LA THÉORIE DE L’ÂME ET SA PLACE DANS LA MORALE D’ARISTOTE

L’âme comme principe automoteur

      Pour Aristote, l’âme est universellement regardée comme un principe et le « caractère commun de tous les principes, c’est donc d’être la source, d’où l’être, ou la génération ou la connaissance, dérive ». Parmi ses devanciers, l’opinion qui fait de l’âme le principe moteur par excellence est la plus répandue. Presque tous ont plus ou moins reconnu un certain mouvement de l’âme. C’est ainsi que selon Aristote, « l’existence du mouvement, assurément, a été affirmé par tous ceux qui ont touché à la science de la nature, parce qu’ils ont fait des cosmogonies et porté leur examen sur la génération et la destruction, toutes les choses qui ne peuvent pas exister sans mouvement ». Pour Thalès, l’eau est le principe primordial et primitif de toute chose. Les trois éléments que sont la terre, l’air et le feu proviennent de l’eau par l’action d’un processus physique. L’air et le feu sont l’exhalaison de l’eau sur laquelle repose la terre. L’univers tout entier de même que ses différents composants ont comme origine l’eau. C’est avec cette dernière que le dieu « fait tout » et comme il l’affirme, « l’intelligence du monde est le dieu ; car tout est à la fois animé et plein de «daimones » qui le met en mouvement ». Ainsi, pour Thalès l’âme est divine, elle est principe moteur, tout est animé, donc possède une âme. Il affirme que même l’aimant possède une âme, car il met le fer en mouvement. De même que chez certains pythagoriciens, l’âme est identifiée aux poussières en suspension dans l’air, d’autres l’identifient aussi au principe de leur mouvement. En effet, pour les pythagoriciens, les dieux, les hommes, les animaux et les choses étaient tous d’une même parenté génétique. Quant à l’âme, elle pouvait habiter tous les corps possibles des vivants, et c’est pourquoi les âmes voltigent autour des vivants. Ainsi, elles sont pour eux en continuel mouvement même quand le calme est complet. Dans la Physique, Aristote rapporte que pour Anaxagore toutes choses étaient ensemble et en repos en un temps infini. L’univers était en effet composé d’un fluide sans distinction apparente (πᾴντα ὁµοῦ). Ce fluide est une substance préexistante éternelle formée de fluides qualités (χρήµατα) dont le mélange est à l’origine du sensible. Ces fluides qualités sont composés de points qualités (σπέρµατα) qui sont infinitésimaux et ne sont pas appréhensibles à l’œil nu, mais par la raison. De la séparation des fluides qualités naissent les éléments qualités (µοῖραι) qui sont des morceaux de fluide composés de points qualités (σπέρµατα). Ce sont eux qui fusionnent pour donner le sensible. C’est l’intelligence νοῦς en tant que infinie, autonome et sans mélange, « le plus tenu et le plus pur des fluides qualités », toujours identique à lui-même, éternel, homogène qui a imprimé le mouvement et a opéré le discernement. En effet, le νοῦς commença par tourner sur lui-même, et en tournant il fit tourner petit à petit ce qui était autour de lui. Comme le dit Anaxagore, il « la fit débuter par un point minuscule, ensuite la rotation s’étend et s’étendra encore bien d’avantage »10. Cette rotation et le mouvement centrifuge qu’elle provoque vont entraîner le mouvement et la séparation des points qualités. Il affirme à cet effet que « lorsque le νοῦς commença à mouvoir les choses, il y eut une séparation dans tout ce qui se trouvait en mouvement, et dans la mesure où le νοῦς les a mises en mouvement tout fut séparé ». Bien que distincte de l’intelligence, l’âme est de même nature qu’elle. Elle est un morceau de νοῦς emprisonné dans les cellules