L’AKP à l’épreuve du pouvoir 

L’ultimatum du 12 mars 1971 et le régime militaire de 1971-1973

Devant cette montée des radicalités, « La formule politique opposant dans les urnes un parti conservateur populiste et un parti ‘’occidentaliste’’ élitiste, unis cependant par un pacte nationaliste et kémaliste […] ne peut dès lors faire preuve de viabilité » . Par conséquent, une fraction de l’armée (composée de jeunes militaires kémalistes, mais également nassériens) planifia un coup d’Etat pour le 9 mai 1971 . Ces velléités furent jugulées par la hiérarchie militaire qui, après avoir écarté les conspirateurs, adressa (avec le soutien du président d’alors, l’ex-chef d’état-major Cevdet Sunay) un ultimatum à Süleyman Demirel le 12 mars. Le deuxième article de cet ultimatum enjoignait le Premier ministre à former « un nouveau gouvernement dans le cadre des règles démocratiques, gouvernement fort et fiable qui serait capable de trouver une solution pour remédier au contexte anarchique manifeste et de réaliser les réformes prévues par la Constitution en respectant la vision kémaliste et les principes de la révolution turque » . Cette déclaration entraîna la démission du gouvernement Demirel.
L’événement fut salué par l’élite kémaliste et par certains mouvements de gauche au nom de l’« anti-impérialisme » . Un nouveau gouvernement (composé de technocrates) fut nommé : il était dirigé par le professeur de droit Nihat Erim (ex-député du CHP) . Le nouveau Premier ministre annonça clairement ses intentions en déclarant : « Nous leur tomberons dessus comme une massue. » L’on assista à l’établissement de tribunaux militaires, à la proclamation de l’état de siège, à la censure de la presse et à l’interdiction des manifestations. Des modifications constitutionnelles eurent également lieu, qui restreignirent les libertés individuelles. L’un des militaires putschistes alla même jusqu’à décrire la Constitution de 1961 comme étant « trop large pour le peuple turc ». Même si leur parti avait été dissous, les militants islamistes n’ont pas été inquiétés par les autorités militaires . En fait, ceux qui étaient les plus nettement visés par la répression étaient les activistes de gauche radicale et les militants pro-kurdes. Des milliers d’intellectuels et de syndicalistes furent arrêtés, et de nombreuses figures de la gauche radicale furent assassinées (comme Deniz Gezmiş, Hüseyin İnan, Yusuf Aslan, İbrahim Kaypakkaya et Mahir Çayan) . L’un des plus redoutables outils de la répression fut une structure secrète nommée « Contre-guérilla » : « Les documents de cette organisation, publiés à l’insu de leurs auteurs dans les années 1970-1980, montraient qu’elle considérait les violations des droits de l’homme, y compris, ‘’pillages, massacres et viols’’, comme autant de moyens légitimes de la ‘’guerre psychologique’’.
En dépit de son autoritarisme, le régime militaire s’avéra vite instable : le 22 mai 1972, Ferit Melen remplaça Nihat Erim au poste de Premier ministre. Puis, ce fut Naim Talu qui (le 15 avril 1973) devint chef du gouvernement . Par ailleurs, l’armée ne parvint pas (durant l’automne 1972) à imposer au parlement la candidature du général Memduh Tağmaç à la présidence de la République. En acceptant l’organisation d’élections libres pour octobre 1973, le gouvernement mitfin à l’intervalle militaire consécutif à l’ultimatum du 12 mars.

