibles. Comme nous le montrerons dans les pages qui suivent, différents travaux se sont attachés à en examiner les enjeux, les acteurs ainsi que les évolutions dans le temps.

Jusqu’à il y a quelques années, l’alimentation à l’école n’avait été traitée qu’en pédiatrie et en sciences de la nutrition. Ces disciplines abordent uniquement les questions relatives à l’offre et aux pratiques alimentaires dans les écoles sous l’angle sanitaire et physiologique. Ce n’est que depuis la fin des années 1990 que l’alimentation scolaire est devenue un objet d’étude à part entière pour les sciences humaines et sociales. Ces études en sciences humaines et sociales sont également dispersées témoignant du peu de dialogues entre les divers auteurs. Nous avons néanmoins tenu à rassembler ces contributions en mettant en évidence des passerelles possibles entre les différentes disciplines et en croisant les références entre elles. Pour cette raison, nous avons fait le choix de traiter les diverses contributions en les classant non pas par discipline, mais à partir des différentes dimensions par lesquelles l’alimentation des enfants dans les écoles a été abordée.

L’état de l’art, objet de cette première partie, regroupe essentiellement des contributions francophones ainsi que quelques références anglophones. Le lecteur trouvera également dans cette revue de la littérature des contributions qui ont interrogé les différentes dimensions de l’alimentation en générale sans précisément s’attacher à l’étudier dans le cadre scolaire. Nous avons en effet tenu à mettre en exergue certaines questions qui ont jalonné les travaux concernant l’alimentation en ce qu’elles permettaient de saisir le caractère social et culturel complexe de ce phénomène. Cet état de l’art est le fruit d’un travail pluriannuel de recherche bibliographique qui nous a permis de rassembler un corpus hétérogène. La lecture de ces travaux a représenté une étape importante dans notre recherche en ce qu’elle nous a aidée à définir notre propre entrée. Dans cette partie, nous allons donc identifier ce qui a été exploré à propos de l’alimentation scolaire. Nous tenterons également de saisir les enjeux qui ont été associés à cet objet de recherche et de comprendre les méthodes qui ont été utilisées pour étudier ce phénomène. Le but d’un tel travail consiste à nous inscrire dans cet héritage scientifique tout en nous permettant de délimiter le caractère propre de notre perspective. En explorant ces différentes contributions, c’est notre propre objet d’étude que nous construisons.

Les racines historiques de l’alimentation à l’école 

Les travaux généraux sur l’histoire de l’alimentation soulignent à quel point «manger» relève d’un acte social et culturel. En effet, du point de vue des historiens, « il n’y a rien de plus quotidien que le Manger et le Boire. Et rien, sans doute, qui nous familiarise mieux avec les représentants d’une culture si nous nous y enfermons un moment avec eux » (Bottéro, 2002 : 9). Quelques-uns de ces travaux ont particulièrement retenu notre attention. L’étude de Gilly Lehmann (2003) sur les recettes et manières de table ainsi que sur la place des femmes dans la cuisine au XVIIe et XVIIIe siècle apporte une contribution remarquable à l’étude des « conduct advices » et des « conductbooks » (Lehmann, 2003 : 48). Cette auteure s’intéresse aux discours prescriptifs qui accompagnent les manières de cuisiner ainsi qu’aux exhortations à respecter certaines convenances de table. L’alimentation apparaît comme un phénomène codifié, normé impliquant des conduites dites « bonnes » et «acceptables ».

De son côté, l’étude de Jean Louis Flandrin (1993) avance les relations entre les goûts et les rapports sociaux à travers l’histoire et la façon dont riches et pauvres, femmes et hommes, adultes et enfants se sont distingués à travers l’alimentation et les goûts culinaires. D’après lui, les « traités culinaires » (Ibid : 148) et les livres de recettes, autrement dit les mots et les discours à propos de l’alimentation, ont été de véritables marqueurs d’identités sociales. Reprenant les thèses exposées par Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979) et les travaux d’Allen Grieco (1987) sur les classes sociales et la nourriture, Flandrin montre ainsi comment l’alimentation est devenue au cours du temps une pratique de « distinction sociale » (Flandrin, cit.:156).

