La variation des perspectives narratives

La variation des perspectives narratives

       Tour à tour, madame de Beauséant et madame de Langeais alimentent la narration et entrent de plain-pied en conversation avec Rastignac et le lecteur. Plus loin, le recours à un narrateur étranger à l’intrigue, en l’occurrence monsieur Muret, donne au récit plus d’objectivité. A la différence de la vicomtesse de Beauséant et de la duchesse de Langeais, Muret fonctionne comme un narrateur-témoin de l’histoire qu’il déroule. Rappelons que c’est lui qui a acheté le fonds du père Goriot, après la retraite de ce dernier. Madame de Langeais, de même que madame de Beauséant, détiennent une information-supposition. Ce sont des narratrices au second degré, parce qu’elles ont été d’abord réceptrices du message qu’elles retransmettent à Rastignac. Jusqu’au moment où Muret vient dissiper le doute du lecteur et de Rastignac, la narration de ces deux dames peut être soumise à une réflexion critique sur sa propre légitimité. Cette technique qui consiste à reprendre le même événement par deux personnages dont l’un est interne à la fiction et l’autre externe, est une habile stratégie réaliste qui établit d’une part un climat de confiance entre auteur et lecteur, et qui renforce d’autre part, l’illusion romanesque. La duchesse de Langeais, même si elle n’a pas altéré l’histoire du père Goriot, oublie cependant certains détails ; le nom du vermicellier, entre autres, qu’Eugène lui rappelle constamment et qu’elle ne parvient toujours pas à prononcer avec exactitude. Tantôt elle l’appelle Foriot, tantôt Moriot, si ce n’est Loriot ou Doriot. Deux raisons justifient cette méprise. La première est inhérente à la source de l’information. Elle émane d’abord de l’intendant de la grand-mère de la duchesse de Langeais, qui l’a transmise à la vieille dame qui, à son tour, la transmet à sa petite fille. Le récit est donc marqué par la subjectivité qui caractérise tout message qu’on colporte de bouche à oreille. La deuxième raison est imputable au narrateur, qui introduit une dose d’humour dans cette histoire pour dédramatiser quelque peu, le sort du père Goriot.

La focalisation externe

       La vie professionnelle du père Goriot est rapportée par Muret qui est lui même extérieur à la réalité décrite. C’est pourquoi son récit est neutre ; à la différence du regard projeté sur monsieur Vauquer par sa femme, celui de Muret est objectif et sans parti pris. Balzac utilise également d’autres procédés narratifs inhérents au rythme. Il s’agit notamment de l’accumulation graduelle qui a un effet d’amplification et d’exagération du réel. Cette description de la maison Vauquer rend compte de ce style : « elle sent le renfermé,/ le moisi,/ le rance ;/ elle donne froid,/ elle est humide au nez,/ elle pénètre les vêtements ;/ elle pue le service,/ l’office,/ l’hospice. »(31) Chaque groupe rythmique est caractéristique d’un rythme ternaire que nous matérialisons par une barre. En outre, nous notons une gradation ascendante qui donne plus de précision aux éléments du décor. La dernière proposition comporte une rime intérieure que nous avons soulignée, de même qu’une allitération en « s » et une assonance en « i ». Ainsi, cette « misère sans poésie », est pourtant évoquée avec poésie, tant au niveau du lexique, de la syntaxe que des sonorités. Par ce biais, Balzac rompt la monotonie du texte. Même si la description est très longue, elle devient moins ennuyeuse, parce que les éléments constitutifs du cadre sont présentés sous différents angles et à travers plusieurs modes de vision. Toutes ces ressources montrent que l’auteur de La Comédie Humaine a bel et bien un style qui lui est propre et que son art est par endroits affiné. Il s’inscrit en faux contre cette littérature marchande incarnée par des journalistes sans vocation ni dispositions intellectuelles. Il est certes sensible au luxe, mais cela ne l’empêche pas de considérer les lettres comme une délectation mentale et une nourriture spirituelle. Balzac a inauguré le roman qui stigmatise la vulgarité des caractères et le quotidien de la vie. En effet, il va faire une exploitation particulière du salon, cadre où se jouent des drames de toutes sortes, où se nouent des relations de toutes natures, où les secrets les plus enfouis sont étalés sans gêne. Autant dans Le père Goriot, les Illusions perdues, La Recherche de l’Absolu que dans Eugénie Grandet, cet espace géographique est révélateur de la nature des personnages. La description de cet endroit fortifie les contrastes et explique l’état d’âme des héros. Dans Le père Goriot, c’est à travers les salons de monsieur de Restaud et de madame de Beauséant d’une part, la salle à manger de madame Vauquer d’autre part, que nous sommes édifiés sur le statut social des uns et des autres. Pour montrer l’avarice du père Grandet, le narrateur s’attache à peindre avec précision la vétusté des meubles. Ainsi sa théorie de l’« éclectisme littéraire » qui associe l’Image à l’Idée trouve bien son application. En outre, nous notons que le registre de langue cadre bien avec les situations et les milieux sociaux. Le bredouillement affecté du père Grandet, traduit un certain comique de paroles qu’il utilise pour berner ses clients et les abuser. Il en est de même du baron de Nucingen qui altère volontairement sa prononciation, en y mêlant l’accent alsacien, dans l’intention de distraire ses interlocuteurs ou de brouiller leurs esprits, pour ensuite les voler.

Qu’entend-on par sublimation de l’amour ?

       C’est le renoncement à l’amour terrestre, passionnel et mondain au profit d’un amour plus épuré, plus désintéressé et même divin, parce que tourné vers Dieu ou nourri d’œuvres de charité et de bienfaisance. A la base de ce type d’élévation, il y a le constat d’un échec, d’une trahison, dune passion amoureuse frustrée, d’un dépit amoureux. L’abandon de madame de Beauséant par Ajuda Pinto ( Le père Goriot ), de la duchesse de Langeais par Montriveau ( La duchesse de Langeais ), la trahison horrible de Charles Grandet ( Eugénie Grandet ), l’inconstance de Calyste de Guénic à l’égard de Camille Maupin ( Béatrix ), le mariage de Francesca avec le duc de Rhétoré contre le gré d’Albert Savarus ( Albert Savarus ) sont à l’origine de cette transcendance. Madame de Beauséant et la duchesse de Langeais ont été les reines du faubourg Saint-Germain et leurs avis font autorité. Leur influence est très grande. Elles ont aussi le privilège de la naissance, même si cet avantage s’est beaucoup émoussé. La vicomtesse de Beauséant brûle pour Ajuda Pinto, tandis qu’Antoinette de Langeais se passionne pour Montriveau. Ajuda Pinto rompt sa liaison pour se marier avec Mademoiselle de Rochefide. Claire de Beauséant désespérée, décide alors d’aller passer le reste de ses jours en Normandie, chez les religieuses de Courcelles. Antoinette, quant à elle, se réfugie chez les carmélites. Pourtant, rien ne prédisposait ces deux dames arrogantes et imbues d’elles à la vie religieuse et à la solitude monacale. Elles ont les honneurs du monde et la grâce de la nature. Leur tempérament les prédestine à la jouissance et au luxe. Leur statut social leur garantit respect et considération, malgré leur inconduite. Leurs salons ne désemplissent pas. En plus elles sont déjà mariées à des hommes qui sont à l’abri du besoin et qui tolèrent leurs mésaventures. Leur décision dénote quelque peu un certain altruisme, un oubli de soi et une volonté manifeste de mettre une croix à la vie dissipée qu’elles menaient auparavant. Il y a chez ces deux dames la conscience que les richesses spirituelles sont supérieures aux richesses matérielles, la paix de l’âme préférable à l’agitation du monde. En allant s’enfermer dans des maisons de retraite, Claire de Beauséant et Antoinette de Langeais payent par le repentir, la prière et le renoncement aux biens éphémères toutes les années de perversion et de péché. L’on mesure de ce fait, l’effort sublime qu’elles ont dû faire pour prendre un tel engagement. Elles font désormais de l’amour de Dieu et du prochain leur seule préoccupation. Dans la solitude et la prière, elles expient leurs fautes. Elles ont su vaincre les contradictions de la vie, la tentation du plaisir. Elles ont choisi à présent une vie faite de pénitence, de recueillement, de mortification. Adorer Dieu, se conformer à ses commandements, semble être le nouvel objectif qu’elles se sont fixé. Mais Eugénie Grandet est l’exemple le plus achevé de la sublimation de l’amour. Cette vertu est poussée jusqu’à la macération et la candeur. Toute sa conduite est l’émanation d’un idéal qui place le divin et le pauvre au centre de ses démarches et de ses desseins. Le prochain est pour elle le reflet de Dieu et l’aimer, c’est aussi vénérer son créateur. A l’abri des calculs égoïstes, des actions d’éclat et des gestes factices, toute son œuvre est tournée vers un noble but : instaurer plus de justice sur terre, faire en sorte qu’il y ait plus de compréhension entre les hommes, plus de communion, plus d’amour et de paix. C’est pourquoi, elle est la gérante, la trésorière de l’immense fortune dont elle dispose et qu’elle donne et distribue plutôt que la propriétaire, puisque les autres en bénéficient davantage. « Probe autant qu’une fleur née au fond d’une forêt est délicate» (52), ses paroles et ses actes sont le miroir de sa générosité de cœur et de sa douceur naturelle. Parce qu’elle a fait de la charité son credo, chaque jour de sa vie est un pas de plus vers le TrèsHaut. En se mortifiant pour les autres, elle donne le plus bel exemple de dévouement humain. Sa fidélité ne souffre aucun reproche, car elle a su attendre, sept ans durant, son cousin Charles. Malgré les tentations, elle a pu tenir sa promesse. On ne note pas non plus chez elle la moindre conduite répréhensible, la moindre attitude arrogante, si ce n’est que pour refuser l’arbitraire paternel. La haine ne l’habite pas, puisqu’elle n’en veut pas à Charles Grandet, quand celui-ci lui fait part de sa volonté d’épouser une demoiselle d’Aubrion. Mieux, elle fait éclater toute sa grandeur d’âme en payant les dettes de celui-ci, lui permettant ainsi de consommer son hymen dans la quiétude et l’honneur.

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Table des matières

INTRODUTION
PREMIERE PARTIE : LE LIVRE ET LA PRESSE
CHAPITRE I : la capitalisation de l’esprit
CHAPITRE II : une esthétique de rupture 
A/ L’Esthétique balzacienne
B/ La sainte critique
DEUXIEME PARTIE : L’AMOUR ET LE MARIAGE
Chapitre I : l’amour combat
Chapitre II : la sublimation de l’amour
Chapitre III : l’amour sacrifice 
Chapitre IV : le mariage conçu comme un marché
Chapitre V : l’amour passion 
Chapitre VI : l’amour paternel 
TROISIEME PARTIE : LA VOLONTE DE PUISSANCE 
Chapitre I : l’argent
A/ Le père Grandet
B/ Le baron de Nucingen
C/ Gobseck
Chapitre II : l’arrivisme ou la conquête sociale 
Chapitre III : la force au service du mal
Chapitre IV : la passion pour la science
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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