La typologie d’agriculteurs adoptants et non-adoptants

La typologie d’agriculteurs adoptants et non-adoptants

MISE EN CONTEXTE

  Plus de 80 % de la production agricole du Québec se retrouvent aujourdhui dans les basses terres du Saint-Laurent, sur une superficie couvrant moins de 1,7 % du Québec (Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, 2008). Ce territoire a été qualifié comme la zone dintensification agricole du Québec par Ruiz et Domon (2005). En l’espace dune vingtaine dannées (1970-1990), cette zone a vu naître des paysages nouveaux avec larrivée de cultures comme le maïs-grain et le soya et la spécialisation des fermes dans des productions autrefois plus marginales (ex. : grandes cultures, production porcine, avicole et maraîchère) (Ruiz, 2009).Lapparition de ces nouveaux paysages semble aujourd’hui contribuer tant aux enjeux environnementaux (dégradation de la qualité de leau, de la biodiversité, des sols, etc.) que socio-économiques de ces territoires (apparition de signes de dévitalisation).De nombreux travaux de recherche soulignent la nécessité de trouver des voies pour requalifier ces paysages d’intensification agricole, soit de leur redonner des qualités susceptibles de répondre aux enjeux qui les traversent (primdahl et al., 2013; Ruiz, 2009). Parmi les voies empruntées par les politiques publiques, les mesures agroenvironnementales (MAE) en constituent la principale tant au Québec que dans de nombreux pays industrialisés (Pinto-Correia et al. , 2006). Par ces mesures, les politiques publiques tentent de favoriser l’adoption volontaire de pratiques agricoles et  d’aménagements bénéfiques à la santé des agroécosystèmes par les agriculteurs. En s’attardant aux motifs d’adoption ou de non-adoption de certaines de ces mesures par les agriculteurs et au rôle qu’y jouent les relations au paysage, notre recherche cherche à mieux saisir lapport potentiel de ces MAE à la requalification des paysages agricoles.Avec lapparition des problèmes environnementaux liés aux activités agricoles, les gouvernements des pays industrialisés ont développé une panoplie de politiques et de programmes visant la mise en place de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement, dont les mesures agroenvironnementales font partie. Ces mesures reposent sur des approches volontaires, cest-à-dire que les exploitants agricoles sont libres de sengager à les appliquer ou pas. Elles offrent aux exploitants un incitatif flnancier soit un paiement pour ladoption de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement allant au-delà des normes en vigueur (Organisation de coopération et de développement économique, 2003). Plusieurs MAE ont un impact signiflcatif sur les paysages comme la végétalisation des bandes riveraines, limplantation de haies (brise-vent et brise-odeur) et dîlots forestiers. Elles pourraient contribuer à une requaliflcation des paysages en zone dintensiflcation agricole et répondre à des enjeux sociaux (ex. : cohabitation, maintien et attrait des populations) et culturels (ex. : nouvelle flerté pour les agriculteurs) tout en améliorant la qualité de lenvironnement (ex. : qualité de leau, biodiversité, érosion). C’est spéciflquement sur ces MAE qui ont un impact signiflcatif sur les paysages que cette recherche va sattarder.

Les agriculteurs et les mesures agroenvironnementales

  En proposant des incitatifs financiers aux agriculteurs pour l’adoption de pratiques agricoles bénéfiques à l’environnement, la participation aux MAE serait-elle fortement dépendante des paiements qu’elles offrent? Au contraire, les travaux portant sur la compréhension des différents facteurs d’adoption des MAE ont montré que les incitatifs financiers sont loin d’être le seul facteur expliquant la participation des agriculteurs à des programmes agroenvironnementaux. Sur la base des typologies des approches présentées par Wilson (1997), et reprises par de nombreux autres auteurs (Ahnstrom et al., 2009; Burton, 2004; Ingram et al., 2012; Siebert et al., 2010), le prochain chapitre présente brièvement les quatre principales approches utilisées pour analyser les facteurs jouant sur l’adoption des MAE par les agriculteurs, à savoir: (1) les approches behavioristes, connues pour avoir mis l’emphase sur l’influence des caractéristiques sociodémographiques des agriculteurs (âge, éducation) et celles de l’exploitation agricole (taille, type de production); (2) les approches s’appuyant sur la psychologie sociale qui ont davantage insisté sur l’influence des normes sociales et culturelles; (3) les approches basées sur la théorie de l’acteur-réseau qui soulignent le rôle du réseau d’influence de l’agriculteur et, enfm (4) les approches plus globalisantes qui intègrent les critiques et les enseignements des approches précédentes.

