la structure de l’écriture tragique dans A quoi rêvent les loups

Qu’est-ce qu’une tragédie ? Qu’est-ce que le tragique ?

   D’abord, intéressons nous à la tragédie grecque. Selon l’étymologie du mot tragédie : tragodia viendrait de « tragos » qui signifie le bouc et « odé » qui veut dire chant. C’est donc le chant des hommes-boucs, ces derniers chantent des liturgies en l’honneur du dieu Dionysos. La première représentation d’une tragédie se situe vers 534 av. J-C : « La première représentation que la mémoire des siècles en ait conservée se situe vers 534 av. J-C aux Dionysies d’Athènes ». Nietzsche soutient la thèse selon laquelle la tragédie descend de la musique et que c’est une synthèse, une opposition entre deux entités différentes, entre Apollon qui est le dieu de l’art plastique et de Dionysos qui est le dieu de l’art non plastique et de la musique : «….que la tragédie est issue du chœur tragique, et était à son origine chœur et rien que chœur » La tragédie est ainsi définie par Aristote dans sa poétique : « L’imitation d’une action de caractère élevé et complète, d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements d’une espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions ». La tragédie est un genre mimétique d’hommes de hautes valeurs morales ou de rang élevé. Par « action complète » Aristote veut dire que c’est une action qui a un début, un milieu et une fin. Ensuite, vient l’étendue de la tragédie qui est limitée,la tragédie dure l’espace d’une « révolution du soleil » c’est-à-dire une journée. Une bonne tragédie est celle dont l’étendue rend possible une série d’événements qui se succèdent en respectant la vraisemblance, et en réalisant le passage du héros d’une situation de bonheur à celle de malheur. Ce n’est qu’au dix-septième siècle que la tragédie classique à eu son âge d’or, s’inspirant de l’Antiquité gréco-latine dont elle est l’héritière. Selon le dictionnaire des littératures de langue française la tragédie est : « Une œuvre dramatique, écrite en alexandrins, disposé en cinq actes, dont les héros de rang élevé et de statut moral médiocre, se trouvent menacés par un péril grave, qui éveille chez le spectateur des sentiments de pitié et de terreur ils peuvent succomber à ce péril ou être sauvés in extremis ; le déroulement de l’action doit être continu à l’intérieur de chacun des actes, les principaux personnages et les éléments essentiels de la situation doivent être présentés dès le début de la tragédie, les sujets doivent être tirés du vrai ». La tragédie illustre à travers ses diverses formes la présence de la fatalité, les hommes agissent dans un monde gouverné par les dieux et dont ils ne maitrisent pas la causalité, leurs destins semblent ainsi soumis à des forces supérieures même lorsqu’ils ont l’impression d’être libres.

A quoi rêvent les loups : témoigner d’une tragédie ?

  Ecrire et publier des textes pour témoigner de la terreur et de la situation vécue en Algérie durant la décennie noire. Pour Bouba Mohammedi-Tabti, de l’université d’Alger, la dimension tragique des textes littéraires algériens des années quatre-vingt dix est en grande partie assurée par ce que J-M Domenache a appelé « le matériau ordinaire de la tragédie (…), la souffrance, le deuil, les larmes ». Assia Djebar écrit : « Mon écriture romanesque est en rapport constant avec un présent. Je ne dirais pas toujours de tragédie mais de drame ». Quant à Yasmina Khadra, il déclare : « de mon coté, je tiens à dire que je ne quitte pas des yeux les convulsions dramatiques de mon pays depuis le déclanchement des hostilités ». De ce fait nous pouvons dire que les œuvres littéraires des années quatre-vingt dix peuvent s’inscrire dans un espace tragique à partir duquel témoignent les auteurs à travers leurs textes. A quoi rêvent les loups appartient à cette littérature de témoignage, une écriture d’urgence, qui malgré ce climat de terreur et de violence à choisi de rompre le silence et répondre à ce besoin « impérieux et viscéral de dire les atrocités, d’évoquer les tueries et les massacres » de la décennie noire. Une littérature dont l’immédiateté est de témoigner de ces évènements sanglants. Rachid Mokhtari qualifie cette littérature de « graphie de l’horreur » une littérature dont l’écriture est une mise en scène de la sauvagerie de l’intégrisme islamiste. Une situation tragique dans laquelle l’écrivain se met à transcrire fidèlement cette guerre civile qui déchire son pays. Yasmina Khadra déclare dans une interview qu’il ne trouve aucun inconvénient à être appelé transcripteur de la réalité que vit le peuple algérien : « -Beaucoup de gens qui vous connaissent pensent que vous êtes un talentueux transcripteur du vécu des dix années de feu. Êtes-vous de même avis ?
-J’ai fait mon devoir de mémoire. J’avais une tragédie sur les bras, il fallait la conférer. Parler de son pays n’est pas dévalorisant. Contribuer à l’écriture de son histoire, c’est jalonner son avenir de repère salutaire. Par ailleurs l’Algérie n’est pas encore dite. Nous avons besoin de milliers d’écrivains pour espérer notre vérité et concevoir notre salut ». Une œuvre littéraire est généralement liée à un événement historique dont elle puise ses sources. Une œuvre qui reflète la société qui l’engendre et les événements historiques qui la traversent.

L’Exposition : début in médias res

  Les premières pages du roman A quoi rêvent les loups nous installent directement dans le cœur des événements, en introduisant dès le début le personnage principal, Nafa Walid. On peut dire qu’à travers cet incipit l’auteur nous met directement au contact des événements qui se déroulent dans le roman. Vincent Jouve a écrit dans son ouvrage, La Poétique du roman : « Le pacte de lecture, proposé explicitement dans les préfaces, est noué de façon plus implicite dans les incipit. Lorsque le paratexte ne suffit pas, ce sont les premières lignes du roman qui, précisant la nature du récit, indiquent la position de lecture à adopter ». Il ajoute aussi : « L’incipit remplit précisément trois fonctions : il informe, intéresse et propose un pacte de lecture ». L’incipit de ce dernier nous jette dans le comble du tragique, puisqu’il nous renseigne sur la fin tragique de Nafa Walid, personnage principal. On se trouve dans ce début du roman avec un récit qui s’ouvre sur la fin de l’histoire. Yasmina Khadra agit de cette manière à fin de séduire d’emblée le lecteur en le faisant entrer dans l’histoire elle-même. Ce genre d’incipit est connu sous le nom d’incipit in médias res, que BIET caractérise comme : « La tragédie commence in média res (au milieu du déroulement de la fable) : à l’aube (début des vingt-quatre heures), en un lieu (vestibule, palais à volonté), un héros, le plus souvent, et un confident s’entretiennent de la situation et rappellent ce qui s’est passé précédemment, ce qui permet d’orienter immédiatement la tragédie sur la crise, qui est l’essentiel du propos » . L’auteur essaye de nous plonger directement dans l’univers violent qui domine le récit. Il commence par la confession d’un jeune algérien qui regrettait la mauvaise direction qu’il avait prise : « Pourquoi l’archange Gabriel n’a-t-il pas retenu mon bras lorsque je m’apprêtais à trancher la gorge de ce bébé brulant de fièvre ? Pourtant, de toutes mes forces, j’ai cru que jamais ma lame n’oserait effleurer ce cou frêle, à peine plus gros qu’un poignet de mioche. La pluie menaçait d’engloutir la terre entière, ce soir-là. Le ciel fulminait. Longtemps, j’ai attendu que le tonnerre détourne ma main, qu’un éclair me délivre des ténèbres qui me retenaient captif de leurs perditions, moi qui étais persuadé être venu au monde pour plaire et séduire, qui rêvais de conquérir les cœurs par la seul grâce de mon talent » Un début violent qui nous plonge dans une réalité amère que vivait le pays, depuis quelques années, dans la douleur et le chagrin. Mais dans cet incipit il s’agit beaucoup plus d’un flash-back, selon Yasmina Khadra : « Généralement, on prend conscience de son erreur trop tard. Et c’est à partir de ce constat que l’on revient sur l’itinéraire qui nous a conduit si loin dans l’irréparable ». En d’autres termes, le narrateur interrompt un instant son récit pour effectuer un retour en arrière. Le récit prend alors une forme analeptique. « J’ai tué mon premier homme le mercredi 12 janvier 1994, à 7h35 (…). Pareil à une météorite, j’ai traversé le mur du son, pulvérisé le point de non-retour : je venais de basculer corps et âme dans un monde parallèle d’où je ne reviendrais jamais plus » . Ce même passage est repris dans le récit à la page 183, dans le but d’insister sur la tragédie que vivait Nafa et de sa dérive dans un monde qui ne lui appartenait pas. Comme nous remarquons aussi, dans cet incipit, que l’auteur essaye de nous donner un avant gout de ce qui va suivre tout au long du roman. Le reste de ce prologue raconte un attentat à Alger : « Il est 6 heures du matin, et le jour n’a pas assez de cran pour s’aventurer dans les rue (…). Les policiers ne tirent plus (…). L’immeuble a été évacué aux premières heures de l’accrochage, dans une panique apocalyptique » . Dans cet univers plein de peur, on retrouve quelques personnages avec qui on peut se familiariser : Ali, Rafik, Doujana, Handala, Abou Toureb et Nafa ou l’Emir dont le sort est indiqué dans ce passage : « Ali a été touché(…) l’arrière de la tête arraché (…) Rafik ne bouge plus, il git dans une marre de sang (…) Doujana fixe le plafond déchiqueté par une grenade (…) Handala est mort dans le vestibule (…) son jeune frère a succombé à trois heures du matin, seul Abou Toureb respire encore… » . Dans cet incipit on remarque deux indicateurs temporels, le premier est celui de l’accrochage : « Il est 6 heures du matin » (P. 11). Le second est un rappel : « J’ai tué mon premier homme le mercredi 12 janvier 1994, à 7h35 » (P. 15). La date et l’heure du premier crime commis par Nafa en tant qu’activiste au sein d’un groupe terroriste. Un détail cité à deux reprises dans le roman, un détail d’une importance capitale, pour dire que le narrateur avait été marqué à jamais par cet acte barbare. On remarque aussi l’existence de deux récits, d’une part, le récit de l’attentat raconté par le narrateur, et d’autre part, le récit du personnage Nafa (l’Emir) à travers la reconstitution de sa mémoire.

Un jeune homme rêveur et exemplaire

   La description d’un personnage permet à l’auteur de dessiner son portrait physique, social, moral et psychologique pour fonder son caractère et amorcer ses faits et gestes dans la suite des événements. C’est à travers le portrait physique ou psychologique que se manifeste une certaine conception du personnage et de sa vision du monde. Dans cette première approche et pour faire notre analyse, physique et psychologique, du personnage Nafa, nous nous baserons sur l’étude proposée par Philippe Hamon dans son article Pour un statut sémiologique du personnage dans lequel il étudie le personnage sur le modèle du signe linguistique. Hamon retient trois champs pour l’analyse du personnage, l’être, le faire et l’importance hiérarchique : « toute analyse du récit est obligée à un moment ou un autre, de distinguer entre l’être et le faire du personnage, entre qualification et fonction. » Pour ce qui est du portrait physique du personnage, Vincent Jouve a écrit dans son ouvrage La Poétique du roman, en se référant à l’analyse faite par Philippe Hamon que :« Le portrait physique du personnage passe d’abord par la référence au corps. Ce dernier peut être beau, laid, déformé, humain, non humain. Le portrait instrument essentiel de la caractérisation du personnage, participe logiquement à son évolution. » Sur le plan physique, Nafa est un beau jeune homme de 26 ans aux yeux bleus et à la démarche désinvolte, c’est un être soigné et jaloux de sa réputation de « bel homme » : « A Bab El-Oued, dans la Casbah, du coté de Soustara et jusqu’aux portes de Bachjarah, partout où je me manifestais, j’incarnais le mythe naissant dans toute sa splendeur. Il me suffisait de me camper au beau milieu de la rue pour l’illuminer de mon regard azuré. Les vierges au balcon languissaient d’apercevoir ma silhouette, les ringards du coin s’inspiraient de ma désinvolture pour se donner une contenance, et rien ne semblait en mesure de résister à la force tranquille de ma séduction. ».Comme beaucoup de jeunes algériens il souhaite réaliser un rêve qui lui est cher. Il désire devenir acteur : « je voulais être acteur juste sur mon lit de mort. » (P. 31).Le bleu azuré de son regard ne porte-t-il pas ce rêve d’être un jour acteur au fond de ses prunelles ? Nafa ne se considère-t-il pas comme une « divinité », que Dieu lui a donné la beauté juste pour être artiste ? Nous sommes en présence d’un jeune héros rêveur, ambitieux et idéaliste. Selon Vincent Jouve : « Le portrait psychologique est essentiellement fondé sur les modalités, c’est le lien du personnage au pouvoir, au savoir, au vouloir et au devoir. »Nafa était un jeune rêveur, il rêvait d’une vie sociale meilleure et stable. Il a toujours voulu être acteur depuis son jeune âge : « A l’école, je ne songeais qu’à ce qui me paraissait être la consécration. (…). Je ne me sentais dans mon élément que retranché derrière les remparts de mes obsessions. (…). Je voulais devenir artiste. ».Un rêve qu’il voulait réaliser à tout prix « je voulais être acteur jusque sur mon lit de mort, me tailler une légende plus grande que ma démesure, postuler aux privilèges des dieux (…). » (p. 31 ».

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : la littérature d’urgence et le tragique
Introduction
1. Qu’est-ce qu’une tragédie ? Qu’est-ce que le tragique ?
2. le tragique dans la littérature d’urgence
2.1 Un contexte de violence
2.2 A quoi rêvent les loups : Témoigner d’une tragédie ?
2.3 Etude de l’intrigue du roman : Une intrigue tragique
3. la structure de l’écriture tragique dans A quoi rêvent les loups
3.1 L’Exposition : début in médias res
3.2 Le nœud et les péripéties
3.3 Le dénouement
Conclusion
CHAPITRE II : Le personnage principal comme élément tragique
Introduction
1. Nafa Walid avant sa transformation
1.1 Un jeune héros rêveur et exemplaire
1.2 La faute tragique
2. La fatalité
3. De l’homme exemplaire à l’homme sauvage
3.1 Le revirement tragique
3.2 La mort symbolique
4. La métamorphose du héros : la métaphore animalière du loup
5. Un titre métaphorique
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie

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