du vivant qu’elle fait vivre par sa présence et ses qualités spirituelles. Sa séparation avec le corps entraîne la mort de l’être vivant et de l’âme (ψυχὴ), car le morceau libéré va rejoindre le νοῦς et fondre en lui. Elle est une cause motrice et tous les animaux, grands et petits, supérieurs et inférieurs ont une âme. Quant à Alcméon, il prétend aussi que l’âme « est immortelle par sa ressemblance avec les êtres immortels ». A l’image de la Lune, du Soleil, des Astres et du Ciel tout entier qui sont des choses divines, l’âme possède un mouvement éternel. Démocrite et Leucippe considèrent en effet que les atomes infinis dans un monde infini, suffisent à expliquer la genèse et constitution des mondes infinis et des êtres aux formes multiples et variées. Voilquin affirme que pour eux, « en somme la réalité se compose de quelque chose (δέν) et du « non quelque chose » (οὐδὲν) : des atomes et du vide »13. En plus de leur nombre infini, les atomes sont insécables, indivisibles et n’ont aucune diversité qualitative. Ils se différencient par leur forme, leur position et individuellement par leur grandeur. Comme le dit Voilquin « ces différences sont quantitatives, géométriques ». Quant à l’âme, elle est une sorte de feu et de chaleur. L’âme et la chaleur sont identiques et les atomes de forme sphérique sont identifiés à l’âme. Pour Démocrite et Leucippe, les atomes de l’âme par leur forme, « sont les plus aptes à pénétrer à travers toutes choses et à mouvoir le reste, entendu qu’elles sont elles-mêmes en mouvement »15. Ainsi, l’âme est pour eux identique à l’intellect, elle est un principe automoteur et cause du mouvement chez les animaux. Voilquin affirme que chez Démocrite et Leucippe, « l’essence de l’âme qui est formée de la substance la plus mobile, d’atomes subtils, lisses et ronds, consiste dans la force vivifiante, et motrice. L’âme produit le mouvement des êtres vivants. La pensée, elle aussi, est mouvement »16. Les atomes de l’âme, particulièrement ténus et mobiles, sont en danger permanent de s’échapper du corps et de se disperser à l’extérieur sous la pression du milieu ambiant. En effet, selon Aristote : « le milieu ambiant comprime les corps organiques et en fait sortir celles des figures qui communiquent le mouvement aux animaux parce qu’elles ne demeurent elles-mêmes jamais au repos »17. Selon Démocrite18, chez les animaux qui respirent, la respiration empêche que l’âme soit expulsée du corps. En effet pour lui, il y a un grand nombre d’atomes d’âmes dans l’air. Quand l’animal respire, les atomes d’âme entrent en lui et exercent une pression, empêchant ainsi l’âme qui réside dans l’animal de s’échapper sous la pression du milieu ambiant. Ainsi comme le note Voilquin : « c’est la respiration qui amène constamment dans le corps une nouvelle matière ignée et psychique pour remplacer les atomes disparus »19. C’est pourquoi, Démocrite pense que vivre et mourir consistent à respirer et à expirer. Quand la respiration s’arrête, la mort survient chez les animaux. De même que dans le Timée21, Platon affirme l’existence d’une Ame du Monde. Cette âme, première création du démiurge, est d’une nature divine.  