Les approches inspirées de la psychologie sociale

  En réaction aux approches behavioristes et considérant que les valeurs personnelles et culturelles des agriculteurs pouvaient grandement influencer l’adoption des MAE, dautres chercheurs se sont appuyés sur les théories de la psychologie sociale pour comprendre les facteurs d’adoption. Elles ont mis en évidence l’influence des normes et du contexte culturel, de l’identité sociale, des valeurs, des objectifs et de la philosophie de l’agriculteur dans ladoption des MAE (Ahnstrom et al., 2009; Burton, 2004; Fish et al., 2003; Gasson, 1973; Harrison et al. , 1998; Schoon and Grotenhuis,2000; Siebert et al. , 2006; Stock, 2007 in Ingram et al. , 2012).Ces travaux ont notamment montré à quel point lidéologie du productivisme est profondément ancrée dans les comportements des agriculteurs (Gorton et al., 2008; Marsden et al., 1993). Selon cette idéologie, les agriculteurs sont les meilleurs « gestionnaires du territoire» (Wilson, 2001) et la maximisation de leur production est le but ultime de tout bon agriculteur (Morris et Evans, 1999). Ainsi, l’intégration de nouveaux comportements comme l’adoption de MAE pourrait fortement être limitée par ces valeurs productivistes (Shucksmith, 1993; Burton, 1998 in Wilson, 2001 ; Pinto-Correia et al., 2013)

Bilan et apport de la compréhension des facteurs d’adoption des MAE

  C’est donc un ensemble complexe de facteurs qui influence l’adoption des MAE npar les agriculteurs: le type de MAE proposées, les caractéristiques structurelles de l’agriculteur et de sa ferme et sa trajectoire de développement, le réseau dacteurs, les normes sociales et culturelles de lagriculteur et ses objectifs de production, les caractéristiques physico-spatiales de lexploitation agricole, ainsi que lensemble du contexte politique et technologique plus global. Ces études mettent aussi en évidence que les attitudes et la capacité des agriculteurs à adopter des MAE sont spatialement et temporellement variables. Autrement dit, toutes les MAE ne pourraient pas être implantées partout sur la ferme en tout temps, autant pour des raisons liées aux valeurs des agriculteurs, pour des raisons liées à la conduite économique de l’exploitation ou encore pour des raisons physico-spatiales. Ainsi, l’implantation des MAE doit-elle être cernée sur le temps long et ancrée dans la réalité physico-spatiale de l’exploitation agricole. Or, force est de constater que la réalité physico-spatiale de l’exploitation agricole est encore peu prise en compte.Concernant les MAE ayant un impact significatif sur la réalité matérielle des paysages (ex. : haies brise-vent, bandes riveraines, îlots forestiers), des études suggèrent que les valeurs paysagères des agriculteurs pourraient dans ce cas s’avérer un facteur particulièrement déterminant tout à la fois pour leur adoption et leur localisation sur la ferme (Busck, 2002; Egoz et al., 2001; Ruiz et Domon, 2013). La prochaine section propose d’exposer les résultats de travaux qui se sont intéressés aux valeurs et aux pratiques paysagères des agriculteurs.

Un cadre d’analyse pour les interactions agriculteurs-paysage

  Selon ce cadre, les relations aux paysages renvoient aux valorisations et aux pratiques paysagères. Il met en relation l’agriculteur, ses relations au paysage et la réalité physico-spatiale de sa ferme, dans une perspective dynamique (évolution dans le temps) (Figure 2.2). «Au centre du modèle se retrouvent l’agriculteur, la réalité matérielle de sa ferme et les interactions entre ces deux dimensions. Lagriculteur est simultanément considéré comme un producteur et comme un résident qui vit sur le territoire. Il va interagir avec la réalité matérielle de sa ferme à travers ce double statut. La réalité matérielle renvoie aux caractéristiques physico-spatiales visibles et concrètes de ferme qui offrent à la fois des opportunités et des contraintes à l’agriculteur. Les interrelations entre agriculteur et paysage sont envisagées selon deux boucles de récursivité qui lient réalité matérielle et immatérielle des paysages. La première boucle renvoie aux perceptions et aux valorisations paysagères alors que la deuxième est constituée des pratiques paysagères» (Ruiz, 2014a, p. 65-67).En fonction de ses valeurs, influencées par sa culture, son éducation, ses expériences passées, etc., l’agriculteur va attribuer des valorisations paysagères à la réalité matérielle du paysage pour former la première boucle de récursivité. Ces valorisations paysagères font référence: « aux qualités attribuées par un individu ou un groupe social au paysage ou à une caractéristique du paysage» (Ruiz, 2014a, p .67).Puis, ces valorisations paysagères jumelées à .des perceptions sociocognitives contribueront à la formation d’une image mentale de la réalité qui va, du moins en partie, guider les pratiques paysagères défInies ici comme la réalisation de l’action qui façonne la réalité matérielle, comme ladoption dune MAE par exemple. Cette réalité matérielle va à son tour offrir des potentialités et des contraintes aux pratiques paysagères pour venir compléter la seconde boucle de récursivité qui lie lagriculteur à la réalité matérielle du paysage.Par ailleurs, la revue de littérature indique que plusieurs facteurs internes à la ferme comme les caractéristiques structurelles, la situation familiale et les trajectoires de développement peuvent influencer la réalité matérielle de lexploitation agricole, l’agriculteur ou les relations entre les deux. Plusieurs forces internes et externes au territoire influencent aussi les interactions agriculteur-paysage, à savoir les politiques, les marchés agricoles, les technologies, la culture agricole et les changements environnementaux, la dynamique au sein de la communauté agricole, etc. Enfm, l’ensemble de ces dimensions est susceptible dévoluer dans le temps.

La rivière des Envies

  Le bassin versant de la rivière des Envies chevauche deux régions physiographiques : le Bouclier canadien à 53 % et les basses terres du Saint-Laurent à 47 %. Ce bassin versant se situe dans la région administrative de la Mauricie, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent à 40 km au nord-est de Trois-Rivières et 100 km à louest de Québec. Le bassin est majoritairement dans la MRC de Mékinac, comprenant les municipalités de Saint-Sévérin-de-Proulxville, Saint-Thècle, Hérouxville et Saint-Tite, qui est la  municipalité la plus importante avec 3 725 habitants et une densité de 41,9 hablkm2 (MAMROT, 2010).La rivière des Envies est un tributaire de la rivière Batiscan et son bassin versant couvre 482 km2. La portion amont est dominée par la forêt (79 %) et la partie aval par l’agriculture (19 %). Les milieux urbains occupent 2 % de la superficie totale (Figure 3.2). Le bassin versant compte plus de 95 entreprises agricoles dont 42 se spécialisent dans la production laitière, 21 dans les grandes cultures, 15 dans la production de bovin de boucherie et quelques-unes dans la production porcine. Les autres entreprises sont en productions acéricoles ou maraîchères (SAMBA, 2011). La superficie totale de terres cultivées dans le bassin versant est de 7 808 ha (16 % de la superficie du bassin versant). La concentration des activités agricoles au sud du bassin versant ainsi que des problèmes d’érosion des berges et l’absence de bandes riveraines sont à l’origine de la dégradation de la qualité de l’eau de la rivière des Envies. Entre 2005 et 2010, ce bassin versant a fait l’objet d’un projet de réhabilitation environnementale dans le cadre du programme de mise en valeur de la biodiversité en milieu agricole soutenu par la Fondation de la faune et l’UPA. Plus de 55 producteurs ont participé au programme en implantant des aménagements de stabilisation des berges, de reboisement des coulées et de stabilisation des sorties de drains. Les travaux d’aménagement ont été exécutés ferme par ferme damont en aval. Ainsi la phase 1 des travaux s’est déroulée dans lemunicipalités de Saint-Thècle, Saint-Tite, Hérouxville et la phase II dans les municipalités de Saint-Sévérin et Saint-Stanislas. Au total, 15 ha de terre ont été reboisés, 32000 arbres plantés et d’autres aménagements hydro-agricoles effectués (ex. : avaloirs, sortie de drain, déversoirs enrochés). En plus, des efforts ont été faits pour provoquer des changements dans les pratiques culturales des agriculteurs. Plus de 670 ha de terres, originalement travaillées par labour conventionnel, ont été convertis en semi-direct, une technique culturale réduisant le travail du sol et l’érosion du sol arable (Fondation de la Faune du Québec et Union des Producteurs Agricoles, 2011)

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Table des matières

REMERCIEMENTS 
RESUME
LISTE DES TABLEAUX.
LISTE DES FIGURES 
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET
ACRONYMES

CHAPITRE 1 MISE EN CONTEXTE
CHAPITRE II
PROBLEMATIQUE
2.1 Les agriculteurs et les mesures agroenvironnementales
2.1.1 Les approches behavioristes
2.1.2 Les approches inspirées de la psychologie sociale

2.1.3 Les approches basées sur la théorie de l’acteur-réseau
2.1.4 Vers des approches plus globalisantes
2
.2 Bilan et apport de la compréhension des facteurs d’adoption des MAE
2.3 Les
valeurs et les pratiques paysagères des agriculteurs
2.4 Un cadre d’analyse pour les interactions agriculteurs-paysage

2.5 Les questions et les objectifs de recherche

CHAPITRE III MATERIELS ET METHODE
3.1 L’approche méthodologique
3.2 Les territoires d’étude
3.2.1 La rivière des Envies
3.2.2 La rivière aux Brochets
3.3 La collecte des données

3.4 L’analyse des résultats

CHAPITRE IV RESULTATS
4.1 Les caractéristiques des agriculteurs interviewés et de leurs exploitations
4.2 Les résultats de l’analyse thématique

4.2.1 Les caractéristiques et représentations d’un beau champ 
4.2.2 Les valeurs et les pratiques paysagères des espaces non cultivés
4.2.2.1 Les valeurs paysagères communes aux adoptants et aux non-adoptants
4.2.2.2 Les valeurs paysagères des adoptants dans les espaces non cultivés une fois aménagés
4.2.2.3 Les pratiques paysagères qui transcendent les deux groupes 
4.2.2.4 Les pratiques paysagères des adoptants une fois les espaces non cultivés aménagés
4.2.2.5 Les
valeurs et les pratiques paysagères spécifiques aux caractéristiques du territoire
4.2.3 Les motifs d’adoption et les stratégies d’implantations spatiotemporelles des MAE
4.2.3.1 Les motifs principaux de participation à un projet agroenvironnemental
4.2.3.2 Les motifs secondaires de participation à un projet agroenvironnemental

4.2.3.3 Les motifs d’adoption propres à chacun des territoires 
4.2.3.4 Les stratégies d’implantation spatio-temporelles 

4.2.3.5 Les stratégies spatio-temporelles propres à chacun des territoires
4.2.4 Les perceptions des adoptants face aux programmes de MAE 

4.2.5 Les motifs de non-adoption des MAE

4.2.5.1 Les motifs de non-adoption principaux 
4.2.5.2 Les motifs de non-adoption secondaires 

4.2.5.3 Les motifs de non-adoption spécifiques aux territoires

4.3 La typologie d’agriculteurs adoptants et non-adoptants
4.3.1 Les avant-gardistes
4.3.2 Les productivistes-environnementalistes
4.3.3 Les conformistes

4.3.4 Les opportunistes

4.3.5 Les futurs productivistes-environnementalistes
4.3.6 Les résistants-environnementalistes

4.3.7 Les productivistes-conventionnels
4.3.8 Les particularités liées aux deux territoires à l’étude

CHAPITRE V
DISCUSSION
5.1 Les valeurs et les pratiques paysagères des espaces non cultivés
5.2 Les facteurs modulants l’adoption ou la non-adoption des MAE

5.2.1 Le rôle des
valeurs de production et des normes sociales et culturelles dans l’adoption ou non des MAE 
5.1.1 Deux apports
à la compréhension des facteurs d’adoption des MAE
5.3 Les conséquences des résultats pour le développement des MAE au Québec 
CHAPITRE VI
CONCLUSION.
ANNEXE A
NON-ADOPTANTS
ANNEXEB
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT

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