Les élections législatives de 1973 et la coalition CHP-MSP

Erdoğan Teziç affirme que « dans les faits, le régime du 12 mars puise l’essentiel de son soutien parlementaire au sein de l’AP. Les modifications que l’AP souhaite introduire dans la constitution se font plus facilement sous le régime intermédiaire, permettant une entente entre la majorité [parlementaire] de l’AP et [les militaires] ‘’ultimatumistes’’ » . Or, a contrario, le nouveau dirigeant du CHP (Bülent Ecevit, qui fut élu à la tête de son parti le 14 mai 1972 ) entendait représenter les victimes de la répression militaire, en gauchisant son discours et en se rapprochant des milieux syndicaux . Ce changement de position à l’égard de l’establishment militaire explique en partie le succès électoral du Parti Républicain du Peuple durant les élections législatives d’octobre 1973, dont nous allons maintenant détailler les résultats.
Par conséquent, des élections législatives anticipées eurent lieu le 5 juin 1977. Durant ce scrutin, l’on assista à une augmentation de la participation par rapport aux élections de 1973 (où ce taux s’était élevé à 66,8 %) : 72,4 % des électeurs se rendirent aux urnes durant ce scrutin. Le Parti Républicain du peuple progressa de 8,1 points par rapport au scrutin de 1973 : 41,4 % des suffrages se portèrent sur le CHP (qui obtint 213 sièges). Le Parti de la Justice reçut, quant à lui, 36,9 % des voix et 189 sièges. Ces élections consacrèrent un recul du Parti du Salut National : tout en conservant sa troisième place, la formation d’Erbakan vit le nombre de suffrages exprimés en sa faveur décliner de 11,8 à 8,6 % (et, par conséquent, passa de 48 à 24 sièges à l’Assemblée nationale). Ces élections furent également le théâtre d’un recul du Parti Républicain de la Confiance (dont le nombre de voix déclina de 5,3 à 1,9 %, et qui perdit ainsi 10 députés). Il en alla de même pour le Parti Démocrate qui, en reculant de 11,9 à 1,8 % des suffrages exprimés, n’obtint qu’un seul député (contre 45 durant la précédente législature). Les pro-alévis du TBP ne reçurent que 0,4 % des voix (ce qui leur fit perdre leur unique député). Le Parti Ouvrier de Turquie, qui fut autorisé à se recréer, n’obtint que 0,1 % des suffrages exprimés (ce qui confirme notre raisonnement d’une fidélisation définitive des électeurs de gauche radicale au CHP d’Ecevit ). En revanche, les nationalistes du MHP progressèrent de 3,4 à 6,4 % des suffrages exprimés (et virent leur nombre de sièges augmenter de 3 à 16). Enfin, 2,5 % des suffrages se portèrent sur des candidats n’affichant aucune étiquette partisane (ce qui permit l’élection de 4 députés indépendants).
Ainsi, le 21 juin 1977, Bülent Ecevit forma un gouvernement CHP minoritaire. Un mois plus tard, ce cabinet ne reçut pas la confiance du parlement, et l’on assista à une deuxième coalition de « Front Nationaliste » . Cette alliance gouvernementale ne regroupait plus le Parti Républicain de la Confiance. Demirel était reconduit au poste de Premier ministre, tandis qu’Alparslan Türkeş et Necmettin Erbakan reçurent chacun la fonction de vice-Premier ministre. Le Parti de la Justice obtint treize ministères, le Parti d’Action Nationaliste en reçut cinq et le Parti du Salut National s’en vit attribuer sept. Le programme commun adopté par ces trois partis fut largement dominé par les théories du MSP. En témoigne cette clause de l’accord gouvernemental conclu par Demirel, Türkeş et Erbakan : « Pour réaliser le développement moral et matériel de notre nation et garantir l’indivisibilité et l’unité de notre pays, nous sommes décidés à recourir aux préceptes éternels de notre religion qui est une source abondante et intarissable. » Des oppositions se manifestèrent cependant rapidement au sein de la coalition. Suite à l’accord de paix israélo-égyptien initié par Sadate, Erbakan critiqua la visite du ministère des Affaires étrangères turc en Egypte. Le Parti du Salut National s’opposait aussi à l’adoption des suggestions du FMI concernant la question des réserves de devises. En outre, la proposition du MSP d’inclure, dans le quatrième Plan quinquennal, un chapitre consacré au « développement moral » du pays fut rejetée par ses partenaires gouvernementaux. La seconde coalition de « Front Nationaliste » ne dura donc que cinq mois.
En plus de cette instabilité gouvernementale, la Turquie faisait alors face à un retour de la violence politique (qui avait été momentanément interrompue par l’ultimatum de 1971). Les affrontements entre la droite et la gauche radicales devinrent même de plus en plus fréquents, et prirent une dimension communautaire qui se traduisit parfois par des massacres . L’on recensa 5713 morts et 18 480 blessés entre 1975 et 1980. Avant le putsch du 12 septembre 1980, le nombre de victimes oscilla quotidiennement entre quinze et vingt . Ces affrontements personnalisaient la prégnance de deux des quatre clivages traversant la société turque : le clivage entre « musulmans stricts » et « musulmans pluralistes » se vit être incarné par les affrontements entre militants islamistes et militants d’extrême gauche d’origine alévie, le clivage entre le « centre » et la « périphérie » par la confrontation entre les « Loups gris » et les sympathisants de la cause kurde .En outre, cette violence « était l’instrument qui permettait de monopoliser l’espace politique à l’échelle provinciale et, partant, de parvenir à une autonomisation de fait par rapport au pouvoir central ». Par ailleurs, le choc pétrolier de 1973 et l’embargo occidental que subissait le pays (depuis l’invasion de Chypre) plongeaient la Turquie dans de nombreuses difficultés économiques :un chômage s’élevant à près de 20 %, une succession de lourde dévaluations monétaires (qui, en janvier 1980, fut de 48 %) et une inflation annuelle avoisinant les 100 % . La montée des tensions politiques et la situation désastreuse de l’économie turque servirent de prétexte à l’armée pour prendre le pouvoir, le 12 septembre 1980.

La junte militaire de 1980-1983 et la « Synthèse turco-islamique »

Dès le 27 décembre 1979, les déclarations de Kenan Evren (chef d’Etat-major interarmées) illustraient un certain agacement du champ militaire à l’égard de l’agitation politique d’alors : « Notre nation ne peut plus tolérer ceux qui abusent des grandes libertés qu’accorde notre Constitution pour chanter L’Internationale communiste à la place de notre hymne national, veulent instaurer un Etat basé sur la sharia ou substituer au régime démocratique le fascisme, l’anarchie, la subversion, le séparatisme.
» Ainsi, suite au coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980, l’Assemblée nationale fut dissoute, les partis politiques furent interdits et leurs leaders furent arrêtés . L’on estime à plus de 400 le nombre de militants de gauche exécutés, torturés à mort ou portés disparus pendant le putsch. En outre, 85 000 personnes furent incarcérées et plus de 600 000 furent placées en garde à vu.
La nouvelle autorité politique était le Conseil National de Sécurité (Milli Güvenlik Kurulu), qui regroupait le général Evren, ainsi que les chefs d’Etats-majors respectifs de la gendarmerie et de chaque armée . Entre 1980 et 1983, la Turquie fut dirigé par un gouvernement de technocrates, dont le Premier ministre était l’amiral Bülent Ulusu. Celui-ci concentrait entre ses mains non seulement les pouvoirs exécutif et législatif, mais également judiciaire (la justice étant, durant cette période, assurée par des tribunaux militaires).

Le retour des gouvernements de coalitions

Durant les élections législatives du 20 novembre 1991, l’on assista à une baisse importante de la participation par rapport au scrutin précédent : celle-ci ne s’élevait plus qu’à 83,9 % des suffrages exprimés. En outre, avec seulement 24 % des voix, l’ANAP ne détenait plus que 115 sièges. Son principal concurrent de droite modérée (le Parti de la Juste Voie) reçut 178 sièges grâce à ses 27 %. Le principal parti de gauche (le Parti Social-démocrate Populiste) obtint 88 sièges et 20,8 % des suffrages exprimés. L’autre parti représentant le kémalisme et la social-démocratie (le Parti de la Gauche Démocratique) put entrer au Parlement avec sept députés, grâce à ses 10,8 %. Les islamistes du Parti de la Prospérité reçurent le soutien de 16,9 % des suffrages exprimés (ce qui leur permit d’obtenir 62 sièges).
De 1991 à 1993, la Turquie fut donc dirigée par une coalition entre le DYP et le SHP. Süleyman Demirel devint Premier ministre, et Erdal İnönü obtint le poste de vice-Premier ministre.

DEUXIEME PARTIE : L’AKP A L’EPREUVE DU POUVOIR

Bilan et orientations idéologiques

Une satisfaction des électeurs sur les « enjeux consensuels » …

Il existe deux types d’enjeux dans le champ politique : les « enjeux consensuels » et les « enjeux conflictuels ». Dans ce chapitre, nous allons nous interroger sur l’éventualité d’une satisfaction des électeurs de l’AKP sur le premier type d’enjeux : dans ce cas, « l’électeur juge les candidats et les partis sur leurs performances effectives ou supposées » . Ainsi, la question suivante mérite d’être posée : quel est le bilan économique du Parti de la Justice et du Développement ? Selon Arabella Thorp, les performances économiques des gouvernements Gül et Erdoğan sont indéniables : depuis 2001, le produit intérieur brut a quadruplé et son revenu par tête a plus que triplé. En 2010, la croissance atteignit même les 8,9 % (dépassant de loin toutes les prévisions qui avaient été effectuées) . L’auteure ajoute que l’AKP est arrivé au pouvoir après une longue période d’instabilité gouvernementale, caractérisée par la formation d’éphémères gouvernements de coalition. En outre, A. Thorp souligne la mise en place de mesures sociales par le parti islamoconservateur, telles que l’augmentation du nombre de logements accessibles pour les catégories populaires, ainsi que l’instauration d’un système de santé universel.
De plus, Ali Çarkoğlu rappelle qu’entre 2002 et 2011, le taux de croissance annuelle fut de 5,2 % en moyenne. Entre 2002 et 2012, l’économie turque a crû de 230 %. Le taux d’inflation est passé de 29,8 % en 2002 à 7,4 % en 2013. Le volume du commerce turc s’est accrût de 18 % entre 2002 et 2013. L’on assista également, durant cette même période, à une baisse importante du déficit budgétaire, qui passa de 10,2 à 2,8 % du PIB . Soulignons aussi que 25 % de la population turque vit encore de l’agriculture : or, ce secteur bénéficie de la croissance actuelle à travers, notamment, ses exportations à destination des économies européennes . Pendant plusieurs années, la Turquie a d’ailleurs eu la croissance la plus rapide du monde derrière la Chine : au premier semestre de l’année 2011, la croissance de la première (11 %) avait même dépassé celle de la deuxième (9,7 %). Même si la Turquie connût une baisse de son dynamisme en 2012, ce pays retrouva une croissance supérieure à 2 % en 2013 . En outre, de 2003 à 2012, le PIB turc a connu une augmentation considérable, en passant de 555,3 milliards de lires à 854,8 milliards . Enfin, le PIB par habitant a également triplé entre 2002 et 2011, progressant de 3 500 dollars à 10 400 dollars, avant d’atteindre les 18 975 dollars en 2013 . Or, d’après Emre Erdoğan, la situation économique est l’un des meilleurs indices de prédictibilité du vote : chaque point supplémentaire dans le revenu par habitant augmente de 0,7 % les votes pour le parti au pouvoir . De son côté, Ali Çarkoğlu relève une baisse de l’insatisfaction des Turcs concernant la situation économique de leur pays : en consultant les huit grandes enquêtes menées à l’échelon national entre 2002 et 2013, l’on assiste à une baisse continue des perceptions négatives de la situation économique. En outre, les attentes concernant l’avenir s’avèrent être toujours plus optimistes que le regard porté sur les bilans économiques passés . En effet, le politologue turc explique qu’en 2002, la proportion d’évaluations négatives de l’économie s’élevait à 75 % pour la situation du moment et à 90 % pour la situation passée. En revanche, les évaluations prospectives de la future situation économique (aussi bien sur les plans personnel que national) étaient d’environ 35 %. Puis, de 2002 à 2007, aussi bien les évaluations rétrospective que prospective virent leurs perceptions négatives respectives décroître. Certes, l’on assista à un retour de ces évaluations négatives suite à la crise de 2008, mais à un niveau bien moindre qu’en 2002 (où elles s’élevaient entre 50 et 65 %). Puis une remontée des évaluations positives s’affirma depuis 2008, permettant à l’année 2011 de retrouver un taux d’optimisme semblable à celui de 2007 (c’est-à-dire, des attentes négatives en-dessous de 20 % et des évaluations rétrospectives négatives autour de 30%).

Un parti s’appuyant sur une large base électorale

L’AKP : une synthèse des droites turques

Comme nous l’avons précédemment constaté, la droite turque semble être divisée (sur le long terme) entre quatre tendances : conservatrice modérée , libérale , islamiste et nationaliste . Or, si l’on adopte une perspective historique, nous pouvons remarquer que la droite n’est parvenue à se maintenir durablement au pouvoir qu’en fédérant l’ensemble de ces tendances. Prenons l’exemple du Parti Démocrate : ce parti se maintint au pouvoir pendant dix ans en parvenant à rassembler les différentes familles idéologiques constituant la droite turque. Nous avons relevé que la formation politique d’Adnan Menderes et Celal Bayar séduisit l’électorat libéral en s’opposant à l’étatisme kémaliste et en se faisant l’avocat de la libre-entreprise . Certes, les élections de 1957 consacrèrent l’émergence d’un petit parti libéral extérieur au DP : le Parti de la Liberté. Toutefois, le succès de cette formation se limita à la province de Burdur (ce qui témoigne du maintien de l’affiliation des électeurs libéraux au Parti Démocrate) : à l’échelle nationale, il ne rassembla que 3,8 % des suffrages exprimés et n’obtint que quatre députés durant les élections législatives de 1957. De plus, le Parti de la Liberté se revendiquait plus du libéralisme politique que du libéralisme économique, et critiquait surtout l’autoritarisme croissant de Menderes à partir de la deuxième moitié des années 1950. En outre, le DP parvenait à canaliser un électorat religieux potentiellement sensible aux thèses islamistes, en adoptant des mesures favorisant un assouplissement de la laïcité, tels que la levée de l’interdiction des émissions religieuses à la radio (promulguée le 5 juillet 1950), le rétablissement de l’appel à la prière en langue arabe (suite à la loi du 16 juin 1950) et la modification (en octobre 1950) du statut des cours de religion dans les établissements scolaires publics : les parents d’élèves devaient désormais solliciter par une demande écrite la dispensation de leurs enfants à ces cours (alors qu’avant, les parents devaient rédiger une demande de ce type pour pouvoir y assister) . Les leaders du Parti Démocrate ne rechignaient d’ailleurs pas à utiliser des références islamiques dans leur discours. Durant un congrès départemental du DP tenu à Izmir en 1951, A. Menderes déclara : « Nous avons libéré notre religion de la répression qu’elle avait subie jusqu’à présent. Nous avons décidé le retour à l’appel à la prière en arabe sans prêter attention aux cris des fanatiques de la Révolution. […] La Turquie est un Etat de musulmans, et elle le restera. Tout ce que la religion musulmane exige sera mis en application. » La même année, un député de ce parti suggéra au gouvernement de substituer la charia au « droit occidental pourri » et soutint que « l’islam n’est pas que la prière ; il est une civilisation toute entière qui possède une grande science juridique » . Enfin, l’américanophilie du Parti Démocrate ne l’empêchait pas d’exprimer un certain nationalisme, notamment dans son rapport aux minorités: par exemple, les émeutes des 6 et 7 septembre 1955 ne furent aucunement empêchées par le gouvernement, alors qu’elles causèrent une douzaine de morts, le saccage de plusieurs milliers de commerces et de maisons, de vingt-et-une usines, de vingt-trois écoles, de vingt-sept pharmacies, de cent dix hôtels, de soixante-treize églises, de deux monastères, d’une synagogue et de plusieurs cimetières juifs, grecs et arméniens. Bien sûr, il existait deux partis nationalistes durant la décennie Menderes : le Parti de la Nation (qui se présenta aux élections législatives de 1950) et le Parti Républicain de la Nation (qui fut présent durant les scrutins de 1954 et 1957). Cependant, le premier ne reçut le soutien que de 4,7 % des électeurs pendant les élections législatives de 1950 (et n’obtint qu’un siège), tandis que le second ne recueillit que 4,8 % (cinq députés) et 7,1 % (quatre députés) en 1954 et 1957. D’ailleurs, ces deux partis ne parvenaient à obtenir des élus que dans une seule province : Kırşehir.
Le Parti de la Mère-Patrie peut également être considéré comme un rassemblement des différentes tendances de la droite turque. Comme nous l’avons précédemment souligné, la formation de Turgut Özal parvint à canaliser (entre 1983 et 1991) aussi bien les électeurs libéraux et conservateurs modérés que ceux accordant habituellement leurs voix aux partis islamistes et nationalistes. Par exemple, pendant les élections législatives de 1983, l’ANAP parvint en tête à Konya (connue pour son soutien électoral constant au Parti du Salut National, qui représentait la mouvance islamiste), à Bingöl (ex-fief du Parti de la Nouvelle Turquie, qui incarnait le libéralisme), ainsi qu’à Yozgat et Çankırı (deux provinces réputées pour leur soutien au Parti d’Action Nationaliste avant le coup d’Etat de 1980). L’historien et politologue Hamit Bozarslan décrit le profil idéologiquehétéroclite de ce mouvement dans les termes suivants : « Populiste et démagogique, [l’ANAP] se voulait le défenseur du ‘’pilier central’’, allégorie employée pour parler des classes moyennes. Trèsconservateur, il visait également à toucher les dividendes du régime militaire, qui avait privé les anciens politiciens de leurs droits civiques […]. Bien que kurde d’origine, comme il le reconnut plus tard, Özal se voulait dans un premier temps champion du nationalisme turc et d’un Etat fort, capable d’imposer l’ordre et la discipline. Il était le maître absolu d’un réseau clientéliste, regroupant ses ‘’princes’’, technocrates et économistes qui n’avaient guère le profil classique des bureaucrates turcs.
Enfin, il incarnait l’image d’une société à la fois profondément religieuse et occidentalisée, lui-même étant disciple de la confrérie nakchibandiyya et éduqué aux Etats-Unis » . D’ailleurs, il est intéressant de constater que (durant les élections législatives de 1987) l’on assista à une baisse des voix en faveur du Parti de la Mère-Patrie : or, cette baisse coïncide avec le retour de Demirel, Erbakan et Türkeş (ainsi que de leurs formations politiques respectives) sur la scène politique.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Introduction 
Première partie : Aux origines du système partisan turc 
I / Les quatre clivages structurants
A ) Nature et causes de la « critical juncture » turque
B ) Le clivage « musulmans stricts »/« musulmans pluralistes »
C ) Le clivage « centre »/« périphérie »
D ) Le clivage « modernistes »/« traditionnalistes »
E ) Le clivage « démocrates »/« autoritaires »
F ) La décennie Menderes (1950-1960)
II / Le multipartisme turc après 1960
A ) L’interlude militaire de 1960-1961
B ) Le retour à la démocratie
C ) La montée des radicalités
D ) L’ultimatum du 12 mars 1971 et le régime militaire de 1971-1973
E ) Les élections législatives de 1973 et la coalition CHP-MSP
F ) Les deux gouvernements de « Front Nationaliste »
G ) La junte militaire de 1980-1983 et la « Synthèse turco-islamique »
H ) Les années ANAP (1983-1991)
I ) Le retour des gouvernements de coalitions
J ) Les élections législatives de 1999 et la coalition DSP-MHP (1999-2002)
Deuxième partie : L’AKP à l’épreuve du pouvoir 
I / Bilan et orientations idéologiques
A ) Une satisfaction des électeurs sur les « enjeux consensuels »
B ) … mais également sur les « enjeux conflictuels »
II / Un parti s’appuyant sur une large base électorale
A ) L’AKP : une synthèse des droites turques
B ) Du rôle de l’idéologie dans le maintien au pouvoir de l’AKP
C ) L’AKP : un parti populiste et élitiste
D ) Aspects démographiques du succès électoral de l’AKP
E ) Du bon usage du clivage entre « autoritaires » et « démocrates »
F ) Une organisation interne efficace
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes 
Tableaux électoraux 
Résultats des élections législatives de 1950 à 1957
Résultats des élections législatives de 1961 à 1977
Résultats des élections législatives de 1983 à 1999
Résultats des élections législatives de 2002 à 2011
Résultats provinciaux de l’élection présidentielle du 10 août 2014
Cartes
Provinces de Turquie
Implantations des trois candidats lors de l’élection présidentielle du 10 août 2014
Implantations de l’AKP, du CHP, du MHP et du BDP/HDP lors des élections locales du 30mars 2014
Implantation de l’AKP lors des élections locales du 30 mars 2014
Implantation du CHP lors des élections locales du 30 mars 2014
Implantation du MHP lors des élections locales du 30 mars 2014
Implantation du BDP/HDP lors des élections locales du 30 mars 2014
Indices de développement humain en Turquie (taux provinciaux)
Eléments d’iconographie

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *