La symbolique du miroir dans la mythologie et la littérature

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Les dangers des reflets

Ces mouvements impliquent cependant de nombreux risques, qui sont grandement amplifiés avec la présence de surfaces réfléchissantes dans l’image : ceux de voir la caméra, l’équipe technique, la perche ou encore des projecteurs là où le spectateur n’est pas censé les voir. De nombreuses erreurs comme celles-ci ont été diffusées en salle, faute de moyens ou de possibilité de les supprimer par la suite.
Duel, Steven Spielberg (1971) Matrix Reloaded, Lana et Lilly Wachowski (2003)
On va par exemple retrouver le reflet du cadreur (Steven Spielberg ?) et de la caméra dans Duel, ou alors un grand réflecteur ou cadre de diffusion dans Matrix Reloaded, dévoilant la technique derrière le film et sautant aux yeux des initiés et certains spectateurs, surtout sur un grand écran tel que celui de la salle de cinéma.

Les miroirs comme prétexte

Dans l’attrait des miroirs, Dominique Païni parle des miroirs comme prétexte d’analyse des films.45 C’est-à-dire de se servir de l’exemple particulier du miroir (ou du reflet) pour donner une analyse personnelle d’une œuvre dans son intégralité ou d’un aspect de celle-ci. Et de la même façon de pouvoir parler d’un exemple précis pour pouvoir aborder une généralité : celle du travail du chef opérateur et de la fabrication de l’image, et du travail du réalisateur et de la mise en scène des films. Cela nous amène à formuler la problématique suivante :
« En quoi les reflets au cinéma transfigurent-ils l’image dans laquelle ils s’inscrivent, constituant un seuil entre cette dernière et un ailleurs ? »
C’est-à-dire voir dans un premier temps ce que le reflet peut apporter en plus à une image cinématographique, d’abord de manière pratique et graphique puis de manière plus sémiotique et signifiante, avant de considérer ledit seuil comme une porte possible entre les mondes.

Regards croisés

Ces plans en champ-contrechamp posent la question du regard. Qui regarde qui ? Cela bouscule un peu les codes classiques des images, puisque le personnage regardant se retrouve sur le même plan que ce qu’il regarde. Le spectateur n’a plus à imaginer un hors-champ, puisqu’il est montré dans le miroir, qui permet donc d’accéder directement au regard du personnage sans pour autant perdre ses expressions de visage, et donc ses émotions. C’est ce que l’on va retrouver par exemple – dans un tout autre registre – dans Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma, pour lequel Claire Mathon a reçu le César de la meilleure photographie, avec d’abord un miroir guidant le regard de Marianne (Noémie Merlant) vers un tableau inachevé, effacé, sans visage, censé représenter Héloïse (Adèle Haenel) que Marianne n’a pas encore rencontrée mais dont elle va devoir peindre le portrait sans son consentement. L’apparition d’Héloïse se fera d’ailleurs bien plus tard, après l’avoir vue d’abord capuchonnée, puis de dos.
Portrait de la jeune fille en feu est un film de regards. C’est le regard de Marianne sur Héloïse, observant ses moindres détails pour les ancrer dans son esprit et pouvoir les reproduire sur la toile, ainsi que des regards qui se croisent de plus en plus, se rapprochant en une histoire amoureuse naissante. Les observations de Marianne sur Héloïse s’inversent, et c’est ce jeu de regard de l’une sur l’autre qui les rapproche.
– Il ne s’agit pas que de moi … »50
Le miroir sert aussi à Marianne à l’autoportrait, ne pouvant pas faire poser Héloïse. C’est donc son regard qu’elle pose sur elle-même tout en devant voir une autre. De cette façon, elle est à la fois peintre et modèle, à la fois observatrice et observée, champ et contrechamp en même temps.
De la même façon, lors d’un des derniers instants d’intimité entre les deux personnages, Marianne réalise pour Héloïse un autoportrait d’elle nue, afin que chacune ait une image de l’autre, et en ayant recours à un petit miroir rond dans le cadre, l’on nous montre le visage de Marianne se regardant nue pour se dessiner (qui dans la pratique regarde le reflet de l’objectif de la caméra), mais qui dans le même temps regarde l’intimité d’Héloïse qui la regarde en retour. Ce miroir renforce grandement l’intimité amoureuse qui s’est créée entre les deux jeunes femmes, renforçant grandement la teneur tragique de cette scène51 qui précède des adieux forcés qu’aucune ne désire.
Elles sont à ce moment plus proches l’une de l’autre que jamais, par ce miroir qui les incruste presque l’une en l’autre, mais qui les sépare déjà dans deux mondes distincts, par prédestination de leur séparation imminente.

Le plan séquence simple

Le miroir est également une solution pour intégrer un champ-contrechamp au sein d’un plan séquence simple, notamment dans des décors exigus. Par plan séquence simple l’on entendra plan séquence sans mouvement de caméra complexe, mais plutôt des plans plutôt fixes, uniques au sein d’une séquence.
On trouve ce type de plan dans Girl de Lukas Dhont, qui obtiendra la caméra d’or à Cannes l’année de sa sortie, en 2018. Dès le tout début du film, l’on découvre Lara (Victor Polster), une jeune fille transgenre, se perçant elle-même ses lobes d’oreilles face à un miroir, après les avoir anesthésiés à l’aide d’un glaçon. Cette séquence fait déjà écho à la séquence finale du film mettant en scène une automutilation se basant sur le même mode opératoire, mais permet aussi en un seul plan de montrer une partie du caractère de Lara, et de présenter son père (joué par Arieh Worthalter) arrivant à l’image pour la première fois du film dans le miroir, comme le reflet complémentaire de Lara : à la fois protecteur et essentiel pour elle, il est sa constante et son principal allié.
Le même procédé reviendra à deux reprises dans le film pour des séquences courtes dans l’ascenseur, montrant une évolution dans la relation entre Lara et un voisin, avec un cadre astucieux permettant de montrer les deux personnages en un seul plan, tout en restant vraiment sur Lara qui est le seul personnage que l’on suit vraiment émotionnellement.
Les deux plans-séquence de l’ascenseur, traduisant les rencontres accidentelles avec le voisin qui aboutiront à un rapprochement physique par la suite, ainsi qu’à un cap franchi pour Lara.
Dans la même idée, mais cette fois-ci avec un mouvement de caméra, l’on trouve la vague,52 le sixième épisode de la deuxième saison de Genre Humaine d’Éléonore Costes et réalisé par Amaury Deque. Le principe de cette web-série étant que chaque épisode soit un seul plan-séquence, le chef opérateur Romain Prouveur a profité du miroir déjà présent sur le décor pour pouvoir changer le cadre du plan sans avoir besoin de faire un gros mouvement de caméra. Ce changement marque une bascule au sein de l’épisode et a une double symbolique : le personnage d’Éléonore Costes étant un peu énervée a alors le « besoin de se recentrer donc elle se regarde elle-même pour oublier son père et pour fuir la vérité que son père lui impose, puis elle va tourner le dos au miroir pour reprendre les choses en main après. »
Ici le miroir a donc une double utilisation, car bien qu’il soit avant tout utilisé comme prétexte pour pouvoir faire évoluer le cadre et ne pas garder le même plan fixe pendant les neuf minutes de l’épisode, mais aussi pour la symbolique que peut représenter ce miroir, à la fois pour le personnage d’Éléonore qui ressent le besoin de reprendre ses esprits, mais aussi pour son père qui se retrouve seul dans le miroir pendant sa chimiothérapie, inquiet de l’évolution de son état de santé.
Le miroir permet aussi dans le même temps d’élargir le cadre par rapport au début du plan, ce qui est « plus compliqué en 4/3 sur du plan séquence ».54

La superposition associatrice

Si le miroir permet une réflexion quasi-totale de la lumière dans une seule direction, une vitre pourra agir d’une façon un peu similaire dans certaines conditions (agir comme un miroir en formant une image, mais sans pour autant renvoyer 100% de la lumière), tout en conservant sa faculté à laisser passer la lumière, comme on a pu le voir par exemple avec la Guerre des Mondes que l’on a déjà citée.
Ce que cette double propriété apporte, c’est de pouvoir superposer deux éléments en un même endroit du cadre, et ce sans avoir recours à quelconque traitement de post-production. Ce genre de superposition va la plupart du temps pousser plus loin la volonté de mettre deux éléments en relation dans un seul plan, créant une connexion particulière entre ceux-ci.
Dès 1931, Fritz Lang se sert de cela pour créer ce plan : M le tueur d’enfants se retrouvant entouré de couteaux en reflet dans une vitrine, confirmant sa nature monstrueuse de meurtrier.55
Plus récemment, une des séquences les plus fortes émotionnellement de Proxima d’Alice Winocour sorti en 2019 montre une superposition qui contribue à cette charge émotionnelle. L’astronaute française Sarah Loreau (Eva Green) est alors en quarantaine en milieu stérile pour les quelques jours qui précèdent le décollage de sa fusée pour une mission spatiale d’un an. Sa fille de 8 ans, Stella (Zélie Boulant-Lemesle) n’ayant pas pu la voir avant l’entrée en quarantaine, la mère et la fille se retrouvent contrainte de ne se voir qu’à travers une vitre séparatrice.
Le fait est que la lumière ayant été pensée pour favoriser l’existence des reflets, c’est-à-dire en ayant un personnage plus clair que le fond, les personnages sont malgré la séparation matérialisée par le reflet justement le plus proche que possible : superposées. Elles ne peuvent pas se toucher, mais elles vivent ensemble la même épreuve difficile de la séparation.
Bien que ces reflets aient été faits en direct, ceux présents (mais peu discernables) sur le champ-contrechamp de face précédant ce plan ont dû être rajoutés en post-production, car les axes de caméra ne convenaient pas.56
Cette séquence est une bascule pour le personnage de Sarah, qui entre deux mondes (la surface de la Terre et la station spatiale) se rend compte qu’elle n’a pas pu tenir une promesse qu’elle avait faite à sa fille (aller voir la fusée avant le décollage). Cela va « amener à la transgression par la suite. D’une certaine façon elle va casser cette vitre. »57
« Le travail du reflet psychologiquement, ça doit évidemment venir de la narration, du travail du réalisateur en fonction de son scénario, et pas comme quelque chose qui va arriver occasionnellement parce que l’on a trouvé que ça allait bien dans le décor de mettre un miroir. ».

Agrandir un espace restreint

Le film Roma d’Alfonso Cuarón diffusé sur la plateforme Netflix à partir de 2018 s’ouvre sur un plan séquence d’environ cinq minutes, dont la plus grande partie est en fait un plan fixe sur des pavés au sol. Le générique commence et puis de l’eau arrive sur le sol, créant en réflexion un rectangle de ciel, délimitant une cour intérieure. Le générique continue et puis soudain l’arrivée de la mention de la société ayant pris en charge les effets visuels, ainsi que celle du superviseur des effets spéciaux numériques coïncide avec la traversé du ciel par un avion justement ajouté numériquement. Simple clin d’œil à ce niveau-là, mais cet avion est porteur d’un sens bien plus profond.
Si l’on part bien de simples pavés dans la cour intérieure d’une habitation familiale de Mexico, dans un plan presque vide et un peu abstrait, cet avion qui passe fait tout à coup exister un monde bien plus vaste, une ville et un pays tout entier, un aéroport, une population … Et en fait c’est de cela que Roma traite avant tout : c’est un film dans lequel Alfonso Cuarón raconte son enfance et montre une famille moyenne par le prisme de Cleo – la domestique de celle-ci
– en montrant des personnages qui ne sont pas des héros qui vont vivre une aventure : c’est simplement une tranche de vie normale d’une famille banale. Et par cette histoire familiale, le film va en fait traiter d’évènements bien plus larges, en s’inscrivant dans un contexte social difficile avec notamment le massacre de Corpus Christi pendant lequel plus d’une centaine d’étudiants furent assassinés en pleine rue à Mexico, par un groupe paramilitaire au service de l’état formé par la CIA.
Par cet avion qui traverse le ciel sur les pavés de la maison familiale, c’est un nouvel espace bien plus grand qui est dévoilé. Et par ce film, c’est la petite histoire qui rencontre la grande Histoire, montrant à quel point certains évènements peuvent marquer toute une vie, et à quel point le ressenti personnel des choses est important au sein d’un tout.
De plus, il est intéressant de noter que cela est rendu possible par l’utilisation des effets spéciaux numériques, qui permettent aujourd’hui de plus en plus de liberté artistique mais qui amènent aussi à un constat : si des équipes de post-production ont passé du temps à effacer ou ajouter un élément à l’image, alors ça veut dire que ce dernier a une signification, une utilité qui va dans le sens du film.
Si l’on revient à Girl de Lukas Dhont, les nombreuses séquences de danse pendant les répétitions montrent, singularité de la salle de danse, de grands miroirs muraux. Outre la grande maîtrise technique pour ne pas voir le dispositif de tournage en reflet, d’importantes précautions ont été prises dans ce sens, comme le travail à grande ouverture et longue focale pour flouter au maximum l’arrière-plan et réduire l’angle de champ (et donc le risque de se voir), l’absence de projecteurs dans la salle et probablement aussi l’absence de perche dans le but de réduire l’équipe au minimum au moment de tourner. Ces miroirs permettent alors de doubler voire plus la sensation d’espace, agrandissant la pièce et dupliquant ses occupants.
Il y a bien sûr quelques rares occasions de voir la caméra dans le champ reflété, mais toujours en arrière-plan très flou, à un moment de passage de figurant, dans un mouvement rapide, … La chorégraphie très précise de la danse et de la caméra très mobile (à l’épaule) fait que même en avançant image par image la caméra est invisible ou presque, en tous cas impossible à déceler en regardant le film.
Dans Planétarium de Rebecca Zlotowski (2016), de nombreux miroirs ornent particulièrement les murs des différentes pièces, et la mise en scène s’en sert beaucoup, pour montrer une partie de la pièce que l’on ne voyait pas depuis l’axe principal pendant un dialogue, ou alors pour montrer ce qu’il se passe dans la pièce adjacente à l’action. Cela reprend dans un sens le principe du champ-contrechamp grâce au miroir, mais en exploitant cette fois-ci vraiment un espace et un décor, le faisant vivre.
Quand le personnage de Kate (Lily-Rose Depp) passe de la chambre au séjour, c’est grâce au miroir que l’on comprend la disposition de l’espace, ce qui aurait été plus compliqué s’il avait fallu faire deux plans distincts.
Les miroirs, pourtant très présents dans ce film, n’étaient pourtant « pas prévus comme une forme de narration » selon le chef opérateur Georges Lechaptois, et leur présence relèverait alors plutôt de l’accidentel.59 Cependant, avec ce personnage manipulateur d’André Korben (Emmanuel Salinger), la profession de médium des deux sœurs Barlow, leur rapport au spectacle ainsi que leur passage au cinéma plante l’intrigue dans un monde de mensonges et d’illusions sur le point de basculer complétement,60 les miroirs peuvent alors trouver de nouvelles interprétations comme autant de rappel à la réalité.
Cette séquence montrant un renversement de l’espace marque une bascule pour le personnage de Kate, plongeant petit à petit dans les excès (alcoolisme entre autres) et dans une forme de folie maladive qui lui sera fatale à la fin du film, après une longue descente aux enfers.

Dévoiler l’invisible

Dans son utilisation quotidienne, l’une des fonctionnalités du miroir est celle du rétroviseur, c’est-à-dire la possibilité de voir quelque chose qui nous était caché, grâce à son pouvoir de réflexion. Si l’on ajoute à cela la symbolique du mythe de Persée et de son bouclier reflétant dans lequel il peut voir Méduse qui lui était alors invisible dans le sens où il ne pouvait pas la voir, le reflet peut alors devenir le seul moyen de voir certaines choses qui demeureraient invisibles64 sans son intermédiaire.
Cela se retrouve bien sûr dans les adaptations cinématographiques du mythe qui montrent ce fameux combat entre Persée et Méduse, comme le Choc des Titans de 198165 ou son remake 2010.66 Dans l’un comme dans l’autre Persée se servira du reflet de son bouclier pour vaincre la gorgone, mais dans une esthétique très différente, chacune très représentative de son époque avec des animations en volume (stop-motion) pour l’un et des effets visuels numériques pour l’autre.

Incomplétude et conscience

Pour rester dans le thème des androïdes, mais dans une vision plus proche de notre époque et donc plus réaliste que le monde de Blade Runner, le film Ex Machina sorti en 2015 et réalisé par Alex Garland nous présente Ava (Alicia Vikander), une intelligence artificielle sous la forme d’une androïde au corps féminin laissant clairement apparaitre sa nature de machine. Caleb (Domhnall Gleeson), un jeune programmateur informatique est invité par le patron de son entreprise à passer une semaine avec lui et Ava afin de déterminer si cette dernière est dotée d’une conscience dans une sorte de test de Turing79 avancé.
Ce test prend la forme de sessions de discussions entre Caleb et Ava, discussions qui prennent place dans une pièce coupée en deux par de grandes vitres, chacun d’un côté. Ces vitres omniprésentes apportent de très nombreuses réflexions de la lumière et des personnages, et ont été une contrainte supplémentaire au tournage pour l’équipe, mais dont les reflets ont pu être évités dès lors qu’ils s’asseyaient ou s’allongeaient, et que le son était perché par en bas. Au niveau de la lumière, presque aucun projecteur n’était vraiment utilisé dans ce décor à part occasionnellement des tubes kinoflo, car Rob Hardy (le directeur de la photographie) et son chef électricien avaient fait installer de très nombreuses ampoules tungstène intégrées au décor, qu’ils pouvaient contrôler à volonté depuis une tablette pour simplement venir doser la lumière, et ainsi s’éviter tous les problèmes de réflexion. En éclairant plus ou moins l’un côté ou l’autre des vitres, ou en éclairant plus là où devrait se trouver le reflet de l’équipe technique, il a pu à la fois régler un problème technique tout en ayant une démarche artistique et signifiante. Le décor était voulu pour être au maximum « fonctionnel. ».

Infini

Enfin, le miroir, objet courant, peut s’il en rencontre un autre, montrer ce qui pourrait s’apparenter pour l’esprit humain à l’infini. Placer un miroir en face d’un autre va créer, de réflexion en réflexion, un effet Droste, une visualisation de la mise en abyme. Sur le principe, cela créera une réflexion à l’infini, qui ne pourra jamais s’arrêter. Dans la pratique, même si les miroirs étaient parfaitement réfléchissants (et donc sans aucune perte), l’éclairement est inversement proportionnel au carré de la distance par rapport à la source lumineuse, c’est la loi de Lambert.91 La quantité de lumière va donc rapidement s’estomper progressivement lorsqu’elle qu’elle parcourt une certaine distance. De plus, les miroirs ne sont jamais parfaits, et donc même un système de miroirs réfléchissants 80% (moyenne constatée actuellement sur les miroirs modernes) de la lumière incidente va perdre au fur et à mesure des réflexions.
Dans Inception de Christopher Nolan sorti en 2010, deux grands miroirs sont positionnés face à face par Ariane (Elliot Page), l’architecte des rêves, pour altérer le monde qui l’entoure et ainsi comprendre l’étendue de ses possibilités dans cette réalité. En recréant ainsi par duplications le pont de Bir-Hakeim à Paris à partir de deux piliers, elle joue avec le fameux effet Droste, mais dévoile surtout comme un avant-gout de l’inception : le rêve dans le rêve dans le rêve … qui est le cœur de l’intrigue et de la construction narrative du film.
Ce plan est rendu possible par l’utilisation des effets spéciaux numériques, permettant d’effacer la caméra, ou de dupliquer des éléments en post-production, bien qu’il y ait des solutions pour filmer dans ce genre de situations sans traitement numérique. Une première solution serait de faire un trou dans le miroir qui ne laisserait passer que l’objectif de la caméra, pour n’avoir qu’une plus petite surface à effacer en post-production (qui plus est une forme simple. C’est probablement ce qui a été utilisé pour cette séquence d’Inception. Il serait également possible d’utiliser un miroir semi-transparent (ou semi-réfléchissant). C’est-à-dire un miroir qui réfléchira 50% de la lumière et laissera passer les 50% restants. Si l’on se place d’un côté d’un tel miroir il agira comme une vitre (plus précisément comme un filtre ND qui réduira le flux lumineux), et de l’autre coté comme un miroir (qui lui aussi ne sera pas parfait et aura des pertes de luminosité).92 Et c’est possiblement une technique équivalente qui est utilisée dans Black Swan de Darren Aronofsky en 2011, avec un exemple notable d’effet Droste à l’infini dont la perte lumineuse est rapide, ou alors simplement un décalage suffisant entre l’axe de la caméra et les réflexions.
Cet effet sera repris comme une référence dans le huitième épisode de la saga Star Wars93 : la jeune Rey (Daisy Ridley) suivant les enseignements de son maître jedi va dans son apprentissage essayer de comprendre sa relation mystique avec la force, et va se retrouver pour ce fait dans une sorte d’épreuve mentale qui sera montrée à l’image comme un effet Droste, qui n’aura cette fois-ci du reflet que la référence, car les différents multiplications mentales de Rey seront cette fois ci toutes dans le même sens : de face ou de dos.

Le reflet trompeur, créateur d’illusions

Métamorphoses

Narcissisme et apparence

Les miroirs répondent avant tout au besoin primaire de se voir. On en trouve des traces dans l’histoire depuis des millénaires, et ceux-ci ont évolué avec les techniques pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Son utilisation a donc été toujours liée à l’apparence physique des individus s’y regardant. Cette nécessité de se voir a aussi créé une forme de compétition, de comparaison aux autres vis-à-vis de l’apparence. C’est par exemple la reine de Blanche-Neige qui tient absolument à être la « plus belle de tout le pays. »94 Freud utilisait le terme narcissique, dérivé du mythe de Narcisse, pour désigner celui qui « commence par se prendre lui-même, son propre corps, comme objet d’amour. »95 C’est cette définition que l’on gardera, pour aborder le culte de l’apparence et les passions que celui-ci peut engendrer.
Au cinéma comme dans la vie de tous les jours, pour prendre soin de son apparence, s’observer, se juger simplement se préparer, l’on se place face à un miroir. Cela fait partie du quotidien, ou même si cela est occasionnel (pour un évènement particulier par exemple), l’acte de se regarder reste plutôt anodin et quotidien. Le miroir de salle de bain est d’ailleurs souvent utilisé pour marquer la routine, comme ce sera le cas (et ici justement sans miroir pour un effet de style) à plusieurs reprises dans la filmographie de Wes Anderson par exemple.
Le culte de l’apparence peut cependant prendre des proportions menant aux excès, à la folie : rappelons-nous que la reine a tenté à plusieurs reprises de tuer sa belle-fille Blanche-Neige pour la seule raison que son miroir lui disait qu’elle était plus belle qu’elle. C’est ce narcissisme qui poussera les personnages de The Neon Demon97 dans une folie destructrice s’approchant de l’horreur.
Ce film prend place à Los Angeles, dans le milieu du mannequinat où « la beauté ne fait pas tout : elle est tout. »98 Les miroirs sont omniprésents : ils sont pour les personnages le témoignage de leur apparence et donc essentiels à leur métier. Les quatre protagonistes vont tour à tour plonger dans la folie à un moment donné, et la bascule a souvent lieu lors d’une confrontation avec un miroir.
Sarah (Abbey Lee), caractérisée par sa confiance en elle et en sa beauté est la première à sombrer dans la démence. Elle se présente à un casting pour un shooting photo, mais ce sera finalement Jesse (Elle Fanning), le personnage principal du film, qui sera choisie. Jesse est plus jeune, plus naturelle, plus innocente. Juste après cet évènement, Sarah fait face un long moment à son reflet dans le miroir, observant minutieusement son corps et son visage, se rendant compte qu’elle n’était désormais plus la plus jolie. De rage elle brisera le miroir, et quand Jesse entrera dans la pièce et se blessera avec les bris de glace, Sarah tentera tout à coup de boire son sang comme pour boire sa beauté et sa jeunesse.

Changement d’identité

Le miroir est également utilisé au cinéma pour montrer un changement d’identité, tout comme Monsieur Oscar (Denis Lavant) qui repasse face à son miroir dans la limousine d’Holy Motors101 entre chacun de ses rendez-vous, jouant à chaque fois un rôle complètement différent, ou comme, avec un effet qui passerait presque inaperçu au premier visionnage du déjà cité Inception de Christopher Nolan mais qui est bien là : Eames (Tom Hardy) prenant l’apparence de Peter Browning (Tom Berenger) le temps d’une scène dans le premier niveau de rêves, dont le changement se fait face à un miroir à plusieurs battants. Eames et Peter Browning sont déjà montrés simultanément dans les différents reflets.
Effet d’optique probablement réalisé à l’aide d’un masque sur l’un des miroirs et de deux passes de prise de vue : une avec chaque comédien.
Dans un sens qui ne relève plus seulement de l’apparence ou d’un rôle à jouer, le changement d’identité peut simplement marquer un nouveau départ dans la vie, qui vient en rupture avec le passé. Cela va être Amy (Rosamund Pike) qui va changer de couleur de cheveux pour se cacher et simuler sa mort dans Gone Girl de David Fincher en 2014, ou alors Francine (Iris Bry) qui après avoir travaillé pendant deux ans à la ferme du Paridier dans les Gardiennes de Xavier Beauvois (2017) se fait renvoyer par Hortense (Nathalie Baye) à cause de rumeurs circulant autour de la ferme à propos de soldats américains. Ces rumeurs concernent en fait Solange (Laura Smet), la fille d’Hortense mariée à un soldat au front. Francine est donc injustement contrainte de quitter la ferme et la famille pour protéger la réputation de celle-ci.
Ayant changé de ferme, Francine se découvre alors enceinte d’un des fils d’Hortense,102 rencontré pendant une permission et avec lequel s’était développée une histoire amoureuse. « Le mal étant fait », et ne pouvant plus retourner à la ferme du Paridier, il lui faudra du temps pour accepter sa nouvelle vie, chose qu’elle fera au moment de la naissance de son enfant.
Acceptant sa maternité, elle se fait couper les cheveux et se regarde dans le miroir pour la première fois du film. C’est un nouveau départ qui fait table rase du passé, faisant une croix sur le Paridier et la famille d’Hortense dont elle aurait pu faire partie : de jeune femme elle devient mère, une nouvelle vie s’offre à elle désormais. En changeant légèrement son apparence face au miroir, elle devient une nouvelle personne, une nouvelle version d’elle-même.
Ces changements d’identités face au miroir sont aussi l’occasion pour les cinéastes de recycler de vieilles astuces du cinéma afin de montrer une transformation en un seul plan plutôt impressionnant, et ce sans utilisation d’image générée par ordinateur. On peut retrouver ce procédé dans le cinquième Mission impossible103 lors d’un travelling et d’un panoramique montrant d’abord l’agent Benji Dunn (Simon Pegg) enfilant un masque à l’effigie de Sean Cronin, qui se trouve lui de l’autre côté du « miroir » en compagnie de Tom Cruise. Dans ce plan pas de miroir, mais seulement une mise en scène astucieuse et synchronisée entre les acteurs dont on voit le visage et des doublures cadrées sans leur visage ou de dos, et un décor construit en double, symétrique l’un par rapport à l’autre.

Hyper-subjectivation

« Quand on fait le point dans un miroir, le flou est beaucoup moins grave. Quand on voit que l’on est un peu mou ça ne se voit pas trop parce que [la surface du miroir] rajoute une légère diffusion. ».
Le reflet peut donc créer la confusion du spectateur en lui montrant un plan dont quelque chose lui échappe, mais aussi celle du personnage. Le reflet étant une image inversée de la réalité, il bouscule certains repères spatiaux, et certains miroirs imparfaits peuvent être utilisés pour renvoyer une image altérée.
Si l’on reste sur au revoir là-haut, Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), le soldat à la gueule cassée, découvre son visage défiguré dans le reflet très abstrait d’un plateau argenté. L’imperfection de ce reflet permet de plusieurs choses l’une : déjà de montrer une image moins violente au spectateur, moins crue, en suggérant seulement la plaie béante, et aussi pour les équipes de maquillage et d’animation numérique de pouvoir travailler avec moins de précision. Cela permet aussi de montrer ce qu’il se passe dans la tête du personnage d’Édouard à ce moment-là, sous l’effet de la douleur puis de la morphine, sous le choc de ce qu’il découvre de lui. Dans un sens, son esprit est aussi flou que son reflet.
La même idée avait déjà été utilisée par Julian Schnabel et Janusz Kaminski en 2007 pour le Scaphandre et le Papillon, dans lequel la caméra subjective prend une place particulière d’immobilité forcée, et où Jean-Dominique Bauby (Mathieu Amalric) aura besoin que l’on lui tende un miroir pour constater les conséquences de sa paralysie sur son apparence, ne pouvant plus lui-même faire la démarche d’aller se voir.
En 1991, Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet et Darius Khondji ont aussi utilisé le miroir pour souligner la vision subjective de la violoncelliste Julie Clapet (Marie-Laure Dougnac), myope, qui rend son image reflétée floue pour le spectateur lorsqu’elle enlève ses lunettes, le point étant sur le cadre du miroir.

Le double maléfique

« Quand on fait ce genre de choses on pense avant à comment le faire, on n’est pas surpris sur le moment à ne pas savoir quoi faire. […] Ce n’est pas quelque chose que l’on improvise : c’est de la mise en scène. »122
Le double, prenant place dans le reflet, peut aussi s’avérer un ennemi des personnages. Il peut alors s’agir d’une puissance maléfique ou démoniaque, comme dans Evil Dead 2 de Sam Raimi en 1987, et ce reflet qui sort du miroir, ou dans Mirrors d’Alexandre Aja en 2008, où les reflets se désolidarisent des personnages pour les pousser à la violence, la folie, le meurtre et le suicide. Bruce Cambell (et sa doublure au premier plan) dans Evil Dead 2 – Amy Smart dans Mirrors, se désolidarisant de son reflet.
Le double maléfique n’est cependant pas réservé au film d’horreur, et peut aussi dévoiler une part plus sombre (ou du moins différente) d’un personnage. Dans Black Swan, de Darren Aronofsky, où les miroirs sont omniprésents, la danseuse de ballet Nina (Nathalie Portman) doit endosser pour la mise en scène du Lac des Cygnes123 à la fois le cygne blanc et le cygne noir. Nina, perfectionniste et obsessionnelle, va commencer à développer des hallucinations se produisant dans les miroirs, du cygne blanc se transformant peu à peu en cygne noir, malgré leurs personnalités opposées. Aronofsky dit lui-même de son film :
« Dans le monde du ballet, il y a des miroirs partout. Les danseurs passent leur temps à s’observer quand ils travaillent ; la relation qu’ils ont avec leur reflet est donc une part importante de leur identité. Les cinéastes sont eux aussi fascinés par les miroirs, ils ont souvent joué avec, mais je voulais aller encore plus loin sur le plan visuel, explorer le sens profond du miroir et du reflet, montrer ce que cela signifie vraiment de regarder dans un miroir. Dans le film, les miroirs jouent un rôle très important dans la compréhension du personnage de Nina, chez qui la notion de double et de reflet joue un si grand rôle. ».
Alors que Nina, au départ très enfantine dans sa chambre rose entourée de peluches, travaille sur elle-même pour faire ressortir le cygne noir dans sa danse, elle remarque sa lente transformation hallucinatoire dans le miroir, son reflet se dissociant d’elle-même. Elle se voit s’observer, se juger. Son reflet va prendre le pas sur elle, la posséder complétement, maladivement, jusqu’à ce qu’elle se transperce le ventre d’un éclat de miroir brisé, pensant se défendre contre Lily (Mila Kunis) sa doublure pour le ballet qu’elle voit dans ses hallucinations.
Brouillant les contours de la réalité, ces miroirs obsèdent, interfèrent dans le réel, rendus vivants par le grain du super 16mm et la caméra à l’épaule. D’instrument de travail pour les danseurs, il devient source d’angoisse pour le spectateur qui redoute ce qu’il va y voir.

Projection du subconscient

Le miroir est aussi dans les films un lieu propice à l’apparition fantasmagorique du subconscient des personnages, dans un sens qui pourrait s’apparenter au Jiminy Cricket de Pinocchio,125 sans forcément son aspect bienveillant de bonne conscience, et sans pour autant être un double du personnage.
Dans le déjà cité Birdman par exemple, c’est quand Riggan (Michael Keaton) sera dans sa loge, face à son miroir que son alter-ego Birdman le conseillera dans ses choix de vie et d’actions comme un diable sur l’épaule, d’abord en n’étant qu’une voix dans sa tête … puis à la toute fin du film, quand Riggan aura le visage tuméfié lui faisant comme un masque, il apparaitra dans le miroir de la salle de bain sans dire un mot. Riggan se reflètera alors une dernière fois dans la fenêtre de sa chambre d’hôpital avant de s’y envoler en hors-champ, étant devenu Birdman.
Une approbation silencieuse du plus profond de l’esprit de Riggan, rendue visuelle dans le miroir. Dans Silence de Martin Scorsese sorti en 2016, c’est également dans le reflet que l’on comprend (un peu en même temps que lui) les motivations profondes et nombre des choix du personnage du père Sebastião Rodrigues (Andrew Garfiel), qui rendu fou par la chaleur, la soif, la faim, le manque de sommeil et les horreurs qu’il a vues, voit son visage se transformer en une image du Christ. Dès lors, Rodrigues ne va plus seulement transmettre le message divin, mais il va s’identifier à Jésus, acceptant donc toutes ses souffrances en se plaçant en martyr, quitte à laisser mourir des innocents sous ses yeux qu’il aurait pu sauver en renonçant à sa foi.
Dans le récent Joker de Todd Phillips (2019), le personnage d’Arthur Fleck, le Joker donc, incarné par Joachin Phoenix, est naturellement entouré de miroirs étant donné son métier de clown, passant beaucoup de temps à se maquiller. Plongeant peu à peu dans la folie générée par la société, c’est dans les miroirs qu’elle va se préciser, se complexifier, alors qu’il se met à danser dans les toilettes publiques juste après avoir abattu de sang-froid trois agresseurs. Mais c’est aussi dans un miroir qu’il va rencontrer Murray (Robert De Niro), le présentateur d’un talk-show à succès (duquel il sera invité pour le final du film), qui va lui dire qu’il est « comme un fils pour lui. » Ces paroles auront un impact profond sur l’évolution psychologique du Joker, qui ira jusqu’à tuer Murray en direct à la télévision. Cette rencontre était pourtant seulement une projection mentale du subconscient d’Arthur Fleck, apparaissant dans le miroir pour lui dire quoi faire.
On pourrait alors rapprocher le changement d’attitude d’Arthur et sa métamorphose en Joker, de la version du mythe du Minotaure imputant la raison de sa folie à sa prison de miroirs, qui ne voyant que son propre reflet monstrueux où des jeunes filles offertes en sacrifice, trop différentes de lui, ne rencontre aucun semblable. En tant que sujet à des troubles mentaux, Arthur est isolé et incompris, tout comme le Minotaure.

Le rêve

Cela nous amène au lien particulier qu’entretient le miroir avec le monde du rêve, et ce n’est pas Inception qui ira contredire ce point. Cette association vient en grande partie des aventures d’Alice de l’autre côté du miroir, qui traverse physiquement le miroir du salon pour rejoindre le pays des merveilles, symbole du rêve et de l’imagination, comme ce sera repris dans l’adaptation des studios Disney en 1951.133
Dans ce film d’animation qui est plutôt proche de la version de Carroll, et qui tire donc ses origines directement de l’imagination de jeunes enfants,134 la jeune Alice va dès le début de son histoire, alors qu’elle est somnolente au bord de l’eau, voir passer un lapin blanc habillé et porteur d’une montre. Le traitement de cette apparition dans le film va se faire dans un reflet dans l’eau, montrant d’abord l’image d’Alice se brouillant pour laisser la place au lapin. Le merveilleux prend donc place dans le réel par le reflet, tout en laissant la possibilité d’interpréter ce passage comme l’endormissement d’Alice (étant donné que l’on ne la voit pas directement à ce moment), et donc laisser entendre que la suite du film sera son rêve merveilleux. Double lecture pour double public : les enfants et les parents accompagnateurs.
La traversée du miroir pour signifier le rêve est un élément central dans la mise en scène visuelle de Sucker Punch de Zack Snyder sorti en 2011, et qui s’inspire par bien des aspects de l’œuvre de Carroll, le réalisateur décrivant même son film comme « Alice in Wonderland with machine guns. »135 Dans ce film où l’imagination et la création mentale d’univers fantasmés pour échapper au réel sont les points centraux du récit, les rêves s’imbriquent sur plusieurs niveaux et l’imagination, les libertés et les possibles prennent de plus en plus d’importance.
Babydoll (Emily Browning), internée dans un asile dans les années 60 contre sa volonté, imagine pour surmonter son quotidien qu’elle se trouve en fait dans un cabaret, et qu’elle y est danseuse, avec les autres internées. L’infirmier responsable devient propriétaire de l’établissement, et la psychologue chorégraphe. Au sein de ce monde inventé, Babydoll va encore plonger dans un univers fantastique mêlant samouraïs, dragons, robots et soldats de la 1ere guerre mondiale, dans lequel elle cherchera un moyen de s’échapper de l’asile, accompagnée par quatre autres filles. « Toute confrontation avec un miroir fait vivre une expérience simultanée d’illusion et de déception. ».
Babydoll sera alors souvent confrontée à des miroirs (en partie de par son choix de s’imaginer un cabaret où les miroirs sont monnaie courante entre les loges et la salle de danse), et par deux fois, la caméra traversera le miroir pour insister sur l’aspect illusoire et onirique de ce monde, non sans quelques prouesses techniques notables.

Vers le futur

Si le miroir est une porte vers le passé de certains personnages, il peut permettre à d’autres d’entrevoir ce que sera leur futur, consciemment ou non. Dans le Jurassic Park (1993) de Steven Spielberg par exemple, le rétroviseur montrant le T-rex poursuivant le véhicule porte l’inscription « les objets dans le miroir sont plus proches que ce qu’ils en ont l’air »,143 comme un avertissement, mais aussi comme une vision anticipée d’un futur très proche.
Plus récemment, c’est par exemple dans le film d’animation Spider-Man: New Generation144 que l’on peut observer un reflet annonciateur d’un futur proche, mais pas immédiat : Miles Morales, en train d’apprendre à connaitre ses nouveaux pouvoirs de Spider-Man, porte un déguisement du héros acheté dans une boutique au moment de la mort de Peter Parker, le Spider-Man original, et en visite chez la tante de ce dernier, il se reflète un instant face à une réelle combinaison du super-héros dans une vitrine. Cependant, ne contrôlant pas ses pouvoirs et étant trop débutant, il repart, mais ce reflet lui a montré son avenir : il va devenir le nouveau Spider-Man peu de temps après ce passage, cette vision lui ayant redonné confiance.
Un reflet peut aussi, de manière prémonitoire, déjà donner une information plus vague sur l’avenir, comme le tout premier plan de Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris (2006) montrant un très gros plan d’Olive (Abigail Breslin), une jeune fille dont on ne se sait encore rien, mais en reflet dans ses lunettes on voit ce qu’elle regarde, les yeux passionnés : un enregistrement de Miss America à la télévision. Dès le premier plan, on sait déjà de quoi va traiter le film : du plus grand rêve de cette jeune Olive, les concours de beauté.
Olive et son plus grand désir, ensemble à l’image dès le premier plan du film, dans un plan relativement contraignant pour le jeu d’acteur : un mouvement trop prononcé du visage et ce ne serait plus la télévision que l’on verrait reflétée, mais l’objectif de la caméra.
Dans une vision du futur plus lointain, plus morbide et avec une approche plus fantastique, Tim Burton montre en 2003 dans Big Fish un personnage de sorcière des marais (Helena Bonham Carter) dont le futur « ultime » se reflète dans l’œil de verre : quiconque s’y regarderait y verrait sa propre mort.
Plus qu’un écran, c’est bien leur propre mort que voient les personnages dans cet œil, miroir donc de leur fin.

Vers le monde des morts

Véritable porte que traverse physiquement Orphée (Jean Marais) dans le film éponyme de Cocteau pour se rendre dans le royaume des morts, le miroir devient liquide et il relie le monde des vivants avec celui des défunts. Véritables ingéniosités techniques pour l’époque pour tourner ces plans, utilisant du mercure liquide et une caméra à 90° pour y plonger ses mains gantées (reprenant un peu l’idée employée pour Le sang d’un poète en 1930, avec le décor construit à 90° et le miroir devenant bassine d’eau) ou jouant là où le miroir n’est pas, Cocteau instaure en fait avec ce film toute une symbolique entre le miroir et la mort. Notons d’ailleurs que c’est à cause d’un miroir, une fois qu’Orphée se pense tiré d’affaire, qu’il croisera le regard d’Eurydice par hasard, la condamnant à la mort, alors que le contrat passé avec les juges du royaume souterrain était de ne plus jamais la regarder pour pouvoir la ramener chez les vivants.
Jean Cocteau a d’ailleurs lui-même dit à propos de son film : « Les miroirs sont les portes par lesquelles entre la mort. Regardez-vous toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler sur vous »,146 cultivant la symbolique profonde qu’il avait popularisée.
« Les reflets manifestent un peu sa présence depuis l’autre monde. On peut effectivement penser au mythe d’Orphée. Ce n’est pas dit que ça vienne de là, mais c’est sûrement très ancré dans la culture. »147
Cette idée des miroirs communiquant directement avec l’au-delà et le monde des morts, c’est quelque chose qui s’est très répandu, et nombre de films utilisent alors les miroirs comme lieu d’apparition d’esprits ou de fantômes comme une évidence. Il y a une certaine mystique qui s’est créée autour de l’objet. Dans une Sirène à Paris de Mathias Malzieu (2020) par exemple, c’est dans le miroir que va apparaitre Victor (Alexis Michalik) dans les bras de Milena (Romane Bohringer), alors qu’il est récemment décédé et que cette dernière, sa compagne, est encore sous le choc. Après un panoramique s’écartant du miroir, Milena se retrouve seule, dans la réalité. Ce qui est intéressant dans ce cas de figure, c’est aussi que le film est l’adaptation d’un roman148 dont le réalisateur est aussi l’auteur, et dans lequel ce passage est absent. Milena a toujours un souvenir de Victor, une voix, des sensations sous des formes littéraires, mais l’apparition mortuaire dans le miroir semble être dès lors comme une forme de figure de style cinématographique. Comme si la symbolique s’était vraiment développée depuis l’Orphée de Jean Cocteau, et comme si donc, plus que faire appel à des symboliques ancrées dans les esprits, le cinéma avait le pouvoir de créer ses nouvelles symboliques qui lui sont propres.

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Table des matières

INTRODUCTION
Définitions
La symbolique du miroir dans la mythologie et la littérature
Le miroir dans l’histoire des arts visuels
Les dangers des reflets
Les miroirs comme prétexte
I. LE REFLET REVELATEUR, QUI AGRANDIT L’IMAGE
A/ DEUX PLANS EN UN SEUL
1. Champ / Contrechamp
2. Regards croisés
3. Le plan séquence simple
4. La superposition associatrice
B/ OUVRIR L’ESPACE
1. Agrandir un espace restreint
2. Dévoiler l’invisible
C/ TRANSFORMATION DE L’IMAGE
1. Trouble de l’identité
2. Incomplétude et conscience
3. Infini
II. LE REFLET TROMPEUR, CREATEUR D’ILLUSIONS
A/ METAMORPHOSES
1. Narcissisme et apparence
2. Changement d’identité
B/ CONFUSIONS
1. Dimension spectaculaire
2. Hyper-subjectivation
C/ DECOUVERTE DE SON DOUBLE
1. Le double bienveillant
2. Le double maléfique
3. Projection du subconscient
III. LE REFLET PASSEUR, PORTE ENTRE LES MONDES
A/ UNE PORTE SUR SOI
1. Le monde intérieur
2. Le rêve
B/ UNE PORTE TEMPORELLE
1. Vers le passé
2. Vers le futur
3. Vers le monde des morts
C/ UNE PORTE ENTRE LE CINEMA ET LE REEL
1. La fin de l’illusion
2. La place du spectateur
3. La vidéo domestique et le selfie : les nouveaux miroirs ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE :

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