L’historien Alberto Capatti (2003) s’intéresse aux nouvelles « cuisines modernes ». S’appuyant sur les travaux de Paul Reboux (1927 ; 1941), cet auteur étudie comment l’alimentation a évolué ces soixante dernières années sur le plan technique (des nouvelles maîtrises de conservation telles que les frigidaires aux boîtes de conserve et plats préparés par l’industrie agro-alimentaire) et sur le plan des codes socio culturels notamment transmis par les médias. À ce propos, il interroge les transformations à l’œuvre dans la façon de prendre un repas en famille, de parler des plats et, plus particulièrement, l’évolution du « temps culinaire » : « Le 20e siècle, d’un bout à l’autre, est le théâtre d’une compression et d’une dilatation du temps culinaire : l’industrie, la gastronomie, la gestion hôtelière, les producteurs d’énergie, les ménagères et les chefs ont revendiqué tour à tour leur méthode de minutage (…) la lenteur des gestes et les caprices des combustibles ont été sacrifiés (…) » (2003 : 159).

La cantine scolaire : un lieu d’éducation

Bien que les historiens aient largement travaillé sur l’histoire des pratiques alimentaires, en France l’alimentation des enfants à l’école n’a été traitée que dans un nombre limité de textes : Bon appétit les enfants ! Histoire de la restauration scolaire, des origines à nos jours de Marcel Chachignon (1993), La restauration hors foyer en Europe du Moyen-Âge à nos jours de Paul Gerbod (2000) ainsi qu’un ensemble de travaux de l’historien Didier Nourrisson dont l’ouvrage À votre santé ! : éducation et santé sous la IVe République (2002) et l’article « Manger à l’école : une histoire morale » (2004). Ces travaux se focalisent en particulier sur l’histoire des cantines scolaires, leur construction, leurs acteurs ainsi que sur les enjeux politiques, sociaux et culturels qui les ont traversés dès le XIXe siècle.

L’ouvrage de Paul Gerbod s’intéresse aux lieux de restauration hors foyers domestiques depuis le Moyen-Âge. Parmi ces espaces, plusieurs parties de l’ouvrage sont consacrées aux évolutions à travers l’histoire des lieux de repas scolaires (pas encore appelés « cantines »). Dès le XIIe siècle, des internats ont été créés en Europe dont l’un des projets a été d’éduquer et de nourrir les élèves « à l’abri des bruits du monde (…) gangrené par l’hérésie protestante, la corruption et la désagrégation des valeurs chrétiennes » (Gerbod, 2000: 21). L’internat s’est ainsi configuré comme un refuge à la débauche et aux péchés dans lequel les élèves sont éduqués aux valeurs chrétiennes, y compris lors des temps de repas. En effet, selon des témoignages du XIIe siècle rassemblés par l’auteur, les repas pris dans les réfectoires de ces internats se « déroulent en silence, au simple murmure d’une pieuse lecture » (Ibid : 20) d’un chapitre de la Bible ou de la vie d’un saint. Cette volonté d’associer le temps du repas à une éducation religieuse se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle. Jusqu’à la Révolution, les premières cantines scolaires sont investies de préceptes chrétiens selon lesquels « il faut apprendre aux enfants (…) à manger avec sagesse, avec modestie et de manière honnête » (Ibid : 38). Comme le montre Paul Gerbod, dès la création des premiers lieux de restauration scolaire, l’accent est mis sur « le rôle éducatif des repas pris à l’école » (Ibid : 114). Si aujourd’hui ce n’est plus l’éducation religieuse qui prime, les repas à l’école sont toujours considérés comme des « temps complémentaires de l’éducation » (Ibid). Paul Gerbod souligne donc à quel point le fait de se nourrir à l’école a toujours été chargé d’enjeux éducatifs et pédagogiques importants liés aux normes et aux valeurs d’une société.

Dans son ouvrage Bon appétit les enfants ! Histoire de la restauration scolaire des origines à nous jours, Marcel Chachignon examine les visées qui ont accompagné l’essor des cantines scolaires dès le XIXe siècle. Il fait notamment référence à Victor Hugo, député en 1848, pour qui l’enjeu des cantines scolaires était double. D’une part, il s’agissait de favoriser la santé physique des enfants issus de milieux pauvres. D’autre part, les cantines devaient se donner un « but de propagande » afin d’améliorer la santé intellectuelle de ces enfants (Hugo in Chachignon, 1993 : 15). Les cantines scolaires dès leur début sont utilisées comme de véritables « armes » (Ibid : 23) pour combattre l’absentéisme, la déscolarisation, la pauvreté intellectuelle, pour mettre en avant les valeurs de la laïcité et de la solidarité, mais également pour favoriser l’hygiène et la santé publique. Pour Marcel Chachignon, ces enjeux éducatifs n’ont cessé au fil du temps de se développer. Ainsi, en 1970, un professeur affirmait que « l’éducation que l’on peut faire autour de la table du restaurant est peutêtre plus importante que celle qui se fait à l’école » (Ibid : 37).

Les travaux de Didier Nourrisson nous aident à saisir comment les cantines scolaires ont évolué à partir de la fin du XIXe siècle. Cet auteur relève que les premières cantines apparaissent en France dans les années 1840-1850. Elles furent créées dans un but « exclusivement social » qui consistait à accueillir les enfants pauvres, à les nourrir ainsi qu’à favoriser leur scolarisation. Pensée comme une « salle d’asile et d’hospitalité » (Ibid, 72), la cantine accueillait alors ceux qui ne pouvaient rentrer chez eux pour manger le midi. À ce titre, encore en 1922, la fonction nourricière de la cantine pour ceux qui se trouvaient dans l’incapacité de prendre un déjeuner dans leur foyer était mise en avant. La cantine était un « lieu où l’on vend à manger et à boire aux ouvriers d’un chantier, aux enfants dans les écoles, aux soldats, aux prisonniers » (Larousse in Nourrisson, 2004: 231). Pour Nourrisson, c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que les enjeux de l’alimentation scolaire se sont développés peu à peu autour de deux axes principaux. D’une part, la nutrition a pris une place de plus en plus déterminante dans les rapports d’experts et dans la façon d’envisager l’alimentation des enfants par les instances gouvernementales. De ce fait, les choix concernant l’offre d’aliments à l’école ont commencé à être guidés par les principes des sciences de la nutrition. Plus précisément, l’attention s’est focalisée sur des questions liées aux quantités. On a commencé à s’interroger sur les « rationnements », à savoir sur les apports nutritionnels journaliers selon les âges, les sexes et la croissance des enfants. Nourrisson observe que la « quantité » a été avancée comme « gage de qualité et d’hygiène » (Ibid). D’autre part, l’éducation est devenue un enjeu fondamental de l’alimentation scolaire. Pour l’instituteur Raymond Paumier, défenseur des cantines à cette époque, l’alimentation des élèves relèverait d’un enjeu à la fois sanitaire, mais également éducatif « par l’exemple qu’on y reçoit, par l’habitude qu’on y prend, par l’ambiance matérielle et morale qui entoure l’enfant» (in Nourrisson, 2002 : 80). Didier Nourrisson souligne que les cantines scolaires se construisent alors comme « instruments d’éducation » (Ibid). Pour cela, différentes transformations s’opèrent.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction générale
Première partie : l’alimentation scolaire, un objet d’étude multidimensionnel
Introduction
I.1. Les racines historiques de l’alimentation à l’école
I.1.1. La cantine scolaire : un lieu d’éducation
I.1.2. La cantine scolaire : un lieu où l’on nourrit pour éduquer
I.1.3. La cantine scolaire : un lieu où l’on éduque pour nourrir
I.2. L’alimentation à l’école : une affaire politique ?
I.2.1. La construction d’un problème
I.2.2. La construction d’un problème public
I.2.3. La construction d’un problème politique
I.2.4. L’alimentation construite comme problème public
I.2.5. L’alimentation à l’école : une affaire de politiques publiques
I.3. L’alimentation à l’école : une affaire d’éducation ?
I.3.1. Santé et alimentation à l’école : quelles finalités éducatives ?
I.3.2. Les éducations à… : entre savoirs et savoir-faire
I.3.3. L’éducation à l’alimentation : savoir faire et faire des choix
I.3.4. Quels savoirs et quels choix ?
I.3.5. Une contradiction au cœur des sciences de l’éducation
I.3.6. Surveiller et prévenir : l’interrogation des sciences de l’éducation
1.4. La dimension sociale de l’alimentation à l’école
I.4.1 L’alimentation : un fait social
I.4.2. L’alimentation des enfants : quel intérêt pour les sciences de la société ?
I.4.3. Les cantines scolaires : lieux de socialisation
I.4.4. Les cantines scolaires : lieux de réappropriations
I.4.5. Les cantines scolaires : lieux de relations marchandes
I.4.6. Les cantines scolaires : un lieu de gouvernement des conduites
I.5. La dimension communicationnelle de l’alimentation
I.5.1. L’alimentation comme communication
I.5.2. L’alimentation comme objet d’une communication médiatique
I.5.3. L’alimentation comme objet d’une communication marchande
I.5.4. L’alimentation comme objet d’une communication des instances publiques
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : L’alimentation à l’école comme enjeu de la gouvernementalité, entre dispositifs et tactiques
Introduction
II.1. L’alimentation à l’école : l’exercice d’une gouvernementalité ?
II.1.1. La gouvernementalité des corps
II.1.2. La gouvernementalité et la construction du risque
II.1.3. L’éducation des corps
II.1.4. Pouvoir et rapports de force
II.2. Gouverner les pratiques par des dispositifs
II.2.1. Le dispositif comme opération du pouvoir
II.2.2. Le dispositif foucaldien : un réseau de discours et de pratiques
II.2.3. Le dispositif et ses fonctions
II.2.4. Le dispositif et ses stratégies
II.2.5. Le dispositif et son histoire
II.3. Résistance, profanation et tactiques face aux dispositifs
II.3.1. La résistance comme vis-à-vis du pouvoir
II.3.2. Les dispositifs et leurs lignes de fuites
II.3.3. Dispositif et profanation
II.3.4. Les tactiques face aux stratégies
II.4. Communication publique, prévention et gouvernementalité
II.4.1. L’État et l’alimentation à l’école : l’essor d’une propagande sanitaire ?
II.4.2. Propagande ou communication publique ?
II.4.3. La communication publique : une action gouvernementale ?
II.4.4. La communication publique : une pratique de « gouvernementalité » ?
II.4.5. Gouverner par les instruments
II.4.6. Vers un « modèle intégratif et combinatoire »
II.4.7. La communication publique : la responsabilisation et l’enrôlement
II.5. Les dispositifs : un enjeu info-communicationnel
II.5.1. Le dispositif de communication : objet d’une circulation créative
II.5.2. Le dispositif de communication : un processus organisationnel
II.5.3 Des dispositifs de communication composites
II.5.4. Le dispositif de communication : une dimension heuristique
II.5.5. Des dispositifs pragmatiques
II.5.6. Des dispositifs agissants
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : L’alimentation scolaire « objet de recherche »
Introduction
III.1. Les liens entre alimentation, enfance et école dans la communication publique
III.1.1. Une collecte d’artefacts communicationnels
III.1.2. L’émergence d’un réseau
III.1.3. De la collecte d’artefacts à une analyse de dispositifs
III.1.4. Une analyse de la logique pragmatique des dispositifs
III.1.5. Internet terrain et/ou moyen ?
III.2. L’alimentation scolaire : objet de pratiques ?
III.2.1. Des pratiques et des lieux multiples
III.2.2. Les pauses méridiennes comme terrain d’enquêtes
III.2.3. Les pauses méridiennes : un ensemble « intersémiotique »
III.3 L’alimentation scolaire : dispositifs, acteurs et pratiques
III.3.1 La sémio-pragmatique : une analyse des temps et des espaces de la communication
III.3.2. La sémio-pragmatique et sa dimension praxéologique
III.3.3. Une méthodologie d’observation : l’étude de cas
III.3.4. Les « signes-traces » de la recherche
III.3.5. Le chercheur « Homme-trace »
III.4. L’alimentation scolaire : un objet de recherche problématique ?
III.4.1. Le problème quand on ne veut pas nous montrer
III.4.2. Le problème quand on veut nous faire dire
III.4.3 Le problème quand une pratique surgit
III.4.4. Le problème quand on ne voit « rien »
Conclusion de la troisième partie
Conclusion générale

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *