L’AFFAIRE DES RELIQUES DE SAINT BABYLAS ET L’ ESPACE SACRÉ D’ANTIOCHE AUX IVE ET VE SIÈCLES

Une lecture théologique de l’histoire

   L’appropriation et la destruction de temples païens par la religion chrétienne sont des phénomènes étudiés depuis plus de trois siècles. En 1693, l’historien Louis-Sébasti en le Nain de Tillemont, élève de Jean Mabillon, publie ses Mémoires pour servir à l’Histoire ecclésiastique des six premiers siècles. Le Nain de Tillemont y présente le triomphe du christianisme, par la violence et la destruction des idoles, comme s’inscrivant dans la continuité de l’Histoire sainte. Ce dernier se fait donc l’apologiste des premiers siècles de l’ histoire chrétienne au cours desquels de vaillants saints se seraient opposés à un monde sous l’emprise des démons, c’ est-à-dire païen. Inversement, avec Edward Gibbon, un historien anglais du XVIW siècle, se développe une vision négative de cette époque. Admettant toujours le postulat de la violence comme moteur principal de la conversion du monde antique en monde chrétien, Gibbon doute cependant des retombées positives de cette période de destructions. Effectivement, la thèse sous-jacente du History of the Decline and Fal! of the Roman Empire (1776-1789) de Gibbon est le rôle du « triomphe du christianisme » dans l’ effondrement de la civilisation romaine. Les doutes de Gibbon font école et, dans bien des cas, affectent le développement de l’étude des espaces sacrés en orientant les chercheurs vers des questions de violence et d’intolérance. Plusieurs chercheurs postérieurs 1 brossent un portrait de la destruction des objets et lieux de culte païens comme la résultante d’ une politique d’ agression systématique inhérente au monothéisme judéo-chrétien. Or, comme le fait remarquer Béatrice Caseau, toutes ces études dépendent d’ une interprétation théologique du christianisme. Elles reposent sur le postulat d’un lien de causalité entre la doctrine et l’action. Elles ne tiennent pas compte des acteurs de ces  désacralisations ni de la temporalité du geste. Notamment, elles ne relèvent pas l’opposition entre cette violence qui serait intrinsèque et l’idée, présente dans les sources chrétiennes, selon laquelle la véritable foi ne saurait être le résultat d’ une soumission de force, et n’expliquent pas plus comment une attitude d’ouverture aurait fini par devenir une politique d’ agression

Vers une approche nuancée de la christianisation

   Certaines études récentes, comme celles de N. Hannestad, d’Ine Jacobs et de Béatrice Caseau, posent sur la survivance de la statuaire païenne à l’époque chrétienne. Ces représentations d’ un passé polythéiste aura ient survécu principalement à cause d’ une forme d’attachement à la tradition. Entre autres, les goûts artistiques n’auraient que peu ou pas changé dans la culture d’élite, et des statues de style classique ont été produites au cours des siècles suivant la conversion de l’Empire. Les temples, quant à eux, appartiennent à la trame urbaine et par conséquent à une conception de la cité idéale. Leur préservation apparaîtrait ainsi beaucoup plus logique pour une « société qui préserve les traditions du passé et qui laisse de vastes domaines, comme ceux du mariage ou de la culture, hors de l’emprise de la nouvelle religion, une société qui n’écoute que de manière distraite les préceptes des évêques. »

L’espace sacré et l’espace profane

   Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, Émile Durkheim définit l’opposition entre le sacré et profane comme une forme de classification mentale. Mutuellement exclusifs,l’existence de l’un implique l’existence de l’autre; la perfection du sacré s’oppose en toute dualité à l’imperfection du profane. Dans cette dichotomie durkheimienne du sacré et du profane, presque tout peut prendre un caractère sacré si un effort est consenti pour l’extraire du lot des choses profanes. Ainsi, comme le propose l’ historien des religions Mircea Eliade dans Le sacré et le projàne, l’espace même appartient aux choses se divisant entre sacré et profane. Ainsi, la sacralité d’un espace en fait une aire distincte de l’ univers infini et fragmenté du profane. L’espace sacré, comme fondation du monde réel, significatif, s’oppose à l’espace profane qualitativement homogène où ne se démarquent que des ruptures géométriques. Or, un espace peut difficilement être entièrement profane, car ce chaos est organisé mentalement en fonction de conceptions alternatives du sacré : des évènements et des préférences personnelles font de certains endroits des « lieux saints » de l’univers privé, et l’existence même d ‘un lieu sacré contribue, elle aussi, à ordonner le profane. S’il est aisé de qualifier l’intérieur d’un sanctuaire d’espace sacré, il est plus difficile de décrire la rue qui y mène ou le faubourg où elle se trouve comme un endroit purement profane. À elle seule, la présence du sanctuaire confère au chaos environnant un sens, un ordre, et influence par conséquent la perception que l’on en a. Objectivement, il s’agit d’un espace profane et c’est le seuil du sanctuaire, point d’entrée vers l’espace sacré, qui est le passage entre le monde profane et le monde du sacré. Subjectivement cependant, par sa contiguïté à l’ espace sacré, cet espace profane se détache du chaos auquel il devrait appartenir.

L’espace sacré comme imago mundi

  Selon Eliade, si l’espace sacré représente une réalité supérieure par opposition au chaos profane, il faut qu ‘ il soit construit rituellement à son image. Un aspect central de cette construction rituelle est la détermination du site par l’ intermédiaire d’ un signe. Pour Mircea Eliade, « tout espace sacré implique une hiérophanie, une irruption du sacré qui a pour effet de détacher un territoire du milieu cosmique environnant et de le rendre qualitativement différent [ .. .]. Quelque chose qui n’appartient pas à ce monde-ci s’est manifesté d’une manière apodictique et, ce faisant, a tracé une orientation ou a décidé d’ une conduite. » À défaut de signes spontanés, l’humain cherchant à fonder un lieu sous les auspices du sacré peut provoquer ces mêmes signes, par exemple, en relâchant un animal pour ensuite construire le lieu sacré là où il sera tué, ou lorsqu’une autre condition hors du seul contrôle humain est rencontrée. Sans vouloir trop s’aventurer dans les théories d’Eliade sur la symbolique organisationnelle des espaces sacrés, on peut accepter l’ idée que cet espace représente une cosmogonie à échelle réduite. Puisque le monde sacré organisé s’oppose au chaos, la prise de possession d’ un territoire dépend de la fondation de repères sacrés. Selon l’ expression d’Eliade, habiter un espace, c’est le créer. L’acte créatif lui-même implique des gestes rituels, des habitudes, qui ne sont pas sans rappeler la création du monde, et c’est pour cette raison que l’ espace sacré peut être considéré comme une imago mundi, une image du monde tel qu’il devrait être.

L’espace sacré comme axis mundi

   Parallèlement, le lieu d’une hiérophanie, d’un signe, implique un point de communication entre la Terre et le monde sacré. L’espace sacré servant de repère, il est l’étalon de référence servant à organiser le cosmos. Par conséquent, il peut être considéré comme le point de départ,le nombril du monde où peuvent se rejoindre les plans transcendantaux du Ciel, de la Terre et des Enfers. Eliade décrit comme suit le système du monde, d’où l’espace sacré tient son rôle d’axis mundi: Un lieu sacré constitue une rupture dans l’homogénéité de l’espace;cette rupture est symbolisée par une « ouverture », au moyen de laquelle est rendu possible le passage d’une région cosmique à une autre (du Ciel à la Terre et vice versa; de la Terre à un monde inférieur); la communication avec le Ciel est exprimée indifféremment par un certain nombre d’images se référant toutes à l ‘Axis mundi : pilier (cf. l’universalis columna), échelle (cf. l’échelle de Jacob), montagne, arbre, liane, etc.; autour de cet axe cosmique s’étend le « Monde » (<< notre monde »), par conséquent l’axe se trouve « au milieu », dans le « nombril de la Terre », il est le Centre du Monde. Selon cette explication, le sanctuaire doté de reliques répondrait au double critère de l’imago mundi et de l’axis mundi. Jmago mundi, parce qu’il s’organise autour d’un foyer qui peut être aussi bien la relique d’un homme ou d’ une femme ayant transcendé la condition humaine pour rejoindre les cieux qu’une représentation symbolique du divin. Sa présence structure l’espace sacré du sanctuaire et crée autour de celui-ci une forme de géographie sacrée: les alentours prennent une signification sacrée « facultative » pour celui qui croit en la sacralité du foyer.

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Table des matières

LISTE DES ABRÉVlATlONS, SIGLES ET ACRONyMES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 ÉTAT DES CONNAISSANCES 
1.1 Historiographie
1.1 .1 Une lecture théologique de l’ histoire
1.1.2 Une question complexe
1.1.3 Vers une approche nuancée de la christianisation
1.2 Explication des concepts
l.2.1 L’espace sacré et l’espace profane
1.2.2 L’espace sacré comme imago mundi
l.2.3 L’espace sacré comme axis mundi
1.3 Sources
1.3 .1 Sources principales
1.3.2 Sources secondaires
1.4 Utilisation des sources
1.4.1 La souffrance: topos élémentaire de la sainteté
1.4.2 La rhétorique de la victoire
1.4.3 Une rhétorique accusative?
1.4.4 Conclusion
CHAPITRE Il L ‘ AFFAIRE DES RELIQUES
2.1 Contexte des évènements
2.2 Les différentes versions recensées
2.2.1 Julien (331-363)
2.2.2 Libanios (314-393)
2.2.3 Ammien Marcellin (v. 330-v. 395)
2.2.4 Jean Chrysostome (v. 344-407)
2.2.5 Philostorge (v. 370-v. 430)
2.2.6 Sozomène (375-v. 450)
2.3 Points de concordances 
2.4 Divergences 
CHAPITRE III LE SAINT, LES RELIQUES ET LE SANCTUAIRE
3.1 Le martyre de saint Babylas 
3.l.l Babylas et l’anecdote du portique
3.l.2 Le martyre de saint Baby las
3.1 .3 Divergences entre la version d’Eusèbe et celles qui suivirent
3.2 Les topoi associés au martyre de saint Babylas 
3.2.1 La suprématie du pouvoir divin sur le pouvoir séculier
3.2.2 La maladie du péché
3.2.3 Lajustecolère
3.2.4 Baby las sauveur
3.2.5 Le fardeau du saint
3.3 La place des reliques dans les églises de Syrie du IVe au V e siècle
3.3.1 La relique, fondation d’un espace « saint »
3.3.2 Le rôle allégorique du bêma syrien
3.3.3 La place réservée aux reliques dans le corpus nord-syrien
3.3.4 Le cas particulier de Qaousiyé, à Antioche
3.4 Conclusion 
CHAPITRE IV L ‘ APOSTAT, LE CADAVRE ET LE TEMPLE
4.1 Contexte historique et accession de Julien 
4.l.1 Les guerres fratricides constantiniennes
4.l.2 L ‘ invasion perse de 337 et la position de Constance II en Orient
4.1.3 Jeunesse de Julien et contact avec le paganisme
4. 1.4 Constance Il combat les usurpateurs, Constance Galle et Julien sont élevés à la dignité de César
4.1.5 Julien défie Constance Il et accède à la dignité impériale
4. 1.6 Les auspices promettent la victoire à Julien, qui s’en saisit aussitôt
4.2 Le silence de l’Oracle de Daphné
4.2.1 Fondation mythique du temple d’Apollon Daphnéen
4.2.2 Julien et la religiosité païenne d’ Antioche
4.2.3 Dégoût du dieu de la cité
4.3 Le caractère polluant des reliques selon Julien 
4.3.1 La dichotomie entre les cultes célestes et les cultes infernaux
4.3.2 L’exemple de Délos
4.4 La réaction de Libanios et d’Ammien Marcellin suite à l’incendie 
4.4.1 Monodie de Libanios
4.4.2 Le compte rendu d ‘ Ammien Marcellin
CHAPITRE V L ‘ INSTRUMENTALlSATION DE LA RELIQUE ET LA CONVERSION DES ESPACES SACRÉS 
5. 1 La présence de la relique influence les mœurs
5.1 .1 Le faubourg de Daphné comme un lieu de débauche
5.1.2 Saint Babylas comme symbole de mesure et de sobriété
5.2 Son pouvoir nie celui des dieux païens
5.2.1 Le cas du « cadavre» de Daphné
5.2.2 À travers Babylas, Dieu réduit Apollon au silence
5.2.3 La réponse païenne confirme l’ impuissance d’Apollon
5.3 La destruction du temple n’est qu’un avertissement.
5.3 . 1 Dieu offre à l’ empereur la possibilité de se remettre sur le droit chemin
5.3.2 La mort de Julien
CONCLUSION
ApPENDICE l
APPENDICE II
BIBLIOGRAPHIE

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