En effet, « le Dieu, lui, a formé l’Ame avant le corps : il l’a faite plus ancienne que le corps par l’âge et par la vertu, pour commander en maîtresse et le corps pour obéir ». L’Ame du Monde est composée de deux essences : l’essence indivisible et toujours identique et l’essence divisible et corporelle. C’est à l’aide de ces deux substances que le démiurge a composé une troisième substance intermédiaire comprenant et la nature du Même et celle de l’Autre. Ces trois substances mélangées seront à la base de la quatrième substance dont le démiurge se servira dans sa construction. Ainsi comme l’affirme Platon : « l’Ame est donc formée de la nature du Même et de la nature de l’Autre et de la troisième substance. Et composée du mélange de ces trois réalités, partagée et unifiée mathématiquement, elle se meut d’elle-même en cercle, en tournant sur elle-même »23. L’âme est ici un principe moteur qui s’engendre lui-même. Elle est le premier moteur comme premier mouvement qui se donne son propre mouvement. Ce mouvement original et primordial est le principe des autres mouvements-processus de la nature. L’âme est la cause générale de la vie qui se manifeste par des mouvements régulièrement ordonnés vers certaines fins. Tout en se mouvant elle-même, l’âme meut le corps avec lequel elle est entrelacée et pour Platon, « quand toute la construction de l’âme eut été réalisée au gré de son auteur, celui ci étendit, ensuite à l’intérieur de cette Ame, tout ce qui est corporel et les mis en harmonie. Ainsi, l’âme étendue dans toutes les directions, depuis le milieu jusqu’aux extrémités du ciel, l’enveloppant en cercle du dehors, et tournant en cercle sur elle-même, commença d’un commencement divin, sa vie inextinguible et raisonnable, pour toute la durée des temps ». Donc, pour Platon l’âme est cause motrice. Les mouvements internes à la nature sont alors les démembrements de l’âme universelle automotrice, l’âme du monde contenant le ciel, car Aristote commentant Platon dira que « les révolutions du Ciel sont les mouvements mêmes de l’âme ».

Critique de la théorie de l’âme automotrice

       Dans la Physique, Aristote affirme qu’il est impossible qu’il y ait un mouvement sans lieu, ni vide, ni temps. Chaque mouvement fait intervenir un mobile et un moteur, et il y a autant d’espèces de mouvements que de l’être. En effet, le mouvement se définit comme « l’entéléchie de ce qui est en puissance en tant que tel »60. Le mouvement est dans le mobile, il est l’entéléchie du mobile sous l’action du moteur. Ainsi pour Aristote, l’opinion suivant laquelle l’âme, pour être un principe de mouvement, devrait être mue elle-même conduit à des absurdités. Il dit dans le De Anima « sans doute, en effet, non seulement il est faux de se représenter la substance de l’âme comme ceux qui définissent l’âme ce qui se meut soi-même ou est capable de se mouvoir soi-même, mais encore il est complètement impossible que le mouvement appartienne à l’âme »61. Pour lui62, il y a deux façons de se mouvoir, soit par accident, soit par soi-même, et il n’est pas nécessaire que le moteur soit mû lui-même, car comme il le dit dans la Physique63 : « on voit donc, d’après ce qui précède que le moteur premier est immobile : soit en effet que la série des choses mues par d’autres, s’arrête tout droit à un premier immobile, soit qu’elle aille jusqu’à un mû qui se meuve et s’arrête lui-même, des deux façons il s’en suit que, dans toutes les choses mues, le premier moteur est immobile ». Il est manifestement absurde que l’âme soit mue par soi-même et qu’elle ait le mouvement en partage. Avec une telle nature l’âme sera localisable, et sera dotée d’un mouvement forcé et d’un repos forcé, toutes choses impossibles, car « si elle se meut vers le haut, l’âme sera feu, et si c’est vers le bas, elle sera terre »64. Du fait que l’âme meut le corps, elle sera dotée du même mouvement que le corps qui se meut par translation. Cela conduit à une nouvelle absurdité, car, dans ce cas, il serait possible à l’âme « qu’elle s’éloignât du corps et qu’elle y rentrât et il en résulterait que les animaux morts pourraient ressusciter »65. Revenant ainsi à la seconde façon de se mouvoir, Aristote récuse l’idée que l’âme puisse être mue par accident et par autre chose qu’elle-même. En effet pour lui, « accident se dit de ce qui appartient à un être et peut être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni constant »66. Si l’âme se meut par elle-même, elle est naturellement et essentiellement motrice, et dire qu’elle est mue par autre chose revient à affirmer une absurdité. Ainsi, « il ne faut pas admettre qu’une chose essentiellement mobile par soi puisse être mue par une autre chose, sinon par accident, pas plus que ce qui est bon par soi ou pour soi ne peut l’être par autre chose ou en vue d’autre chose ».67 Aristote pense que c’est par les choses sensibles qu’on peut supposer que l’âme soit mue avec le plus de vraisemblance. En se mouvant elle-même, l’âme devient à la fois mobile et moteur et du fait que tout mouvement est un déplacement du mobile en tant qu’il est mû et implique une modification, un changement, une transformation, alors « l’âme serait dépouillée de sa substance, si du moins ce n’est par accident qu’elle se meut elle-même, mais si le mouvement appartient à sa substance même par soi »68. Chez Démocrite, les rapports entre l’âme et le corps sont très étroits. Ce dernier est comme un instrument, un outil de l’âme. L’âme réside dans le corps, elle le meut de la façon dont elle se meut elle-même. En effet, pour lui, les atomes sphériques qui composent l’âme se meuvent et communiquent leur mouvement au corps entier avec lequel ils sont en contact, et comme le confirme le fragment 159 : « si le corps intentait à l’âme un procès, pour toutes les souffrances et les mauvais traitements qu’il a subi de son fait, et si Démocrite était appelé à se prononcer sur l’accusation, il condamnerait l’âme volontiers : n’a-t-elle pas ruiné le corps par ses négligences ? Ne l’a-t-elle pas affaibli par ses enivrements ? Ne l’a-t-elle pas corrompu et déchiré par les voluptés ? »69. Mais selon Aristote, il est difficile, et même impossible, d’expliquer que ce sont ces mêmes atomes qui produisent aussi le repos et même si tel est le cas comment cette production se réaliserait-elle. Ainsi, il pense qu’ « en général, il n’apparaît pas que ce soit de cette façon que l’âme meut l’animal, c’est en réalité par un certain choix et une certaine pensée »70. Dans le Timée, et à l’image de Démocrite, Platon considère que le mouvement du corps dépend de celui de l’âme. Pour lui « l’âme est donc formée de la nature du Même et de la nature de l’Autre et de la troisième substance. Et composée du mélange de ces trois réalités, partagée et unifiée mathématiquement, elle se meut d’elle-même en cercle en tournant sur elle-même »71.L’Âme du monde ne peut pas dans le Timée être comparée à l’âme appétitive ou l’âme sensitive qui n’ont pas le mouvement circulaire. L’âme humaine est l’œuvre des dieux secondaires et existe bien après l’Âme du monde. La sensation entraîne des troubles de telle sorte que les mouvements produits par l’âme dans le corps ne sont pas circulaires. En effet, comme le dit Platon « les cercles ont subi toutes les brisures et tous les troubles possibles et c’est à peine si leur relation a pu demeurer continue. Elle est devenue irrégulière, tantôt renversée, tantôt oblique, tantôt sens dessus dessous »72. L’Ame du monde est, selon le Timée, de la même nature que l’intellect, car « et suivant qu’elle entre en contact avec un objet qui possède une substance divisible, ou avec un objet dont la substance est indivisible, elle proclame, en se mouvant, par tout son être propre, à quelle substance il est identique et de laquelle il diffère »73.

Les rapports de l’âme et du corps

    Le platonisme d’Aristote ne fait aucun doute. En effet, Aristote né à Stagire en 384 B.C arrive à Athènes à l’âge de dix-sept ans et y fréquenta l’Académie. A cette époque, cette dernière était loin devant l’enseignement rhétorique d’Isocrate, l’un des plus privilégiés centres pour l’acquisition et la transmission du savoir. Ainsi comme nous le confirme Emile Lavielle, « Platon l’accueille dans son Académie, lui confie des responsabilités, l’associe à son enseignement (celui de la rhétorique par exemple). Il ne diffère guère de son maître que par son rejet de la doctrine des Idées »109. Dans la première période de sa vie intellectuelle, Aristote s’arrime à la conception dualiste d’inspiration platonicienne, notamment dans l’Eudème où il prône la préexistence de l’âme sur le corps. Par ailleurs, le dualisme se rencontre aussi dans le De philosophia, dans le Protreptique, dialogues aujourd’hui disparus tout comme l’Eudème, mais que connaissait Cicéron. Ces écrits dits œuvres de jeunesse étaient des dialogues, composés à la manière de Platon dont il reprenait les principaux thèmes. Dans son introduction à la Politique d’Aristote, J. Aubonnet affirme que « vers 354, âgé de trente ans environ, il écrivit l’Eudème ou de l’âme (ἤ περί ψυχῆς), mais dans cette œuvre, l’une des plus importantes de sa jeunesse avec le Protreptique, Aristote développe surtout le thème de l’immortalité de l’âme, à la manière de Platon dans le Phédon, et se montre encore fidèle disciple d’un maître aimé en restant fermement attaché au dogme platonicien des Idées et de la réminiscence »110. En effet, dans le Phédon111, Platon nous expose en termes de dualisme les rapports entre l’âme et le corps. Le dualisme se réfère à toute théorie nouée autour de deux substances ou principes indépendants l’un de l’autre et de nature absolument différente. Elle a comme opposé le monisme. Chez Platon, il est un héritage du mythe traditionnel grec qui avait pris forme dans l’orphisme à travers les mythes d’Orphée et de Dionysos Zagreus. Ce dernier mythe nous enseigne une double composition de la nature humaine : d’un côté, nous avons le corps élément titanique en l’homme et principe du mal, d’un autre côté, nous avons l’âme élément dionysiaque en l’homme et principe du bien. Ainsi, fidèle à sa théorie des Idées, dans le Phédon, Platon distingue deux espèces d’être : l’un divin, immatériel, intelligible, immortel, unique en sa forme, toujours identique à soi-même et indissoluble, l’autre humain, matériel, mortel, non intelligible, multiforme, dissoluble et jamais identique à lui-même. L’âme et le corps sont pour lui deux principes distincts constitutifs de l’être humain. L’âme a plus de ressemblance et de parenté avec la première espèce d’être, tandis que le corps a plus de ressemblance et de parenté avec la seconde espèce d’être. L’âme et le corps sont deux principes coopérateurs mais hiérarchisés. L’âme est pour Platon le seul principe digne d’intérêt, c’est elle qui anime la matière informe qu’est le corps « car tout corps qui tire son mouvement du dehors est inanimé ; celui qui le tire du dedans, c’est-à-dire de lui-même, a une âme puisque la nature de l’âme consiste en cela même ». L’âme a la vie pour attribut essentiel, elle est un principe de mouvement immortel inengendré et incorruptible, contrairement au corps qui est mortel, corruptible. L’âme est emprisonnée dans le corps auquel elle est intimement mêlée. Elle devient ainsi esclave du corps qui l’entraîne dans ses troubles. Les affections qui accompagnent le corps sont sources de troubles et de passions pour l’âme. Quand le corps domine l’âme, il substitue à la mesure et à l’ordre la démesure et la désorganisation l’empêchant ainsi d’acquérir la vérité et la pensée du réel. L’âme étant de nature divine, le but terrestre de l’homme est de lui restituer sa nature propre. Pour cela, il faut que l’âme soit au service du corps tout en le dominant, c’est-à-dire qu’elle doit bien l’organiser en lui apportant la juste proportion et l’harmonie. Pendant la vie, l’âme (agent organisateur) est constamment menacée par le corps (patient), d’où la nécessité pour elle d’une vie ascétique et de recueillement pour échapper au corps. La mort, qui est la séparation de l’âme, principe d’information, avec le corps matière, informe et indéterminée, est une délivrance de l’âme, car la vraie vie est la vie post-mortem. Ainsi, fort de cet héritage platonicien, il est évident qu’Aristote développe au début de sa carrière intellectuelle une conception dualiste des rapports de l’âme et du corps. En effet, l’Eudème qui porte le sous titre de «ἤ περί ψυχῆς » ou « de l’âme » a comme problème central les rapports de l’âme et du corps. A l’image du mythe d’Er qui termine la République113 de Platon, Aristote considère l’âme comme préexistante au corps. Avant son union avec le corps, l’âme avait contemplé le monde des Idées, donc elle était en possession de la pensée du réel et de la vérité. C’est son union avec le corps qui est à l’origine de l’oubli de sa capacité naturelle de connaissance. En outre, l’âme est aussi immortelle. Séparée du corps, elle continue son existence dans l’au-delà tout en conservant un souvenir parfait de sa vie terrestre. Comme dans le Phédon, pour Aristote, l’âme est une réalité et le corps en est une autre. Ils sont deux entités distinctes qui s’unissent d’une manière temporaire, accidentelle et forcée. Cette union contre-nature est source de maux à l’image de la maladie ou l’état d’un exilé. La vie terrestre devient ainsi une épreuve que l’âme a à traverser. Par contre, la mort est la délivrance de l’âme et le début de la véritable vie où la nature propre de l’âme lui est restituée : « c’est pourquoi, o le plus puissant et le plus heureux de tous les hommes, non contents de croire que les morts jouissent du bonheur et de la béatitude nous considérons comme sacrilège de dire à leurs propos des choses mensongères ou de prononcer contre eux des paroles impies étant persuadés qu’ils ont désormais en partages une vie meilleure et plus haute »114. Le Protreptique qui nous est connu à travers l’Hortensus de Cicèron « le premier auteur que nous rencontrons sur la liste de ceux qui ont recueilli des restes de l’Aristote perdu »115, est un dialogue qui se rapproche fort de l’Eudème. Il ressort du Contra Julianum de Saint Augustin qui reconnaît être converti à la fois chrétienne par la lecture de l’Hortensus, que dans cet ouvrage, Aristote considère l’union de l’âme et du corps à l’image de l’Eudème comme contre-nature, c’est-à-dire comme un châtiment. L’âme y est décrite comme immortelle, car après la mort, elle continue son existence en menant une vie de pure connaissance et de pure contemplation. Comme dans l’Eudème, la vie terrestre est une épreuve pour l’âme, elle est apparence et mensonge tandis que la mort, en tant que séparation de l’âme et du corps, est une délivrance, une vie stable définitive et éternelle pour l’âme. C’est dans ce sens que Nuyens affirme que « l’attitude de refus en face de la vie que nous avons rencontrée dans l’Eudème réapparaît dans le Protreptique. Tout ce qui appartient à cette terre, même la beauté physique – à laquelle les Grecs étaient si sensibles, – tout cela n’est qu’apparences et mensonges »116. Comme dans l’Eudème et dans le Protreptique, Aristote considère aussi les rapports entre l’âme et le corps dans le De philosophia en terme de dualisme. L’âme et le corps sont entièrement distincts et leur union c’est-à-dire la vie terrestre est un emprisonnement de l’âme. C’est avec le sommeil ou la mort que l’âme se déploie entièrement, s’épanouit et vit sa véritable nature, car ce sont là les moments qui correspondent à un ralentissement des affections du corps. A côté de cette conception purement dualiste des rapports entre l’âme et le corps, Aristote développe une autre dite téléologique dans le Protreptique. Pour lui, l’homme, le plus noble des êtres vivant sur terre est un produit de la nature. Il est composé de deux parties, à savoir le corps et l’âme. Contrairement à l’Eudème, le séjour de l’âme dans le corps n’est pas contre-nature. Elle est dans un corps qu’elle a en sa disposition et qu’elle commande. C’est pourquoi Aristote affirme que « des deux parties dont nous sommes composés, l’une est l’âme, l’autre, le corps. La première commande ; l’autre lui est soumise. L’une dispose de l’autre pour en faire usage, l’autre lui est subordonnée comme son instrument »117. Ainsi, comme le montre Nuyens à ce moment précis du Protreptique, Aristote est partagé entre la croyance de la destinée supraterrestre de l’âme et d’un constat d’une interdépendance de l’âme et du corps. Pour lui, « nous devons donc considérer le Protreptique comme marquant, par rapport à l’Eudème, le premier stade du développement de la psychologie d’Aristote »118. De même que le Protreptique, les Topiques renferment un dualisme modéré, car, bien que distincts, l’âme et le corps, forment une union intime. Le vivant est composé d’une âme et d’un corps et il existe une certaine hiérarchie de valeur entre les deux, car, selon Aristote, « ce qui appartient à un sujet meilleur et plus honorable et aussi préférable, par exemple, ce qui appartient à un dieu qu’à un homme et l’âme plutôt qu’au corps »119. L’âme humaine immortelle a un mode de connaissance qui lui est propre et supérieur à celui du corps. Dans sa relation avec le corps, l’âme a ce dernier à sa disposition comme le montre clairement ces propos d’Aristote lorsqu’il affirme qu’ « on peut dire de l’âme, par exemple, dans ses rapports avec le corps, qu’elle commande et que le corps lui obéit »120. Ainsi, d’un dualisme pur à l’image de Platon du Phédon et du Phèdre, Aristote passe à un dualisme modéré qui introduit le début d’une conception transitoire des rapports de l’âme et du corps. Ce dualisme ou ces dualismes de la période platonicienne d’Aristote s’accompagnent de certains attributs de l’âme.

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Table des matières

Introduction
Première Partie. – Les conceptions traditionnelles au sujet de l’âme 
*Argument
Chapitre I.- Aristote et ses devanciers
I.1.- L’âme comme principe automoteur
I.2.- L’âme comme composé de divers éléments
I.3.- L’âme comme harmonie et nombre automoteur
Chapitre II. – Critique des opinions de ses devanciers
II.1.- Critique de la théorie de l’âme automotrice
II.2.-L’âme n’est ni harmonie ni nombre automoteur
II.3.- Critique de la psychologie d’Empédocle
*Résultat de l’enquête
Deuxième partie. – La théorie de l’âme
*Argument
Chapitre I- La période platonicienne
I.1.- Les rapports de l’âme et du corps
I.2.- Les attributs de l’âme
I.3.- La conception du νοῦς
Chapitre II.- La période de transition
II.1.- L’influence de la biologie
II.2.- Les rapports de l’âme et du corps : l’être vivant
II.3.-Les attributs de l’âme
II.4.-Les fonctions du νοῦς
Chapitre III- La période de maturité
III.1.- Définition de l’âme
III.2.- L’âme et des facultés
III.2.1_ La faculté végétative ou nutritive
III.2 .2-La faculté sensitive
III.2.2.1-La vue et le visible
III.2.2.2-L’ouïe et le son
III.2.2.3- L’adorât et l’odeur
III.2.2.4- Le goût et la saveur
III.2.2.5- Le toucher et le tangible
III.2.2.6- Les sens communs
III.2.3- La faculté imaginative
III.2.4- La faculté motrice
III.2.5.-La faculté intellectuelle
III.2.5.1-La pensée
III.2.5.2- L’intellect agent et l’intellect passif
* Résultats de l’enquête
Troisième partie.- La place de la théorie de l’âme dans la morale
*Argument
Chapitre I. – De la définition du bonheur à la psychologie morale
I.1.-Le bonheur comme fin de la vie humaine
I.2.-La psychologie morale
Chapitre II. -La classification des vertus
II.1-Les vertus éthiques ou morales
II.2.1-Définition
II.1.2-Le courage
II.1.3-La modération
II.1.4- La justice
II.2.- Les vertus intellectuelles
II.2.1.- Définition
II.2.2.-.La prudence (ϕρόνησις)
II.2.3.- La sagesse théorétique (σοϕία)
*Résultats de l’enquête
Conclusion
Index locorum
Index nominum
Bibliographie

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